• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 12900

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations par
    LORNE MENSFORTH, JOAN LEFEUVRE et HUGH BANKS

    - et -

    RELATIVEMENT À un appel auprès d'un juge-arbitre par la Commission
    des décisions du conseil arbitral rendue à Peterborough Ontario, le 14 mai 1985.

    DECISION

    J. McNAIR, JUGE-ARBITRE:

    La Commission interjette appel de trois décisions du conseil arbitral rendues le 14 mai 1985, par lesquelles il accueillait à l'unanimité les appels des prestataires et infirmait la décision de l'agent d'assurance. Le conseil a conclu à l'unanimité que chaque prestataire était admissible au bénéfice des prestations d'assurance-chômage durant l'arrêt de travail à leur lieu d'emploi. Il a été convenu que les trois appels seraient regroupés en un seul et entendus conjointement sur des preuves communes.

    Les prestataires étaient des enseignants sessionnels au collège Sir Sanford Fleming à Peterborough (Ontario). Selon l'article 1.01 de la convention collective conclue entre le Conseil des gouverneurs des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario et le Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, un enseignant sessionnel est une personne qui est nommée à un poste pour une période d'au plus douze mois dans une période de 24 mois. Cet article exclut expressément les enseignants sessionnels du syndicat. Ainsi, les trois prestataires n'étaient pas régis par cette convention collective. Leurs conditions d'emploi étaient plutôt régies par des contrats privés entre eux et le collège.

    Le 1er octobre 1984, le personnel syndiqué d'enseignants, de conseillers et de bibliothécaires a déclenché une grève légale. Le litige entre le syndicat et le collège portait principalement sur la charge de travail. Le collège a décidé de suspendre toutes les fonctions d'enseignement et de conseil pour la durée de la grève. En conséquence de cela, les trois prestataires ont été mis à pied du 17 octobre 1984 au 12 novembre 1984, lorsque le gouvernement de l'Ontario a mis fin à la grève par une loi. Les prestataires ont fait une demande de prestations qui a été refusée. L'agent d'assurance a jugé que les prestataires avaient perdu leur emploi par suite d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif et qu'ils étaient donc inadmissibles aux prestations en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi.

    Les prestataires ont interjeté appel de cette décision devant le conseil arbitral qui a fait droit à leur appel et infirmé la décision de l'agent d'assurance. Les motifs de décision du conseil sont les suivants:

    CONCLUSION
    Le conseil désire attirer l'attention sur la Pièce 6.2 qui est l'article 1 de la convention collective entre le Conseil des gouverneurs des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario et le syndicat de la fonction publique de l'Ontario, où l'on précise expressément que les enseignants, les conseillers et les bibliothécaires employés à temps partiel ou de façon sessionnelle sont exclus du groupe de négociation. Se fondant sur la Pièce 6.2, le présent conseil conclut que le prestataire est admissible aux prestations en vertu du paragraphe 44(2). Le prestataire est admissible aux prestations du 17 octobre 1984 au 9 novembre 1984 parce que nous estimons qu'il n’était pas membre d'un groupe d'employés de même rang ou de même classe que ceux qui étaient en grève et qu'il ne participait pas au conflit collectif qui avait causé l'arrêt de travail, ne le finançait pas et n'était pas directement intéressé.
    DÉCISION
    La décision de la Commission est INFIRMÉE et l'appel est ACCUEILLI.

    La Commission interjette appel de cette décision en vertu des alinéas 95(b) et (c) de la Loi, au motif que le conseil arbitral a commis une erreur de droit et de fait. Plus précisément, la Commission soutient que le conseil a mal appliqué les dispositions d'exemption du paragraphe 44(2) et qu’il a fondé sa décision sur le fait que les prestataires n’étaient pas membres du groupe de négociation.

    La question sous-jacente de cet appel a trait à l'interprétation et à l'application des paragraphes 44(1) et 44(2) de la Loi sur l'assurance-chômage, qui s’énoncent comme il suit:

    44(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes, à savoir:
    (a) la fin de l'arrêt du travail,
    (b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne,
    (c) le fait qu’il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.
    (2) Le paragraphe (1) n’est pas applicable si le prestataire prouve
    (a) qu’il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt du travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n’y est pas directement intéressé; et
    (b) qu'il n’appartient pas au groupe de travailleurs de même classe ou de même rang dont certains membres exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt du travail et participant au conflit collectif, le financement ou y sont directement intéressées.

