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  • CUB 7842


    CUB CORRESPONDANT : 7842A

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-1052-82

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-181-83


    EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage

    et

    RELATIVEMENT A des demandes de prestations par
    Roger IMBEAULT, Raoul DOMPIERRE, Marc FORTIN, Robert COTE,
    Laurent ROBICHAUD, Jean-Marc ST-LAURENT, Arthur DANCAUSE,
    Jean-Guy et al FORTIN, Dorien ST-AMANT

    et

    RELATIVEMENT A des appels interjetés auprès d'un juge-arbitre par
    le prestataire, la Commission, l'Employeur, le Syndicat selon le cas
    à l'encontre des décisions des conseils arbitraux rendues à
    Rimouski, P.Q., les 4 février 1981, 1er avril 1981, 23 avril 1981,
    à Baie Comeau, P.Q., le 8 mai 1981 et les 12 février 1982,
    24 février 1982.

    DECISION

    LE JUGE MARCEAU :

    Ces neuf causes ont été jointes pour fin de présentation parce qu'elles se rattachaient toutes à un même contexte factuel de base. C'est ainsi que l'essentiel des remarques des procureurs et représentants des parties a porté directement ou indirectement sur tous les dossiers indistinctement. Mais en réalité les neuf causes ne sont pas toutes semblables ni au même effet: si huit d'entre elles posent en définitive la même question, c'est sous deux aspects tout à fait différents, et la neuvième soulève une difficulté qui l'isole totalement des autres. Trois groupes de considérations par conséquent s'imposeront. Mais d'abord le contexte général.

    Le contexte factuel de base auquel se rattache toutes les causes est centré sur un arrêt de travail prolongé survenu le 14 juillet 1980, à la compagnie de papier Québec North Shore Limitée à Baie Comeau (ci-après l'employeur ou la Compagnie). Cet arrêt de travail, qui toucha toute la section des opérations forestières de la Compagnie, fut causé par une grève déclenchée par les employés, membres du Syndicat National des forestiers de la Compagnie de Papier Québec North Shore Limitée (CSN), en vue d'appuyer leurs revendications dans le cadre des négociations visant à l'adoption d'une nouvelle convention collective. Ce fut un arrêt de travail particulièrement long et pénible: il dura en fait dix mois puisque les travaux ne reprirent que le 11 mai 1981. Les neuf prestataires ici en cause, qui étaient des employés affectés aux opérations forestières de la Compagnie, cessèrent évidemment de travailler lorsque la grève fut déclarée le 14 juillet 1980. Qu'aucun d'entre eux n'ait eu droit à ce moment à des prestations d'assurance-chômage, étant donné l'inadmissibilité de principe décrétée par le paragraphe 44(1) de la Loi à l'égard de celui qui perd son emploi à cause d'un conflit de travail, ne fait aucun doute. Le paragraphe 44(1) en effet, on s'en rappelle, dispose comme suit:

    Art. 44(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisé l'une des éventualités suivantes, à savoir:
    a) la fin de l'arrêt du travail,
    b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne,
    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.

    Mais cette inadmissibilité a-t-elle persisté jusqu à la toute fin de la grève, en mai, ou a-t-elle cessé plus tôt? C'est la question que je disais se soulever pour huit des neuf dossiers. Les huit prestataires soutiennent que l'inadmissibilité a pris fin quant à eux bien avant la fin de la grève d'abord parce que les conditions d'application de la règle de principe du paragraphe 44(1) auraient disparu avant la reprise des travaux, ensuite, quant à certains d'entre eux, parce que l'éventualité prévue à l'alinéa (b) du texte s'est réalisée pendant que se poursuivait la grève. Aussi bien examiner tout de suite le bien-fondé de ces prétentions sous chacun des deux aspects où elles sont présentées et remettre à plus tard la définition du problème plus spécial et d'un ordre totalement différent que pose le neuvième dossier.

