TRADUCTION
EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
Harjinder SINGH à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
rendue à Toronto (Ontario), le 3 décembre 1985.
DÉCISION
MULDOON, J. :
Le prestataire demande que l’on examine, en vertu de l’article 95 de la Loi, la décision unanime du conseil arbitral portent sur son appel. Le prestataire a demandé que cet examen se fasse uniquement au vu du dossier, sans qu’il ne comparaisse à l’audience, et la Commission, évidemment, consent à cette requête.
Premièrement, un mot au sujet du prestataire. D’après ce que l'on peut voir en lisant le dossier, il semble être une personne sobre et sérieuse, et, en effet, lorsqu’on a contesté la crédibilité inhérente à cette affaire, le conseil arbitral a tranché en faveur de sa crédibilité. Il faut noter, cependant, que sur la demande initiale de prestations d’assurance-chômage du prestataire [Pièce 2], il a répondu à la question langues parlées « anglais » et pour autres, « panjabi » [sic]. En effet, le prestataire a signé son nom, dans une langue qui semble être le lahnda ou le gurmukhi. La même signature apparaît sur la Pièce 11, c’est-à-dire la carte de déclarations du prestataire. Sur la Pièce 8, on peut voir une version beaucoup plus tremblotante de cette signature en caractères latins. Ceci confirme dans une certaine mesure, la crédibilité du prestataire lorsqu’il dit, évidemment par l'intermédiaire d'une autre personne, « je ne sais pas beaucoup l'anglais et je ne pouvais pas mettre sur la carte. C'est ma faute. Si nécessaire, cette déclaration peut être vérifiée. » Sa déclaration est presque entièrement vérifiée de par sa tournure et de par les autres documents susmentionnés. L'anglais et le punjabi, bien que membres de la même énorme famille de langues dont la parenté est éloignée, n'ont aucune ressemblance pour une personne qui a huit ans de scolarité.
La décision contestée de la Commission figure dans la Pièce 1, comme suit
1. Vous avez reçu une rémunération de Oddi Farms, et cette rémunération a été répartie comme suit :
Semaine commençant : Montant : Au lieu de : 2 juin 1985 $94,50 Néant
Pièce #6
2. Vous avez déclaré ou représenté que, votre rémunération pour la semaine du 2 juin 1985 était de néant alors que nous avons la preuve que vous avez gagné $94.50. La Commission est d'avis que vous avez sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse à l'égard de votre demande de prestations d'assurance-chômage. Une pénalité au montant de $56.00 est imposée pour cette infraction.
Pièce #7
3. Vous avez quitté votre emploi à la Oddi Farms sans justification. Par conséquent, à compter du 10 juin 1985 vous êtes exclu durant six semaines des prestations qui vous auraient autrement été payables.
Pièce #8
Pièce #6: Articles 57 et 58 du Règlement sur l'assurance-chômage.
Pièce #7: Article 47 de la Loi sur l'assurance-chômage.
Pièce #8: Articles 41 et 43 de la Loi sur l’assurance-chômage.
Le prestataire a répondu dans la Pièce 8 (avec l’aide de sa « secrétaire ») ainsi :
Objet: Avis de trop-payé NAS...
Monsieur/Madame,
En réponse à votre lettre, datée du 11 octobre 1985, dans laquelle je suis accusé d'avoir quitté volontairement mon travail à la Oddi Farms et que je ne suis pas admissible pendant six semaines à des prestations. Cela n’est pas vrai, j'attire à votre attention ce qui est arrivé.
Je cherchais un emploi, j'ai demandé à mon employeur précédent Sun Shine Farm M. Vince de m'aider à trouver un travail parce que j'avais de bonnes références avec lui. J'ai travaillé avec lui comme conducteur de tracteurs et M. Vince me payait $6.00 de l’heure. Il m'a amené à la Oddi Farms, m'a présenté et c’était arrangé que Oddi me paierait $6.00 de l'heure et sept jours par semaine de travail.
J'ai travaillé avec lui deux jours. Il m'a mis avec les manoeuvres pas chauffeur; à la fin du deuxième jour de travail, il m'a dit, « il va me payer $4.00 de l’heure si je veux travailler ou pas. J'ai dit que ce n’était pas l’accord alors il m'a laissé partir.
Il m'a payé pour deux jours au taux de $4.00 l'heure, deux ou trois semaines plus tard. Je ne connais pas beaucoup en anglais et je ne pouvais pas mettre sur la carte. C'est ma faute. Si nécessaire, cette déclaration peut être vérifiée.
En vous remerciant.
Sincèrement vôtre
« Harjinder Singh »
En réponse à cette lettre, un employé de la Commission, M. Aiello, a pris l’initiative parfaitement appropriée de téléphoner à M. Oddi et a inscrit dans la pièce 9 ce qui suit : « Il déclare qu’à aucun moment il n'a promis au client un salaire de $6.00 de l’heure. » À cette étape, la Commission s'était déjà engagée dans la ligne de conduite qu'elle a suivie par la suite et l'affaire a été portée en appel devant le conseil arbitral.
