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  • CUB 15680

    TRADUCTION

    EN VERTU DE LA Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    et

    En vertu d'un appel interjeté au juge-arbitre par Jennifer M. SICOLI,
    prestataire, pour réexamen de la décision du conseil arbitral
    rendue à Hamilton, Ontario, le 5 janvier 1988.

    Motifs de la décision en vertu
    des sections 95 et 96 de la Loi.

    DÉCISION

    J. MULDOON, JUGE-ARBITRE:

    Dans sa demande de révision d'une décision unanime du conseil arbitral, la prestataire a renoncé à comparaître. Par conséquent, la présente décision est prise à partir d'une lecture du dossier, sans aucun exposé oral.

    Le premier jour où la prestataire a travaillé chez Shoppers' Drug Mart, exploité par Kadish Drugs Ltd. à Burlington, a été le 18 mars 1987. Le dernier a été le troisième jour, soit le 20 mars 1987. Selon une certaine Lenore Porter, qui a écrit dans une lettre relative au rapport d'enquête de la C.E.I.C., "elle a démissionné".

    Une demande d'explications [Pièce 5-1] a ensuite été adressée à la prestataire, où il est indiqué ce qui suit:

    [TRADUCTION]
    Nous vous prions d'indiquer dans l'espace prévu ci-dessous tous les détails concernant la raison pour laquelle vous avez quitté cet emploi, et d'expliquer pourquoi vous n'avez pas mentionné cette cessation d'emploi sur votre carte de déclaration du prestataire.

    La prestataire a rapidement rempli le formulaire [Pièces 5-l et 5-2] et l'a retourné, avec les commentaires suivants:

    [TRADUCTION]
    Autant que je sache, j'ai bien mentionné la période de travail de trois jours sur ma carte de déclaration. Comme je n'en ai pas de copies, veuillez m'en envoyer pour que je puisse vérifier cette question. Si c'est bien mon erreur, veuillez communiquer avec moi par le courrier le plus tôt possible, de sorte que j'aurai une meilleure idée de ce que je dois faire pour régler ce problème. Je suis allée au bureau de l'emploi (rue [nom effacé par le pique-notes], Burlington) pour m'informer de ce que je devrais indiquer sur ma carte de déclaration relativement à mon départ de Shoppers'. La dame derrière le comptoir m'a dit que comme les trois jours en question étaient une période de formation, je devrais inscrire tout simplement "emploi non convenable". Ma carte de déclaration devrait le confirmer.

    La Commission n'a pas produit les cartes. Elle a ensuite amorcé une enquête au sujet de la somme non déclarée de $3.12! Son formulaire de demande de renseignements complémentaires [Pièce 6] se lit comme suit:

    [TRADUCTION]
    Renseignements demandés
    Veuillez expliquer les écarts suivants:
    1. Vous avez indiqué $78 de rémunération pour les 18, 19 et 20 mars 1987, alors que votre employeur, Shoppers' Drug Mart, a déclaré que vous aviez touché un revenu brut de $81.12.
    1. Vous avez indiqué que vous aviez cessé de travailler parce que l'emploi n'était "pas convenable". Votre employeur a déclaré que s'il avait mis fin à votre emploi, c'est parce que vous ne vous étiez pas présentée au travail le quatrième jour, et il a supposé que vous aviez démissionné. Cet employeur avait encore du travail pour vous à ce moment-là, et il n'a pas mis fin à votre emploi pour la raison que vous avez indiquée.
    Votre réponse
    1. L'écart entre les deux montants est attribuable au fait que le montant que j'ai indiqué comme rémunération a été calculé sur une base horaire, moins les retenues. J'ai déposé mes demandes avant d'avoir reçu mon talon de chèque de paye.
    1. La première description de tâches que m'a fournie Shoppers' Drug Mart était extrêmement vague, et elle ne mentionnait pas que je devrais travailler douze jours consécutifs et effectuer de nombreuses tâches sans formation appropriée.

    Le dossier renferme également un avis de trop-payé [Pièce 8] dans lequel la Commission réclame $853 et informe la prestataire qu'elle a été déclarée inadmissible pour une période indéfinie.

