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  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-178-86 - COTE, ROGER c. COMMISSION, GIBEAULT, CAMILLE, GAGNON, FRANCOISE, GAUTHIER, YVES, DEPUTY ATTORNEY GENERAL OF CANADA, ATTORNEY GENERAL OF CANADA

    JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

    Date :
    le 4 juillet 1986

    Dossier :
    A-178-86

    Décision du juge-arbitre :
    CUB N/A;

    CORAM :

    LE JUGE PRATTE
    LE JUGE MARCEAU
    LE JUGE LACOMBE

    ENTRE :

    ROGER COTE,

    requérant,

    - et -

    LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA,

    - et -

    intimée,

    - et -

    CAMILLE GIBEAULT,
    président du Conseil arbitral

    - et -

    FRANÇOISE GAGNON,
    membre du Conseil arbitral,

    - et -

    YVES GAUTHIER,
    membre du conseil arbitral,

    mis-en-cause ès-qualité de membres du Conseil arbitral
    en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage,

    - et -

    LE SOUS PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

    - et -

    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

    mis-en-cause.



    Demande d'autorisation d'en appeler rejetée par la Cour Suprême du Canada :
    Côté c. Canada (PG), [1986] C.S.C.R., no. 570, no. de dossier 20004



    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Jugement prononcé à Ottawa,
    le vendredi, 4 juillet 1986) ;
    Prononcé par

    LE JUGE PRATTE :

    Ce pourvoi, formé en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, attaque une décision d'un conseil arbitral constitué en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Suivant cette décision, le montant des prestations d'assurance-chômage payables au requérant devait être diminué en raison du fait qu'il recevait une pension de son ancien employeur.

    Le requérant travaillait pour la Société canadienne des Postes lorsqu'il dût quitter son emploi, le 29 novembre 1985, parce que la position qu'il occupait était supprimée. Une mention manuscrite apparaissant à l'une des pièces du dossier indique qu'il aurait alors pris une retraite anticipée. Le 2 décembre 1985, le requérant déposa une demande de prestations. La Commission établit alors une période de prestations à son profit (commençant le 1er décembre 1985) et fixa son taux de prestations à 276,00 $ par semaine. On peut présumer que, dans les semaines qui suivirent, le requérant reçut cette somme de la Commission. Cela dura jusqu'au 7 février 1986. Ce jour-là, la Commission avertit le requérant que, depuis le 5 janvier 1986, le montant de ses prestations hebdomadaires devait être réduit en conséquence du fait qu'il recevait une pension de 307,96 $ par semaine de son ancien employeur. Cette décision de la Commission était prise en vertu du paragraphe 26(2) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et de l'article 57 du Règlement sur l'assurance-chômage tel qu'il avait été modifié le 5 janvier 1986.

    Suivant le paragraphe 26(2) de la Loi:

    "Si un prestataire reçoit une rémunération pour une partie d'une semaine de chômage non comprise dans le délai de carence, la fraction de cette rémunération qui dépasse vingt-cinq pour cent du taux des prestations hebdomadaires du prestataire doit être déduite des prestations devant être servies au prestataire au cours de cette semaine."

    Quant à l'article 57 du Règlement, il a été édicté en vertu de l'alinéa 58(q) de la Loi qui confère à la Commission le pouvoir, avec l'approbation du gouverneur en conseil, d'établir des règlements:

    "définissant et déterminant la rémunération aux fins du bénéfice des prestations, déterminant le montant de cette rémunération, prévoyant sa répartition par semaines et déterminant la moyenne des rémunérations hebdomadaires assurables au cours des semaines de référence des prestataires."