Les observations écrites de la Commission au conseil arbitral [Pièce 12] comprennent les passages suivants :
In the present case the claimant was on a continuing claim for a benefit period that had commenced on 21 October 1984 [Exhibit #2]. On 7 August 1985 a request for employee's gross earnings from Oddi Farms was received indicating that for the week commencing 2 June 1985 claimant received $94.50 gross earnings. It also showed that claimant worked two days and afterwards he resigned [Exhibit #3].
A request for clarification of earnings and to explain his reason for leaving his job was sent to claimant on 12 September 1985 [Exhibit #4] however, there was no reply from claimant.
A determination of earnings [Exhibit #5] as well as a penalty in the amount of $56.00 [Exhibit #6] was imposed as in the opinion of the Commission he knowingly made 1 false or misleading statement or misrepresentation in relation to his claim for benefit [CUB 2741, 2883].
The Insurance Agent also considered that there was no just cause shown by claimant for quitting his job and a disqualification of six weeks was imposed [exhibit #7].
On receipt of letter of appeal by claimant [Exhibit #8] the insurance agent reviewed the file. Supplementary record of claim shows that claimant took the initiative in the separation [Exhibit #9]. In addition Exhibit #10 indicated that the hourly wage for general farm labourers is $4.00.
In reviewing the file, the Insurance Agent made no change in the decisions.
It is contended that the decision of the Insurance Agent is in accordance with the jurisprudence by the Umpire and should be maintained.
Le conseil arbitral a conclu en faveur de la crédibilité du prestataire (qui sera soulignée) dans sa décision unanime [Pièce 13] qui ultérieurement prend la forme d'une espèce de compromis curieusement incohérent. Le voici.
1. a) The issue involved is whether or not the appellant received earnings from Oddi Farms.
b) The appellant stated or represented that he had NIL earnings for the week of 2 June 1985 whereas the Commmission has evidence that he earned $94.50. It is the opinion of the Commission that he has knowingly made one false or misleading statement in relation to his claim for benefit. A penalty in the amount of $56.00 has been imposed for the offence.
c) It was considered that the appellant left his employment with Oddi Farms without just cause. Therefore, as of 10 June, 1985 he was disqualified for six weeks of benefit which would otherwise be payable.
2. The appellant appeared before the Board, together with Mr. Sulakhan Aujla, 10 Gafella Drive Apt. 401, Rexdale M9V 2E9. Mr. Aujla acted as an interpreter. No additional written evidence was submitted.
3. a) The appellant received earnings of $94.50 from Oddi Farms, this matter was not disputed.
b) No submission was made on the matter of the penalty.
c) On the issue of leaving employment with Oddi Farms Mr. Aujla provided background information. The appellant was hired to drive a tractor at a pay of $6.00 an hour, however, the work was down graded to that of general labour at $4.00 an hour.
Mr. Singh had been referred to Oddi Farms by a previous employer (Florida Sunshine Vegetable Farm) and it was averred that they were satisfied with him and would rehire him in the future.
In view of the reduction of wages, from that originally offered, the Board reduces this period of disqualification from 6 to 5 weeks.
d) The decisions of the Commission are upheld, with the exception of the period of disqualification cited above.
Selon la jurisprudence, les prestataires doivent raisonnablement subir bien des déceptions et faire preuve de stoïcisme afin de conserver leur admissibilité au bénéfice des prestations et d'éviter l'exclusion, sinon les pénalités. Ce sont des conditions généralement appropriées à un programme collectif d'assurance visant à soulager des chômeurs. Cependant, ce que l'on n’exige pas des prestataires, c’est d'être exploités, trompés ou renvoyés par leur employeur. D'après la preuve, c'est ce que les membres du conseil arbitral semblent avoir trouvé lorsqu'ils concluent : « ...la diminution du salaire, de celui qui avait été offert initialement... » Que l’on exclue un prestataire du bénéfice des prestations, parce qu'il ne veut pas être ainsi traité par un employeur qui l'engage mais qui non seulement ne tient pas parole, mais ne respecte pas le contrat de travail, serait alors à l’encontre de l'intérêt public et donnerait à l’administration de la Loi sur l’assurance-chômage une bien mauvaise réputation.
