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  • CUB 18679

    TRADUCTION

    EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations présentée
    à un juge-arbitre par Paris CADEAU, la prestataire,
    d'une révision de la décision du conseil arbitral rendue
    à Etobicoke, Ontario, le 25 février 1988.

    DÉCISION

    MULDOON, J.

    La prestataire demande l'annulation de la décision unanime du conseil arbitral.

    Les faits

    La prestataire avait deux emplois. Elle a travaillé à temps plein chez Elmford Construction du 6 janvier 1986 au 11 décembre 1986. En outre, elle avait un poste à temps partiel à l'hôtel Carlton Place depuis le 18 septembre 1986.

    Le 30 décembre 1986, la prestataire a fait une demande de prestations dans laquelle elle indiquait avoir cessé de travailler chez Elmford Construction en raison d'un manque de travail (pièce 2). Une période de prestations a été établie à partir du 28 décembre 1986. Pendant qu'elle touchait des prestations, la prestataire déclarait la rémunération tirée de son emploi à temps partiel.

    Le 27 mars 1987, la prestataire a quitté son emploi à temps partiel à l'hôtel Carlton Place. Le 23 novembre 1987, il a été envoyé à la prestataire une demande de renseignements sur la rémunération pour obtenir, entre autres choses, les raisons pour lesquelles elle avait quitté volontairement son emploi (Pièce 6). Le formulaire n'a pas été retourné à la Commission. En conséquence, par un avis daté du 25 janvier 1988, la prestataire a été informée qu'elle était exclue du bénéfice de prestations pour trois semaines à partir du 30 mars 1987, parce qu'elle avait quitté volontairement son emploi sans justification (Pièce 8). Il en est résulté un trop-payé de 891,00$ (Pièce 7).

    La prestataire a interjeté appel.

    Décision du conseil arbitral

    Le conseil arbitral a rejeté son appel pour les raisons suivantes :

    Le conseil a examiné tous les renseignements contenus dans l'exposé et entendu l'appelante affirmer qu'il n'était pas financièrement avantageux de continuer de travailler au Carlton Place et qu'elle avait quitté son emploi. Le conseil a noté que la période normale d'exclusion de six semaines avait déjà été réduite à trois semaines.
    L'appel de l'appelante est rejeté, et la décision de l'agent d'assurance est confirmée.

    La prestataire a demandé, avec retard, l'examen par un juge-arbitre de la décision unanime du conseil arbitral, à la lumière du dossier.

    Position de la prestataire

    La prestataire a demandé l'examen de la décision du conseil arbitral par un avis d'appel devant le juge-arbitre daté du 20 mai 1988 et par des lettres datées des 17 et 31 mai 1988. Elle a expliqué dans ses lettres que la raison du retard de son appel est qu'elle avait "mal compris le dépliant sur les appels". Elle a ajouté qu'elle n'avait pas précisé les motifs d'appel parce que, selon ses propres mots "je ne comprends pas la question". Tout le monde n'a pas la même aptitude à la lecture et sa faible aptitude est une bonne raison de ne pas rejeter sommairement sa demande. Son excuse est à la fois boiteuse et à la limite, mais elle est quand même tout juste acceptable au soussigné.

    Bref, la prestataire soutient que son poste à temps partiel au Carlton Place, à part la répartition de sa rémunération pendant qu'elle recevait des prestations, n'avait aucune incidence sur son admissibilité après sa mise à pied par Elmford Construction et que, de toute façon, elle était justifiée d'avoir quitté volontairement son emploi à temps partiel. À l'appui de l'argument précité, la prestataire affirme, selon une lettre datée du 26 août 1988, ce qui suit :

    1) L'emploi à l'hôtel Carlton Place consistait en deux nuits de travail par semaine à raison de cinq heures par nuit.
    2) Elle a divulgué à la Commission son emploi à temps partiel ainsi que sa rémunération qui a été déduite en conséquence.
    3) En avril (probablement 1987) la prestataire a quitté Etobicoke pour s'installer à East York et a jugé que compte tenu de la distance à parcourir et de l'argent tiré de son emploi à temps partiel, il ne valait pas la peine de faire le trajet depuis East York.

    Position de la Commission

    Ne ressort pas clairement du dossier - il ne s'y trouve pas d'observations au juge-arbitre. La Commission fonde son plaidoyer sur ce qui suit :

    1) Le retard de la prestataire à interjeter appel devrait la priver de son droit à une audition - elle n'a pas fait valoir de motif raisonnable de retard car le dépliant "Votre droit d'interjeter appel devant le juge-arbitre" (Pièce 12-1) lui a été posté le 26 février 1988 avec la décision du conseil arbitral. Le dépliant mentionne très clairement qu'un appel doit être interjeté dans les 60 jours qui suivent la réception de l'avis écrit de la décision du conseil, ce qui ne saurait être mal compris. [Cet argument, comme il est indiqué ci-dessus, est rejeté parce que la prestataire a manifestement une aptitude à la lecture moins que suffisante, excuse qui ne pourra servir qu'une fois dans sa vie à moins qu'elle n'ait à lire et à comprendre un texte dans quelque endroit désert.]
    2) La prestataire n'a pas fait valoir de justification pour avoir quitté volontairement son emploi.

