TRADUCTION
Daté le 23 mai 1989
LITIGE: Antidatation - Article 9(4) Loi
APPELANT: Prestataire
DÉCISION: Accueilli
PRESTATAIRE: Corinne SORRIENTO
DÉCISION
BARBARA J. REED, JUGE-ARBITRE:
La prestataire interjette appel de la décision du conseil arbitral qui refuse d'antidater sa demande de prestations de maladie. La prestataire a été avisée de l'heure, du jour et de l'endroit de l'audition et avait indiqué au registraire qu'elle prévoyait y être présente. Elle a également indiqué que si elle ne pouvait s'y rendre, elle acceptait que la décision soit prise au vu du dossier. Elle n’a pas assisté à l'audition.
La prestataire essaie de faire antidater du 22 août 1986 la demande de prestations qu'elle a déposée le 23 octobre 1986, afin de pouvoir obtenir des prestations de maladie. Le 23 août 1986, elle fut conduite d'urgence à l’hôpital de Vancouver. Elle y a passé les six semaines suivantes. En lui donnant son congé, son médecin lui a ordonné de prendre trois semaines de convalescence à la maison. Elle retourna ensuite au travail où son représentant syndicat lui dit qu'elle aurait dû faire une demande de prestations de maladie.
Le conseil n'énonce pas expressément quel critère il a suivi pour décider de ne pas accorder à la prestataire la permission d'antidater sa demande. La Commission a présenté au conseil arbitral [pièces 10-1 et 10-2] ses observations en lui expliquant quelle jurisprudence il devrait suivre:
La décision de l'agent d'assurance de refuser d'antidater la demande s’appuie sur la décision CUB 8126 dans laquelle le juge-arbitre affirme que pour faire état d'un motif valable de retard, le prestataire doit prouver qu'il n'a pu faire une demande de prestations plus tôt à cause de circonstances indépendantes de sa volonté.
Même si Mme Sorriento, dans sa lettre d'appel (pièce 8) affirme avoir été hospitalisée pendant deux mois, l'agent d'assurance juge qu'il n'y a pas là de fait nouveau et qu'elle aurait pu, soit à l’hôpital, soit en convalescence à la maison, charger une autre personne d'agir en son nom et au moins demander une formule de demande, la remplir et l'expédier par la poste à la Commission.
Dans la décision 8613, le juge-arbitre a décidé:
"... Or, le prestataire, bien qu’étant très malade, aurait pu téléphoner à son bureau ou envoyer quelqu’un le représenter."
En bref, Mme Sorriento n'avait pas de motif valable pour expliquer son retard de huit (8) semaines...
Le texte original de la décision par laquelle la Commission refuse d'antidater la demande [pièce 4] porte l'explication suivante: "n’a pas été empêchée de déposer une demande".
Comme le conseil arbitral n'exprime pas clairement dans sa décision le critère retenu et à la lumière des observations de la Commission au conseil, je crois qu'il est juste de conclure que le conseil a appliqué un critère précédant l’affaire Albrecht pour décider s'il devait ou non accorder la demande d’antidatation. Il a en fait appliqué un critère trop contraignant. Conséquemment à mon avis, la décision du conseil se fonde sur une erreur de droit. J'exercerai donc le pouvoir que me confère l’article 96 de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage et je rendrai la décision que le conseil aurait dû rendre.
Le critère à suivre pour décider s'il faut ou non accorder une demande d'antidatation est exposé dans l'affaire du Procureur général du Canada c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.F.). Selon ce critère, il faut se demander si le [ou la] prestataire peut prouver qu'il [ou elle] a fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans sa situation.
La commission prétend que même si le conseil avait appliqué ce critère, il serait arrivé à la même décision. Elle prétend que cette conclusion découle du fait que l'omission de la prestataire de présenter sa demande plus tôt s'expliquait pour une large part par le fait qu'elle ne savait pas, tant que son représentant syndicat ne l'a pas avisée, qu'elle avait le droit de demander et de recevoir des prestations de maladie. La Commission cite L.D. Aubin c. La Commission d'assurance-chômage (n° de greffe A-52-86; décision datée du 4 août 1986) qui confirme la décision CUB 11578. La Commission cite également la décision CUB 12798 (Bassi), rendue par mon collègue M. le juge Rouleau, le 24 octobre 1986.
Dans l'affaire Aubin, le prestataire a attendu plus de cinq mois avant de déposer sa demande. Il a donné les raisons suivantes pour ne pas faire une demande de prestations ordinaires: il ne se croyait stations parce qu’il avait une entreprise autonome; il n’était pas à court d’argent à ce moment-là; il espérait avoir un emploi avant la fin de la période d’exclusion à laquelle, de toute façon il devait se soumettre.