    1 - Une certaine jurisprudence relative au paragraphe 44(1) de la Loi est à l'effet que l'inadmissibilité de principe qui y est décrétée doit prendre fin lorsque l'arrêt de travail dû au conflit collectif cesse d'être la cause réelle de l'état de chômage du prestataire. C'est une jurisprudence qui a joué dans le cas de travailleurs saisonniers qui, a-t-on pensé, ne devraient pas être maintenus inadmissibles pour plus longtemps que n'aurait duré leur emploi s'ils l'avaient exercé (cf. CUB 1121, 1849A, 3102, 3265). C'est l'idée à la base de cette jurisprudence que les prestataires invoquent ici pour prétendre que l'inadmissibilité découlant de l'article 44 aurait pris fin, quant à eux, le 19 décembre 1980, date où ils auraient de toute façon, disent-ils, cessé de travailler, étant donné cette politique de la Compagnie qui lui fait suspendre ses travaux forestiers à l'arrivée de la période des fêtes, politique attestée par la pratique passée et dans une certaine mesure imposée par l'amoncellement de la neige en hiver qui rend plus difficile, sinon impossible, les opérations de coupage et d'abattage.

    Je le regrette mais cette première prétention des appelants, malgré les réactions favorables de conseils arbitraux, me paraît erronée. J'ai eu l'occasion de considérer cette jurisprudence invoquée à son soutien dans une décision rendue il y a quelques années dans une affaire Montesi c. la Commission (CUB 5297, 26 octobre 1979). Je disais alors être d'avis que si l'idée que les décisions citées cherchaient à appliquer devait s'imposer (en fait les décisions pertinentes étaient fort peu nombreuses et aucune n'était de date récente), elles ne pouvaient certes jouer qu'à l'égard d'emplois dont les termes étaient clairement définis au départ, ou dont la nature voulait qu'ils prissent fin nécessairement et automatiquement dans un délai déterminé. Je suis toujours du même avis. Je crois encore qu'il n'est pas possible d'étendre l'idée mise de l'avant à des cas où ce n'est que par interprétation de circonstances de faits et sur la base d'une prépondérance de la preuve qu'on peut prétendre montrer que les emplois auraient de toute façon pris fin. Comme je le disais dans ce jugement: "l'article 44 ne permet pas une telle extension, qui d'ailleurs conduirait à des difficultés pratiques d'application et de mise en oeuvre inextricables: que l'on songe à tous ces cas possibles de contestation basée sur des suppositions relativement à ce qui aurait pu se produire, eu égard à toutes les circonstances présentes ou à venir, n'eût été l'arrêt de travail dû au conflit collectif".

    Les prestataires ici n'ont pas été engagés pour des termes définis et leurs emplois n'étaient pas de nature telle qu'ils devaient nécessairement et automatiquement prendre fin pour la période d'hiver. Je ne crois donc pas qu'il soit possible dans leur cas de parler de fin de l'inadmissibilité par suite de la disparition des conditions prévues au texte pour son application. Il en résulte des décisions sévères, je le reconnais, mais le principe sur lequel est fondée l'exclusion de l'article 44, à savoir que l'assurance chômage ne doit d'aucune manière, ni directement, ni indirectement, influer sur la solution des conflits collectifs, ne permet pas, à mon avis, qu'il en soit autrement.

    2 - Cinq des huit prestataires ont un motif additionnel pour prétendre que l'inadmissibilité de principe du paragraphe 44(1) aurait pris fin, quant à eux, bien avant la reprise des travaux: ils se seraient engagés "de bonne foi" à un emploi dans le cadre de l'occupation qui était habituellement la leur au sens de l'alinéa 44(1)(b). La contestation porte strictement sur le point de savoir si l'emploi que chacun a effectivement exercé ailleurs avant la fin de la grève était vraiment un emploi "dans le cadre de l'occupation qui était la sienne", si, comme l'exige le texte, c'était un emploi connexe, similaire à celui qu'ils exerçaient pour la Compagnie avant la grève. Il s'agit d'une contestation qui repose sur les prétentions opposées des parties relativement à la nature des emplois exercés, donc d'un litige dont la solution dépend d'une interprétation des faits et d'une appréciation de la preuve soumise. Heureusement, il ne me sera pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée de cette preuve, car personne n'a cherché à démontrer devant moi ni n'a même prétendu que les conclusions des arbitres dans l'un ou l'autre des cas auraient été dégagées de façon arbitraire ou absurde ou sans égard à des éléments essentiels du dossier. En tant que juge-arbitre, je n'ai pas le pouvoir dans ces circonstances de m'immiscer dans les décisions des conseils arbitraux en tant qu'elles ont disposé de la question de savoir si la similitude ou la non similitude des emplois exercés donnait ou non ouverture en application de l'alinéa 44(1)(b).
    3 - Le neuvième cas, celui de Jean-Guy Fortin, prestataire le Syndicat appelant n'a, comme j'ai dit, rien à voir avec les huit autres, car bien qu'il soit rattaché à l'arrêt de travail dû au même conflit collectif, il ne met pas en cause, comme eux, l'application du paragraphe 44(1) de la Loi. La question qu'il soulève est celle de savoir comment traiter pour fins d'application de la loi une somme de $150.00 que la Compagnie, en satisfaction d'une des conditions de règlement du conflit, a payée, le 17 mai 1981, à ceux de ses employés qui étaient sur sa liste de paye le 27 juin 1980, peu avant le déclenchement de la grève. Ledit prestataire est l'un de ses employés et l'appel du Syndicat n'est que l'un de plusieurs au même effet.

