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  • CUB 14585

    TRADUCTION

    EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations par
    JOANNE CORMIER

    - et -

    RELATIVEMENT À un appel auprès d'un juge-arbitre par
    la prestataire d'une décision du conseil arbitral rendue
    à Moncton, Nouveau-Brunswick, le 13 août 1986.

    DÉCISION

    JOHN C. McNAIR, JUGE-ARBITRE:

    Il s'agit de l'appel interjeté par la prestataire de la décision unanime du conseil arbitral qui a rejeté son appel et confirmé la décision de l'agent d'assurance portant qu'elle avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif et n'était donc pas admissible au bénéfice des prestations selon l'alinéa 44(1)a) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.

    La prestataire était sélectionneuse de bouteilles chez Domglas Inc. où elle travaillait à titre temporaire et à temps partiel. Son emploi a cessé lorsqu'une grève à son lieu de travail a entraîné un arrêt de production.

    Sont principalement en cause dans le présent appel les questions de l'interprétation et de l'application des paragraphes 44(1) et 44(2) de la Loi sur l'assurance-chômage, qui se lisent comme suit:

    Art. 44.(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes, à savoir:
    a) la fin de l'arrêt du travail,
    b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne,
    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.
    (2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire prouve
    a) qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt du travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé, et
    b) qu'il n'appartient pas au groupe de travailleurs de même classe ou de même rang dont certains membres exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt du travail et participant au conflit collectif, le financent ou y sont directement intéressés.

    Bref, le paragraphe 44(1) rend inadmissible aux prestations les prestataires qui ont perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à leur lieu d'emploi. Pour échapper à cette inadmissibilité, un prestataire doit remplir les quatre conditions prévues au paragraphe 44(2), soit les suivantes:

    (1) il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt du travail,
    (2) il ne finance pas le conflit collectif;
    (3) il n'est pas directement intéressé au conflit collectif, et
    (4) il n'appartient pas au groupe de travailleurs de même classe ou de même rang dont certains membres exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt du travail et participant au conflit, le financent ou y sont directement intéressés.

    La prestataire doit remplir ces quatre conditions afin d'être et de rester admissible au bénéfice des prestations.

    Dans ses conclusions à l'appui de sa décision, le conseil mentionne ce qui suit.

    Le conseil conclut que la prestataire a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Elle était membre du syndicat, versait des cotisations et bénéficiait également des négociations antérieures. Le premier jour de la grève, la prestataire travaillait (son poste allait de 16 h à minuit) et la grève a commencé à 18 h.

    La prestataire interjette appel de cette décision au motif prévu à l'alinéa 95c) de la Loi, soit qu'elle se fonde sur une conclusion de fait erronée.

    La prestataire soutient, premièrement, qu'elle n'était pas membre du syndicat, ce qu'a admis la Commission. Deuxièmement, elle prétend qu'elle n'a pas financé le conflit collectif parce qu'aucune partie de ses cotisations n'était versée à un fonds de grève. En vertu de la convention collective d'atelier fermé, les cotisations des employés à temps partiel comme elle étaient déduites et versées à un compte local du syndicat aux fins d'éducation et d'appui de griefs locaux. Les éléments de preuve de cela sont clairs et la Commission le reconnaît largement. Troisièmement, la prestataire soutient qu'elle n'a pas participé au conflit collectif. La grève a commencé le 3 mai 1986 vers 18 h. La prestataire avait été appelée à titre d'employée à temps partiel pour faire le poste de 16 h à minuit. Lorsque les employés à temps plein ont débrayé à 18 h, le contremaître lui a dit de partir parce qu'il n'y avait pas de travail pour elle. Elle n'a fait que suivre ses instructions et n'a d'aucune façon participé au conflit collectif ni ne l'a appuyé.

    Finalement, la prestataire soutient qu'elle n'appartenait pas à un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang que ceux qui participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés.