    Le premier de trois documents [Pièces 8, 10 et 11] établis par C. Delorme, agent d'assurance, est la "décision de la Commission", Pièce 8, qui est reprise à la Pièce 1 et qui se lit comme suit:

    [TRADUCTION]
    1. En nous fondant sur les renseignements fournis avec votre demande de prestations, nous considérons que vous avez quitté volontairement votre emploi chez Shoppers' Drug Mart sans motif valable. Par conséquent, vous êtes exclue du bénéfice des prestations pour une période de six semaines, commençant le 15 mars 1987. L'exclusion réduira les prestations que vous toucherez.**
    ** Si l'on vous a déjà servi des prestations pour l'une quelconque de ces semaines, il y aura un trop-payé. Vous serez avisée du montant exact que vous devrez rembourser. Si un plein remboursement devait vous causer des difficultés financières indues, communiquez sans tarder avec notre bureau.
    1. Articles 41 et 43 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. [Pièce 8]

    La prestataire a tout de suite répondu, comme l'indique la Pièce 9 où elle interjette appel de cette décision:

    [TRADUCTION]
    J'ai récemment reçu un avis indiquant un trop-payé de $853. Je désire interjeter appel de l'exclusion de six semaines pour les raisons suivantes:
    1. J'ai suivi les instructions qui m'ont été données par l'agent au bureau de Burlington.
    1. Je ne suis jamais entrée officiellement en fonctions chez Shoppers' Drug Mart; je n'ai été là que pour une période de formation de trois jours.
    1. Je n'ai pas accepté le poste parce que:
    a) je faisais moins d'argent qu'auparavant
    b) on me demandait de travailler douze jours consécutifs, avec seulement deux jours de congé à la fin de cette période; on ne m'avait pas expliqué cela lorsque j'ai eu mon entrevue initiale pour le poste.

    Lorsqu'il a reçu cet avis d'appel, C. Delorme aurait apparemment téléphoné au Shoppers' Drug Mart exploité par Kadish, aurait parlé à une certaine Lenore Porter, et aurait écrit ce qui suit, qui est la Pièce 10:

    [TRADUCTION]
    La prestataire a été embauchée pour commencer à travailler le 18 mars 1987. L'employeur forme les nouveaux employés après qu'ils ont été embauchés, non avant.
    La prestataire a peut-être été informée qu'elle devrait travailler 12 jours consécutifs. Toutefois, cela aurait été seulement des demi-journées, non des journées complètes.
    Toutes les conditions de l'emploi ont été expliquées à la prestataire lorsqu'elle a été embauchée.

    Après avoir de nouveau communiqué avec l'employeur pour [TRADUCTION] "faire réfuter les déclarations de la prestataire dans son appel", comme le dit C. Delorme dans les observations de la "Commission" (celles de C. Delorme) [Pièce 11-1] au conseil arbitral, C. Delorme a remis au conseil un exposé tendancieux, partial et tout à fait incomplet et faux des "observations" pour qu'elles correspondent à la décision de la "Commission" (celle de C. Delorme) contre la prestataire, citée ci-dessus [Pièces 1 et 8]. C. Delorme n'a pas plus le droit que la prestataire d'imposer sa version des choses au conseil arbitral. Toutefois, les malheureux arbitres sont laissés dans le noir, car ce sont des profanes qui, bien qu'étant très consciencieux, n'ont peut-être pas de recherchantes pour les aider, et ils n'ont donc accès qu'à la jurisprudence que le rédacteur des observations de la Commission (C. Delorme) daigne leur fournir. Si C. Delorme a cherché à "faire réfuter les déclarations de la prestataire dans son appel" après avoir en premier lieu imposé la décision de la "Commission" contre elle, c'est peut-être trop lui demander de présenter des observations équitables, complètes et objectives au conseil arbitral. Si un agent d'assurance ne peut pas faire cela, il devrait, en toute justice, mentionner au conseil arbitral qu'il existe un autre aspect légitimement pondérable de la jurisprudence, que le prestataire dont la demande a été rejetée connaît probablement encore moins que l'agent d'assurance.

