• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 21236

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    JOSEPHINE WHITE

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire, d'une décision rendue par le conseil arbitral à EDMONTON, ALBERTA, le 7 mai 1992.



    CUB CORRESPONDANT : 21236A

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-1036-92


    DÉCISION

    CULLEN, J.:

    J'ai entendu l'appel de la décision du conseil arbitral à Edmonton, le 7 mai 1992. Il s'agit d'un appel représentatif interjeté au nom de Gerald Orchowski, Stanly Wylie, Nelson Struk, James Morrison, Gregory Madry et John Rapso. Il était également demandé que les appels d'Antonio Gamboa et de Jane Harding soient entendus en même temps, ce qui a été accepté. Les appels se rapportent aux décisions de conseils arbitraux qui ont confirmé celles de la Commission portant que ces prestataires n'étaient pas admissibles au bénéfice des prestations du 30 juillet au 21 septembre 1990 parce qu'ils avaient perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif chez Shaw Pipe Protection Ltd.

    Tous les prestataires étaient manoeuvres chez Shaw Pipe Protection Ltd. et ont été licenciés le 27 juillet 1990, avant qu'y survienne le débrayage du 30 juillet 1990 des membres de la section locale 92 du Construction and General Workers Union. Les prestataires sont tous membres de la section locale 92 du Construction and General Workers Union. Les prestataires ont été licenciés et rappelés au moins à quelques reprises pendant leur période d'emploi et avant le licenciement du 27 juillet 1990. Les grévistes ont repris le travail le 24 septembre 1990. Les prestataires ont été rappelés après le conflit collectif.

    Des avis de licenciement à partir du 27 juillet 1990 ont été donnés le 18 juillet 1990. (Il avait initialement été donné, le 14 juillet 1990, des avis de licenciement à partir du 22 juillet 1990.) La position du syndicat est que le licenciement résultait d'un ralentissement normal des affaires de l'employeur et s'inscrivait parmi ceux que l'entreprise connaissait par intermittence suivant les fluctuations de la demande des services de l'employeur, non d'un conflit collectif, et, par conséquent, les prestataires ne devraient pas être jugés inadmissibles au bénéfice des prestations.

    Le syndicat soutient également que les éléments de preuve que la Commission a obtenus de l'employeur sont contradictoires quant à la question de savoir si ce dernier a transféré certaines opérations avant la grève. Le syndicat affirme que la pièce 5 ne renferme aucune réponse à la question «Autres détails pertinents relatifs aux événements qui ont mené à l'arrêt de travail et les dates» (y a-t-il eu du stockage, des ralentissements, des transferts d'opérations, etc.) et que la pièce 7.4 renferme ce qui suit :

    L'employeur affirme qu'il «aurait vraisemblablement pu y avoir eu du travail pour les employés qui ont été licenciés», s'il n'avait pas créé un manque de travail en le transférant à d'autres usines.

    En outre, la pièce 7.4 n'indique pas de baisse des recettes de l'employeur pour le mois de juillet. L'employeur prétend également que du travail a été transféré à d'autres usines de Shaw Pipe à partir d'environ un mois avant la grève. Toutefois, le syndicat signale qu'un avis de licenciement daté du 14 juin 1990, soit quelque six semaines avant la grève, révèle l'intention de licencier en juin essentiellement les mêmes employés qui ont éventuellement été licenciés en juillet. Selon les relevés d'emploi, les prestataires ont été licenciés en raison d'un manque de travail. En conséquence, le syndicat soutient que les conseils arbitraux, en liant le licenciement au conflit collectif, ont tiré une conclusion de fait que ne corroboraient pas les éléments de preuve.

    La position de la Commission et les conclusions des conseils arbitraux sont que le licenciement des prestataires est lié au conflit collectif parce que l'arrêt de travail à l'usine d'Edmonton résultait de ce que l'employeur avait transféré des commandes à d'autres usines pour s'assurer que ses clients seraient servis malgré l'arrêt de travail imminent.

