TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
- et -
d'une demande de prestations présentée par
Rachel ALLARD
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire
à l'encontre d'une décision du Conseil arbitral rendue
le 1er août 1991, Winnipeg (Manitoba)
DÉCISION
LE JUGE JOYAL
Il s'agit d'un appel de la décision du Conseil arbitral qui maintient la décision de la Commission soutenant que la prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Toutefois la Commission l'a exclue du bénéfice des prestations pour une période de 10 semaines, ce qui a eu pour effet de ramener son taux de prestations de 60 % à 50 % de sa rémunération hebdomadaire assurable moyenne. Le Conseil arbitral a toutefois tenu compte de circonstances atténuantes et a ramené la période d'exclusion de 10 à 7 semaines.
Le 14 novembre 1990, la prestataire a commencé à travailler à la Paramount Acceptance Corporation à Winnipeg, comme agente des comptes. La prestataire demeure à St. Laurent (Manitoba), qui est à 60 milles de Winnipeg. La prestataire ne conduit pas de voiture. Ainsi, tous les jours, elle dépend d'autres moyens pour se rendre à Winnipeg.
Du 2 janvier 1991 au 16 mai 1991, la prestataire a manqué environ 14 jours de travail. L'employeur a déclaré qu'à deux occasions il n'avait pas reçu d'appel l'informant de ces absences. Elle a expliqué ses autres absences par la mauvaise condition des routes, rendant impossible le trajet entre St. Laurent et Winnipeg, une maladie ou celle de ses enfants ou le besoin de prendre soin des enfants parce qu'elle ne pouvait trouver une gardienne.
Finalement, son emploi a pris fin le 16 mai 1991, lorsque la prestataire ne s'est pas présentée au travail. La raison de cette dernière absence était que la prestataire n'avait pas de gardienne et qu'ainsi devait rester à la maison pour prendre soin des enfants.
DÉCISION DU CONSEIL ARBITRAL
Le Conseil arbitral a bien examiné les faits et a clairement décrit la situation de la prestataire comme étant « moins que souhaitable ». Les conclusions se lisent comme suit :
La prestataire a été absente un nombre important de jours pendant les cinq mois précédents son licenciement... Elle n'a pas de téléphone et ne conduit pas de voiture. Elle devait donc compter sur d'autres conducteurs pour se rendre à son lieu de travail. Elle devait aussi compter sur un système de retransmission pour que ses messages se rendent à son employeur. Cette dépendance envers les autres ainsi que son besoin de gardiennage pour ses enfants ont créé une situation moins que souhaitable pour la prestataire. Il faut aussi signaler que la prestataire demeure à 60 milles de son lieu de travail et du bureau d'assurance-chômage le plus près.
Le Conseil comprend la frustration que vit la prestataire, mais l'employeur doit aussi pouvoir compter sur la présence de son personnel. La prestataire doit être responsable de sa présence au travail et, par conséquent, doit assumer certaines des conséquences de ses gestes.
POSITION DE LA PRESTATAIRE DANS SON APPEL DEVANT LE JUGE-ARBITRE
La prestataire était représentée par Mme Anne Cooper du Community Unemployed Help Centre de Winnipeg. La prestataire interjette appel de la décision du Conseil en vertu des paragraphes 80(b) et 80(c) de la Loi. Il est déclaré que le Conseil a fait une erreur de droit et a rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
La prestataire déclare que le 12 mars 1991, son mari qui, jusqu'à maintenant prenait soin des enfants, a dû quitter la maison pour aller travailler. Les enfants n'avaient donc plus de gardien. La prestataire a téléphoné à son employeur et a parlé à Mme Leslie Jones. Elle a informé Mme Jones qu'elle devait s'absenter du travail cette journée-là, mais qu'elle ferait son possible pour trouver une solution à son problème. Sa belle-mère a accepté de garder les enfants. Cependant après une journée, celle-ci est tombée malade et la prestataire s'est retrouvée une fois de plus avec la responsabilité du soin des enfants.
Le mercredi 15 mai 1991, la nièce de la prestataire, qui assurait la retransmission des messages de la prestataire à son employeur, a expliqué à Mme Jones que la prestataire n'avait encore une fois pas réussi à trouver quelqu'un pour garder ses enfants. Le lendemain matin, la prestataire a communiqué avec Mme Jones pour lui expliquer qu'encore une fois elle n'avait pu trouver une gardienne. À ce moment-là, on a dit à la prestataire que son emploi venait de prendre fin.
La prestataire soutient que le Conseil n'a pas réussi à déterminer la justification. Il est indiqué que bien que le Conseil examine la « situation malheureuse » dans laquelle se trouve la prestataire, il n'a pas réglé la question fondamentale à savoir si cette situation constitue une justification.
