TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
- et -
d'une demande de prestations présentée par
SARAH ELDRIDGE
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à Montréal (Québec) le 15 janvier 1987
DÉCISION
Le juge McNair
Il s'agit ici d'un appel pour lequel une audience n'a pas été demandée. La prestataire interjette appel de la décision unanime du conseil arbitral confirmant celle de l'agent d'assurance-chômage, qui déclarait qu'elle ne pouvait pas faire antidater sa demande de prestations afin qu'elle prenne effet le 31 juillet 1986 puisqu'elle n'avait pas prouvé qu'elle avait un motif justifiant son retard durant toute la période du 31 juillet 1986 au 4 octobre suivant, comme l'exige le paragraphe 20(4) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'article 39 du Règlement sur l'assurance-chômage.
La prestataire a présenté une demande initiale de prestations le 10 octobre 1986, dans laquelle elle indiquait qu'elle serait en congé de maternité pendant 20 semaines à compter du 30 juillet 1986. La date prévue pour l'accouchement de la prestataire était le 16 août 1986, mais son enfant est né prématurément le 31 juillet. Le 9 octobre 1986, la prestataire a sollicité l'antidatation de sa demande initiale afin qu'elle prenne effet le 31 juillet 1986 et a affirmé qu'elle n'avait pas présenté sa demande de prestations plus tôt « en raison d'un malentendu au sujet de la procédure à suivre pour recevoir [son] salaire pendant [son] congé de maternité ». [Traduction]
Un avis daté du 19 novembre 1986 a informé la prestataire que sa demande d'antidatation avait été refusée parce qu'elle n'avait pas prouvé qu'elle avait un motif justifiant le retard dans la présentation de sa demande.
La prestataire a interjeté appel de cette décision devant le conseil arbitral, qui a confirmé la décision de l'agent d'assurance-chômage. La décision majoritaire du conseil va comme suit :
Au cours de son témoignage, la prestataire a indiqué que 7 mois avant la naissance de son enfant, elle a demandé à son employeur comment il fallait s'y prendre pour recevoir des prestations d'assurance-chômage et lui a demandé par la même occasion de lui rappeler la marche à suivre une fois que l'enfant serait né.
Elle affirme qu'à ce moment-là, on ne l'a pas informée du fait qu'elle devait remplir un formulaire de demande pour recevoir les prestations.
La naissance, qui devait avoir lieu le 16 août 1986, s'est plutôt produite le 31 juillet. Le même jour, ou le lendemain, la prestataire a demandé à son mari de s'enquérir auprès du bureau de l'hôpital de la marche à suivre pour obtenir des prestations d'assurance-chômage.
Le premier août 1986, Mme Gamache a fourni à la prestataire un formulaire de départ. La prestataire a également mentionné qu'elle n'est parvenue à connaître la marche à suivre exacte pour faire une demande de prestations qu'à la fin du mois de septembre suivant.
La Commission a refusé le premier formulaire de départ parce qu'il s'agissait d'une copie. Ce n'est que le 6 octobre 1986 qu'un nouveau formulaire a été fourni à la prestataire.
Nous remarquons qu'au cours de la période de retard de 72 jours dont la Commission fait mention dans ses observations, la prestataire s'est uniquement fiée à son employeur et n'a pas pris les mesures qui s'imposaient au moment opportun pour tâcher d'obtenir des prestations d'assurance-chômage.
Nous croyons que la prestataire a fait preuve de négligence et que l'ignorance de la loi ne peut être invoquée pour justifier le retard dont il est question en l'espèce.
Pour cette raison, nous rejetons l'appel à la majorité.
[Traduction]
Le membre dissident du Conseil aurait, quant à lui, tranché en faveur de la prestataire pour les raisons suivantes :
C'est la première fois que la prestataire demandait des prestations d'assurance-chômage.
Elle a donné naissance à un enfant prématuré le 31 juillet 1986. Cet événement a une incidence sur la prestataire.
Elle a reçu une enveloppe le jour suivant, alors qu'elle était toujours à l'hôpital.
Dans les circonstances, elle n'a pas vu son relevé d'emploi. Par la suite, Mme Gamache, du service du personnel, est partie en vacances.
Mme Gamache n'a téléphoné à la prestataire qu'à la fin du mois de septembre et ce n'est que quelques jours plus tard qu'elle a donné à Mme Eldridge une autre copie de son relevé d'emploi.
Il convient de noter que les médecins résidents ne sont pas des employés réguliers et qu'à ce titre, leur employeur ne leur communique pas toute l'information nécessaire sur ces questions.
Même avant de quitter son emploi, la prestataire a essayé de s'informer sur les prestations d'assurance-chômage. Malheureusement, les informations qu'elles a reçues étaient insuffisantes.
Son témoignage a été corroboré par deux employés de l'hôpital Ste. Mary's.
Dans ces circonstances, je crois qu'il existait un motif justifiant le retard de la demande de prestations.
De plus, à mon avis, la prestataire a agi de bonne foi.