    OBSERVATIONS

    Les parties se sont penchées principalement sur la question de savoir si la perte d'emploi des prestataires était attribuable à un conflit collectif. Toutefois, à mon avis, ce qu'il faut d'abord établir, c'est l'état des prestataires par rapport à leur employeur au moment de la grève. Bref, les prestataires avaient-ils un emploi à perdre? À ce sujet, je cite le passage suivant de l'arrêt Morrison v. CEIC (1991), 114 N.R. 272 (C.A.F.) 274 :

    À mon avis, la règle de droit pertinente est plutôt celle qui a été établie par la Cour dans l'affaire Procureur général du Canada c. Morgan (1988), 98 N.R. 92 et dans l'affaire Roberts c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1985), 60 N.R. 349. Dans l'affaire Morgan, la Cour a maintenu la décision d'un juge-arbitre pour le motif que la date à laquelle l'emploi commence ou se termine est une pure question de fait. Dans l'affaire Roberts, la décision d'un juge-arbitre a été annulée parce qu'elle ne respectait pas la décision du conseil arbitral sur les faits, car le conseil avait soutenu que «le prestataire n'avait pas perdu son emploi par suite du conflit de travail, mais qu'il l'aurait perdu de toute façon à cause de conditions indépendantes de sa volonté» (pp. 350-1). Des décisions semblables ont été rendues par des juges-arbitres dans les affaires suivantes : James c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada [1987] CUB 14168 (le juge Joyal); Smith c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada [1987] CUB 14416 (le juge Joyal); Smith c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada [1989] CUB 14416A (le juge Denault).
    Ces affaires ne justifient donc pas l'ajout à la Loi d'une exigence selon laquelle un prestataire devrait être «réellement» au travail pour que le paragraphe 44(1) s'applique. En effet, un avis de rappel pour une date précise suffit. La véritable décision à prendre porte sur les faits, c'est-à-dire qu'il s'agit de savoir si le prestataire «... a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif ...» C'est exactement la question que le juge-arbitre s'est posée et il y a répondu en disant qu'«il était évident que le prestataire et ses collègues de travail avaient réellement un emploi à perdre le 11 août 1986 et que ce dernier avait été perdu par suite de la grève» (dossier, p. 322).

    Dans l'affaire CUB 14168 JAMES, le prestataire avait été licencié temporairement avant et au début de la grève. Il a été jugé qu'il n'avait pas rompu sa relation de travail au début de la grève, le conseil arbitral ayant conclu que n'eut été la grève, il lui aurait été demandé de se présenter au travail une semaine après le début de cette dernière. Il répugnait au juge-arbitre de toucher à la conclusion de fait du conseil arbitral et il ne voyait pas de raison d'infirmer sa décision. Le juge-arbitre ajoutait ensuite, aux pages 3 et 4, ce qui suit :

    Le fait tout seul que le prestataire avait déjà été licencié au moment où la grève a été déclenchée ne suffit pas à le soustraire à l'inadmissibilité aux prestations prévue par l'article 44 ...
    En outre, le prestataire n'a présenté aucune preuve qu'il n'aurait pas été rappelé ni qu'il a pris après le 1er août 1986 des mesures pour rompre la relation employé-employeur. Il me semblerait, comme l'estimait le juge Addy dans CUB 5564, qu'une preuve quelconque permettant de conclure qu'il y a eu une rupture ou qu'une rupture a été discutée ou négociée à une date ultérieure serait nécessaire pour étayer l'argument du prestataire à ce propos.

