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  • CUB 15298

    TRADUCTION

    EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations par
    PATRICIA WENTZELL

    - et -

    RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
    la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
    rendue à Edmonton (Alberta), le 12 décembre 1986.

    DÉCISION

    J. McNAIR, JUGE-ARBITRE:

    La prestataire interjette appel de la décision unanime du conseil arbitral qui a confirmé celle de l'agent d'assurance portant qu'elle avait quitté volontairement son emploi sans justification, ce pourquoi elle avait été exclue pour une période de six semaines.

    La prestataire a fait une demande de prestations ordinaires le 24 septembre 1986, qui a pris effet le 21 septembre 1986. La prestataire a quitté son emploi de cuisinière de camp chez Roga Construction en raison du manque de moyen de transport et des conditions de travail. L'agent d'assurance a jugé que la prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification aux termes de l'article 41 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et l'a exclue pour une période de six semaines en vertu de l'article 43 de la Loi. La prestataire a interjeté appel de cette décision devant le conseil arbitral.

    Dans sa lettre d'appel devant le conseil arbitral, la prestataire a indiqué que l'offre d'emploi de cuisinière de camp lui avait été faite par une certaine Rose Young et qu'elle avait compris qu'il s'agissait d'un emploi du lundi au vendredi, de 9 h à 5 h, dans un camp isolé, à quelque 120 miles de son domicile. Son transport devait être organisé par le patron du camp de façon qu'elle puisse retourner chez elle à Grand Cache les fins de semaine.

    La prestataire a indiqué qu'à son arrivée au camp, le patron du camp l'a informée qu'elle aurait de fait à y rester pendant un mois et demi à deux mois. Comme cela n'était pas conforme au contrat qu'elle avait négocié avec Rose Young, elle a donné son avis le mercredi, a terminé la semaine et a profité d'une occasion de rentrer à Grand Cache le vendredi. Lorsqu'elle s'est rendue au bureau pour chercher son chèque et parler de la divergence des modalités contractuelles avec Rose Young, cette dernière n'y était pas, mais ses documents de cessation d'emploi l'y attendaient. Elle a également indiqué qu'elle avait par la suite tenté à plusieurs reprises de parler à Mme Young mais n'avait pu la joindre.

    La Commission a soutenu que l'employeur, Rose Young, l'avait informée que la prestataire n'était pas tenue de rester au camp pendant un mois et demi à deux mois et qu'elle croyait que les hommes au camp n'avaient fait que la taquiner. L'employeur avait l'impression que la prestataire était partie parce qu'elle n'aimait pas cela et des dispositions auraient pu être prises pour lui assurer un moyen de transport convenable si elle en avait parlé.

    Le conseil arbitral s'est réuni le 12 décembre 1986 et a entendu la prestataire par appel interurbain. L'employeur n'était pas présent. Le conseil a motivé comme suit sa décision:

    [TRADUCTION]
    Il s'agit d'une question de départ volontaire.
    Dans un tel cas, l'intéressé doit prouver qu'il avait une justification ou qu'il existait des circonstances atténuantes l'obligeant à quitter son emploi au moment où il l'a fait.
    Les définitions de "justification" et de "circonstances atténuantes" doivent être prises dans le contexte de la Loi sur l'assurance-chômage pour être pertinentes. L'emploi de définitions isolées du dictionnaire s'avérera déroutant. La Loi sur l'assurance-chômage stipule qu'une personne doit agir de façon raisonnable en vue de protéger son emploi. À titre d'exemple, il peut s'agir de chercher un autre emploi, de parler au superviseur et, en général, de tenter de résoudre les problèmes avant de quitter son emploi. Si, ayant pris toutes les mesures possibles, une personne pense encore qu'elle doit quitter son emploi, alors il est probable qu'elle pourra prouver qu'elle avait une "justification" ou qu'il existait des "circonstances atténuantes".
    Une lettre a été déposée durant l'audition et examinée. Mme Wentzell y faisait savoir qu'elle avait obtenu l'emploi par téléphone et, malheureusement, avait omis de régler tous les détails. Une fois arrivée au lieu de travail, elle a constaté que les conditions n'étaient pas ce qu'elle avait supposé, bref, qu'elle n'avait pas de moyen de transport.
    La jurisprudence (affaires entendues auparavant par un juge fédéral et servant maintenant de référence, par exemple, la décision CUB 7453) établit qu'il incombe au prestataire de se bien renseigner sur les conditions d'emploi et les moyens de transport.
    Le conseil arbitral conclut que Mme Wentzell a quitté volontairement son emploi;
    (1) elle n'a pas attendu un temps raisonnable avant de partir (3 jours).
    (2) Elle n'a aucunement tenté de communiquer avec son employeur avant de quitter son emploi.
    (3) Elle n'a pas parlé à son employeur après avoir quitté son emploi.
    (4) Elle n'a fait aucun effort pour résoudre son problème de transport.
    L'appel est rejeté à l'unanimité.

    La prestataire fonde son appel sur l'alinéa 95(c), soit qu'il a été tiré une conclusion de fait erronée. Dans sa lettre d'appel devant le juge-arbitre, la prestataire ajoute que la décision du conseil ne renferme aucune conclusion, ainsi que l'exige le paragraphe 94(2) de la Loi, sur la question de la crédibilité des parties relativement aux preuves contradictoires de l'employeur et de l'employée et aux modifications apportées aux modalités contractuelles.