    Décision

    1) Il est manifeste, d'après sa décision, que le conseil arbitral, ayant soulevé la question de "justification", ne l'a pas carrément tranchée. Il lui faut être diligent à cet égard. Il ne suffit pas que le conseil arbitral se limite à soulever une telle question ou à faire quelque observation subtile. Il lui incombe de tirer une conclusion quant à la question de savoir si le prestataire avait une justification de quitter volontairement son emploi. Le paragraphe 94(2) de la Loi (maintenant 79(2)) porte que la décision du conseil "doit comprendre un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles". En l'espèce, le conseil arbitral n'a pas tiré de telle conclusion et a donc commis une erreur de droit au sens de l'alinéa 95b) de la Loi (maintenant 80b)).

    Était-il ou non financièrement avantageux pour la prestataire de conserver son emploi à temps partiel peu rémunérateur quand elle s'est trouvée à devoir faire un assez long trajet consommateur de temps et d'essence deux nuits par semaine? Le conseil arbitral n'a vraiment pas osé regarder, figurativement, la prestataire et le reste de la nation droit dans les yeux et affirmer, à l'encontre d'éléments de preuve suffisants à première vue et non contredits, que ce lui était réellement avantageux. Il a fait une ellipse intellectuelle qui est inacceptable.

    Dans ses observations au juge-arbitre, la prestataire a signé la déclaration dactylographiée qui suit :

    J'aimerais ajouter cette explication à mon appel :
    - J'avais deux emplois avant de toucher de l'assurance-chômage, chez Elmford Construction et à l'hôtel Carlton Place (deux nuits par semaine, cinq heures par nuit).
    - J'ai été mise à pied par Elmford et j'ai demandé de l'assurance-chômage.
    - Pendant que je touchais des prestations d'assurance-chômage, j'ai inscrit que je travaillais deux nuits par semaine au Carlton Place; la rémunération était inscrite et déduite en conséquence.
    - En avril, j'ai quitté la municipalité d'Etobicoke pour la municipalité d'East York.
    - L'argent gagné au Carlton Place ne justifierait pas les dépenses d'une voiture huit cylindres et l'écart de temps nuirait à mon emploi à plein temps quand j'y serais rappelée.
    - J'ai informé mon employeur à la mi-mars que je déménageais le 1er avril.
    - J'ai cherché un autre emploi dans les environs de mon nouveau domicile, par exemple, aux endroits suivants :
    - Panama Joe;
    - Black Swan;
    - Sport Bar;
    - Whistler.
    Je ne me suis pas servie du Carlton Place pour recevoir des prestations d'assurance-chômage, seulement d'Elmford Construction où j'ai eu un emploi à temps plein ces quatres dernières années. Le Carlton Place c'était pour occuper mon temps libre.

    2) Il semble étrange qu'un prestataire soit exclu du bénéfice de prestations pour trois semaines parce qu'il a quitté un emploi à temps partiel pendant qu'il en recevait. En effet, la prestataire se voit privée de prestations pour trois semaines (prestations qui étaient fondées sur la rémunération tirée de son ancien emploi à temps plein) pour avoir quitté un emploi à temps partiel de 10 heures par semaine, qui lui rapportait entre 28,00$ et 40,00$ par semaine. Dans la pratique, l'effet de cela est de décourager les prestataires de chercher un emploi à temps partiel ou d'obliger les prestataires à conserver un emploi à temps partiel pendant qu'ils reçoivent des prestations et à mettre ainsi en péril leur disponibilité pour d'autre travail ainsi que leur admissibilité au bénéfice de prestations.

    3) Dans l'arrêt Tanguay c. CAC, (1986), 68 N.R. 154, la Cour d'appel fédérale a énoncé le critère général à appliquer pour établir l'existence d'une "justification" comme suit : "s'il existait, au moment où il a quitté, des circonstances qui l'excusent d'avoir ainsi pris le risque de faire supporter par d'autres le fardeau de son chômage". Bref, la norme de conduite à respecter est celle de ce qu'aurait fait le bon vieil "homme raisonnable" dans les mêmes circonstances. En l'espèce, on pourrait se demander si la prestataire a agi comme l'aurait normalement fait une personne prudente dans les circonstances.

    Il est certainement justifié de quitter un emploi à temps partiel parce que la distance à parcourir et la faible rémunération qui en est tirée annulent tout avantage qu'il procure. D'autre part, exclure la prestataire du bénéfice de prestations dans les circonstances équivaut à essayer de l'obliger à persévérer dans un emploi à temps partiel qui lui fait perdre de l'argent ou lui rapporte tout juste assez pour ne pas en perdre. En vérité, elle ne faisait pas vraiment supporter par d'autres le fardeau de son chômage.

    4) La demande de la prestataire d'annuler la décision du conseil arbitral sera accueillie malgré le retard de sa présentation. La prestataire a fait valoir une justification comme l'exige le paragraphe 28(1) de la Loi et c'est là la décision que le conseil aurait dû rendre. La décision du conseil arbitral est annulée et, partant, celle de l'agent d'assurance de la Commission parce que, de fait, l'appel de la prestataire devant le conseil arbitral est accueilli.

    F.C. Muldoon

    JUGE-ARBITRE

    Ottawa, Ontario
    le 17 août 1990

    2011-01-16