    Dans l'affaire CUB 16604 ALBRIGHT, il avait été fixé une date de rappel, mais le juge-arbitre soulignait, à la page 5, ce qui suit :

    La distinction est mince, mais apparemment, la simple éventualité et peut-être même l'assurance morale d'un emploi ne suffit pas pour établir qu'un prestataire a de l'emploi au début d'une grève si en réalité il ne travaille pas à ce moment. Toutefois s'il y a vraiment eu rappel, ou, dans le cas des travailleurs occasionnels, s'il existe une habitude de rappel de sorte que ces travailleurs sont considérés comme faisant partie de la main-d'oeuvre, la situation est alors différente et on pourrait juger qu'ils ont perdu leur emploi à partir du moment où le rappel aurait eu lieu s'il n'y avait pas eu de grève.
    [C'est moi qui souligne.]

    À l'examen des décisions des divers conseils, il me semble qu'ils ne se sont pas penchés sur la question de l'état des prestataires au moment de la grève, notamment sur l'existence d'une relation employé-employeur. Selon la jurisprudence, les conseils arbitraux ont commis une erreur en ne se penchant pas sur cette question prioritaire avant de décider si les prestataires avaient ou non perdu leur emploi par suite de la grève.

    Je puis renvoyer l'affaire au conseil arbitral ou exercer le pouvoir que me confère l'article 81 et rendre la décision qu'il aurait dû rendre. J'ai décidé de rendre la décision en raison du nombre de prestataires et pour accélérer les choses.

    Il n'y a pas eu de contestation de la déclaration de M. Ken Reid, président de la section locale du syndicat, en réponse à une question de savoir s'il y avait habituellement des licenciements pendant l'été.

    L'avis de licenciement ne renfermait manifestement pas de date précise de rappel, mais je suis convaincu qu'il y avait eu assez de licenciements et de rappels pour conclure à l'existence d'une relation de travail au sens des observations du juge-arbitre dans l'affaire CUB 16604. La relation de travail n'a pas été rompue et, pour ce motif seulement, l'appel est rejeté. Compte tenu des magnifiques exposés faits par l'avocat des prestataires et celui de la Commission, j'estime qu'il me faut également décider si la perte d'emploi (quoique temporaire) était attribuable à l'arrêt de travail dû au conflit collectif là où le prestataire était employé. Le conseil arbitral a décidé, d'après les faits, que :

    Le manque de travail résultait d'une grève. Le conseil arbitral ne partage pas l'avis que pour qu'une personne ne soit pas admissible au bénéfice des prestations, il doit survenir un conflit collectif, une grève et un licenciement, dans cet ordre. Toutefois, tous ces éléments doivent être présents et, en l'espèce, ils le sont.

    LA LOI

    En l'espèce, les licenciements ont eu lieu trois jours avant l'arrêt de travail et le conseil arbitral a, en droit, décidé que la perte d'emploi du prestataire résultait de l'imminence d'une grève ou d'un lock-out. «Bref, le conseil arbitral a conclu que la perte d'emploi du prestataire pouvait précéder l'arrêt de travail», affirme l'avocat du prestataire, ce qui à son avis était une erreur de droit.

    À l'appui de la thèse du prestataire, il cite l'arrêt Canadian Employment and Immigration Commission v. Caron [1989] C.L.L.R. 12,224, où la majorité de la Cour d'appel fédérale a affirmé, relativement à ce qui est maintenant le paragraphe 31(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, ce qui suit :

    En d'autres termes,le paragraphe 44(1) ne parle pas seulement d'une cause, le conflit collectif, et d'un effet, l'arrêt de travail, mais plutôt d'une chaîne de causalité; la première cause, le conflit collectif, est suivi d'un premier effet, l'arrêt de travail, qui lui devient à son tour la cause d'un second effet, la perte de l'emploi du prestataire. La première cause est, par définition, collective. Le premier effet, l'arrêt de travail, est collectif aussi; il touche plusieurs employés, généralement aujourd'hui tous membres d'une même unité de négociation. Par comparaison la perte d'emploi est toujours individuelle, propre à chaque prestataire qui n'a plus «son» emploi du fait de l'arrêt de travail.
    [C'est moi qui souligne.]

