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  • CUB 10319

    TRADUCTION

    EN VERTU de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    Francine TUCKER

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
    par la prestataire de la décision d'un conseil arbitral rendue
    à Barrie, Ontario, le 4 mai 1983.


    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-381-85


    DÉCISION

    BARBARA J. REED, JUGE-ARBITRE:

    La prestataire en a appelé de la décision d'un conseil arbitral confirmant une exclusion qui lui a été imposée pour avoir perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Dans sa forme modifiée, le paragraphe 41(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970-71-72, chap. 48, stipule que:

    "41(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations servies en vertu de la présente Partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification."

    La prestataire, qui est agent de bord, a pris des médicaments (des tranquillisants) qui n'avaient pas été prescrits pour elle et, par conséquent, on a dû la relever de ses fonctions au cours d'un vol parce qu'elle était intoxiquée. A la suite de cet incident, on lui a imposé une suspension et elle a présenté une demande de prestations d'assurance-chômage en disant qu'elle avait perdu son emploi parce qu'on l'avait suspendue de ses fonctions en attendant le dénouement d'une enquête et qu'elle ne touchait pas de salaire.

    La Commission a ensuite écrit à l'employeur ce qui suit:

    "(1) Nous vous prions de bien vouloir nous dire pourquoi la personne susmentionnée (la prestataire) a été suspendue?
    (2) Avant de la suspendre, lui a-t-on donné des avertissements au sujet de sa conduite? Quelles étaient les dates de ces avertissements?"

    La Commission a reçu la réponse suivante:

    "(1) L'employée était intoxiquée durant son service.
    (2) Les 7 mai, 9 août, 19 août et 13 septembre 1982, elle avait reçu des avertissements au sujet d'autres problèmes (absentéisme). Avait déjà un problème d'assiduité. L'incident mentionné au No. 1 n'était que le dernier d'une série."

    Au cours d'un appel téléphonique qu'elle a fait subséquemment à l'employeur, la Commission a obtenu les renseignements suivants, que l'un de ses agents a consignés:

    "La prestataire a d'abord été suspendue en attendant d'être congédiée à cause d'un incident qui s'est produit au cours de son dernier vol.
    La prestataire est syndiquée et elle a déjà reçu des avertissements au sujet de son absentéisme, conformément à la convention collective.
    Au cours du vol, on a constaté qu'elle était incapable d'accomplir ses tâches (elle était intoxiquée), et il a fallu la relever de ses fonctions.
    La compagnie aérienne a fait enquête et, en janvier 1983, lors d'une rencontre avec les représentants syndicaux, il a été convenu de ne pas congédier la prestataire, mais de lui imposer une suspension de 4 mois."

    La Commission a ensuite déclaré la prestataire exclue du bénéfice des prestations d'assurance-chômage pour une période de quatre semaines. Cette dernière a interjeté appel devant un conseil arbitral. Voici la décision du conseil:

    La prestataire a comparu en compagnie de M. Day, un représentant syndical. Elle a admis qu'elle était intoxiquée durant le vol en question et qu'elle avait été incapable d'accomplir ses tâches. Elle a dit qu'on ne l'avait pas relevée de ses fonctions durant le vol et que son superviseur ne lui avait parlé de son comportement que durant le vol de retour le lendemain. Elle a dit que ses absences avaient été assez nombreuses, mais qu'à cheque fois, elle avait présenté une lettre de son médecin et on lui avait accordé un congé. Elle a ajouté qu'elle avait manqué de jugement en prenant des médicaments qui n'avaient pas été prescrits pour elle et qui l'ont intoxiquée. Elle a demandé que son étourderie ne soit pas jugée trop sévèrement, car elle n'avait pas voulu négliger son travail.
    CONCLUSION:
    Le conseil a pesé toutes les preuves présentées et a jugé que des absences appuyées par des certificats médicaux ne pouvaient pas être considérées comme de l'inconduite. Il a considéré comme une admission d'inconduite le fait que la prestataire ait admis avoir donné un mauvais rendement durant un vol. Le conseil a étudié les faits entourant l'événement et a jugé qu'il y avait des circonstances atténuantes.
    DÉCISION:
    Le conseil a décidé à l'unanimité des voix que l'appel devait être REJETE, mais que l'exclusion imposée en vertu des articles 41 et 43 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage devait être réduite à 3 semaines.

