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  • CUB 12992

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA Loi sur l'assurance-chômage de 1971

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    William HOGAN et al.

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission de l'emploi et de l'immigration du
    Canada et par Brewers Warehousing Company Limited à l'encontre d'une décision
    du conseil arbitral rendue à Oshawa (Ontario) le 3 octobre 1985.


    CUB CORRESPONDANT : 12992A

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-512-88


    DÉCISION

    LE JUGE WALSH :

    Il s'agit d'un appel type intéressant 4,000 employés de la Brewers Warehousing Company Limited à travers l'Ontario. M. Hogan et ses compagnons de travail, qui sont des chauffeurs membres de l'Union canadienne des travailleurs unis des brasseries, farine, céréales, liqueurs douces et distilleries, ont été déclarés inadmissibles aux prestations en vertu du paragraphe 44 (1) de la Loi à compter du 26 février 1985 en raison du fait qu’ils avaient perdu leur emploi par suite d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif à l'endroit où ils travaillaient. Cette inadmissibilité a été levée le 22 mars 1985 quand s'est terminé l'arrêt de travail. M. Hogan était présent à l'audition de l'appel par le conseil arbitral, ainsi que M. J. W. Dew, directeur de l'administration des salaires, à la Brewers Warehousing Company Limited, M. Rannachan, directeur de l'Education et de la Recherche, et M. P. Magee, président du syndicat. Aucune des parties n'était représentée par un avocat.

    Parmi les documents produits, il y a maintenant devant le juge-arbitre une transcription de l'audition du conseil arbitral. Malheureusement, elle est si mauvaise et on y trouve tant d'omissions de mots qui n’ont apparemment pas été entendus par le sténographe et les questions et réponses sont si vagues et incohérentes que le tout donne à penser que les choses étaient bien embrouillées tant pour les témoins que pour les membres du conseil. Le conseil lui-même reconnaît cela quand il mentionne, dans sa brève conclusion, ce qui suit :

    Le conseil conclut qu'il est difficile de faire un lien entre la véritable interprétation d'un conflit collectif et la présente affaire.

    Plus loin, la décision renferme ce qui suit :

    Dans le présent cas, les employés de la Brewers Warehousing venaient de tomber d'accord sur un projet de règlement avec la société et étaient prêts à le soumettre à la ratification des membres. À ce point, l'employeur, non à cause d'un conflit avec son propre syndicat (il y avait un projet de règlement), mais d'un conflit collectif entre les principales brasseries et leur syndicat « SNFPP ».

    La phrase n'est pas terminée, mais il y a évidemment eu un lock-out.

    Dans l'appel devant le juge-arbitre, il était signalé que la conclusion qu'il y avait accord sur un projet de règlement dépendait uniquement du témoignage de M. Rannachan, qui n’avait pas été confirmé par la production d'une copie dudit projet, et on soutenait énergiquement qu'il n’y en avait tout simplement pas.

    Le conseil conclut comme suit :

    Il est significatif que les exploitants de la Brewers Warehousing Company Limited sont les principales brasseries et le conseil estime que c’est pour cette raison qu'il y a eu un lock-out. Il n’est donc pas question de conflit collectif dans le cas du prestataire et la décision de la société de faire un lock-out plutôt qu'une mise à pied des employés de l'entrepôt a une allure d'injustice aux yeux du conseil.