    et ensuite

    Nous soutenons que l'affirmation précitée a été entérinée par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Caron, où le juge L'Heureux-Dubé, à la page 12,068, affirme ce qui suit :
    La majorité notait que le par. 44(1) créait une chaîne de causalité : un conflit de travail peut causer un arrêt du travail à un groupe d'employés et l'arrêt du travail peut à son tour causer une perte d'emploi à un individu ... Je suis substantiellement d'accord avec la position de la majorité de la Cour d'appel fédérale.
    Le passage précité met l'accent sur l'ordre dans lequel les événements doivent survenir pour qu'un prestataire soit inadmissible au bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 31(1), soit :
    1.il doit y avoir un conflit collectif;
    2.le conflit collectif doit être la cause de l'arrêt de travail;
    3.la perte d'emploi du prestataire doit être attribuable à l'arrêt de travail.

    La Commission a rétorqué qu'en l'espèce, l'inadmissibilité a été prononcée en vertu de l'article 31 de la Loi. L'article 31 se lit comme suit :

    31(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes :
    a)la fin de l'arrêt de travail;
    b)son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne;
    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.
    (2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire prouve :
    a) d'une part, qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé;
    b) d'autre part, qu'il n'appartient pas à un groupe ou à une catégorie de travailleurs dont certains exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt de travail, un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt de travail et participent au conflit collectif, le financent ou y sont directement intéressés.
    (3) Lorsque des branches d'activités distinctes qui sont ordinairement exercées en tant qu'entreprises distinctes dans des locaux distincts, sont exercées dans des services différents situés dans les mêmes locaux, chaque service est réputé, pour l'application du présent article, être une usine ou un atelier distincts.

    Le paragraphe 2(1) de la Loi définit «conflit collectif» comme suit :

    2.(1) «conflit collectif» Conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l'emploi ou aux modalités d'emploi de certaines personnes ou au fait qu'elles ne sont pas employées.

    Le conseil arbitral a conclu que le prestataire a été licencié «en raison d'un manque de travail résultant de la décision de l'employeur de diriger les nouvelles commandes vers d'autres usines de l'entreprise où il n'y avait pas de possibilité de grève». «Bref, ajoute la Commission, s'il n'y avait pas eu de conflit collectif ni d'arrêt de travail imminent par suite d'une grève, l'employeur n'aurait pas eu à diriger du travail vers d'autres usines et aurait pu occuper [le prestataire]».

    À mon avis, l'affaire Létourneau (précitée) ne peut être invoquée parce que le prestataire avait démissionné et ainsi rompu tous ses liens avec l'employeur. Le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale a exposé clairement la question en ces termes :

    ... l'article 44 [comme il existait alors] de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, qui déclare inadmissible au bénéfice des prestations l'employé qui perd son emploi par suite d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif, s'applique-t-il à celui qui démissionne et quitte définitivement son emploi juste avant que ne soit déclenchée une grève des employés de l'unité dont il fait partie?

    Non, disait le juge Marceau, à la page 6 :

    Il évite l'inadmissibilité parce qu'en modifiant complètement son état il ne devient jamais gréviste.

    Mais le juge Marceau a tenu à bien préciser ce qui suit :

    ... À moins que la démission ne soit qu'apparente et ne constitue qu'une façon de déclencher une grève comme ce serait le cas de démissions collectives fomentées par un groupe d'employés, démissions auxquelles l'employeur ne pourrait, en pratique, donner effet. Il y aurait là sans doute une fraude à la Loi qui serait immédiatement sanctionnée. Mais rien de tel ici, on parle d'une démission réelle, vraie, individuelle.

    Cette affaire fait ressortir la distinction entre la perte d'un emploi et l'abandon d'un emploi. Dans l'affaire Caron (précitée), la Cour avait à trancher la question de savoir quand l'arrêt de travail avait cessé, ce qui est une situation tout à fait différente de celle dont il s'agit en l'espèce. De même, dans l'affaire Valois (précitée), la question à trancher était celle de savoir si l'intéressé avait participé à un conflit collectif et, en dernière analyse, il a été décidé qu'il n'était pas nécessaire qu'il soit survenu une série d'événements pour prononcer l'inadmissibilité en vertu de l'article 44.