    Dans l'argumentation qu'elle a présentée devant moi, la prestataire soutenait que le conseil n'avait pas exercé sa compétence (voir l'alinéa 95(a)) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970-71-72, chap. 48, tel que modifié). Par l'intermédiaire de son représentant, elle a allégué que le conseil n'avait pas tenu compte du fait que, pour qu'il y ait inconduite, l'acte en cause doit avoir été délibéré, et qu'elle n'avait jamais eu une telle intention, parce que lorsqu'elle avait pris des médicaments prescrits pour quelqu'un d'autre elle ne prévoyait pas qu'elle serait intoxiquée.

    Le représentant de la Commission a allégué que, même si ce n'était pas mentionné clairement au dossier, le conseil devait avoir tenu compte des intentions de la prestataire et n'avoir pas cru son affirmation. Quoi qu'il en soit, il a allégué que l'inconduite tenait au fait qu'elle avait pris des médicaments prescrits pour quelqu'un d'autre, peu importe si elle voulait ou non l'intoxication.

    Rien dans le dossier ne m'indique que le conseil a réellement porté son attention sur ce point décisif, bien que, dans cette affaire, il devrait être félicité pour sa décision très complète et bien rédigée. (Elle est, de beaucoup, supérieure à la plupart de celles que j'ai vues.)

    Voici un extrait des arguments que la Commission a présentés au conseil arbitral:

    "Dans la décision CUB-6999 portent sur une affaire semblable, le juge-arbitre a convenu avec la Commission que faire son travail en étant intoxiqué est certainement de l'inconduite professionnelle aux fins de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et qu'un tel acte doit entraîner une exclusion, conformément à l'article 41."

    Comme il est mentionné plus haut, le conseil a conclu ceci:

    "Il a considéré comme une admission d'inconduite le fait que la prestataire avait admis avoir donné un mauvais rendement durant le vol."

    Rien n'indique que la Commission a porté à l'attention du conseil le fait que, à elle seule, l'intoxication pouvait ne pas être suffisante pour prouver l'inconduite. Rien n'indique non plus que la Commission a attiré l'attention du conseil sur le fait que, si l'intoxication de la plaignante était involontaire et non pas le résultat d'un acte délibéré, il se pourrait qu'il n'y ait pas eu d'inconduite. Rien ne prouve enfin que le conseil se soit penché sur ce fait; en réalité, la décision qu'il a rendue montre qu'il ne l'a pas fait.

    Le conseil a réduit de quatre semaines à trois semaines la période d'exclusion imposée à la prestataire, mais il n'a pas dit exactement pourquoi il l'a fait. La conclusion du conseil se lit en partie comme suit: Le conseil a étudié les faits entourant l'événement et a jugé qu'il y avait des circonstances atténuantes.

    Par l'intermédiaire de son représentant, la prestataire a expliqué que les circonstances atténuantes dont le conseil avait tenu compte étaient ses longues années de service et non pas le fait qu'elle n'avait pas l 'intention de s'intoxiquer. A part cela, rien dans le dossier n'indique de queues circonstances atténuantes le conseil a tenu compte pour réduire la période d'exclusion. Je ne peux donc pas conclure, au vu du dossier, que le conseil s'est penché sur les intentions de la prestataire. Par conséquent, c'est le genre d'affaire que je dois examiner et rendre une décision en application de l'article 96 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970-71-72, chap. 48, tel que modifié.

    Au moment où la prestataire s'est prétendument rendue coupable d'inconduite, elle se trouvait dans une situation qui lui causait beaucoup de stress; elle a pris des médicaments prescrits pour une autre personne (elle a par la suite reconnu qu'elle avait fait une sottise) et ainsi, elle s'est involontairement intoxiquée. C'est cette intoxication qui a entraîné sa suspension.