    Bref, le paragraphe 44(1) prévoit l'inadmissibilité aux prestations des prestataires qui ont perdu leur emploi par suite d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif à leur lieu de travail. Pour échapper à cette inadmissibilité, le prestataire doit satisfaire à quatre conditions prévues par le paragraphe 44(2), qui sont les suivantes:

    (1) le prestataire ne doit pas avoir participé au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail;
    (2) le prestataire ne doit pas avoir financé le conflit collectif;
    (3) le prestataire ne doit pas avoir été intéressé directement au conflit collectif; et
    (4) le prestataire ne doit pas avoir été membre d'un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang qui, immédiatement avant le début de l'arrêt de travail, exerçaient un emploi à l’endroit où s'est produit l'arrêt de travail et qui participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés.

    Le prestataire doit remplir ces quatre conditions sans exception.

    À mon avis, il n'y a pas de doute que les trois prestataires ont perdu leur emploi par suite d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif au collège. Ils soutiennent que la perte de leur emploi n'était pas attribuable à la grève mais plutôt à la décision de la direction de minimiser les effets résiduels de la grève. On ne peut ignorer l'effet causal de la grève sur la perte de leur emploi. À mon avis, la décision de la direction de mettre à pied les enseignants sessionnels était directement attribuable à la grève. De prime abord, les prestataires sont visés par le paragraphe 44(1) et doivent donc prouver qu’ils satisfont aux quatre conditions prévues par le paragraphe 44(2).

    Les deux premières conditions ne posent pas vraiment de difficultés. Il est manifeste qu'aucun des prestataires n’était membre du syndicat qui a débrayé. Il n’y a pas non plus de preuve que l'un d'entre eux a participé à la grève ou l'a financée. Quoi qu’il en soit, la Commission concède cela.

    La question de l'intérêt direct des prestataires dans le conflit collectif reste beaucoup plus litigieuse. Les prestataires disent qu'ils ne l'étaient pas. La Commission soutient qu’ils l'étaient, même s'ils n’étaient pas membres de syndicat et que leurs conditions d'emploi n’étaient pas régies par la convention collective. À l'appui de cela, la Commission fait valoir la politique du collège de fonder la rémunération des enseignants sessionnels sur celle négociée par le syndicat en vertu de la convention collective. Cela ne saurait constituer en soi un « intérêt direct » au conflit collectif. Au contraire, il s’agirait plutôt d'un « intérêt indirect », surtout si l'employeur n’est pas obligé de maintenir la parité entre les salaires des employés syndiqués et non syndiqués. En outre, l’échelle de salaire des enseignants sessionnels faisait l'objet de négociations particulières et la simple existence d'une ligne directrice recommandant qu’elle soit comparable à celle des membres du syndicat ne suffit pas, à mon avis, pour établir un lien direct entre les salaires et le conflit collectif. L'expression « directement intéressé » n'est pas définie par la Loi de sorte que toute détermination touchant ce point est une pure question de fait et dépend de toutes les circonstances. Le contrat des enseignants sessionnels était tout à fait distinct de la convention collective. Le fait saillant est que la question sur laquelle portait le conflit collectif était la charge de travail et non pas l'échelle de salaire. Il n'existait pas de preuves d'une politique du collège qui établissait un lien, direct ou indirect, entre la charge de travail des enseignants sessionnels et celle du personnel syndiqué. À mon avis, les prestataires remplissaient la trois ième condition du paragraphe 44(2) du fait qu'ils n’étaient pas « directement intéressés au conflit collectif ». Le conseil ne s'est pas trompé sur ce point.

    La dernière question à trancher est si les prestataires appartenaient « à un groupe de travailleurs dont certains membres de même classe ou de même rang » exerçaient un emploi à l’endroit où s'est produit l'arrêt de travail et « participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés ». C'est la quatrième condition prévue à l'alinéa (b) du paragraphe 44(2). Pour échapper à l'inadmissibilité, les prestataires doivent prouver qu’ils remplissent ces conditions. Or, les prestataires appartenaient-ils à un groupe de travailleurs de même rang ou de même classe qui participaient au conflit collectif. Aux yeux de la Commission, ces personnes étaient les enseignants et instructeurs à temps plein et syndiqués qui étaient régis par la convention collective. Il s'agit là d'une pure question de fait à évaluer selon les circonstances particulières.