    L'affaire la plus favorable au prestataire est celle de Bilodeau, CUB 9830-A, et je cite la décision qu'a rendue le juge Joyal, en sa qualité de juge-arbitre :

    À la date de la mise à pied, soit le 7 avril 1982, il n'existait pas d'arrêt de travail à l'usine. L'arrêt de travail n'est survenu que le lendemain, le 8 avril 1982. Même si l'écart entre le congédiement et l'arrêt de travail n'ait été que de courte durée, on ne pourrait prétendre, pour fins de l'article 44, qu'un arrêt de travail existait. Il importe peu qu'il soit établi que le congédiement ait eu lieu en prévision d'un arrêt de travail qui devait s'effectuer le lendemain par voie d'un «lock-out». Le texte de l'article 44 ne parle pas d'une perte d'emploi en prévision d'un arrêt de travail. Le fait d'un arrêt de travail est essentiel à la perte d'emploi prévue à l'article 44. Dans les circonstances, le motif de l'employeur en congédiant le prestataire n'est pas pertinent à la cause.

    Après avoir lu sa décision soigneusement motivée, il m'a semblé qu'elle ne s'accordait pas avec la jurisprudence habituelle sur la question, c'est-à-dire la nécessité d'une séquence d'événements. La Commission a cité les affaires CUB 4769, 5410 et 8498, dans lesquelles il a été décidé que le prestataire avait perdu son emploi par suite d'un arrêt de travail. Toutefois, le raisonnement le plus convaincant est celui du juge en chef adjoint, siégeant en qualité de juge-arbitre, dans l'affaire CUB 19771 (Baronette et autres). Il s'exprimait comme suit :

    Le prestataire a été embauché par la municipalité régionale de Sudbury (la «Région») pour travailler comme manoeuvre temporaire du 21 novembre 1988 au 20 juin 1989. Le 14 avril 1989 il a rempli une demande renouvelée de prestations dans laquelle il indiquait que son emploi avait cessé le 6 avril 1989 et une période de prestations a été établie à partir du 9 avril 1989. Toutefois, la Région a fait savoir qu'un conflit collectif l'opposant aux sections 6 et 207 du Syndicat canadien de la fonction publique [SCFP] avait donné lieu à un arrêt complet de travail à partir du 7 avril 1989. La Région a indiqué dans le relevé d'emploi du prestataire que son emploi avait cessé en raison d'une grève. Shirley Clemence, une commis du Personnel, a fait savoir que les employés temporaires sont tenus de verser des cotisations syndicales et que, même s'ils n'ont aucun droit de rappel précis, l'employeur peut les rappeler. Elle a mentionné qu'ils auraient travaillé jusqu'à la fin de la période prévue s'il n'y avait pas eu de conflit collectif et qu'ils ont été licenciés parce qu'ils occupaient des emplois compris dans l'unité de négociation et ne pourraient terminer leur contrat en raison de la grève. Le conflit collectif a apparemment cessé en septembre 1989 et le prestataire a par la suite recommencé à travailler pour la Région le 16 octobre 1989.
    Par un avis de refus daté du 29 mai 1990, la Commission a informé le prestataire qu'il n'était pas admissible au bénéfice des prestations depuis le 9 avril 1989 jusqu'à la fin de l'arrêt de travail parce qu'il avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Le prestataire a par la suite fait lever l'inadmissibilité à partir du 20 juin 1989. Le 13 juin 1989 le prestataire a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral; il alléguait que son emploi auprès de la Région avait cessé le 6 avril 1989, qu'il n'était pas membre du syndicat et n'était pas intéressé au conflit ni à son issue et qu'il n'y participait pas ni ne le finançait.