    Pour déterminer s'il y a eu inconduite au sens où ce terme est employé dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, il n'est pas suffisant de dire que, selon les déclarations de l'employeur, l'employé s'est rendu coupable d'inconduite. Si les conseils et les juges-arbitres acceptaient de telles déclarations, ils se trouveraient ainsi à abdiquer leur rôle et à s'en remettre à la décision de l'employeur. De même, la sentence d'un arbitre chargé de statuer sur un grief n'influe pas nécessairement sur la décision. Dans l'affaire Procureur général du Canada c. Serge Pérusse (décision en date du 14 décembre 1981 - No. de greffe A-309-81), la Cour d'appel fédérale a déclaré:

    "... la décision que le conseil devait rendre ne dépendait en rien de la décision de l'arbitre du grief ... Enfin, le juge-arbitre a commis une autre erreur en prenant pour acquis que la sentence arbitrale faisant droit au grief de l'intimé prouvait que celui-ci n'avait pas perdu son emploi par suite de son inconduite. Cela est faux. Pour les fins de l'assurance-chômage, ce n'est pas à un arbitre de grief mais au conseil arbitral et au juge-arbitre qu'il appartient de décider cette question."

    Par conséquent, dans la présente affaire, ni la décision de l'employeur ni celle de l'arbitre n'est déterminante. L'énoncé le plus valable du critère qu'il faut utiliser - et celui que j'accepte - se trouve dans une décision rendue par le juge Cattanach, le CUB-6666:

    "... C'est un terme technique lorsqu'il est pris seul, dans son sens juridique. A mon avis, il est utilisé dans ce sens au paragraphe 41(1) et il faut l'interpréter, lorsqu'il décrit la conduite d'un employé, de la façon déterminée par la jurisprudence antérieure à sa sélection par le législateur pour être utilisé dans la Loi.
    Ces principes généraux des obligations du préposé envers son commettant sont résumés dans Halsbury Laws of England (3e éd.), cité et entériné par Lord Evershed, M.R. dans Laws v. London Chronicle Ltd. (1959) 2 All E.R. 285 à la page 287), qui dit notamment:
    "L"'inconduite", incompatible avec l'exercice fidèle et convenable des fonctions pour lesquelles il a été engagé, est un motif de congédiement valable mais il n'y a pas de règle de droit établie définissant le degré d"'inconduite" qui justifie un congédiement."
    Donc, si les actes de l'employé justifient son congédiement parce qu'ils sont incompatibles avec l'exercice fidèle et convenable de ses fonctions, il s'ensuit que l'employé a été renvoyé pour "inconduite"."

    Afin de déterminer s'il y a eu inconduite dans la présente affaire, il faut examiner les principes de droit généraux applicables à la relation employé-employeur. A cet égard, je note que dans le texte écrit par Innis Christie, Employment Law in Canada (1980), il est mentionné à la page 361:

    "Il est clair que, pour l'employé, il est plus grave de manquer à certaines de ses obligations implicites qu'à d'autres.
    ... La malhonnêteté mise à part, les tribunaux semblent être prêts à admettre que les employés sont humains, qu'ils peuvent être malades et être incapables de s'acquitter de leurs obligations, et qu'ils peuvent faire des erreurs sous l'influence du stress ou de l'inexpérience."

    Sous le terme misconduct (inconduite), le Black's Law Dictionary (1979, 5e éd.) dit ce qui suit:

    "... ce terme a pour synonymes délit, méfait, écart de conduite, délinquance, inconvenance, mauvaise administration et infraction, mais pas négligence ni insouciance.
    ...
    L'inconduite, qui rend l'employé congédié inadmissible au bénéfice des prestations de chômage, existe lorsque la conduite de l'employé montre qu'il néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur, par exemple, en commettant des infractions délibérées, ou ne tient aucun compte des normes de comportement que l'employeur a le droit d'exiger de ses employés, ou est insouciant ou négligent à un point tel et avec une fréquence telle qu'il fait preuve d'une intention délictuelle..."

    Même si le second extrait cité ci-dessus ne se rapporte pas à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage en vigueur au Canada, il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Aucune volonté de la sorte ne s'est manifestée dans la présente affaire.

    Je note également que, pour que l'insouciance ou la négligence constitue de l"'inconduite", elle doit être de nature grave (voir les décisions CUB-3108, 5308, 6213). Et, dans les cas où il y a un doute raisonnable, le litige doit être réglé en faveur du prestataire (voir les décisions CUB 2047, 4538 et 5026).

    Par conséquent, l'appel de cette prestataire doit être accueilli.

    "B. Reed"

    JUGE-ARBITRE

    Ottawa (Ontario)
    Daté Le 29 mars 1985

    2011-01-16