    La Commission considéra que cette somme de $150.00 constituait une rémunération forfaitaire que les prestataires avaient reçue de leur employeur et que cette somme devait être répartie à partir de la semaine où elle avait été payée, ce, par application de la règle édictée au paragraphe 58(16) des Réglements qui stipule:

    Art. 58.(16) Lorsque la rémunération visée aux paragraphes (9) et (14) est payée après le licenciement ou la cessation d'emploi d'un prestataire et n'a pas été répartie conformément aux paragraphes (9), (10), (13), (14) ou (15), elle doit être répartie sur un nombre de semaines consécutives de façon que la rémunération du prestataire pour chacune de ces semaines, sauf la dernière, reçue de son employeur ou de son ancien employeur, soit égale au taux de la rémunération hebdomadaire normale reçue de cet employeur ou de cet ancien employeur, la première de ces semaines étant celle au cours de laquelle cette rémunération est payée.

    Le Syndicat contesta cette façon de voir de la Commission. Il soutient devant les conseils arbitraux que ce $150.00 que la Compagnie avait accepté de payer à ses employés constituait un boni versé pour des services rendus avant le déclenchement de la grève et que par conséquent ce n'était pas le paragraphe (16) qui était applicable mais le paragraphe (18) aux termes duquel:

    Art. 58.(18) La rémunération d'un prestataire, dont la répartition n'est pas prévue par les paragraphes (1) à (16), doit être répartie
    a) si elle est reçue en échange de services, sur la période pendant laquelle ces services ont été fournis; et
    b) si elle résulte d'une opération, sur la semaine au cours de laquelle s'est produite cette opération.

    Les conseils arbitraux, par décision majoritaire, ont rejeté les prétentions du Syndicat. Les arbitres majoritaires notent dans leurs décisions les prétentions du Syndicat et les éléments invoqués par lui au soutien de son interprétation des faits puis, exposant leur façon de voir, ils approuvent la conclusion de la Commission. Il est clair qu'en rendant cette décision majoritaire, le conseil arbitral n'a pas excédé sa juridiction. Il est tout aussi clair qu'il n'a pas non plus commis une erreur de droit. La décision met strictement en cause une question d'appréciation de la preuve et de définition de circonstances de faits, et il me semble impossible de prétendre que les conclusions des arbitres majoritaires ont été dégagées de façon arbitraire ou absurde ou sans égard à la preuve soumise. Aussi je ne vois pas sur quelle base le juge-arbitre pourrait prétendre être autorisé à intervenir.

    Reste à tirer, de ces considérations, les conclusions qui s'imposent quant au bien ou mal-fondé des neuf appels.

    Dans les cas de Roger IMBEAULT, Laurent ROBICHAUD, Jean-Marc ST-LAURENT, Dorien ST-AMANT et Arthur DANCAUSE, les décisions portaient toutes sur le point de savoir si l'éventualité prévue à l'alinéa (b) du paragraphe 44(1) était survenue: les appels sont rejetés.

    Dans les cas de Robert COTE et Raoul DOMPIERRE, les décisions contestées sont à l'effet que l'inadmissibilité se serait terminée le 19 décembre 1980 parce que les prestataires auraient de toute façon perdu leur emploi cette date: les appels sont maintenus, les décisions des conseils arbitraux sont rescindées, et les avis d'inadmissibilité de la Commission sont remises en vigueur.

    Dans le cas de Marc FORTIN, la décision avait confirmé l'avis d'inadmissibilité tel qu'émis par la Commission: l'appel est rejeté.

    Dans le cas de Jean-Guy FORTIN, l'appel représentatif est rejeté.

    Louis Marceau

    juge-arbitre

    OTTAWA
    le 13 octobre 1982

    2011-01-15