Dans l’affaire Bassi, le retard s’étendait sur plus de six mois. Au cours des trois premiers mois, le prestataire avait reçu des prestations de maladie de son employeur et une allocation de sa compagnie d’assurance-automobile. M. le juge Rouleau a décrété:
La seule raison que le prestataire a donnée pour justifier son retard à présenter sa demande a été son ignorance de son droit aux prestations, droit dont il a {sic} été informé par un avocat qu’en avril 1985. Bien que l’ignorance de la loi ne s’applique plus strictement au motif valable, il doit cependant y avoir une certaine explication raisonnable du retard à présenter une demande de prestations. Comme l’a déclaré le juge Hugessen dans l’affaire Procureur fédéral du Canada c. Julien Gauthier (A-1789-83):
"Tout au moins, selon nous, le motif valable doit également s’entendre de certaines circonstances dans lesquelles il est raisonnable pour un prestataire de retarder sciemment le dépôt de sa demande."
Il est évident que dans le cas présent, le prestataire n’a fait aucune démarche pour déterminer s’il était admissible aux prestations et il n’existe aucune circonstance atténuante pour justifier le retard que lui est imputé.
La Commission a renvoyé à la décision Bassi, mais la décision CUB 12027 rendue par mon collègue M. le juge Joyal, dans l'affaire Flanders, me semble plus près des faits de l’espèce:
L’appelant était un vendeur à commission employé par Michael White Realties Inc. de Montréal. Vers le 12 janvier 1984, il est entré à l'hôpital pour des examens. Les examens ont révélé un cancer du rein. Le 24 janvier 1984, il a été opéré et a subi l’ablation d’un rein. Il a reçu won congé de l'hôpital le 3 février 1984 et est rentré à la maison, où il a été en convalescence pendant environ 6 semaines et demie. Le 26 mars 1984, il est retourné travailler.
À titre d'agent à commission, l'appelant n'avait droit à aucune assurance-salaire pour compenser ses dix semaines d'incapacité. En outre, comme il l'a admis ouvertement, il n’était absolument pas au courant du fait qu'il pouvait toucher des prestations d’assurance-chômage pendant sa maladie. Son employeur n'avait pas de commis au personnel pouvant le mettre au courant de cette disposition particiulière de la loi touchant cette période qui n'est pas du chômage. Ayant contribué au fonds de l'assurance-chômage pendant des années, mais sans avoir jamais fait de demande de prestations, il ne savait pas qu'il pouvait toucher des prestations pour un motif médical. Il savait encore moins qu’il devait présenter une demande pour ce genre de prestations dans un délai donné.
Selon la déclaration qu'il a faite à la Commission le 4 juin 1984, il n’a été informé de la disposition de la loi ayant trait aux prestations de maladie que par son comptable. Par conséquent, le 2 mai 1984, il s'est présenté au bureau de la Commission, s’est procuré la formule prescrite et l'a fait parvenir à son médecin pour que ce dernier la remplisse. Il a reçu la formule remplie le 4 juin 1984 et, le même jour, il s'est à nouveau rendu au bureau de la Commission, a présenté sa demande de prestations et a demandé l'antidatation de sa demande.
La Commission a refusé d'antidater sa demande en alléguant que "le délai était trop long pour le motif invoqué".
Le prestataire a interjeté appel devant le conseil arbitral. Comme de coutume, la Commission a présenté les "observations de la Commission à l'intention du conseil arbitral" au conseil arbitral, dans lesquelles elle fait remarquer ce qui suit:
"Le prestataire a expliqué dans les pièces Nos. [sic] 4 et 5, qu’il n’avait pas présenté sa demande plus tôt parce qu’il ne se savait pas admissible aux prestations avant que son comptable l’informe de se droits.
C’est un principe fondamental que l’ignorance de la loi ne constitue jamais un motif valable, puisque chaque prestataire a le devoir de se renseigner promptement auprès du bureau de la Commission (C.A.F. 10876, CUB-4108, CUB-7482, CUB-4956)." (Souligné par mes soins)
Ce motif pour rejeter un appel était peut-être valable in août 1984, mais il ne l’est plus aujourd’hui. Dans cette mesure, la décision du conseil arbitral est erronée, ce qui permet au juge-arbitre d’intervenir en vertu des dispositions de l’article 95 de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage.
Au cours de l’audience, l’avocat de la Commission a reconnu devant moi que la décision du conseil pouvait être révisée si on invoquait l'erreur de droit. Le représentant de la Commission a de plus reconnu qu'étant donné la nature de la demande, la date tardive de sa présentation ne nuisait pas au bon fonctionnement du régime de l'assurance-chômage. Par ailleurs, vu les circonstances, le traitement rétroactif de ladite demande n’empêchait pas la Commission d'exercer en permanence son rôle normal de vérification et de supervision de l'admissibilité du prestataire d'une semaine à l'autre. La Commission a reconnu que, n'eût été la présentation tardive de la demande, l'admissibilité du prestataire aux prestations entre le 12 janvier 1984 et le 24 mars 1984 n’aurait pu être contestée.