    Faisaient principalement l'objet de la grève les salaires, les indemnités de vacances et l'admissibilité à l'assurance. Il y a des preuves incontestées qu'aucune partie des cotisations syndicales retenues aux employés à temps partiel n'était versée ou allait à un fonds de grève. La prestataire était en stage comme empaqueteuse de bouteilles à temps partiel et, selon la convention collective, avait à travailler quarante-cinq jours de suite avant d'avoir le droit d'être inscrite sur une liste d'ancienneté à titre de membre du syndicat. Ce n'est que par hasard ou mésaventure que la prestataire a été appelée à travailler le jour de la grève. Bref, la prestataire allègue que n'étant pas membre du syndicat elle ne peut être considérée comme appartenant à un groupe de travailleurs "de même classe ou de même rang que ceux qui participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés. elle ajoute que rien ne montre qu'elle pourrait bénéficier directement de la négociation d'une nouvelle convention collective.

    La Commission prétend que la prestataire avait établi un régime de travail occasionnel, à temps partiel et intermittent chez le même employeur et qu'elle était sortie avec les autres empaqueteurs quand la grève a commencé. Bien qu'elle admette que la prestataire n'était pas membre du syndicat, la Commission prétend néanmoins qu'elle bénéficiait de la convention collective antérieure qui exigeait que les employés à temps partiel soient rémunérés au même taux que les employés à temps plein occupant des postes comparables. Comme les salaires étaient une des principales questions en cause dans la grève, la Commission soutenait que les employés à temps partiel devaient être considérés comme y étant directement intéressés parce qu'ils auraient probablement des augmentations de salaires comparables à celles des membres du syndicat. Finalement, la Commission prétend que la prestataire appartenait à un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang que ceux qui avaient débrayé et qu'elle était directement intéressée à l'issue de la grève.

    L'avocat de la Commission a cité diverges décisions antérieures des juges-arbitres ayant trait à l'application de l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et a souligné, en particulier, l'affaire McKinnon et autres c. C.A.C. (1977), 17 R.N. 446 (C.A.F.). Dans cette affaire, la prestataire était membre d'un syndicat et ses cotisations, comme l'exigeaient les statuts du syndicat, étaient versées en partie à un fonds de grève. Elle a perdu son emploi par suite d'une grève déclenchée par une autre unité de négociation du syndicat dont la prestataire était membre. Le syndicat a servi des indemnités aux grévistes sur le fonds de grève qui était constitué des cotisations versées par tous les membres du syndicat. Cela étant, la cour a rejeté la demande faite en vertu de l'article 28 d'annuler la décision du juge-arbitre portant que la prestataire était inadmissible aux prestations du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à son lieu d'emploi.

    À mon avis, l'affaire McKinnon se distingue de l'espèce en ce que Mme McKinnon était membre du syndicat qui a servi des indemnités aux grévistes sur son fonds de grève auquel une partie des cotisations syndicales de la prestataire avait été versée.

    Dans l'affaire McKinnon, le juge Pratte, énonçant par écrit l'opinion de la cour, a fait l'affirmation importante qui suit, à la p. 449:

    Dans chaque cas il faut déterminer s'il existe une connexité suffisante entre la contribution financière apportée par un individu et le conflit de travail que cette contribution a pu financer. C'est là une question de fait qui doit être résolue à la lumière des circonstances de chaque espèce.

    Dans Roberts et autres c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1985), 60 N.R. 349, la Cour d'appel fédérale a jugé que le critère approprié que doit appliquer un juge-arbitre dans un appel interjeté en vertu de l'alinéa 95c) de la Loi consiste à examiner s'il y a quelque élément de preuve justifiant le conseil arbitral de conclure comme il l'a fait ou si ce dernier a commis une quelconque erreur de principe. À mon avis, l'expression "erreur de droit" que l'on trouve à l'alinéa 95b) est synonyme d’ "erreur de principe". Toutefois, il me semble que toute distinction est discutable. La Commission adopte tout à fait à juste titre, dans tous ces appels devant le juge-arbitre, la position qu'il peut être tenu compte des trois alinéas de l'article 95 afin d'éviter qu'un appelant soit débouté simplement parce qu'il a choisi par erreur le mauvais motif.