Par conséquent, le conseil arbitral n’est pas allé assez loin, ni assez logiquement en ramenant l'exclusion du maximum de six semaines à cinq semaines. Lorsque le Parlement impose une pénalité maximum de n’importe quelle sorte, il prescrit ce maximum uniquement pour les cas les plus sérieux et les plus flagrants. Cela signifie, généralement, que le maximum devrait rarement être imposé parce que, du point de vue du Parlement et de n’importe quel point de vue raisonnable, ce qui est prescrit comme le maximum est la pénalité extrême. D'ordinaire, c'est-à-dire dans la vaste majorité des cas, les cas d'exclusion devraient être fixés par l'agent de l'assurance à trois ou quatre semaines. Parce qu’on a le pouvoir d’imposer le maximum ne signifie pas que l’on doive toujours l’imposer, car ce serait pratiquer le principe essentiellement mauvais selon lequel « la force prime le droit ». On ne s'attend pas seulement des conseils arbitraux et du juge-arbitre qu'ils exercent une certaine maîtrise d'eux-mêmes en vertu de cette Loi; on s'attend également que la Commission fasse de même lorsqu'elle exerce les pouvoirs qui lui ont été conférés.
Ayant conclu que « la diminution du salaire, de celui qui avait été offert initialement », le conseil arbitral n'est pas allé assez loin pour accueillir l'appel du prestataire dans cette affaire. Il aurait dû le faire. Diminuer l’exclusion de six semaines d'une simple semaine revient à : (a) commettre une erreur de droit en prenant la décision; ou (b) fonder sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ou de sa propre conclusion. Étant donné la conclusion des faits tirée par le conseil arbitral et la crédibilité qu’il a accordée au prestataire au sujet du salaire réduit, il est clair que le prestataire était injustement exploité, trompé, ou renvoyé, et cela signifie qu'il avait un juste motif pour quitter cet employeur. Les membres du conseil arbitral avaient en main suffisamment de preuves pour tirer leur conclusion de faits. Sur cette question, la décision du conseil arbitral (distincte de leur conclusion de faits) est infirmée et l'appel du prestataire est accueilli. Il avait un juste motif pour quitter son emploi à la Oddi Farms, et la décision de la Commission d'exclure le prestataire est également infirmée, car cela est la décision que le conseil arbitral aurait dû prendre dans cette affaire.
Le conseil arbitral a également confirmé la décision de la Commission voulant que le prestataire ait sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse à l'égard de sa demande de prestation. D'ordinaire, parce que les questions posées sur les cartes de déclaration du prestataire sont tellement simples, on estime très justement que les prestataires qui ont même une instruction très minime ne doivent pas être excusés s’ils font des réponses inexactes. Mais, lorsqu'il est prouvé que le prestataire ne pouvait même pas lire l’alphabet dans lequel ces simples questions sont posées, la justice, ainsi qu'une juste appréciation de la preuve, exigent que l’on tire des conclusions plus nuancées. Les membres du conseil arbitral pouvaient voir ces preuves dans les Pièces 2 et 8 et cela a été affirmé par le prestataire, par l'intermédiaire de son scribe dans la Pièce 8 (la signature toujours tremblotante mais légèrement améliorée qui figure sur l'avis d'appel [Pièce 18] est encore une autre preuve objective et perceptible, mais le conseil arbitral n'a pu la voir). À moins que le prestataire n'obtienne un certificat officiel de dyslexie ou de toute autre déficience (ce qui fort heureusement semble improbable), l’excuse de l'incapacité de déchiffrer une langue officielle du Canada doit être de très course durée, comme il se doit.
En confirmant l'allégation de la Commission que le prestataire a fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse le conseil arbitral a rendu sa décision sans tenir compte des éléments clairement portés à sa connaissance. Bien entendu, le prestataire ne conteste pas qu'il a reçu une rémunération de $94.50, parce qu’il l'a en effet reçue. Il importe peu qu’il n'y ait pas eu d'exposé sur la question de la pénalité. Étant donné que la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre était que le prestataire n'a pas fait de déclaration fausse ou trompeuse, il n’y a absolument aucun fondement en droit pour imposer une pénalité. Le prestataire doit, bien entendu rembourser ou rendre compte, à la Commission des conséquences du trop-payé, le cas échéant, mais il n'est pas obligé de payer la pénalité évaluée à $56.00 ou n’importe queue autre pénalité. Il n'y a pas eu d’infraction.
En résumé :
1. En ce qui concerne la question « quitter son emploi sans justification », l'appel est accueilli, et la décision du conseil arbitral et, à fortiori, la décision de la Commission, et toutes les exclusions sont infirmées;
2. En ce qui concerne « sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse », l'appel du prestataire est accueilli et la décision du conseil arbitral et à fortiori celle de la Commission, y compris la pénalité (pour laquelle il n'y a aucun fondement en droit), sont toutes infirmées; et
3. En fait, le prestataire est obligé de rembourser tout trop-payé qu’il a reçu de la Commission résultant directement de son erreur en ne déclarant pas sa rémunération de $94.50 pour la semaine du 2 juin 1985.
F.C. Muldoon
Juge-arbitre
Ottawa, Ontario
le 16 juin 1986