CUB 13000
EN VERTU DE LA LOI DE 1971 SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
et
RELATIVEMENT À une demande de prestations par Jean-Noel GENEST
et
RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission Emploi et Immigration Canada à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Val d'Or, Québec le 11 septembre 1985
DECISION
LE JUGE DENAULT :
La Commission en appelle d'une décision du Conseil arbitral qui a accepté les motifs allégués par le prestataire pour justifier sa demande d'antidate qui avait été refusée par la Commission (alinéa 20(4) de la loi et 39 du règlement sur l'assurance-chômage).
Il importe de résumer brièvement les faits. Enseignant dans une polyvalente, le prestataire a été relevé temporairement de ses fonctions, sans traitement, par une résolution adoptée par la Commission scolaire régionale de La Vérendrye le 17 janvier 1985. La résolution (Pièce 4-1) informait l'enseignas de l'intention de la Commission scolaire de résilier son contrat d'engagement. Le 13 juin suivant, l'employeur adoptait une nouvelle résolution résiliant le contrat d'engagement de M. Genest "à compter de midi, le 17 janvier 1985" (Pièce 5).
L'employé congédié a déposé sa demande de prestations le 20 juin 1985 et demandé qu'elle soit antidatée au 18 janvier précédent, alléguant qu'à l'origine il n'avait été suspendu que temporairement, suspension cependant accompagnée d'une menace de renvoi qui s'est concrétisée le 13 juin, avec effet rétroactif. Sa demande d'antidate indique également qu'il ignorait avoir droit aux prestations pendant sa suspension et n'avoir appris son congédiement que le 14 juin 1985 (Pièce 6). La Commission n'a pas accepté sa demande d'antidate. Avant de se présenter devant le Conseil arbitral où il en avait appelé, le prestataire a cependant obtenu de son ex-employeur une lettre datée du 21 août 1985, signée du directeur du personnel, et faisant état des faits suivants (Pièce 12) :
La présente est à dessein de certifier qu'à compter du dix-sept (17) janvier 1985, M. Jean-Noel Genest a été relevé de ses fonctions d'enseignant avec perte de traitement et que la résolution du Comité exécutif de la Commission scolaire régionale La Vérendrye résiliant son contrat d'engagement n'a été adoptée que le treize (13) juin 1985.
Le long délai entre ces deux (2) événements était justifié et convenu entre les partis patronal et syndical pour permettre à M. Genest de rencontrer des spécialistes de la santé et de démontrer, s'il y avait lieu, qu'il était dans un état d'invalidité susceptible d'annuler la décision des commissaires de mettre un terme à son contrat.
Pendant ce laps de temps, des représentants de la Commission scolaire et du STENOQ se sont rencontrés à plusieurs reprises pour s'informer mutuellement de l'état du dossier.
Le Conseil arbitral a permis l'antidate de la demande du prestataire dans une décision dont il importe de reproduire la partie pertinente :
Question en litige :
Le prestataire a-t-il fait valoir un motif justifiant son retard à déposer sa demande de prestations (pièce 2) datée du 20 juin 1985? (Conformément à l'article 20(4) de la Loi et l'article 39 des règlements sur l'assurance-chômage)
Après avoir entendu le représentant de M. Genest, M. Jean Alfred, et après avoir pris connaissance de la pièce 12 déposée au dossier, nous concluons que le prestataire avait un motif valable justifiant son retard à déposer sa demande de prestations aux termes de l'article 20(4) de la Loi. En effet, la pièce 12, plus particulièrement au niveau du contenu de son deuxième paragraphe, a concordance avec le témoignage rendu par le représentant du prestataire. Le report du délai est d'ailleurs verbalisé au paragraphe 3 de ladite pièce 12.
En conséquence de quoi, le conseil arbitral composé de deux membres accueille l'appel du prestataire et annule la décision du fonctionnaire responsable concernant la question en litige.
