TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI DE 1971 SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
THERESA BLAIR
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire à l'encontre d'une décision rendue par un conseil arbitral le 13 juillet 1988 à Saskatoon (Saskatchewan)
DÉCISION
Le juge TEITELBAUM
La prestataire, Theresa Blair, interjette appel devant un juge-arbitre à l'encontre d'une décision unanime d'un conseil arbitral rendue le 13 juillet 1988 (pièce 18).
L'appel devant un juge-arbitre est fait en vertu de l'article 95 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage (ci-après la Loi).
95. Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel de la manière prescrite, devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l'employeur est membre, au motif que, selon le cas :
a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Dans son avis d'appel devant un juge-arbitre, la prestataire a invoqué l'alinéa 95 c) (pièce 26-2).
Jusqu'au 30 juin 1986, la prestataire a travaillé à titre d'enseignante pour le Saskatoon West School Board. Elle a présenté une demande de prestations le 1er novembre 1987 (pièce 2), à laquelle elle a joint une lettre expliquant la raison de sa demande tardive (pièce 3).
La prestataire a affirmé qu'au début du mois de juin 1986, le directeur de l'école où elle enseignait lui avait suggéré de présenter une demande de prestations en vertu de la Loi, étant donné qu'elle avait été engagée sur contrat, lequel devait durer du mois d'août au mois de décembre, mais s'était prolongé jusqu'au mois de juin 1986. À la suite de cette conversation, la prestataire a communiqué avec la Commission pour s'informer des procédures à suivre pour présenter une demande de prestations, et on lui a répondu qu'elle devait avoir un relevé d'emploi. La prestataire a alors téléphoné au bureau de la Saskatoon West Division de son employeur, où on lui a dit qu'elle ne serait pas admissible au bénéfice des prestations et qu'il ne servait donc à rien de lui donner un relevé d'emploi.
La prestataire est retournée voir le directeur de l'école où elle enseignait et lui a rapporté la situation. Le directeur lui a dit qu'il pensait que les renseignements qu'elle avait obtenus étaient inexacts. La prestataire a de nouveau téléphoné à son employeur, qui lui a répété la même chose que lors de leur conversation précédente. La prestataire s'est présentée en personne au bureau de son employeur pour tenter d'obtenir son relevé d'emploi, mais en vain. Devant le refus de son employeur de lui donner son relevé d'emploi sous prétexte qu'elle n'était pas admissible au bénéfice des prestations, la prestataire a « laissé tomber ». Lorsqu'elle est retournée à l'école au mois de septembre, elle a appris que deux collègues dans la même situation qu'elle ou presque avaient reçu des prestations.
Le 8 décembre 1987, la prestataire a demandé de faire antidater sa demande initiale de prestations (pièce 8), répétant en partie ce qu'elle avait mentionné dans sa lettre datée du 29 novembre 1987 (pièce 3) :
« Entre les mois de mai et de juin j'ai tenté à plusieurs reprise d'obtenir mon relevé d'emploi du bureau du Saskatoon West School Board. J'ai téléphoné au bureau et je m'y suis rendue en personne, mais en vain. On m'a dit que je ne serais pas admissible et que par conséquent, ils ne me fourniraient pas de relevé d'emploi (j'ai été engagée sur contrat temporaire d'août 1985 à décembre 1985, de décembre 1985 à juin 1986, puis d'août 1986 à juin 1987). »
La demande d'antidatation a été refusée. Le 10 mars 1988, la Commission a envoyé un avis de refus à la prestataire :
« Selon les renseignements présentés avec votre demande, vous n'êtes pas admissible à l'antidatation de celle-ci de manière à ce qu'elle prenne effet le 1er septembre 1985. Vous n'avez pas prouvé que pendant toute la période allant du 1er septembre au 28 novembre 1987, le retard de la présentation de votre demande était justifié.
Nous avons cependant déterminé que votre demande entrerait en vigueur le 29 novembre 1987. Cette décision est fondée sur le paragraphe 29(4) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et sur l'article 39 du Règlement sur l'assurance-chômage. »
(pièce 9)
La prestataire a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral. À la réception de l'avis d'appel de la prestataire (pièce 10), la Commission a réexaminé la demande d'antidatation de la prestataire et lui a envoyé un nouvel avis de refus, daté du 20 avril 1988, qui est libellé comme suit :
« Selon les renseignements présentés avec votre demande, vous n'êtes pas admissible à l'antidatation de celle-ci de manière à ce qu'elle prenne effet le 1er septembre 1985. Vous n'avez pas prouvé que pendant toute la période allant du 1er septembre au 28 novembre 1987, le retard de la présentation de votre demande était justifié.
Nous avons cependant déterminé que votre demande entrerait en vigueur le 29 novembre 1987.
Cette décision est fondée sur le paragraphe 29(4) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et sur l'article 39 du Règlement sur l'assurance-chômage. »
(pièce 12)
Cette décision a été portée en appel devant un conseil arbitral qui, le 8 juin 1988, a commencé l'audience, mais l'a ajournée le même jour en recommandant à la Commission de mener une enquête auprès de la secrétaire du Saskatoon West School Board (Darlene Roney) au sujet de l'information alléguée obtenue d'un agent de la Commission en juin 1986, à savoir qu'un enseignant engagé sur contrat temporaire ne pouvait être admissible au bénéfice des prestations pendant les deux mois d'été (pièce 15).
L'enquête, menée par un dénommé D. Earl le 14 juin 1988, semble corroborer la version de la prestataire donnée aux pièces 3 et 8.