    Dans Canada (Procureur général) c. Tucker, (1986) 2 C.F. 329 (C.A.F.), une majorité de la cour a jugé que dès qu'un juge-arbitre conclut à juste titre que le conseil a commis une erreur de droit, la question de savoir si le conseil avait devant lui les éléments de preuve lui permettant raisonnablement d'en arriver à la conclusion à laquelle il est arrivé ne se pose plus. Selon l'article 96 de la Loi, le juge-arbitre est alors autorisé à rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre dans les circonstances.

    Il est clair d'après le dossier et les éléments de preuve concernant l'affaire que la prestataire n'était pas membre du syndicat. En outre, les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure qu'elle participait de quelque façon au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail ou qu'elle finançait ce dernier. Bref, elle remplissait les deux premières conditions d'exemption du paragraphe 44(2). Il ne restait donc que les deux autres conditions, à savoir si elle était directement intéressée au conflit collectif et si elle appartenait à un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang dont certains, immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés.

    L'exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles, et je doute sérieusement qu'il réponde même aux exigences du paragraphe 94(2) de la Loi, était simplement que la prestataire "était membre du syndicat, versait des cotisations et bénéficiait également des négociations antérieures."

    À mon avis, le conseil a commis deux graves erreurs de droit ou de principe, la première étant qu'il n'a pas examiné comme il le devait, s'il l'a fait, la question de savoir si une partie des cotisations syndicales de la prestataire était versée à un fonds de grève. La deuxième erreur est d'avoir conclu que la prestataire bénéficiait des négociations antérieures. Le libellé de l'article 44 de la Loi parle du présent en ce qui a trait au conflit collectif qui a causé l'arrêt du travail et l'intérêt du prestataire y est clairement envisagé comme étant direct plutôt qu'indirect. Bref, tout lien qui, sur le plan de l'intérêt, peut exister entre un prestataire et un conflit collectif doit, comme le prévoit la Loi, être "direct" de sorte qu'un avantage qui n'est pas directement lié au conflit collectif qui a causé l'arrêt du travail ne peut entraîner l'inadmissibilité d'un prestataire, comme en l'espèce.

    Dans les circonstances, je considère que la conclusion du conseil portant que la prestataire était membre du syndicat doit avoir été un facteur prédominant et déterminant dans sa décision de la juger inadmissible. À mon avis, il s'agit d'une conclusion de fait erronée que le conseil a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

    Le fait que la prestataire n'était pas membre du syndicat influe directement sur la question de savoir si elle appartenait à un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang que ceux qui participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés. La convention collective fait une distinction claire entre les employés en stage, telle la prestataire en question, et les membres de longue date du syndicat. Par exemple, l'employeur peut renvoyer un stagiaire pour des motifs moins graves que ceux qu'exige le renvoi d'un membre du syndicat et le renvoi d'un stagiaire ne peut faire l'objet d'un grief. La prestataire a constamment maintenu qu'elle n'avait pas les mêmes droits et privilèges que les membres du syndicat et, partant, qu'elle ne saurait être de la même classe ou du même rang qu'eux. J'estime cet argument fondé dans les circonstances.

    En vertu des pouvoirs que me confère l'article 96 de la Loi, je conclus que la prestataire n'était pas directement intéressée au conflit collectif et qu'elle n'appartenait pas à un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang que ceux qui participaient eu conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés, immédiatement avant le début de l'arrêt du travail.

    Pour les motifs précités, je fais droit à l'appel de la prestataire et j'annule la décision du conseil arbitral.

    J. C. McNair

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA
    le 7 décembre 1987

    2011-01-16