    Le prestataire a interjeté appel de la décision du conseil arbitral qui avait exposé ses conclusions comme suit :

    La majorité a ... jugé que le prestataire avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif parce que «l'avis de cessation d'emploi délivré à la fin du poste du prestataire le 6 avril 1989 l'a été à cause de la décision du syndicat d'arrêter le travail le 7 avril 1989» et a rejeté son appel.
    Toutefois, un membre dissident du conseil a retenu que l'avis de cessation d'emploi a été délivré un jour avant le retrait des services du syndicat et, s'appuyant sur l'arrêt Létourneau, A-1082-84, selon lequel l'employé qui démissionne avant le début d'une grève ne sera pas déclaré inadmissible, il a conclu que «les prestataires n'étaient donc pas employés par la Région quand la grève a commencé». Il a souligné que c'était l'employeur qui avait pris l'initiative de licencier le prestataire avant l'arrêt de travail et que ce dernier n'a donc jamais été en grève. Il a conclu que le prestataire n'avait pas fait de piquetage ni participé de quelque autre façon à la grève et, s'appuyant sur la déclaration du prestataire selon laquelle «il n'avait pas voté pour ou contre la grève ni pour ou contre le contrat proposé», il a accueilli l'appel.
    Le prestataire en appelle devant le juge-arbitre de la décision majoritaire du conseil en vertu de l'alinéa 80b) de la Loi sur l'assurance-chômage. Il soutient que les prestataires qui perdent leur emploi par suite de la décision d'un employeur de les licencier avant le début d'un conflit collectif ne le perdent pas «du fait d'un arrêt de travail». Il affirme qu'il n'était pas membre du syndicat, qu'il n'avait pas le droit de voter, qu'il n'a pas participé à la grève ni reçu d'indemnité de grève. Il soutient que tout intérêt qu'il a pu avoir à être réembauché à une date ultérieure et à bénéficier ainsi du conflit collectif est indirect et spéculatif, dépend uniquement du bon plaisir de la Région et que rien n'autorise à penser qu'une possibilité de rappel futur au travail suffit pour prouver qu'un prestataire est «directement intéressé». Finalement, il soutient que les employés temporaires constituent «un groupe ou une catégorie de travailleurs» distincts des employés permanents et stagiaires de la Région en ce que leurs relations de travail sont sensiblement différentes et que leurs avantages et privilèges sont beaucoup moins favorables.

    Dans ses dernières observations sur ce point, le juge en chef adjoint Jerome écrivait ce qui suit :