Appel accordé
La Commission en appelle au motif que le Conseil arbitral aurait erré en droit dans l'appréciation des motifs du prestataire justifiant son retard à déposer sa demande de prestations. Le procureur de la Commission s'est attaché à démontrer qu'il est maintenant bien établi, depuis les arrêts Pirotte ([1977] 1 C.F. 314) et Albrecht ([1985] 1 C.F. 710), que l'ignorance de la loi ne constitue pas une excuse justifiant le retard à déposer une demande de prestations à moins que le prestataire n'ait été, entre autres, l'objet de fausses représentations par la Commission, ou qu'il ait négligé de faire ce que toute personne raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances. Il prétend qu'en l'occurrence, le prestataire n'a pas été induit en erreur par un représentant de la Commission et que par ailleurs, il n'a fait aucune démarche auprès de celle-ci pour s'informer de ses droits. Bref, il prétend que le prestataire n'a pas justifié sa demande d'antidate.
Ce raisonnement me semble un peu trop sommaire et ne pas tenir compte des faits apparaissant au dossier. Sans doute suis-je d'accord avec le procureur de la Commission sur la jurisprudence concernant l'ignorance de la loi. J'ai d'ailleurs, à l'audition, fait part au prestataire de façon non équivoque qu'en droit, un principe fondamental existe à l'effet que l'ignorance de la loi n'excuse pas le défaut de se conformer à une prescription législative. Ce principe vaut pour toutes les lois. La Cour d'appel fédérale a cependant précisé dans l'arrêt Albrecht, à propos d'un prestataire qui invoque ce principe pour justifier son retard à déposer sa demande de prestations, que s'il peut démontrer s'être conformé au devoir de prudence exigé d'une personne raisonnable se trouvant dans la même situation, on doit présumer qu'il a donné un "motif justifiant le retard".
En l'occurrence, il importe de bien lire les motifs de demande d'antidate apparaissant à la Pièce 6 du dossier. En fait le prestataire n'y allègue pas avoir ignoré une disposition de la loi; il dit ignorer avoir eu droit aux prestations d'assurance-chômage et il en fournit l'explication. Ce n'est plus une question d'ignorance de la loi mais d'interprétation de la résolution adoptée par son employeur le 17 janvier 1985. En effet, cet enseignant a cru qu'il n'était relevé de ses fonctions que temporairement, sans traitement, et que la résiliation de contrat n'était intervenue que le 23 juin 1985. Il s'agit là d'une interprétation qu'on pouvait raisonnablement tirer des circonstances. Non seulement la résolution initiale n'avait elle qu'un caractère temporaire, bien qu'on eût indiqué l'intention de résilier son engagement mais surtout comme l'atteste la lettre du 21 août 1985 (Pièce 12), entre janvier et juin 1985 on a consulté des spécialistes de la santé pour vérifier si l'enseignant était "dans un état d'invalidité susceptible d'annuler la décision des commissaires de mettre un terme à son contrat." Pendant cette période, comme l'a déclaré le prestataire à l'audition, il croyait pouvoir toucher des prestations d'assurance-maladie qui le disqualifiaient de son droit aux prestations d'assurance-chômage. Ces prestations d'assurance-maladie devaient cependant lui être éventuellement refusées.
Bref, il m'apparaît que le prestataire a justifié son retard à déposer sa demande d'antidate et je ne vois, dans la décision du Conseil arbitral, aucune erreur de fait ou de droit me permettant d'en modifier la teneur.
Pour ces motifs, l'appel de la Commission est rejeté.
PIERRE DENAULT
JUGE-ARBITRE.
OTTAWA, le 23 novembre 1988.
VRAIE COPIE DE L'ORIGINAL EN MA POSSESSION.
REGISTRAIRE DU JUGE-ARBITRE.
Datée à Ottawa Ontario, ce 7ième jour de décembre 1988.
2011-01-16