    L'article 57 du Règlement définit, entre autres, quelle est la rémunération dont il faut tenir compte "pour déterminer ... le montant à déduire des prestations payables en vertu de l'article 26 ...". Jusqu'au 5 janvier 1986, cet article était rédigé de telle sorte que cette rémunération ne comprenait pas les pensions de retraite que pouvait recevoir un prestataire. Le 5 janvier 1986, cependant, cet article du Règlement fut modifié, d'une part, de façon à indiquer que cette rémunération comprenait les sommes payées ou payables à un prestataire le 5 janvier 1986 ou après cette date, que ce soit sous forme de montant périodique ou forfaitaire, au titre ou au lieu d'une pension" et, d'autre part, en précisant que le terme pension, dans cette disposition, désignait

    ...toute pension de retraite:

    a) provenant d'un emploi, y comprit un emploi à titre de membre des Forces canadiennes ou de toute force de police,

    b) versée en vertu du Régime de pensions du Canada, ou

    c) versée en vertu d'un régime de pension provincial.

    C'est sur cette modification apportée à l'article 57 du Règlement que la Commission fondait sa décision de réduire le montant des prestations payables au requérant en conséquence du fait qu'il recevait une pension de retraite "provenant d'un emploi". Le requérant fit appel de cette décision devant le conseil arbitral. Il attaque aujourd'hui la décision du conseil qui a rejeté son appel.

    Des nombreux arguments qui nous ont été soumis à l'audience à l'appui de la demande, il n'y en a que deux qui nous ont paru sérieux et au sujet desquels nous avons cru opportun d'entendre l'avocat de l'intimée. Je me limiterai à discuter ici ces deux arguments qui peuvent se résumer ainsi:

    1. la modification apportée à l'article 57 du Règlement ne pouvait justifier une diminution des prestations payables au requérant pendant la période de prestations qui avait été établie à son profit au début de décembre 1985 parce que le requérant avait un droit acquis à ces prestations, et

    2. la modification apportée à l'article 57 du Règlement est ultra vires parce que l'article 58 de la Loi n'autorisait pas la Commission à l'édicter.

    Le requérant fonde son premier argument sur l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Dallialian 1 et sur l'alinéa 35(c) de la. Loi d'interprétation 2 Le règlement nouveau, dit-il, affecte ses droits acquis et, à cause de cela, est invalide parce qu'une autorité administrative n'a pas le pouvoir d'édicter un règlement ayant cet effet si elle n'y est pas expressément habilitée par la Loi. 3 Je ne vois aucun mérite à cet argument. Quels sont donc les droits acquis qu'invoque le requérant? Ceux, dit-il, qui lui résultent de l'établissement à son profit d'une période de prestations. Mais l'établissement de cette période n'a pas créé en faveur du requérant le droit de recevoir des prestations. L'établissement de la période devait avoir lieu pour que le requérant puisse ultérieurement prétendre à des prestations mais, à lui seul, ne lui permettait pas de recevoir ces prestations. Pour avoir droit aux prestations pendant sa période de prestations, le requérant devait les réclamer et prouver qu'il remplissait alors toutes les conditions requises pour les obtenir. En réalité, ce que le requérant affirme, c'est que l'établissement de sa période de prestations a fait naître en sa faveur le droit acquis de se prévaloir de la Loi et du Règlement sur l'assurance-chômage qui existaient à ce moment-là sans égard aux modifications qui pouvaient y être apportées par la suite. Cette prétention n'est pas fondée." Le simple droit de se prévaloir d'un texte législatif ... ne peut être considéré comme un droit acquis." 4 comme un droit acquis.

    Le second argument du requérant est plus sérieux. En modifiant l'article 57 comme elle l'a fait, dit-il, la Commission a excédé le pouvoir que lui conférait l'alinéa 58(q) de la Loi d'édicter des règlements "définissant et déterminant la rémunération aux fins du bénéfice des prestations".

    Il faut d'abord remarquer que le pouvoir que l'alinéa 58(q) accorde à la Commission n'est pas de définir l'expression "rémunération" telle qu'elle est utilisée dans la Loi. La Loi est antérieure auRèglement; elle utilise le mot "rémunération" dans le sens qu'a voulu lui donner le législateur.

    Si cela n'était, la Loi, à elle seule, ne voudrait rien dire. Le pouvoir de définir la rémunération, c'est donc seulement le pouvoir de préciser ce qui constitue une rémunération. Ce pouvoir doit, bien sûr, être exercé en tenant compte, du sens qu'a le mot "rémunération" dans la Loi.