    Les mots « rang ou classe » ne sont pas définis par la Loi sur l'assurance-chômage. La Commission s’est reportée à des décisions antérieures pour appuyer la thèse que le simple fait de non adhésion au syndicat est tout à fait non pertinent. Il y est plutôt affirmé que les mots « rang ou classe » ont trait à la catégorie d'emploi sans distinction entre membres et non-membres du syndicat ou entre emploi permanent ou emploi sessionnel. Dans ce contexte, il importe peu que les prestataires aient été membres du syndicat ou non. La Commission soutient que la nature du travail des enseignants sessionnels était semblable à celle des enseignants à temps plein en grève. En conséquence, les prestataires ne prouvaient pas qu’ils n’étaient pas membres d'un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang que ceux qui participaient au conflit collectif. En conséquence, ils étaient inadmissibles.

    Les prestataires soutiennent, pour leur part, qu'ils n’appartiennent pas à un groupe de travailleurs de même rang ou de même classe que ceux qui participaient au conflit collectif. Ils font valoir que leur exclusion expresse du syndicat est de la plus grande importance. La convention collective établit clairement deux classes séparées et distinctes d'employés soit celle des enseignants et instructeurs permanents, qui étaient membres du syndicat, et celle des enseignants et instructeurs sessionnels, qui étaient expressément exclus du syndicat et dont l’emploi était de durée limitée. Bref, les prestataires n’avaient pas les mêmes droits et privilèges que les syndiqués. Les prestataires soutiennent qu’on ne peut pas être membre d'un groupe de travailleurs de même rang ou de même classe à moins d'avoir les mêmes droits et privilèges.

    Comme je le mentionnais, il s'agit d'une question de fait difficile à trancher et les arguments des parties opposées sont très persuasifs.

    L'argument de la Commission est fondé sur la thèse que les mots « rang ou classe » s’appliquent aux enseignants au sens plein et générique, sans limitation. Les enseignants sessionnels soutiennent qu’ils appartiennent à un rang ou une classe de travailleurs privés en pratique de tous les privilèges et avantages accordés au personnel enseignant permanent par la convention collective. À mon avis, cette thèse a plus de mérite.

    À mon avis, le fait que les enseignants sessionnels étaient expressément exclus de la convention collective est une chose dont il faut tenir compte pour décider si les prestataires dans le présent cas appartenaient à un groupe de travailleurs de même rang ou de même classe que les enseignants syndiqués directement intéressés au conflit collectif.

    Le juge Savard, siégeant à titre de juge-arbitre, faisait dans la décision CUB 761, le résumé suivant de la signification et de l'application des mots « rang ou classe »:

    Il y a plusieurs façons d'établir le rang ou la classe des travailleurs et pour délimiter le sens des termes rang ou classe, l’on doit tenir compte non seulement de la nature de l’occupation mais également de la nature de la question en litige.
    À mon avis, il ne faut pas établir de règle absolue. Chaque cas doit être examiné selon son mérite en tenant compte que les termes rang ou classe doivent être interprétés de façon à empêcher le paiement de prestations comme subside à tout différend de travail et en même temps à permettre le paiement de prestations à ces travailleurs qui n’ont aucun intérêt dans le différend ou n’y participent pas.

    Compte tenu de ces observations, que je trouve tout à fait pertinentes ici, j'estime qu'il y a ample preuve à l'appui de la décision unanime du conseil arbitral. La décision du conseil était raisonnable dans les circonstances. En outre, je trouve que le conseil n’a pas commis d'erreur de droit dans son application du paragraphe 44(2) de la Loi. Je suis d'avis que les prestataires remplissent toutes les conditions prévues au paragraphe 44(2) et qu’ils sont donc admissibles au bénéfice des prestations d'assurance-chômage.

    En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du conseil est confirmée.

    J. C. McNair

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA
    le 19 novembre 1986

    2011-01-16