LA LOI
Une partie de l'article 28 se lit comme suit :
28.(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification.
...
(4) Pour l'application du présent article, le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas : a) harcèlement, de nature sexuelle ou autre; b) nécessité d'accompagner son conjoint ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence; c) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne; d) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité; e) nécessité de prendre soin d'un enfant;
[je souligne]
CONCLUSIONS
D'abord, je voudrais régler la question de confiance qu'a mise la représentante de la prestataire par rapport au paragraphe 28(4) de la Loi et les arguments légaux utilisés.
La question de justification de l'article 28 fait référence à un prestataire qui a volontairement quitté son emploi. Le critère à utiliser, comme dans le cas présent, où la prestataire a été renvoyée de son emploi, consiste à savoir si le congédiement de la prestataire est le résultat de sa propre inconduite.
On pourrait dire que lorsqu'un prestataire peut démontrer qu'une des circonstances énumérées dans la Loi, constituant une défense par « justification », a été établie, il serait difficile de conclure à l'inconduite. Néanmoins, la Loi présente précisément deux critères différents, dont l'un traite de la question d'inconduite lorsqu'un prestataire a perdu son emploi, et l'autre de la « justification » lorsque le prestataire a volontairement quitté son emploi. Dans plusieurs cas, les applications pratiques de l'un ou l'autre des critères pourraient être les mêmes, c-à-d. que le prestataire est admissible au bénéfice de prestations.
Dans le cas présent, ce qu'il faut déterminer, c'est de savoir si le licenciement de la prestataire est attribuable à son inconduite.
J'ai lu attentivement la décision du Conseil et, à mon avis, il est clair qu'il n'a pas réglé la question d'inconduite. En fait, le Conseil semble avoir abordé toute la question comme une affaire de congédiement injustifié. Après avoir décrit la situation de la prestataire et après avoir reconnu les difficultés et les frustrations auxquelles elle devait faire face, le Conseil a seulement statué qu'« un employeur doit aussi pouvoir compter sur la présence de son personnel au travail » et que la « prestataire doit assumer certaines des responsabilités » de n'avoir pu se présenter au travail. À cet égard, ce n'est pas la question à laquelle le Conseil devait répondre.
Dans le cas CUB 16547, le juge Martin a statué ce qui suit concernant la façon dont le Conseil doit aborder une telle question :
Le Conseil doit, dans des cas d'inconduite, conclure s'il y a eu inconduite ou non. Et si tel est le cas, il doit citer les faits qui constituent l'inconduite. Le Conseil doit poursuivre en déterminant si oui ou non le prestataire a perdu son emploi à cause de l'inconduite.
Le Conseil a commis une erreur de droit en omettant de considérer la question à savoir si la prestataire a été licenciée par suite de sa propre inconduite. Je peux donc rendre la décision que le Conseil arbitral aurait dû rendre.
Il est clair, après avoir tenu compte de toutes les circonstances du présent cas, que la prestataire faisait face à une situation malheureuse. Elle demeurait loin de son lieu de travail, ne conduisait pas de voiture, n'avait pas de téléphone et faisait constamment face à des problèmes de gardiennage. Ces circonstances sont hors de son contrôle. Malgré tout ce qu'on peut appeler des circonstances difficiles, la prestataire a fait tout son possible pour remplir toutes ses obligations, y compris celles reliés à son travail. Malheureusement, comme dans plusieurs de ces cas, cette situation semble être presque impossible à gérer.
Comme je l'ai mentionné, ces problèmes étaient en dehors du contrôle de la prestataire. Il n'y a eu aucun comportement délibéré ou négligent de sa part, aucune indifférence envers son employeur, simplement une série de circonstances malheureuses qui ont conduit à son licenciement.
De plus, je ne trouve aucune preuve décisive montrant que la prestataire a perdu son emploi pour des raisons d'inconduite. La preuve repose davantage sur le fait que, pour des raisons de circonstances incontrôlables, la prestataire ne pouvait pas satisfaire aux exigences de son contrat de travail. Cela a finalement donné un motif à l'employeur pour mettre fin à son emploi. Un tel licenciement, dans de telles circonstances, n'est pas, d'après moi, une preuve d'inconduite.
Par conséquent, en tenant compte des éléments portés à ma connaissance, je ne peux conclure que le licenciement de la prestataire est attribuable à son inconduite.
L'appel est accueilli.
L.-Marcel Joyal
Juge-arbitre
OTTAWA (Ontario)
Le 31 mars 1992