Si l’ignorance de la loi ne constitue pas, en soi, un critère pour déterminer s’il y a motif valable, des considérations équitables peuvent s’appliquer qui, associées à l'ignorance avouée de la loi, peuvent se traduire par une conclusion appropriée de motif valable.
Sur le fond de l’appel dont je suis saisi, les considérations suivantes s'appliquent:
"1. Le prestataire n’avait jamais présenté de demande d'assurance-chômage auparavant.
2. A titre de vendeur à commission, il n'avait pas l'avantage d'obtenir les renseignements habituellement contenus dans les manuels du personnel ni n'avait accès aux services de délégués syndicaux en mesure de l'informer de ses droits en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et de tout autre programme d'assistance publique.
3. Son droit aux prestations de maladie va à l'encontre de l'objet d'un régime d'assurance-chômage. Il est compréhensible qu'un citoyen ordinaire puisse ne pas s'imaginer que les prestations d'assurance-chômage offertes aux personnel incapables de trouver un emploi, malgré leur disponibilité pour travailler et leur capacité de le faire sont également offertes aux personnel qui sont incapables de travailler parce qu’elles sont malades. Il est compréhensible que le citoyen ordinaire puisse ne pas deviner qu’une loi sur l'assurance-chômage comporte un programme de revenu garanti pour les personnel qui sont malades ou blessées.
4. Une fois qu'il a été mis au courant de cette disposition législative, le prestataire a agi promptement pour présenter sa demande. Il s'est présenté au bureau de la Commission, s'est procuré la formule nécessaire et l'a fait parvenir à son médecin. Dès qu’il a reçu la formule remplie, quelques semaines plus tard, il a immédiatement présenté sa demande.
5. Étant donné la nature de la demande, qui est pour une période précise et facilement déterminée lorsque le fardeau de la preuve qu'il était disponible pour travailler et capable de le faire n'incombe pas au prestataire, comme c’est habituellement le cas, mais cette preuve repose plutôt sur un certificat médical signé par une personne impartiale, les exigences de la présentation des demandes en temps opportun ne sont pas aussi sévères. Comme l'a admis le représentant de la Commission, les exigences administratives ou les besoins fonctionnels ne sont pas, sur le plan pratique, touchés."
Pour ces motifs, j'estime que le prestataire a démontré qu'il avait une justification pour son retard. Je ne voudrais pas laisser entendre qu’une circonstance particulière parmi celles que j'ai énumérées, peut, en soi, constituer un motif valable. Prises dans leur ensemble, cependant, elles me semblent constituer le genre de situation où l'article 39 du Règlement doit s'appliquer.
En l'espèce, le retard n'a pas été long; pendant presque tout ce retard, la raison qu’avait la prestataire de ne pas faire une demande de prestations était sa maladie elle-même; il n'y a aucune preuve que la prestataire ait jamais fait l’expérience du régime; une fois mise au courant de ses droits, elle a agi sans retard. Je partage de plus l’opinion de mon collègue que la date tardive de la demande de prestations de maladie n’a pas la même importance que dans le cas d’une demande de prestations ordinaires. Le prestataire en effet n'est pas obligé de prouver qu’il est disponible au travail et il y a moins de danger que la Commission subisse un tort que s’il s'agissait d'une demande de prestations ordinaires.
Le critère exposé dans l'affaire Albrecht est un critère souple. Il exige l’évaluation d'un éventail de circonstances qui peuvent être différentes d'une affaire à une autre: la durée du retard, le tort causé à l'administration du régime d'assurance-chômage par le retard, l’esprit simple ou retors du prestataire, l'étendue des expériences qu’un prestataire a eues avec le régime d'assurance-chômage, la nature des prestations demandées (ordinaires ou de maladie), la cause immédiate du retard (p. ex., la maladie ou la mauvaise information). Cette liste n'est pas exhaustive.
En l'espèce, l'application du critère d'Albrecht exige que la demande d'antidatation soit accordée. La prestataire a fait ce qu'une personne raisonnable aurait fait pour s'assurer de ses droits et obligations en vertu de la Loi. Pour les raisons que je viens de donner, j'accueille l'appel de la prestataire. J'annule la décision de la Commission de refuser d'antidater sa demande et la prestataire aura droit de faire antidater sa demande du 22 août 1986.
B. Reed
JUGE-ARBITRE
2011-01-16