TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
- et -
d'une demande de prestations présentée par
JOHN BOUCHARD
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Barrie (Ontario) le 19 juillet 1988
DÉCISION
LE JUGE JEROME, JUGE EN CHEF ADJOINT
La présente affaire a été instruite à Barrie (Ontario) le 2 février 1989. Le prestataire interjette appel de la décision rendue à l'unanimité par un conseil arbitral confirmant la décision de l'agent de l'assurance selon laquelle sa demande d'antidatation n'était pas autorisée.
Le prestataire a reçu son diplôme d'études collégiales en mai 1988 et il a présenté sa demande de prestations d'assurance-chômage le 8 juin suivant. À ce moment-là, il a aussi demandé à ce que sa demande soit antidatée afin qu'elle prenne effet le 1er mai 1988, indiquant qu'il n'avait pas présenté sa demande plus tôt parce, 1) comme il venait d'être diplômé, il n'avait pas prévu être en chômage, et 2) parce qu'il prenait des dispositions pour obtenir des droits d'accès à l'enseigne pour une entreprise mais qu'il n'était pas en mesure d'exploiter cette entreprise pour encore deux mois.
La Commission a refusé la demande d'antidatation présentée par le prestataire au motif qu'il n'était pas fondé à présenter sa demande tardivement puisqu'il n'avait pas d'assurance raisonnable d'emploi dans un proche avenir et qu'il n'avait pas démontré avoir fait des efforts particuliers pour trouver un travail.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral. Il a soutenu qu'il avait agi de façon raisonnable en ne présentant pas sa demande plus tôt, puisque qu'il ne l'a présentée qu'à la suite de ses efforts, consciencieux mais infructueux, pour obtenir un emploi. Il a fait remarquer que le délai écoulé avant qu'il ne touche ses prestations l'a empêché de trouver un emploi puisqu'il n'avait pas les moyens financiers de se déplacer pour se présenter à des entrevues. Enfin, le prestataire a fait valoir que la jurisprudence et les décisions CUB présentées par la Commission ne se rapportaient pas à sa situation parce que « compte tenu des renseignements diffusés par les médias [...] concernant le taux de chômage qui diminue de façon constante [...], il est raisonnable qu'un nouveau diplômé du seul programme en administration juridique offert au niveau du collège communautaire soit optimiste quant à l'obtention d'un emploi. » [Traduction]
Le conseil arbitral a jugé que le prestataire n'était pas fondé à présenter tardivement sa demande de prestations. À son avis, le fait que le prestataire était étudiant ne constituait pas un motif valable. L'appel du prestataire a été rejeté.
Le prestataire interjette appel de cette décision en vertu des alinéas 95a) et b) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Le prestataire a déclaré que le conseil avait mal compris son point de vue, à savoir qu'il avait agi de façon raisonnable en sa qualité d'étudiant et qu'il avait ainsi démontré qu'il avait un motif valable, en croyant que le prestataire ne faisait que présenter des arguments visant à démontrer que le fait d'être étudiant constituait en soi un motif valable. Le prestataire signale aussi qu'il s'était présenté à un bureau de l'assurance-chômage dans la première semaine de mai 1988 et qu'il avait consulté une conseillère en emploi au sujet des possibilités qui s'offraient à lui. La conseillère savait que le prestataire était nouvellement diplômé, qu'il cherchait un travail et qu'il avait besoin d'aide financière, mais elle ne lui a pas proposé de présenter une demande d'assurance-chômage. Le prestataire croit que les conseillers ont une obligation de diligence pour aider un prestataire à cet égard puisqu'ils possèdent des connaissances particulières et spécialisées. Le prestataire affirme qu'en se présentant au bureau, il a tenté de façon raisonnable d'obtenir de l'information.