    En l'espèce, la prestataire a affirmé dès le début que ce qu'elle faisait chez Kadish Drugs Ltd. n'était pas un "emploi convenable". Toutefois, l'agent d'assurance n'a pas tenu compte de cette affirmation; il a plutôt imposé sa vision étroite des choses, soit que la prestataire avait volontairement quitté son emploi sans motif valable.

    Il convient de mentionner que l'explication qu'a donnée la prestataire à l'arbitre dans son avis d'appel n'est pas tout à fait bien fondée; toutefois, comme elle n'a jamais demandé de prestations d'assurance-chômage depuis qu'elle a commencé à travailler à l'âge de 14 ans, on peut l'excuser d'avoir douté de l'indépendance essentielle requise des arbitres. Elle ne connaît pas la Loi et le Règlement aussi bien que l'agent d'assurance. Peu importe la source de rémunération des arbitres, ils doivent exercer leur rôle d'une façon tout à fait impartiale. Et même là, certains prestataires perdent effectivement leur appel, même s'il est fondé sur des motifs tout à fait légitimes. Les arbitres ne représentent pas et ne doivent jamais tenter d'aider la Commission, l'employeur concerné ou le prestataire concerné. Leur indépendance doit transcender ces notions partisanes.

    Un problème dans les observations de l'agent d'assurance au conseil arbitral, qui a un rapport avec la question telle qu'elle a été présentée au conseil et avec l'un des motifs que fait valoir la prestataire, est énoncé de la façon suivante dans la Pièce 11-1:

    [TRADUCTION]
    La prestataire a mentionné qu'elle faisait moins d'argent qu'auparavant. Dans la décision n° 9599, le juge-arbitre a conclu qu"'un salaire inférieur à ce que l'on s'attend est préférable au chômage", et l'exclusion a été maintenue.

    Si on examine cette situation du point de vue de la prestataire, on pourrait se demander si elle s'est vu offrir un emploi convenable.

    Qu'est-ce que le Parlement a adopté concernant un salaire inférieur à ce que l'on s'attend? Pour ce qui est d'un emploi convenable, l'article 40 de la Loi dispose ce qui suit:

    40(2) Aux fins du présent article et sous réserve du paragraphe (3), un emploi n'est pas un emploi convenable pour un prestataire s'il s'agit
    (c) d'un emploi d'un genre différent de celui qu'il exerce dans le cadre de son occupation ordinaire, à un taux de rémunération inférieur ou à des conditions moins favorables que le taux ou les conditions qu'il pourrait raisonnablement s'attendre à obtenir, eu égard aux conditions qui lui étaient habituellement faites dans l'exercice de son occupation ordinaire ou qui lui auraient été faites s'il avait continué d'exercer un tel emploi.
    (3) Après un délai raisonnable à partir de la date à laquelle un assuré s'est trouvé en chômage, l'alinéa (c) du paragraphe (2) ne s'applique pas à l'emploi qui y est visé s'il s'agit d'un emploi à un taux de rémunération qui n'est pas inférieur et à des conditions qui ne sont pas moins favorables que le taux ou les conditions appliqués par convention entre employeurs et employés ou, à défaut de convention, admis par les bons employeurs.

    La prestataire affirme que le salaire qu'elle touchait chez Kadish était inférieur au salaire minimum, et elle répète [Pièce 18-4] que [TRADUCTION] "ce genre de salaire convient à une période de formation et douze journées complètes consécutives étaient prévues".

    Dans la décision CUB 7309, Le RICHE [15 juin 1982], le juge-arbitre, M. le juge Dubinsky, a déclaré (à la page 7) ce qui suit:

    Le Parlement est conscient du fait qu'un appelant habitué à gagner un bon salaire ou à travailler dans de bonnes conditions est peu disposé à accepter un salaire moindre ou des conditions moins favorables. Un appelant peut donc toucher des prestations et continuer de les toucher, même s'il refuse un emploi, pourvu que cet emploi ne soit pas "convenable", conformément aux dispositions de l'article 40(2)(c). Toutefois, l'appelant ne peut bénéficier de cette immunité que pendant un certain temps (jugé raisonnable) et, n'en déplaise à d'autres, je crois qu'une période de deux mois, et à plus forte raison de trois mois, est un délai raisonnable. J'estime qu'ensuite l'article 40(3) s'applique.