    Dans quel sens le législateur a-t-il utilisé le mot "rémunération" dans la Loi? Ce mot, dans son sens courant, désigne "l'argent reçu pour prix d'un service, d'un travail". 5 prix d'un service, d'un travail Il est rendu, dans la version anglaise de la Loi par le mot "earnings" qui, suivant le Shorter Oxford English Dictionary, signifie "that which is earned by labour, or invested capital". On ne peut donner ce sens-là au mot français "rémunération" qui n'est pas normalement utilisé pour désigner les revenus d'un placement. En conséquence, s'il est vrai que l'emploi du mot earnings dans la version anglaise de la Loi peut inciter à donner au mot français rémunération un sens large qui inclut, par exemple, les pourboires, 6 il me semble que l'emploi du mot "rémunération" en français conduit, en revanche, à limiter le sens du mot anglais earnings" de façon à ce qu'il ne désigne que ce que l'on gagne grâce à son travail.

    AMENDÉ

    C'est, à mon avis, ce sens-là qu'il faut donner au mot "rémunération" dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Et la Commission doit tenir compte de cela lorsqu'elle exerce le pouvoir de réglementation que lui confère l'alinéa 58(q).

    Ce n'est pas à dire, cependant, que le pouvoir de la Commission aux termes de cet alinéa soit uniquement celui que posséderait un juge de décider si un gain réalisé par un prestataire constitue une rémunération au sens de la Loi. La Commission est investie d'un pouvoir de réglementation, non pas seulement d'un pouvoir de décision. Elle ne possède donc pas seulement le pouvoir te préciser et clarifier ce qu'est une rémunération au sens de la loi, elle a aussi celui de compléter la loi en assimilant à des rémunérations des gains qui, en réalité, n'en sont pas mais qui, par certains côtés, y ressemblent. Ainsi, i1 me parait que la Commission ne pourrait pas décréter que les allocations familiales reçues par un prestataire constituent de la rémunération parce qu'il n'existe aucun lien entre ces allocations et le travail accompli par le prestataire. En revanche, il me semble que la Commission a le pouvoir d'édicter, comme elle l'a d'ailleurs fait à l'alinéa 57(2)(c) du Règlement, que les indemnités de maladie ou d'invalidité reçues par un prestataire d'un régime collectif d'assurance-salaire constituent de la rémunération. En effet, il existe un rapport certain entre ces indemnités et, d'une part, le travail accompli par le prestataire (sans lequel il n'aurait pas bénéficié de ces assurances) et, d'autre part, le salaire que ces indemnités viennent remplacer.

    Le règlement dont le requérant conteste la validité en l'espèce assimile à une rémunération les sommes payées ou payables à un prestataire au titre d'une pension provenant d'un emploi. Il est connu de tous que, aujourd'hui, les pensions dont bénéficient les employés leur sont payés suivant des "plans de pension" qui prévoient la création d'un fonds de pension qui est alimenté par les contribution forcées de l'employeur et des employés et qui est habituellement administré par une compagnie d'assurance ou de fiducie. En de telles circonstances, dit le requérant, il est clair que les pensions reçues par les employés à la retraite ne sont pas la rémunération de leur travail puisqu'elles leur sont payées, non pas en considération du travail qu'ils ont fait mais en considération des contributions qui ont été versées au fonds de pension.

    Cette analyse est juridiquement exacte. Mais elle ne permet de conclure à la nullité du règlement attaqué que si le seul pouvoir de la Commission aux termes de l'alinéa 58(q) de la Loi est de préciser le sens de la Loi. Je l'ai déjà dit, à mon avis le pouvoir réglementaire que cette disposition confère à la Commission va plus loin. Il permet à la Commission d'assimiler à une rémunération un gain qui n'en est pas un mais qui, par certains points, lui ressemble. Or, à mon avis, i1 existe, entre le travail accompli par un employé dans un emploi et la pension qui provient de cet emploi, un lien suffisant pour que l'on puisse assimiler cette pension à une rémunération. C'est, en effet, parce que l'employé a travaillé qu'il reçoit sa pension qui, dans un sens large, me paraît lui être payée en considération du travail qu'il a accompli. Je conclus donc que la Commission intimée avait le pouvoir de modifier comme elle l'a fait l 'article 57 du Règlement.