    Les dispositions statutaires pertinentes, en l'espèce, sont les paragraphes 41(1) et 43(1) de la Loi, qui se lisent somme suit:

    41(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations servies en vertu de la présente Partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification.
    43(1) Lorsqu'un prestataire est exclu du bénéfice des prestations en vertu des articles 40 ou 41, il l'est pour un nombre de semaines qui suivent le délai de carence et pour lesquelles il aurait sans cela droit à des prestations. Ces semaines sont déterminées par la Commission et leur nombre ne doit pas dépasser six.

    L'application de ces dispositions exigeait que le conseil se pose deux questions. La première question est celle de savoir si la prestataire avait quitté volontairement son emploi. En concluant que la prestataire n'avait pas attendu un temps raisonnable avant de quitter son emploi, le conseil a implicitement conclu que cette dernière avait quitté volontairement son emploi. Je suis convaincu que le conseil a bien examiné cette première question.

    La deuxième question est celle de savoir si la prestataire avait une "justification" de quitter son emploi. Je ne suis pas convaincu que le conseil a examiné comme il devait cette question. Le conseil a indiqué dans sa décision que la définition de "justification" dans le contexte de la Loi sur l'assurance-chômage exige qu'une personne agisse avec prudence en vue de protéger son emploi.

    La prestataire doit établir qu'elle était justifiée de quitter volontairement son emploi. La "justification" doit être appréciée de façon objective. L'expression "justification" ne signifie rien d'autre que "bien" ou "bien et raisonnable" face au risque de chômage. Bref, il s'agit normalement d'évaluer si une personne a fait ce qu'aurait fait une personne raisonnable dans des circonstances semblables [CUB 11351, SCHMIDT].

    À mon avis, le conseil n'a tiré aucune conclusion précise concernant les véritables conditions d'emploi, ainsi que l'exige le paragraphe 94(2) de la Loi. Il me semble que le conseil était tenu d'évaluer si la réaction de la prestataire aux conditions d'emploi modifiées était raisonnable dans les circonstances et la justifiait de quitter son emploi.

    Il est clair que le conseil a conclu que les conditions d'emploi différaient de ce qui avait été négocié de vive voix, ainsi qu'en témoigne son affirmation selon laquelle la prestataire ou l'employeur avait "omis de régler tous les détails [de son emploi]". Le moyen de transport n'était qu'un élément de la question plus vaste de savoir si la prestataire était tenue de rester au lieu de travail pendant une période d'un mois et demi à deux mois. Le conseil a apparemment conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi, mais il a négligé d'examiner la question de savoir si elle avait une justification de le faire au sens du paragraphe 41(1) de la Loi. À mon avis, cette omission constitue une erreur de droit. En conséquence, je me propose d'exercer le pouvoir que me confère l'article 96 de la Loi et de rendre la décision que le conseil aurait dû rendre.

    La prestataire a affirmé à l'audition que les conditions concernant la durée de son séjour au lieu de travail lui avaient été communiquées par le contremaître ou le patron du camp. Elle lui a dit qu'elle n'était pas prête à rester au camp pendant deux mois. Il a répliqué qu'il téléphonerait à Rose, la dame qui l'avait embauchée, et lui demanderait de trouver une autre cuisinière. La prestataire a également affirmé que le patron du camp avait appelé l'employeur sur son téléphone mobile le mercredi de cette semaine-là. La prestataire a par la suite terminé sa semaine et est retournée à Grand Cache.

    Il n'y a pas de doute qu'en raison du poste qu'il occupait, le patron du camp avait autorité sur la prestataire. Les renseignements qu'il a donnés et auxquels on pouvait raisonnablement s'attendre qu'elle se fie l'ont menée à conclure que les conditions étaient sensiblement différentes de celles qu'elle avait acceptées la semaine précédente. Comme l'employeur avait été informé par téléphone le mercredi des préoccupations de la prestataire, cela donnait deux journées entières au cours desquelles il aurait pu répondre et tenter de tirer au clair les sérieux malentendus qu'il y avait relativement aux conditions d'emploi. Il n'y a eu rien d'autre que silence de ce côté.

    Le juge Muldoon a affirmé, dans la décision CUB 12252, SINGH, ce qui suit:

    Selon la jurisprudence, les prestataires doivent raisonnablement subir bien des déceptions et faire preuve de stoïcisme afin de conserver leur admissibilité au bénéfice des prestations et d'éviter l'exclusion, sinon les pénalités. Ce sont des conditions généralement appropriées à un programme collectif d'assurance visant à soulager des chômeurs. Cependant, ce que l'on n'exige pas des prestataires, c'est d'être exploités, trompés ou renvoyés par leur employeur. D'après la preuve, c'est ce que les membres du conseil arbitral semblent avoir trouvé lorsqu'ils concluent: "...la diminution du salaire, de celui qui avait été offert initialement..." Que l'on exclue un prestataire du bénéfice des prestations, parce qu'il ne pouvait être ainsi traité par un employeur qui l'engage mais qui non seulement ne tient pas parole, mais ne respecte pas le contrat de travail, serait alors à l'encontre de l'intérêt public et donnerait à l'administration de la Loi sur l'assurance-chômage une bien mauvaise réputation.

    Il est injuste d'attendre qu'un employé continue de travailler à des conditions sensiblement différentes de celles dont il a été convenu. À mon avis, la prestataire a été mise dans une situation intolérable indépendamment de sa volonté, et sa seule façon d'en sortir était de quitter son emploi. Je conclus que cette prestataire était justifiée, dans les circonstances, de quitter son emploi et de rentrer chez elle.

    En conséquence, l'appel de la prestataire est accueilli et la décision du conseil arbitral est infirmée. Il s'ensuit que l'exclusion de six semaines imposée le 21 septembre 1986 est annulée.

    J. C. McNair

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA
    le 16 mai 1988.

    2011-01-16