    Bien entendu, la prescription de "deux mois, et à plus forte raison de trois mois" n'est pas gravée dans une pierre inusable, car le Parlement n'a pas défini "un délai raisonnable". Ce délai doit donc être déterminé en fonction des circonstances, mais si la Commission juge qu'il est sur le point d'expirer, elle doit prévenir le prestataire qu'il doit, soit élargir son domaine de recherche d'emploi, soit accepter un salaire inférieur ou des conditions de travail moins favorables, de crainte qu'il se retrouve sans prestations ni salaire.

    Voilà l'opinion qu'a exprimée le juge-arbitre dans la décision CUB 5491, CROWE. Dans la décision CUB 7309, Le RICHE (citée ci-dessus, mais non dans les observations de l'agent d'assurance au conseil arbitral), la Commission, par l'entremise de ses agents, a accordé à Mme Le Riche un délai de six mois pour se trouver un emploi convenable. En dépit de l'opinion du juge-arbitre à ce moment-là, ces agents et mandatera de la Commission étaient davantage conscients de l'objet de la Loi, qui depuis lors a deux fois été réitéré par la Cour suprême du Canada, que ne l'était le savant juge-arbitre. Voir: ABRAHAMS c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, et HILLS c. Procureur général du Canada, [1988] 1 R.C.S. 513. Comme l'a déclaré Mme le juge L'Heureux-Dubé dans GAGNON c. C.E.I.C., le 28 juillet 1988, N° 19529 - Cour suprême du Canada, à la page 23 de ses motifs:

    Ce n'est pas pour autant dire que les dispositions de la Loi sont d'une grande limpidité! Tenter de les réconcilier les unes avec les autres constitue un exercice d'acrobatie peu commun. Si tant est qu'au cas d'ambiguité, si tel était le cas ici, deux interprétations sont possibles, compte tenu de l'objectif de la Loi qui est d'indemniser les travailleurs involontairement sans emploi, le bénéfice du doute doit profiler au travailleur. [ABRAHAMS c. Procureur général du Canada, précité].

    Il se peut que la jurisprudence soit comme la Bible et que les esprits vifs puissent l'interpréter de la façon qu'ils l'entendent. Si tel est le cas, les arbitres ne devraient pas être tenus dans l'ignorance de cet état de choses. La jurisprudence n'est presque jamais aussi monolithique et contre les prestataires que les agents d'assurance le laissent entendre dans les observations aux conseils arbitraux. Ici encore, tout simplement pour rétablir l'équilibre, on pourrait citer la décision CUB 13766, HOBERG, une décision de Mme le juge Reed qui a été rendue quelque six mois avant que C. Delorme rédige les observations en l'espèce. Dans cette affaire, on a de nouveau répète qu'une prestataire a droit à une période raisonnable pour se trouver un autre emploi dans le cadre de son occupation ordinaire avant qu'on lui demande d'élargir sa recherche pour inclure l'emploi qu'elle a refusé.

    Il est évident qu'un prestataire raisonnable posera à un employeur éventuel des questions pertinentes au sujet d'une possibilité d'emploi. Ce prestataire pourrait peut-être même (non "devrait") essayer l'emploi à titre provisoire avant de décider s'il constitue un emploi convenable. A cet égard, on pourrait se référer à la décision CUB 10113, THERRIEN, et à la décision CUB 13421, ROGERSON. Dans la première, le juge Denault, en février 1985, a jugé qu'un taux de rémunération inférieur peut constituer un motif valable. Dans la décision CUB 13421, le juge Martin, en mars 1987, est arrivé, à la page 2, à la conclusion intéressante suivante: le fait qu'un emploi crée de sérieux problèmes pour la personne qui l'occupe pourrait constituer un motif valable pour le quitter volontairement. Le fait qu'un emploi pourrait créer les mêmes problèmes ne peut pas... constituer un motif valable pour le refuser. En l'espèce, je note que la prestataire n'a pas tout simplement fait la dégoûtée devant l'emploi que lui offrait Kadish: elle l'a essayé, avant de décider qu'il n'était pas convenable, comme elle avait manifestement le droit de le faire. Cependant, aucun prestataire ne doit être perspicace au point d'être clairvoyant. Et pourtant, en l'espèce, une prestataire apparemment très intelligente, qui devrait normalement être plus perspicace que la moyenne, a aussi été singulièrement prudente au point d'accepter une période de stage alors qu'elle aurait pu tout simplement refuser l'emploi parce qu'il n'était pas convenable, après s'être contentée de poser quelques questions intelligentes.