Pour toutes ces raisons, j'accueillerais l'appel.
[Traduction]
Le prestataire en appelle de la décision majoritaire rendue par le conseil arbitral et invoque l'alinéa 95c), à savoir que le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Le paragraphe 20(4) de la Loi et l'article 39 du Règlement prévoient ce qui suit :
Loi
20.(4) Lorsqu'un prestataire formule une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la formuler et fait valoir un motif justifiant son retard, la demande peut, sous réserve des conditions prescrites, être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
Règlement
39. Une demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve
a) qu'à cette date antérieure, il remplissait les conditions requises à l'article 17 de la Loi pour recevoir des prestations; et
b) que, durant toute la période comprise entre cette date antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa demande, il avait un motif justifiant le retard de sa demande.
La question de savoir ce qui constitue « un motif justifiant le retard », aux termes du paragraphe 20(4) de la Loi sur l'assurance chômage, fait l'objet d'une abondante jurisprudence. Cette question a été tranchée par la Cour d'appel fédérale dans la décision Procureur général du Canada c. Albrecht (1985), 60 N.R. 213. Dans cette affaire, la Cour a jugé que lorsqu'un prestataire omet de présenter sa demande de prestations dans les délais prescrits à cause de son ignorance de la loi, l'obligation d'avoir un « motif justifiant le retard » est remplie si le prestataire peut démontrer qu'il s'est conduit comme une personne raisonnable se serait conduite dans sa situation. La Cour a également indiqué que pour déterminer si une personne s'est conduite d'une façon raisonnable, il faut s'appuyer sur les faits propres à chaque cas.
Dans une lettre adressée au juge-arbitre, la prestataire note également qu'elle se fonde sur le motif d'appel exposé à l'alinéa 95b), à savoir que le conseil arbitral aurait rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier, en ce sens qu'elle croit que le conseil a mal interprété l'exigence relative au motif justifiant un retard dans les circonstances propres à son dossier.
Je me propose de traiter d'abord du premier motif d'appel, c'est-à-dire l'alinéa 95c), que la prestataire invoque en affirmant que le conseil arbitral a tiré une conclusion de fait erronée. À ce sujet, il importe de préciser que la jurisprudence établit clairement que le prestataire doit avoir un dossier extrêmement solide pour arriver à fonder un appel sur cet alinéa. Le juge-arbitre doit être convaincu que le conseil arbitral n'avait aucun motif raisonnable de tirer la conclusion de fait qu'il a tirée. En l'espèce, les preuves montrent que le retard dans la présentation de la demande découle clairement du fait que la prestataire n'a pas poussé assez loin sa recherche d'information sur les procédures entourant la demande des prestations de maternité en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage. À proprement parler, il existait donc bel et bien des preuves sur lesquelles le conseil pouvait raisonnablement s'appuyer pour tirer la conclusion qu'il a tirée. L'appel fondé sur ce motif doit être rejeté.
Cependant, à mon avis, le second motif d'appel invoqué par la prestataire est bien fondé. L'arrêt Albrecht a clairement établi que le prestataire doit simplement démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Pour déterminer si une personne s'est conduite d'une façon raisonnable, il faut examiner les capacités de cette personne dans une situation donnée. À cet effet, je remarque que la prestataire est instruite et qu'on est en droit de s'attendre à ce qu'elle fasse davantage preuve de discernement dans les circonstances. Cependant, selon moi, il y a d'autres éléments de l'affaire qui sont déterminants dans le cadre du présent appel : tout d'abord, le fait qu'il s'agissait de la première demande de prestations de la prestataire et que, par conséquent, la marche à suivre ne lui était pas familière; ensuite, le fait qu'elle s'est fiée aux informations erronées que lui a fournies le service de la paye de l'hôpital St. Mary's. La version des faits présentée par la prestataire a été corroborée par des employés du service du personnel et du service de la paye de l'hôpital. Comme l'a mentionné le membre dissident du conseil, tout ceci tend à démontrer que la prestataire s'est conduite de façon raisonnable pour tenter de s'informer sur les prestations d'assurance-chômage. La prestataire a agi de bonne foi et s'est empressée de faire le nécessaire dès qu'elle a obtenu les informations appropriées quant à ses droits et obligations en vertu de la Loi. La constatation de la majorité des membres à l'effet que la prestataire a fait preuve de négligence et que l'ignorance de la loi ne peut être invoquée pour justifier un retard n'est pas fondée, à la lumière de l'arrêt Albrecht. À mon avis, le conseil a commis une erreur de droit. Par conséquent, je suis en droit d'invoquer l'article 96 de la Loi et de rendre la décision que le conseil aurait dû rendre dans les circonstances.
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis convaincu que la prestataire a démontré qu'elle avait un motif justifiant son retard et que la demande en question devrait donc être antidatée.
En conséquence, l'appel de la prestataire est accueilli.
J.C. McNair
Juge-arbitre
OTTAWA
Le 2 octobre 1987