« 1. Si l'enseignant a été engagé sur contrat temporaire et si ce contrat n'a pas été renouvelé avant le dernier jour du mois de juin ou ce jour même, le relevé d'emploi est délivré en même temps que le chèque de paye du mois de juin. Si le contrat temporaire a été renouvelé avant le dernier jour du mois de juin ou ce jour même, que ce soit à titre de nouveau contrat temporaire ou de contrat permanent, aucun relevé d'emploi n'est délivré.
2. Au fil des ans, elle a communiqué avec le bureau à bon nombre d'occasions, et elle ne peut se rappeler qui lui a donné cette information. Elle a parlé à Goldie Lindenbach à plusieurs reprises, mais elle ne peut se rappeler si cette employée est bien celle qui lui a donné les directives relatives à l'envoi des relevés. En décembre dernier, avant d'envoyer les relevés de la prestataire, elle a de nouveau communiqué avec le bureau et on lui a dit de procéder à l'envoi, car la prestataire ne serait probablement pas admissible. »
[Traduction]
(pièce 16)
Le conseil arbitral, composé de seulement deux membres, soit les mêmes membres qui avaient commencé l'audience le 8 juin 1988, a décidé de confirmer la décision de la Commission.
« À la pièce 1, la date indiquée aurait dû être le 1er juillet 1986 et non le 1er septembre 1985.
Le conseil a convenu à l'unanimité que la demande d'antidatation de la prestataire au 1er juillet 1986 était déraisonnable. Cette dernière a admis avoir communiqué avec le bureau du Centre des ressources humaines du Canada pour obtenir des renseignements généraux. Elle n'a pas démontré qu'elle était justifiée d'avoir tardé plus d'un an à présenter sa demande.
Après avoir été informée de la situation de ses deux amies enseignantes, la prestataire aurait dû communiquer immédiatement avec la Fédération des enseignantes et des enseignants afin d'obtenir des explications et de faire une demande d'antidatation.
Au cours de l'été 1987, du 20 juin au 17 août, la prestataire a travaillé pour Cradle & All et n'était donc pas sans emploi.
En vertu de l'article 17 et du paragraphe 20(4) de la Loi sur l'assurance-chômage, et en vertu de l'article 39 du Règlement sur l'assurance-chômage, la prestataire n'est pas admissible au bénéfice des prestations.
L'appel est rejeté. »
[Traduction]
Cette décision est maintenant portée en appel devant un juge-arbitre. La prestataire a été « mise en disponibilité » le 30 juin 1986 et elle n'a pas travaillé au cours des mois de juillet et d'août. Elle s'est fait offrir, encore une fois, un contrat temporaire commençant le 1er septembre 1986, contrat qu'elle a accepté.
Les dispositions législatives relatives à l'antidatation d'une demande de prestations sont les suivantes :
20(1) Une période initiale de prestations débute le dimanche
a) de la semaine au cours de laquelle survient l'arrêt de la rémunération, ou
b) de la semaine au cours de laquelle est formulée la demande initiale de prestations si elle est postérieure à celle de l'arrêt de rémunération.
20(4) Lorsqu'un prestataire formule une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la formuler et fait valoir un motif justifiant son retard, la demande peut, sous réserve des conditions prescrites, être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
L'article 39 du règlement est ainsi formulé :
39. Antidatation
Une demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement si le prestataire prouve :
a) qu'à cette date antérieure il remplissait les conditions requises à l'article 17 de la Loi pour recevoir des prestations; et
b) que, durant toute la période comprise entre cette date antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa demande, il avait un motif justifiant le retard de sa demande.
En se référant aux articles susmentionnés, le juge McNair, dans la décision CUB 15920, a déclaré :
Selon ces articles, le prestataire doit satisfaire à deux conditions pour pouvoir faire antidater sa demande de prestations : il doit avoir un motif valable pour justifier la présentation tardive de sa demande et il doit être admissible au bénéfice des prestations conformément à l'article 17 de la Loi le jour précédant sa demande. L'article 17 de la Loi stipule que pour être admissible au bénéfice des prestations, un assuré doit avoir exercé un emploi assurable pendant le nombre de semaines requis, et il doit y avoir eu un arrêt de la rémunération.
[Traduction]
La prestataire a-t-elle démontré qu'elle avait un motif valable pour justifier sa demande tardive? Le principe du « motif valable » a été examiné dans un certain nombre de cas. Dans l'affaire Albrecht [1985], 1 C.F. 710, le juge Marceau a déclaré ce qui suit (à la page 718 de l'original) :
« À mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un "motif valable" s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande. »
Il ne fait aucun doute que la prestataire a fait ce qu'une « personne raisonnable » aurait fait. Je suis convaincu qu'une « personne raisonnable » n'aurait pas songé, après s'être fait dire à trois reprises qu'elle n'était pas admissible - entre autres, après s'être fait confirmer la réponse par une conversation téléphonique entre le représentant du conseil scolaire et le représentant de la Commission - à s'adresser à la Fédération des enseignantes et des enseignants pour obtenir des éclaircissements. La prestataire a vraiment agi raisonnablement lorsqu'elle a décidé, après s'être fait confirmer pour la troisième fois qu'elle n'était pas admissible, de laisser tomber. Cela est particulièrement compréhensible si l'on songe que la prestataire, lorsqu'elle s'est rendue au bureau de la Commission, s'est fait répondre qu'elle devait joindre son Relevé d'emploi à sa demande de prestations.
Elle a présenté des « motifs valables » au sens de la Loi.
La prestataire n'a pas travaillé pendant les mois de juillet et d'août 1986. Elle avait accumulé le nombre d'heures d'emploi assurable requis pour être admissible au bénéfice des prestations.
L'appel est accueilli.
Max M. TEITELBAUM
Juge-arbitre
OTTAWA
Le 17 février 1989