    Je rejetterais la demande.



    « Louis Pratte »
    J.C.F.C.

    «Je suis d'accord.
    Bertrand Lacombe, J.»


    1 Commission de l'emploi et de l'immigration, c. Dalliation, [1980] 2 R.C.S 582.

    2 S.R. 1970, c. I-23.

    35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l'abrogation

    ...

    c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège obligation ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé;

    3 Parklane Private Hospital Ltd. v. City of Vancouver, [1975] 2 R.C.S. 47.

    On peut remarquer que l'arrêté ministériel dont il était question dans cette décision n'affectait pas seulement des droits acquis, il avait vraiment un effet rétroactif.

    4 Gustavson Drilling (1964) Limited v. Minister of National Revenue, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 283, le juge Dickson.

    5 Le petit Robert, vbo "rémunération".

    6 Voir: Canadien Pacific Limitée v. Le procureur général du Canada, jugement non rapporté de la Cour Suprême du Canada, prononcé le 22 mai 1986.


    LE JUGE MARCEAU:

    Je me suis finalement convaincu moi aussi que cette demande sous l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne pouvait réussir. J'avoue avoir été un moment quelque peu séduit par certains arguments des procureurs du requérant et des intervenants développés habilement à partir de l'idée du respect des droits acquis et de la nécessité d'attribuer au pouvoir de réglementation donné par l'alinéa 58(q) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage les limites imposées par l'utilisation du mot "rémunération". Mais après réflexion, j'en suis venu à la conclusion que, sur le plan du droit, ces arguments n'avaient pas de poids. Mon opinion est la même que celle du juge Pratte.

    En somme, je ne crois pas que l'établissement d'un période de prestations puisse avoir pour effet de faire naître en faveur d'un réclamant un droit acquis à ce que, pendant toute la durée de la période, les règles en vertu desquelles des prestations lui seront payables restent intangibles et figées. Ce qui est établi définitivement, c'est la longueur de la période et possiblement le taux applicable parce que dépendant strictement de faits passés; le droit de recevoir les prestations ne prend naissance que périodiquement avec chaque réclamation hebdomadaire et il doit se définir à chaque fois en fonction des règles existantes au moment de chaque réclamation.

    Je ne crois pas non plus qu'il soit possible de restreindre la portée du mot "rémunération". tel qu'on trouve à l'alinéa 58(q). Sans soute doit-on admettre que l'utilisation d'un tel terme implique chez le Parlement la volonté de maintenir le pouvoir de réglementation de la Commission dans certaines limites, lesquelles étaient d'ailleurs de toute façon déjà imposées par le sens et l'esprit de la Loi. Mais on ne saurait interpréter le mot dans un sens strict et limitatif sans rendre totalement illusoire et sans aucun doute portée le pouvoir de "définition" que la disposition formellement attribue et sans, par conséquent, contre l'intention réelle du Parlement. Est rémunération, au sens large, tout ce que le travailleur retire, en bénéfices pécuniaires, de son travail présent ou passé, et en ce sens la pension reste incontestablement une rémunération, peu importe le moyen utilisé pendant le temps de l'emploi pour assurer le versement des allocations périodiques convenues une fois la retraite arrivée.

    On comprend sans peine la réaction de ceux qui, comme le requérant, ont vu leurs prévisions faussées et leurs espoirs frustrés; on peut interroger l'à-propos ou la sagesse de cette décision des autorités de mettre en oeuvre à l'avenir l'idée que celui qui reçoit une pension de retraite n'a pas besoin de bénéfices d'assurance-chômage; on peut souhaiter que des ajustements soient apportés pour éviter, par exemple, que celui dont le droit à pension est acquis continue par la suite à cotiser au régime alors qu'il est devenu certain qu'il ne peut plus en profiter. Mais tout cela ne permet pas, sur le plan strictement juridique, de valider la thèse du requérant.

    Je crois, comme le Juge Pratte, que cette demande doit être rejetée.



    « Louis Marceau »
    J.C.F.C.

    2011-01-16