    Il semblerait que le conseil a décidé de ne pas consulter, ou, de toute façon, ne l'a pas étudiée, l'ample jurisprudence touchant des situations où des membres d'un syndicat qui souscrivent à un projet de règlement avec leur employeur (même si le conseil pouvait conclure d'après le témoignage de M. Rannachan qu'une tel projet de règlement existait) restent lockoutés parce que l’employeur ne peut pas ou ne veut pas reprendre les opérations normales avant que le projet soit ratifiée par les autres syndicats auxquels il s’applique. Dans le présent cas, il y avait des négociations parallèles mais distinctes avec le Syndicat national de la Fonction publique provinciale (SNFPP) qui représentait les employés des brasseries Carling O'Keefe, Molson et Labatt. La Breweries Warehousing a refusé de remettre ses chauffeurs de camion au travail jusqu'à ce que le conflit soit réglé. Selon le témoignage de M. Rannachan, il restait une provision de bière pour environ une semaine au moment du lock-out mais il est évident qu'on n’aurait pu continuer de fonctionner longtemps si le conflit avec les employés des brasseries tardait à être réglés. Bien qu’il soit vrai qu'une mise à pied à la place d'un lock-out n'aurait pas rendu les employés inadmissibles aux prestations d'assurance-chômage, il n'en était pas ainsi ici où la preuve révèle clairement qu'il y a eu un lock-out. Parmi la jurisprudence à laquelle je puis me reporter il y a la décision CUB 5412 dans laquelle le juge suppléant C.R. Smith, à titre de juge-arbitre, a décidé que lorsque les employés en grève de trois entreprises seulement sur quatre en viennent à un accord sur un projet de règlement et qu'il est clair que les employeurs n'y souscriront pas tant que les employés des quatre entreprises n'auront pas donné leur accord, le conflit n’est pas terminé. Dans une plus récente décision, CUB 11582, le juge Martin, à titre de juge-arbitre, a décidé que dans le cas d'un différend entre plusieurs brasseries et plusieurs syndicats, qui avait mené à un arrêt de travail à Terre-Neuve, où une proposition de retour au travail faite par l'Association des relations industrielles des brasseries représentant les trois brasseries avait été acceptée par l'une d'entre elles et non par les deux autres, le conflit se poursuivait parce qu'il y avait un accord de mise en marché entre les brasseries qui exigeait que l'une refuse de fonctionner tant que les deux autres restaient paralysées par le conflit collectif. Le retour au travail dépendait de la ratification de la proposition par chacun des groupes de négociation, de sorte que le conflit se poursuivait jusqu’à ce que cela se produise. M. Rannachan, qui représentait le syndicat dans la présente affaire, a signalé que celui-ci n’aurait jamais accepté de négocier conjointement avec les syndicats représentant les travailleurs des brasseries ni n'était partie au conflit entre eux et la Brewers Warehousing.

    Dans la décision CUB 5401, le juge suppléant Dubinsky, à titre de juge-arbitre, a statué qu'il y avait un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif à la Canada Packers lorsque, suivant un accord de non-concurrence entre cette dernière, Swift et d'autres, même si le conflit existait principalement entre Swift et ses employés, les employés de l'établissement voisin de la Canada Packers étaient aussi lock-outés.

    Dans une décision ultérieure, CUB 8943, comme l'a signalé le représentant du syndicat, le juge Dubinsky en est arrivé à une conclusion différente. Cette décision a été annulée par la Cour d'appel [A-595-84] parce que, quel que soit le fond, l'alinéa 95 (c) de la Loi exige que le juge-arbitre ne fasse qu’établir s'il y avait des preuves sur lesquelles le conseil arbitral pouvait se fonder pour en arriver à la conclusion qu’il a tirée, et que cela ne devrait pas être confondu avec un appel en tant que tel.

    Il y a un autre jugement qui présente quelque intérêt bien qu’il ne s'agisse pas d'une décision en vertu de la Loi sur l'assurance chômage; il s’agit d'une décision de la Commission des relations de travail, numéros 3382-84-U et 3396-84-U, dans l'affaire Travailleurs de brasseries, malt et de boissons gazeuses, section locale 304, et Syndicat canadien des travailleurs de brasseries, section locale 325, c. Molson Ontario Breweries, Carling O'Keefe Transport Limited, Brasserie Carling O'Keefe du Canada Limitée et Harry F. Weininger. Cette décision est datée du 11 avril 1985. L'avocat du syndicat soutient énergiquement que les faits de cette affaire sont entièrement différents de ceux du présent cas. Sans entrer dans les détails, on peut dire que douze syndicats participaient aux négociations et que le protocole d'accord qui a été signé prévoyait ce qui suit :

    Il est en outre entendu et convenu que le présent protocole n’est opérant qu’une fois ratifié et adopté par chacun des groupes de négociation et chacune des entreprises de l'Ontario qui y est partie.

    L'avocat des sections locales qui devaient ratifier le protocole avait soutenu que la brasserie Carling devait être sommée de le signer et de mettre fin au lock-out de ses employés parce que la clause exigeant la ratification avait mené à une impasse quand deux des syndicats négociateurs avaient refusé de le ratifier. On avait fait valoir que cela n’empêcherait pas les employeurs d'appliquer le protocole de règlement aux syndicats négociateurs qui l'avaient accepté. Dans sa conclusion, la Commission énonçait ce qui suit :

    Dans les circonstances, les employeurs n’étaient pas légalement tenus d'offrir de conclure des conventions collectives avec chacun des groupes de négociation individuellement sans autres changements des conditions que la suppression de la clause exigeant la ratification.