    Les circonstances dans la décision CUB 9599, ANGLEHART, citée au conseil arbitral, étaient sensiblement différentes de celles de l'espèce. En fait, il est loin d'être certain que le juge Grant avait l'intention d'imposer une règle rigide d'application universelle dans le contexte de sa décision. Le présent juge-arbitre, après y avoir réfléchi, propose maintenant de formuler une règle rigide d'application universelle. Cette règle est la suivante. Après une courte période (non définie) pendant laquelle il essaie l'emploi offert, un prestataire à la recherche d'un emploi convenable a autant le droit d'invoquer un motif valable pour avoir volontairement quitté l'emploi s'il s'agit d'un emploi non convenable, que le prestataire qui refuse l'emploi parce qu'il n'est pas convenable a le droit d'invoquer un motif valable pour le refuser. Une période raisonnable (non définie) pourrait être environ un mois dans le nouvel emploi pour bien se familiariser avec les tâches qu'il comporte, car normalement après cette période, le prestataire, à titre d'employé, semblerait n'avoir plus aucune objection concernant le caractère convenable de l'emploi et, en toute justice, on pourrait l'empêcher - ou tout simplement ne pas lui permettre - de démissionner volontairement sans un "motif valable" démontrable de façon indépendante.

    En l'espèce, en trois jours la prestataire a évalué ce qu'elle devait faire, et elle a rejeté cet emploi offert à titre provisoire comme étant non convenable. Toutefois, l'agent d'assurance - celui qui a imposé l'exclusion - celui qui a recueilli les preuves contraires - et celui qui a formulé les observations limitées et incomplètes à l'intention du conseil arbitral, avait une opinion tellement étroite du comportement de la prestataire qu'il s'est acharné, en dépit des tentatives faites par la prestataire pour l'éclairer, de sorte que l'autre point de vue aurait au moins pu être considéré. Pour moi, la façon dont la prestataire envisage la chose est celle qui est juste.

    Toutefois, la jurisprudence et le bon sens nous amènent à conclure que ce dont le conseil arbitral est saisi dans une décision portée en appel, c'est la question soulevée par la décision de l'agent d'assurance contre le prestataire. La Cour d'appel fédérale, pas plus tard qu'en mars 1988, a réitéré le principe énoncé dans HAMILTON c. Procureur général du Canada [A-175-87]:

    Il est de droit constant que ce qu'un conseil arbitral, un juge-arbitre et cette cour doivent trancher est la décision que la Commission a rendue, et non pas celle qu'elle aurait pu et, peut-être, avec du bon sens, aurait dû rendre.

    Par conséquent, si la preuve présentée au conseil arbitral au moment de son audition n'a tout simplement pas de rapport avec la question soulevée par la décision de la Commission (celle de l'agent d'assurance) contre le prestataire, le conseil arbitral doit avoir le courage viscéral et faire preuve de suffisamment d'indépendance pour faire fi tout simplement de cette décision non pertinente et accueillir l'appel du prestataire. C'est probablement, et j'irais même jusqu'à dire, sûrement ce qu'il aurait dû faire en l'espèce.

    Il convient maintenant d'examiner pourquoi le conseil arbitral a rejeté l'appel de la prestataire et confirmé la décision de l'agent d'assurance.