Les dispositions législatives se rapportant à cette question sont le paragraphe 20(4) de la Loi et l'article 39 du Règlement :
20(4) Lorsqu'un prestataire formule une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la formuler et fait valoir un motif justifiant son retard, la demande peut, sous réserve des conditions prescrites, être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
39. Une demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve [(6 juillet 1971)]
a) qu'à cette date antérieure, il remplissait les conditions requises à l'article 17 de la Loi pour recevoir des prestations; et [(30 juillet 1981)]
b) que, durant toute la période comprise entre cette date antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa demande, il avait un motif justifiant le retard de sa demande. [(6 juillet 1971)]
Les membres du conseil arbitral ont rendu la décision suivante :
CONSTATATION DES FAITS
Le conseil a examiné le dossier d'appel et les déclarations du prestataire. Le conseil fait remarquer que le prestataire estime être fondé à présenter tardivement sa demande de prestations au motif qu'il était étudiant. Le conseil est d'avis que le prestataire n'a pas de motif valable puisque son statut d'étudiant n'en est pas un et, en conséquence, il n'a aucune raison de modifier la décision de l'agent de l'assurance. » [Traduction]
Il convient de faire remarquer que les membres d'un conseil arbitral ne sont pas des spécialistes en droit. Ils doivent puiser dans leur expérience et utiliser leur bon sens concernant la collectivité pour trancher des questions relatives aux faits et à la crédibilité et surtout pour déterminer ce qui est raisonnable compte tenu des circonstances. En l'espèce, la décision du conseil visant à déterminer si le statut d'étudiant du prestataire était un élément particulier qui devait être pris en considération est tout à fait judicieuse en soi. Or, dans l'affaire qui nous intéresse, une analyse plus complète de certains principes juridiques est nécessaire.
D'abord, il faut analyser le principe de l'antidatation. L'assurance-chômage est un programme social destiné à aider les personnes qui souhaitent travailler et qui n'y arrivent pas. On ne gagne rien en refusant des prestations à des personnes qui y seraient autrement admissibles au seul motif qu'elles n'ont pas présenté leur demande au bon moment. C'est pour cette raison que le Parlement a édicté les dispositions sur l'antidatation.
Le principe voulant que l'ignorance de la loi ne soit pas une excuse a longtemps été suffisant pour rejeter un grand nombre de demandes d'antidatation et, très souvent, la Commission et les conseils arbitraux ont exigé du prestataire qu'il prouve qu'il lui avait été physiquement impossible de déposer sa demande avant de lui offrir la possibilité d'antidater sa demande. Heureusement, nous avons maintenant adopté un point de vue plus éclairé, comme le montre l'arrêt Procureur général du Canada c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.F.). Dorénavant, si un prestataire a d'autres raisons valables - y compris l'ignorance de son admissibilité au bénéfice des prestations - pour tarder à présenter sa demande, il pourra bénéficier des dispositions sur l'antidatation, pour peu qu'il soit capable de démontrer qu'il a agi de manière raisonnable et tente de s'assurer de ses droits et obligations sous le régime de la Loi.
Dans ces circonstances, je fais d'abord remarquer que la crédibilité du prestataire n'est pas remise en question. On tient pour avéré que très peu de temps après ses études juridiques au collège communautaire, il s'est présenté au bureau de l'assurance-chômage de Barrie pour trouver un travail. Il a reconnu franchement ne pas avoir présenté sa demande à ce moment-là, mais qu'il s'agissait sans contredit d'une longue entrevue et qu'il avait présumé à juste titre que s'il avait eu droit à des prestations, la personne qui représentait l'assurance-chômage lui en aurait parlé. Selon moi, il est compréhensible que le prestataire ait cru ne pas être admissible au bénéfice des prestations puisqu'il n'avait pas travaillé parce qu'il était étudiant et qu'il n'avait pas cotisé au régime pendant ses études. Je crois aussi qu'il est important de mentionner que, moins de deux semaines plus tard, il s'est de nouveau présenté au bureau de l'assurance-chômage, cette fois à Bracebridge, et que, lors d'une entrevue similaire, l'agent de l'assurance lui a conseillé de présenter une demande.
Si le conseil arbitral avait tenu compte de ces éléments, je suis convaincu qu'il aurait rendu la même décision que moi, c'est-à-dire qu'il était tout à fait raisonnable pour le prestataire de croire qu'il n'était pas admissible au bénéfice des prestations, et qu'il s'était informé de ses droits comme il devait le faire, et ce, de façon raisonnable.
En conséquence, l'appel est accueilli.
James A. Jerome
JUGE-ARBITRE EN CHEF
OTTAWA
Le 3 octobre 1989