    Bien que ce jugement ne me lie pas dans la présente affaire, ce dernier et les autres décisions auxquelles je me suis reporté sont citées simplement pour montrer qu’il n’est pas inhabituel ni illégal de suspendre la finalisation d'un règlement avec un syndicat jusqu'à ce que le conflit soit réglé avec un autre syndicat avec lequel l’employeur ou une entreprise alliée négocie. Dans le présent cas, on a fait valoir devant le juge-arbitre qu’après le règlement avec le syndicat représentant les travailleurs des brasseries, un règlement est intervenu avec les employés de la Brewers Warehousing Company Limited, qui garantissait à ces derniers des conditions et avantages identiques. Si cette preuve était devant le conseil arbitral, il n’en a certainement pas fait mention dans sa décision et elle semblerait être importante pour déterminer si les chauffeurs de camion de la Brewers Warehousing étaient « directement intéressés au conflit » au sens de cette expression à l'alinéa 44(2)(b) de la Loi.

    L'avocat de l'entreprise a fait valoir devant le juge-arbitre que l'affaire devrait être renvoyée au conseil arbitral pour permettre la production de nouvelles preuves qu'il n'existait pas de projet de règlement entre elle et le syndicat avant le lock-out, qu'il y avait bien un conflit collectif et que le syndicat représentant les prestataires a continué de négocier avec elle après le début du lock-out et a obtenu d'autres augmentations de salaire, et que ce n'est qu'après le 15 mars 1985 qu’on a signé un projet de règlement, à la suite de quoi le lock-out a cessé le 26 mars quand toutes les parties en cause eurent ratifié le protocole d'accord. Il a soutenu que la décision du conseil arbitral avait été rendue dans l'ignorance de ces faits. Il a aussi fait valoir que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit puisque les employés de la brasserie Molson, de la brasserie Carling O'Keefe et de la brasserie Labatt étaient légalement lock-outés du 26 février au 26 mars 1985 et qu'il était loisible à la Brewers Warehousing de faire dépendre l'un de l'autre le règlement des deux conflits industriels. Il n'a été présenté au conseil aucune preuve d'un projet de règlement autre que la déclaration du représentant syndical et, de fait, il ne se trouve pas encore au dossier une copie de ce projet de sorte que la conclusion du conseil que l'entreprise n'avait pas agi de façon équitable en concluant que le syndicat ne participait plus à un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif était entachée d'une erreur de droit, n'étant pas fondée sur des preuves adéquates présentées à l'audition.

    Il est vrai que l’employeur n'a personne d'autre à blâmer que lui-même si son cas n’a pas été présenté de façon complète et convenable lors de l'audition du conseil. Chose certaine, M. Dew, qui a témoigné en son nom, ne faisait pas partie de l'équipe de négociation et, d'après ses vagues réponses et questions, ne semblait pas avoir une trop bonne connaissance de la marche des négociations malgré son titre de directeur de l'Administration des salaires. L'entreprise n’était pas représentée par un avocat. Comme il a souvent été affirmé, l'audition devant le juge-arbitre n’est pas un procès de novo et la conclusion du juge-arbitre doit être fondée sur celles du conseil arbitral qui, elles-mêmes, sont fondées sur les preuves qui lui sont présentées. Ce n’est certainement pas une pratique souhaitable ni à encourager de renvoyer une affaire au conseil arbitral pour permettre la présentation de nouvelles preuves ou arguments qui auraient dû l’être lors de l'audition du conseil.

    Dans la présente affaire, même si l’on peut soutenir que le conseil pouvait en venir à la conclusion qu'il a tirée à la lumière des preuves incomplètes et possiblement inadéquates qui lui avaient été présentées, une lecture attentive de la décision révèle que le conseil a bien pu faire des erreurs de droit en concluant qu'il n’existait pas de conflit collectif ou en concluant qu’on en était venu à un accord même s’il n'avait pas été ratifié par les membres du syndicat. La décision est certainement insatisfaisante et la question à trancher est d'une importance considérable. J'ordonne donc que l'affaire soit renvoyée au conseil arbitral pour une nouvelle audition et un nouvel examen à la lumière de preuves plus définitives quant au présumé accord avec le syndicat représentant les prestataires intéressés par les présentes et pour examen de la question de droit qu’est celle de savoir si l'employeur pouvait dire qu’un tel accord ne pouvait être ratifié avant qu’un accord semblable soit conclu avec le syndicat représentant les employés des brasseries, l'un étant alors lié à l'autre, même si le syndicat représentant les prestataires en cause n'avait jamais été consulté à ce sujet ni souscrit à cela. Il est permis au juge-arbitre, en vertu de l'article 96, de renvoyer une telle affaire au conseil, bien que, règle générale, je le répète, cela ne devrait pas être fait pour permettre à un prestataire, ou dans le présent cas, à un employeur de compléter et de corriger un plaidoyer déficient devant le conseil arbitral.

    _________________

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 10 décembre 1986

    2011-01-16