    Il y avait certainement un conflit dans les versions des faits, la prestataire affirmant que le problème était un emploi non convenable selon l'article 40 de la Loi et non un départ volontaire aux termes de l'article 41. On n'a pas produit de relevé d'emploi pour les trois jours que la prestataire a travaillé pour Kadish Drugs. Mise à part une erreur humaine pardonnable, remédiable et corrigée dans l'affaire du $3.12, la prestataire a été honnête et conséquente dès le début, affirmant [Pièce 5-2] que l'emploi n'était pas convenable. Elle l'a répété dans la Pièce 6. Dans la Pièce 9, soit son appel devant le conseil arbitral [cité ci-dessus], elle a donné plus de précisions, déclarant qu'elle n'avait été embauchée que pour une période de formation de trois jours et quelle n'avait pas accepté le poste. La Pièce 10, les preuves contraires obtenues par l'agent d'assurance, confirment plutôt l'affirmation de la prestataire concernant le caractère vague des déclarations de Kadish, mais elles entraînent, à tort, l'agent d'assurance et le conseil arbitral dans une discussion non pertinente sur la question de savoir si la prestataire était embauchée (probablement à un taux inférieur au salaire minimum), ou si l'employeur embauche d'abord et forme ensuite, ou vice-versa. Cela n'a aucune importance, compte tenu du principe que j'ai énoncé ci-dessus. La prestataire a refusé un emploi non convenable. Trois jours ne constituent pas une période suffisante pour empêcher la prestataire , ou me les plus crédules, de croire qu'après seulement trois jours, elle n'avait plus d'objection quant au caractère convenable de cet emploi putatif ou de cette formation en cours d'emploi, peu importe de quoi il s'agissait.

    En dépit de cette preuve objective à l'appui de la position de la prestataire portent qu'elle n'avait pas quitté volontairement son emploi au sens où l'entend l'article 41, le conseil arbitral a décidé de croire la preuve par ouï-dire que lui avait présentée l'agent d'assurance. Le "motif valable" qu'a prouvé la prestataire - et que l'agent d'assurance et, plus tard, le conseil arbitral ont rejeté - est énoncé à l'alinéa 40(2)(c) de la Loi. En l'espèce, il est évident que le conseil arbitral a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance. Les arbitres ne devraient jamais devenir totalement dépendants des agents d'assurance pour définir ce dont ils sont saisis, car les agents d'assurance ont manifestement un intérêt dans ces affaires, étant pour leurs propres décisions et contre les prestataires.

    Et maintenant, comment le conseil arbitral a-t-il traité le conflit entre la preuve par ouï-dire de l'employeur et l'exposé personnel de la prestataire? Il semble certain qu'il n'a pas été informé de la jurisprudence sur cette question. Qu'il soit bien entendu que les arbitres ont le droit d'accepter des preuves par ouï-dire, parce qu'ils ne sont pas liés par les mêmes règles strictes de la preuve que le sont les tribunaux. Voir: Procureur général du Canada c. MILLS, [A-1873-83 - Cour d'appel fédérale]. La façon dont cette preuve par ouï-dire est considérée peut faire ressortir les pièges dans lesquels on peut tomber si on ne respecte pas les règles de la preuve.

    Dans la décision CUB 15252, BANKS [mai 1988], le juge-arbitre a déclaré ce qui suit:

    ...un employeur n'a pas le droit d'être réputé plus crédible qu'un employé. La crédibilité doit être déterminée à partir de la preuve, documentaire et orale, dont est saisi le conseil arbitral. Au début, aucune des parties ne bénéficie d'une présomption de crédibilité favorable (ou défavorable).

    Dans la décision CUB 10720, WALLACE [juin 1985], le juge Strayer:

    Si la Commission ne présente pas une preuve plus convaincante que des informations par ouï-dire et de seconde main, l'appelant ne devrait pas être pénalisé parce que le conseil a été incapable d'interroger directement l'employeur.

