TRADUCTION
EN VERTU de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Lyn Cole
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par la prestataire de la décision d'un conseil arbitral rendue
à Hamilton, Ontario, le 23 janvier 1986.
DÉCISION
JAMES A. JEROME, JUGE-ARBITRE EN CHEF:
Cette affaire a été entendue à Hamilton (Ontario) le 3 février 1987, et à Toronto (Ontario) le 8 avril 1987. La prestataire interjette appel de la décision unanime du conseil arbitral confirmant celle de l'agent d'assurance qui a jugé qu'elle n'était pas admissible à recevoir des prestations au motif qu'elle avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif aux termes de l'article 44 de la Loi.
La prestataire travaillait pour le Conseil de l'éducation de Hamilton à titre d'enseignante occasionnelle ou suppléante. À l'époque qui nous intéresse, elle remplaçait, en vertu d'un "contrat occasionnel", une enseignante permanente à plein temps qui était en congé de maternité. Son contrat visait la période du 4 février au 28 juin 1985. Le 10 mai 1985, le syndical représentant les enseignants permanents, l'Ontario Secondary School Teachers' Federation (OSSTF), a déclenché une grève à Hamilton. La prestataire n'est pas membre du syndical. Elle n'a pas financé la grève et n'y a participé d'aucune façon. En fait, on lui a demandé de venir enseigner une journée durant la grève.
Elle a déposé une demande de prestations le 13 mai 1985. La Commission a rejeté sa demande en vertu de l'article 44 de la Loi, dont les parties pertinentes se lisent comme suit:
44.(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes, à savoir:
(a) la fin de l'arrêt du travail,
(b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne,
(c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.
(2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire prouve
a) qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt du travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé; et
b) qu'il n'appartient pas au groupe de travailleurs de même classe ou de même rang dont certains membres exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt du travail et participant au conflit collectif, le financement ou y sont directement intéressés.
La Commission a établi que la prestataire serait admissible à recevoir des prestations après le 2 septembre 1985, date de la fin de l'arrêt de travail.
Elle a interjeté appel de cette décision au conseil arbitral. Celui-ci en a conclu ce qui suit:
Conclusion
Après avoir examiné la preuve dans le mémoire, ainsi que les observations de la prestataire, le conseil convient unanimement que la prestataire a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif, et qu'elle a été justement déclarée inadmissible en vertu de l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage pour la période du 12 mai au 2 septembre 1985.
Décision
L'appel de la prestataire est REJETÉ et la décision de l'agent d'assurance est maintenue.
La prestataire en appelle au juge-arbitre en vertu du paragraphe 95(b) de la Loi, alléguant que la décision du conseil est entachée d'une erreur de droit. Je crois que son appel doit être accueilli. Le conseil a fait au moins une erreur qui est évidente au vu de sa décision. Après avoir conclu que le paragraphe 44(1) de la Loi s'appliquait au cas de la prestataire, il a omis d'examiner la possibilité d'une exclusion en vertu du paragraphe (2) du même article. Selon la transcription, la prestataire a soulevé plusieurs arguments en vertu du paragraphe (2), et le conseil devait, par conséquent, juger de leur validité.
En vertu de l'article 96 de la Loi, lorsqu'un juge-arbitre constate que le conseil a fait une erreur, il a le choix de renvoyer l'affaire au conseil arbitral ou de rendre la décision que le conseil aurait dû rendre. En l' occurrence, je crois que le dernier choix est approprié. Par conséquent, je dois établir si la prestataire a été déclarée inadmissible à bon droit en vertu de l'article 44 de la Loi.
Les parties étaient d'accord que, si la prestataire n'était pas exclue par l'application du paragraphe 44(2), elle était alors inadmissible en vertu du paragraphe 44(1), étant donné qu'elle avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail. Dans CUB 12900, mon collègue, le juge McNair, a établi les quatre exigences pour qu'un prestataire soit exclu aux termes du paragraphe 44(2). Ces exigences sont les suivantes:
(1) le prestataire ne doit pas avoir participé au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail;
(2) le prestataire ne doit pas avoir financé le conflit collectif;
(3) le prestataire ne doit pas avoir été intéressé directement au conflit collectif; et
(4) le prestataire ne doit pas avoir été membre d'un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang qui, immédiatement avant le début de l'arrêt de travail, exerçaient un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt de travail et qui participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés.
