EN VERTU DE LA Loi sur l'assurance-chômage, 1971
-et-
RELATIVEMENT A une demande de prestations par Leslie P. SOLTICE
-ainsi que-
RELATIVEMENT A un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Edmonton, Alberta, le 27 mai 1985.
DÉCISION
FRANCIS C. MULDOON JUGE-ARBITRE:
J'ai été saisi de cet appel interjeté de la décision d'un conseil arbitral, à Edmonton, le 27 mai 198S. Le prestataire et la Commission étaient chacun représenté par un avocat.
La décision unanime du conseil arbitral se lit intégralement comme suit:
"Les faits sont énoncés dans le mémoire. Le prestataire a comparu à l'audience en compagnie de son représentant, M. Herbert Schlotter.
Voici la seule question que devait trancher le conseil: le prestataire a-t-il le droit de faire antidater sa demande au 30 septembre 1981? Pour sa part, l'agent d'assurance a soutenu qu'il ne l'a pas et le prestataire a interjeté appel de cette décision.
Le représentant du prestataire a fourni au conseil une argumentation écrite. Le conseil a aussi écouté le prestataire et son représentant lui expliquer ladite argumentation en personne. Voici le point principal de l'argumentation: le prestataire n'a pas présenté sa demande, non pas par ignorance de la loi mais à cause d'une information erronée que lui a communiquée une agente de la Commission, sur laquelle il s'est fié. Il y a environ deux ans, le prestataire a téléphoné à un numéro figurant dans l'annuaire et a demandé à la dame, qui lui a répondu, stil était admissible au bénéfice des prestations d'assurance-chômage. Il lui a mentionné qu'il devait prendre sa retraite, en vertu d'un régime de pension d'invalidité, à l'âge de 55 ans. La dame de la Commission d'assurance-chômage lui répliqua qu'il ne serait admissible à aucune prestation avant qu'il n'ait atteint l'âge de 65 ans. Deux ans plus tard, un ami et collègue de travail, qui avait pris sa retraite en même temps que lui, l'informait qu'il avait présenté une demande de prestations un an et demi après avoir pris sa retraite et qu'il avait touché des prestations. Cependant, lorsque le prestataire a présenté sa demande, on l'a informé qu'il était trop tard pour le faire et quand il a demandé un antidatation, on lui a également opposé un refus. L'énoncé de la position du prestataire sur la question et le résumé de son argumentation sont joints à titre de pièce 7. Quant aux observations de la Commission, soit la pièce 6, elles sont également jointes. Après avoir examiné ces deux pièces, le conseil en est venu à la conclusion unanime que l'appel devait être rejeté. Le représentant du prestataire a demandé de présenter la preuve du prestataire sous serment, mais lorsque le président du conseil lui a répondu que ce n'était pas nécessaire, il a demandé que ce refus d'accepter l'information sous serment soit inscrite dans la décision.
Le conseil rejette l'appel du prestataire pour les mêmes motifs qui ont poussé l'agent d'assurance à refuser la demande du prestataire. (1) Le prestataire n'a pas présenté sa demande de prestations par écrit comme il aurait dû le faire. Un appel téléphonique n'est tout simplement pas suffisant. Par ailleurs, il n'y a aucune preuve que le prestataire ait fait un appel téléphonique étant donné qu'il ne connaît même pas le nom de la personne à qui il a parlé. De toute façon après deux ans, il arrive souvent que la mémoire humaine n'est absolument pas gable et qui peut dire ce que la dame en question lui a réellement répondu? Pour répéter: le prestataire était tenu de présenter une demande de prestations par écrit ou même de se présenter au bureau de la Commission et non pas de tout simplement faire un appel téléphonique. Il a donc manqué à son obligation de le faire. (2) Le prestataire a mis deux ans pour retourner présenter une demande de prestations et cela n'est absolument pas un délai raisonnable. Un mois ou deux, ça va, mais deux ans? Sur ce point, le prestataire a insisté sur le fait qu'il avait cru la dame au téléphone à savoir qu'il n'était pas admissible au bénéfice des prestations d'assurance-chômage, et c'est pourquoi il n'a présenté une demande qu'après en avoir parlé à son ami.
La seule réponse à cette situation est que l'ignorance de la loi n'est pas une excuse et que le prestataire était tenu de s'informer et de présenter une demande à l'origine.
Appel rejeté."
Un retard de 24½ mois, ou de deux ans et dix-sept jours, est un retard considérable, comme l'ont fait remarquer les membres du conseil arbitral. Ce prestataire a reçu des avis analogues à ceux qu'a reçus le prestataire dans l'affaire CUB-10996 et dans des circonstances similaires. Il ne semble pas rare que ce genre d'information erronée soit dispensée par des personnel qui peuvent être raisonnablement considérées comme étant expérimentées et bien renseignées sur cette question. Le prestataire a soutenu et a même voulu témoigner sous serment qu'il avait reçu ces avis d'une telle personne. Si, comme il le prétend, il a effectivement accepté les avis de cette personne, alors le prestataire a "agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi", comme l'a déclaré le juge Marceau dans la décision rendue par la Cour d'appel fédérale à l'unanimité dans l'affaire Le Procureur général du Canada c. Waldemar Albrecht, A-172-85, en date du 18 juin 1985.