    Voir également la décision CUB 10726, FARSAD [juin 1985], le juge Cullen:

    La question de crédibilité doit être jugée en bonne et due forme par le conseil arbitral; par conséquent, tous les efforts possibles doivent être faits pour obtenir un témoignage oral direct: "Je sais que le conseil a le droit d'utiliser la preuve par ouï-dire et que les procédures ne sont pas trop strictes de façon à ce que les auditions se passent dans le climat le plus détendu possible. Ici toutefois, le conseil arbitral a du se prononcer sur les dires d'une personne qui avait obtenu ces renseignements de seconde main, et il a du utiliser des renseignements provenant d'un M. Tierney, autre agent de l'employeur qui, de l'avis de la prestataire, [TRADUCTION] "ne connaît pas plus le cas de Mme FARSAD que D. Loveridge" [l'agent de la Commission]".

    Ensuite, dans la décision CUB 10720, WALLACE:

    Dans les cas où les preuves se contredisent, le juge-arbitre peut décider que si l'on ignore une preuve orale claire et que l'on préfère des déclarations écrites par ouï-dire, cela peut aboutir à une décision de fait erronée prise sans tenir compte des éléments de preuve portés à la connaissance du conseil.

    Dans la décision CUB 12516, McFATER [août 1986], le juge McNair:

    Le conseil a commis une erreur en rejetant la preuve de la prestataire au motif qu'elle n'était pas dûment établie, et en se fondant sur la preuve par ouï-dire de l'employeur.

    Décision CUB 12897, PULZONI [novembre 1986], le juge Reed:

    Lorsqu'il y a des raisons de douter de la crédibilité de preuves écrites, le conseil ne devrait pas se fier à ces dernières lorsqu'elles sont contredites par des témoignages oraux - des personnel auraient dû être convoquées et interrogées sur leurs déclarations écrites, afin d'évaluer la crédibilité de ces preuves avant que l'on s'appuie sur elles.

    CUB 13307, INTROWSKI [février 1987], le juge McNair:

    Le conseil a fondé sa décision sur la version écrite des faits exposés par l'employeur qui n'a pas comparu devant lui - cela relève du poids de la preuve plutôt que de sa stricte admissibilité - le juge-arbitre refuse d'accorder beaucoup de poids à la preuve par ouï-dire.

    CUB 13366, McIVOR [mars 1987], le juge Strayer:

    Il est loisible au juge-arbitre de conclure que lorsqu'un conseil arbitral n'a pas tenu compte de preuves orales claires, corroborées, et qu'il y a préféré des déclarations par ouï-dire au dossier, le conseil a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. A la page 2:
    Bien qu'il ne m'appartienne pas de dicter la façon dont une audition doit être faite, il me semble important que le conseil ne devrait pas comme cela ignorer les preuves directes et orales, qui peuvent faire l'objet d'un contre-interrogatoire, au profit de ouï-dire indirect qui y échappe.

    Il était déjà évident que l'on avait conclu que le conseil arbitral avait rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance; la jurisprudence citée ci-dessus indique également que le conseil arbitral a commis cette erreur, comme le mentionne le juge Strayer dans la décision CUB 13366, McIVOR.

    Dans ces circonstances, même si le conseil arbitral croyait encore qu'il devait suivre la mauvaise voie que lui indiquait l'agent d'assurance, la décision qu'il aurait dû rendre concernant l'exclusion était de la réduire au minimum essentiel d'une semaine. Lorsque le Parlement prévoit une peine maximale (six semaines en l'espèce), son intention est de ne l'imposer que dans les pires cas. Compte tenu des doutes que le conseil aurait dû reconnaître dans la preuve dont il était saisi, l'espèce est loin d'être l'un de ces pires cas.

    Toutefois, la décision que le conseil arbitral aurait vraiment dû rendre était de ne pas tenir compte, étant donné la preuve, de la fausse optique de la décision faisant l'objet de l'appel, d'annuler cette décision et d'accueillir l'appel de la prestataire. Dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés à l'article 96 de la Loi, le présent juge-arbitre, par les présentes,

    1. rend la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre:

    a) l'appel est accueilli;
    b) la décision de la Commission énoncée aux Pièces 1 et 8 citées dans les présentes est annulée;

    et

    2. annule complètement la décision du conseil arbitral rendue à Hamilton le 5 janvier 1988.

    F. C. Muldoon

    Juge-arbitre

    Ottawa, Ontario
    le 19 août 1988

    2011-01-16