Un prestataire doit satisfaire à toutes ces exigences. On s'entendait à l'effet que Mme Cole satisfaisait au premier et deuxième points sans difficulté. Toutefois, l'avocat de la Commission a tenté d'établir qu'elle ne satisfaisait pas à la troisième et à la quatrième conditions. Ses arguments étaient les suivants: premièrement, la prestataire était directement intéressée au conflit parce qu'il modifiait ses conditions de travail. Il les modifiait à trots égards: 1) Le taux de rémunération des enseignants faisait partie des demandes; étant donné que la prestataire est rémunérée au même taux que les autres enseignants, elle aurait bénéficié d'une augmentation. 2) La convention collective qui avait expiré, ce qui avait mené à la grève, prévoyait que les enseignants suppléants avaient droit à 20 jours de congé de maladie. 3) Le nombre d'élèves par classe était un autre point en négociation qui, comme l'a admis la prestataire, touchait tous les enseignants.
Le représentant de la prestataire a contesté ces arguments. Quant à la question de la rémunération, il a souligné que les enseignants suppléants ne sont pas visés par la convention collective et que leur salaire n'est pas déterminé par celle-ci. Ils reçoivent le salaire que l'employeur décide de leur payer; depuis quelques années, ce salaire se trouve être le même montant que reçoivent les enseignants permanents en vertu de la convention collective. Le conseil scolaire n'est cependant pas obligé de s'en tenir à ce montant. Il s'agit d'une situation semblable à celle des prestataires dans la cause Mensforth, CUB 12900. Dans cette affaire, sur la question de l'intérêt direct, le juge McNair s'est prononcé comme suit:
La question de l'intérêt direct des prestataires dans le conflit collectif reste beaucoup plus litigieuse. Les prestataires disent qu'ils ne l'étaient pas. La Commission soutient qu'ils l'étaient, même s'ils n'étaient pas membres du syndical et que leurs conditions d'emploi n'étaient pas régies par la convention collective. À l'appui de cela, la Commission fait valoir la politique du collège de fonder la rémunération des enseignants sessionnels sur celle négociée par le syndical en vertu de la convention collective. Cela ne saurait constituer en soi un "intérêt direct" au conflit collectif. Au contraire, il s'agirait plutôt d'un "intérêt indirect", surtout si l'employeur n'est pas obligé de maintenir la parité entre les salaires des employés syndiqués et non syndiqués.
Quant aux dispositions de la convention collective relatives aux congés de maladie, le représentant de la prestataire soutient que les 20 jours de congés de maladie par année sont prévus dans la Loi sur l'éducation de l'Ontario, et que le fait que ces congés apparaissent dans la convention collective n'est pas un point pertinent, étant donné que le syndical en grève n'avait aucune autorité pour négocier la modification de cette clause au nom des enseignants suppléants. Tous les avantages prévus pour ce groupe dans la convention collective sont accordés à l'entière discrétion de l'employeur. En ce qui touche le nombre d'élèves par classe, il soutient qu'il s'agit là tout au plus d'un avantage indirect pour la prestataire, dont la charge de travail coïncide avec celle de l'enseignant permanent qu'elle remplace pour de courses périodes. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que Mme Cole soit directement intéressée au conflit de travail qui a causé l'arrêt collectif.