Maintenant, une personne raisonnable n'est pas une personne paranoïaque, en proie à l'anxiété, qui met en doute ou qui refuse de croire des conseils faisant apparemment autorité, au point de chercher à vérifier ces avis une deuxième et une troisième fois, cheque jour ou à intervalle régulier, de crainte que ces avis soient erronés. Une personne raisonnable, justifiée au premier abord d'accepter des avis qui font apparemment autorité, continue naturellement à les accepter jusqu'à ce qu'on attire son attention sur leur caractère erroné et peu digne de foi. Ce comportement décrit précisément la conduite qu'a adoptée le prestataire, laquelle était celle d'une personne raisonnable. Après tout, la justification initiale ne se détériore pas ou ne perd pas autrement sa valeur avec le temps, même après une longue période.
Après avoir respectivement présenté leurs exposés, les avocats ont été invités à examiner les affaires Martinson, CUB-9958 et Serena, CUB-10393 et à présenter d'autres exposés par écrit.
Même avant que la récente décision ne soit rendue dans l'affaire Albrecht, la décision qui avait été rendue plus tôt par la division d'appel dans l'affaire Pirotte c. La Commission d'assurance-chômage (1977) 1 C.F. 314, pouvait être mise en doute comme étant la véritable expression de la Loi puisque:
"(a) comme l'affirme Glanville Williams dans son livre intitulé Textbook of Criminal Law (Stevens & Sons, Londres, 1978) à la page 410:
"De loin la plus importante limitation de la règle ignorantia juris (l'igorance de la loi n'est pas une excuse) est qu'elle ne s'applique qu'à la loi criminelle; et
(b) même lorsque le Parlement décrète une loi criminelle (ce que n'est pas cette Loi), il prend bien soin d'énoncer cette règle précisément, comme on la cite à l'article 19 du Code criminel et à l'article 128 de la Loi sur la défense nationale; mais il est évident que le Parlement n'a pas inscrit la règle en question ou ne l'a pas énoncée dans la Loi sur l'assurance-chômage, qui ne fait allusion qu'à la justification."
Dans la décision unanime qu'ont rendue les membres du conseil arbitral, ces derniers ont fourni deux motifs au rejet de l'appel du prestataire. Or, le second motif est le temps écoulé, le retard important, mais cet élément est examiné précédemment et rejeté.
L'autre motif fourni par la conseil arbitral est "qu'un appel téléphonique n'est tout simplement pas suffisant". La Loi ne porte pas qu'une demande de renseignement par téléphone ne puisse jamais constituer une justification et ce motif doit être qualifié d'erreur de droit.
Dans le passage où les membres du conseil ont fourni le motif en dernier lieu susmentionné, ils vont toutefois plus loin et expriment des doutes sur la crédibilité du prestataire. Après avoir refusé d'entendre le demandeur sous serment, ils déclarent: "... qu'il n'a aucune preuve que le prestataire ait fait un appel téléphonique étant donné qu'il ne connaît même pas le nom de la personne à qui il a parlé". A-t-il fait l'appel téléphonique et a-t-il reçu les avis en question? Voilà la question et non pas le fait qu'il ne puisse se rappeler le nom de son interlocutrice. Il faut prendre bonne note de la déclaration sous serment accompagnée de la pièce qu'a produite le prestataire en date du 8 avril 1985. S'il pouvait se rappeler le nom de cette personne ou si on lui avait donné son nom, cela supporterait davantage sa version, mais le fait que le prestataire ne se le rappelle pas ou qu'on ne le lui ait pas dit, n'est qu'un autre facteur dont il faut tenir compte quand il s'agit d'apprécier la crédibilité de sa version.
Les deux avocats ont maintenant présenté leur argumentation plus fouillée et leurs réflexions sur ce sujet, à l'intention du registraire du juge-arbitre, comme il convient de le faire. Comme il convient aussi parfaitement de le faire, l'avocat du prestataire a tout d'abord présenté ses exposés écrits et, par la suite, l'avocate de la Commission a présenté les siens. Pour sa part, l'avocate de la Commission y a bien établi la question et prend note que les membres du conseil arbitral ont exprimé certains doutes sur le fait que M. Soltice avait fait l'appel téléphonique en question ou qu'il avait reçu les avis allégués. Si le prestataire a bien fait cet appel et reçu les avis en question, comme en fait foi sa déclaration sous serment du 8 avril 1985, alors sa conduite était raisonnable et son appel doit être accueilli. Sa requête du 17 octobre 1983 visant à faire antidater sa demande de prestations (pièce 3) constitue une déclaration anticipée convaincante qui précède sa déclaration sous serment et renforce sa crédibilité.
L'une des dispositions envisagées pourrait bien être de renvoyer l'affaire au conseil arbitral concerné ou à un autre, à qui il sera prescrit qu'après avoir entendu le prestataire ou examiné sa déclaration sous serment s'il juge qu'il n'a aucun motif de douter de la véracité de cette déclaration, qui après tout, n'est pas confrontée à aucune autre, il devra accueillir l'appel du prestataire. Pour sa part, l'avocate de la Commission s'exprime en ces termes:
"En raison de la décision qu'a récemment rendue la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Le Procureur général du Canada c. Albrecht, la Commission admet que si Sa Seigneurie est convaincue que M. Soltice a bien appelé la section des renseignements généraux de la Commission d'assurance-chômage et qu'il a obtenu des renseignements erronés, comme le prestataire l'a allégué, il faut accueillir l'appel interjeté de la décision du conseil arbitral."
Les allégations du prestataire correspondent effectivement au critère susmentionné. Quelles autres allégations pourrait-il présenter devant un autre conseil arbitral?
Pour les motifs énoncés précédemment, l'appel du prestataire est accueilli et la décision du conseil arbitral est annulée. La présente décision entraîne aussi l'annulation du refus opposé à la requête du prestataire visant à faire antidater sa demande de prestations au 30 septembre 1981.
___________________________________________
JUGE-ARBITRE
Daté Le 3 septembre 1985
2011-01-16