    Le prestataire a-t-il perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail?
    Il est clair que, n'eût été le conflit collectif, le prestataire aurait continué de travailler pour la Région jusqu'à ce que sa période contractuelle se termine le 20 juin 1989. Le représentant du prestataire allègue néanmoins que le prestataire a perdu son emploi non pas du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif mais par suite de la décision de la direction de licencier tous les travailleurs temporaires. Il s'appuie sur les décisions rendues par la Cour d'appel fédérale dans les affaires Hurren v. A.G. Canada (1986), 69 N.R. 117, et Létourneau c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 2 C.F. 82, 24 D.L.R. (4th) 688, pour soutenir que le paragraphe 31(1) ne s'applique pas au prestataire.
    Dans l'affaire Hurren, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question de savoir si un employé en grève qui prend sa retraite pendant une grève demeure inadmissible au bénéfice des prestations d'assurance-chômage. Le juge Hugessen, au nom de la Cour, a décidé que l'inadmissibilité de l'employé devrait dès lors cesser. Son raisonnement était que :
    L'employé qui prend sa retraite (volontairement ou en y étant forcé, peu importe) rompt les liens qui l'unissent à son employeur. Il n'a plus rien à tirer ni à perdre de l'issue d'un conflit collectif. Il est désormais libre. La cause de la perte de son emploi, facteur décisif à la détermination de l'inadmissibilité visée au paragraphe 44(1), n'importe plus car il a volontairement renoncé à la possibilité de jamais reprendre son emploi.
    Donc, la Cour a reconnu que le prestataire qui rompt ses liens avec son emploi au cours d'un conflit collectif peut, même s'il a à bon droit été jugé inadmissible au début du conflit, invoquer dès lors l'exception prévue au paragraphe 31(2).
    Dans l'affaire Létourneau, la Cour a jugé que le paragraphe 31(1) ne s'applique pas à un employé qui, avant le début d'une grève, quitte définitivement son emploi. Le juge Marceau a souligné la nature «finale» de la perte d'emploi et distingué l'acte collectif de l'acte individuel relativement à la perte d'emploi :
    [D.L.R. 692-3] L'article utilise l'expression «perd son emploi» mais, il ne faut pas s'y tromper, il s'agit de la «perte d'emploi» du gréviste (ou de celui qui est sous le coup d'un lock-out), une perte d'emploi fort spéciale qui résulte d'une «cessation de travail» collective, ne crée pas d'état de chômage, et constitue une simple étape de solution d'un conflit employeur-employés. Or, celui qui démissionne avant le déclenchement de la grève ne «perd pas son emploi» à la manière du gréviste : la perte d'emploi dans son cas est individuelle, elle le rend chômeur et elle est définitive. On n'a plus aucune raison de maintenir à son égard l'inadmissibilité du gréviste.
    Toutefois, le juge Pratte a insisté sur la possibilité qu'une grève puisse se produire ou non après que l'employé a rompu sa relation de travail pour mettre l'accent sur l'acte de l'employé comme la «cause» de la perte d'emploi plutôt que le conflit collectif :
    [690-1] Pour que cette disposition s'applique, il faut donc que la perte d'emploi ait été causée par l'arrêt du travail lui-même. Ce n'est pas le cas ici. Il est logiquement impossible qu'un événement en ait causé un autre si cet autre événement se serait produit même si le premier n'avait pas eu lieu. Comme le requérant avait quitté son emploi avant que la grève ne commence, il était toujours possible que cette grève n'ait pas lieu et, alors, le requérant n'aurait pas retrouvé son emploi. En réalité, le requérant n'a donc pas perdu son emploi «du fait» de la grève, il l'a perdu, plutôt, parce qu'il prévoyait que la grève aurait lieu.
    Finalement, le juge MacGuigan a conclu que la rupture complète de la relation de travail était déterminante :
    [694] En effet, le gréviste retient ses liens avec son employeur mais le démissionnaire a complètement abandonné son droit de retourner à son emploi. En l'espèce le prestataire a rompu ses liens avec son employeur par son acte de démission et il ne serait pas réaliste selon la Loi de caractériser cet acte autrement qu'une perte volontaire sans justification.
    M. Arenburg estime que les arrêts Hurren et Létourneau peuvent être appliqués à cette situation où l'employeur prend l'initiative de rompre la relation de travail avant le début d'un conflit collectif. Toutefois, ce serait défier la logique que de prétendre que l'acte de l'employeur en l'espèce n'avait pas pour cause l'arrêt de travail imminent. Il y a lieu de croire que l'acte de l'employeur a été précipité par l'avis de grève et que, n'eut été la grève, le prestataire aurait continué de travailler pour la Région. Je conclus donc que la majorité a à bon droit décidé que le prestataire avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail.

    Cette affaire, à mon avis, est analogue à celle dont je suis saisi et j'accepte le raisonnement du juge en chef adjoint que ce serait défier toute logique que de prétendre que le renvoi du prestataire n'a pas été causé par l'arrêt de travail suscité par un conflit collectif. Il n'y a aucun doute en l'espèce que le prestataire était un membre cotisant du syndicat, que ses cotisations appuieraient la mesure de grève et qu'il bénéficierait directement des gains qui résulteraient de la grève.

    Pour les motifs précités, l'appel est rejeté.

    B. CULLEN

    JUGE- ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)May 13, 1992
    le 13 mai 1992

    2011-01-16