Je passe maintenant à l'examen de la quatrième exigence en vertu du paragraphe 44(2): est-ce que des travailleurs de même classe ou de même rang que la prestataire participaient à la grève? La Commission soutient que oui, et que sa classe ou son rang doit être déterminé en fonction de la nature de son travail à titre d'enseignante, plutôt que sa position face au syndical. Je ne suis pas entièrement d'accord. La Loi ne prévoit aucun critère quant à l'appartenance à une classe ou à un rang. Quant au simple argument qu'un prestataire n'est pas membre du syndical et, par conséquent, n'appartient pas à la classe ou au rang en question, les juges-arbitres ont maintenu qu'il fallait regarder au delà du statut technique de la prestataire pour établir ce point. L'un des critères est la nature du travail de la prestataire et la similitude du travail avec celui des grévistes, mais ce critère doit s'appliquer en respectant le principe de l'article 44, à savoir qu'il faut se garder de donner l'impression que les fonds de l'assurance-chômage sont utilisés pour appuyer l'une ou l'autre des parties à un conflit de travail. Toutefois, les juges-arbitres ont aussi maintenu que, lorsque le prestataire établit qu'il n'a aucun intérêt dans le conflit, il est admissible à des prestations (CUB 761).
Dans la décision Mensforth, le juge McNair était confronté à des arguments semblables à ceux qui ont été soulevés dans la présente cause:
L'argument de la Commission est fondé sur la thèse que les mots "rang ou classe" s'appliquent aux enseignants au sens plein et générique, sans limitation. Les enseignants sessionnels soutiennent qu'ils appartiennent à un rang ou une classe de travailleurs privés en pratique de tous les privilèges et avantages accordés au personnel enseignant par la convention collective. A mon avis, cette thèse a plus de mérite.
À mon avis, le fait que les enseignants sessionnels étaient expressément exclus de la convention collective est une chose dont il faut tenir compte pour décider si les prestataires dans le présent cas appartenaient à un groupe de travailleurs de même rang et de même classe que les enseignants syndiqués directement intéressés au conflit collectif.
Comme dans l'affaire Mensforth, la prestataire, ainsi que tous les enseignants suppléants, sont expressément exclus du groupe d'enseignants qui sont représentés par l'OSSTF et visés par leur convention collective. Cette exclusion se retrouve dans la Loi sur la profession enseignante et la Loi sur la négociation collective entre conseils scolaires et enseignants de l'Ontario. La Cour suprême de l'Ontario l'a récemment confirmé dans la décision OSSTF, District 14 v. Board of Education of the Borough of York (non publiée, n°s 1074/83, 96/85, le 27 janvier 1987). À la lumière de ces faits, je ne crois pas que l'on paisse dire que la prestataire est de même classe ou de même rang que les enseignants en grève.
Même si la nature du travail était la seule considération à cet égard, la même conclusion s'appliquerait. Il est expressément interdit au conseil scolaire de contracter de façon permanente avec les enseignants suppléants. Ceux-ci ne peuvent aspirer à rien de plus que des contrats de suppléance. Par conséquent, la relation avec leur employeur diffère considérablement de celle des enseignants permanents. En outre, les fonctions qu'ils exécutent diffèrent à des degrés divers de celles qu'exécutent les enseignants permanents et leurs conditions de travail sont nettement différentes en ce qui touche les avantages et la sécurité.
Par conséquent, je ne constate pas que la prestataire appartenait à la même classe ou au même rang que les enseignants en grève. Elle ne devrait pas être inadmissible au bénéfice des prestations en vertu de l'article 44.
Même si ce n'était pas le cas, je constaterais que l'inadmissibilité de la prestataire aurait dû se terminer le 25 juin 1985, jour où son contrat était censé prendre fin. A partir de cette date, elle n'avait certainement aucun intérêt dans le conflit de travail ni aucune affiliation avec ceux qui y participaient. Je fonde cette conclusion sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans la cause Procureur général du Canada c. Hurren, 29 D.L.R. (4th) 252. Quant à la possibilité que la prestataire fasse une nouvelle demande pour enseigner à cette école, et bénéficie ainsi des conditions résultant du conflit collectif, j'adopte l'opinion exprimée par -le juge Hugessen dans cette cause, à savoir qu'un tel intérêt dans un conflit ne serait pas du tout direct. Après la fin de son contrat", je ne crois pas que l'on puisse soutenir que la prestataire appartenait encore à la classe ou au rang des employés en grève. (Voir Wallace, CUB 13738.)
Pour ces motifs, j'écarte la décision du conseil et accueille l'appel de la prestataire.
JUGE-ARBITRE EN CHEF
Ottawa
le 30 juillet 1987