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  • CUB 21238

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    Antonio GAMBOA

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à
    l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
    Edmonton (Alberta) le 12 février 1991.



    CUB CORRESPONDANT : 21238A

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-1037-92


    DECISION

    CULLEN, J, JUGE-ARBITRE:

    J'ai été saisi de cet appel d'une décision rendue par un conseil arbitral à Edmonton, le 7 mai 1992. À la demande de la prestataire, l'appel a été entendu en même temps que l'appel représentatif interjeté par Josephine White, et ma décision dans cette affaire ainsi que les motifs qui la sous-tendent s'appliquent au cas en l'espèce et sont répétés ici.

    La prestataire en appelle de la décision unanime rendue par le conseil arbitral, qui maintenait la décision de la Commission suivant laquelle la prestataire n'avait pas droit à des prestations du 30 juillet au 21 septembre 1990 étant donné qu'elle avait perdu son emploi en raison d'un arrêt de travail imputable à un conflit collectif à la Shaw Pipe Protection Ltd.

    Toutes les prestataires travaillaient comme manoeuvre à la Shaw Pipe Protection Ltd. et ont été licenciées en date du 27 juillet 1990, soit avant le 30 juillet 1990, date où les membres de la section locale 92 de la Construction and General Workers Union travaillant à la Shaw Pipe Protection ont débrayé. Les prestataires étaient membres de la section locale 92 de ce syndicat. Elles avaient été mises à pied et rappelées au travail au moins à quelques reprises pendant leur période d'emploi et avant le licenciement du 27 juillet 1990. Les employés en grève sont retournés au travail le 24 septembre 1990. Les prestataires, pour leur part, ont été rappelées au travail après le conflit collectif.

    Des avis de licenciement ont été émis le 18 juillet 1990 et devaient entrer en vigueur le 27 juillet 1990 (les avis de licenciement en date du 14 juillet 1990 et devant entrer en vigueur le 22 juillet 1990 n'avaient pas été appliqués). De l'avis du syndicat, ce licenciement résultait d'un ralentissement normal des activités de l'employeur et s'inscrivait dans un cycle de mises à pied intermittentes imputables aux fluctuations du marché en ce qui a trait aux services assurés par l'employeur et ne résultaient aucunement du conflit, de sorte que les prestataires avaient toujours droit aux prestations.

    Le syndicat maintient également que les éléments de preuve fournis à la Commission par l'employeur sont contradictoires en ce qui concerne le transfert par l'employeur de certaines de ces activités avant la grève. De l'avis du syndicat, la pièce 5 ne renferme aucune réponse à la question relative à d'autres faits pertinents concernant des événements qui se sont produits avant ont (sic) conduit à l'arrêt de travail, ainsi que les dates de ces événements. (Par exemple, s'il y avait eu accumulation des stocks, ralentissement du travail, transfert des activités, etc.) et la pièce 7.4 renferme la mention suivante:

    Au dire de l'employeur, il y aurait «très probablement eu du travail pour les employés qui ont été mis à pied» si l'employeur n'avait pas créé la pénurie de travail en distribuant ce dernier à d'autres usines.

    En outre, la pièce 7.4 ne révèle l'existence d'aucune perte de revenu pour l'employeur au cours du mois de juillet. L'employeur allègue en outre qu'il avait distribué du travail à d'autres usines de la Shaw Pipe environ un mois avant la grève. Toutefois, le syndicat fait ressortir le fait qu'un avis de licenciement en date du 14 juin 1990 révèle que l'employeur avait l'intention de licencier en juin essentiellement le même groupe d'employés qui a fini par être mis à pied en juillet, soit quelque six semaines avant la grève. Le relevé d'emploi révèle que les prestataires ont été licenciées en raison d'une pénurie de travail. Par conséquent, le syndicat soutient que le fait, pour le conseil arbitral, d'établir un lien entre le licenciement et le conflit collectif est une conclusion de fait qui n'est pas étayée par les éléments de preuve.

    D'après la position de la Commission et les conclusions du conseil arbitral, il existait un lien entre le licenciement des prestataires et le conflit collectif étant donné que la pénurie de travail à l'usine d'Edmonton résultait des agissements de l'employeur, qui avait envoyé des commandes à d'autres usines pour s'assurer que ses clients seraient servis en dépit de l'arrêt de travail imminent.

    OBSERVATIONS

    Les parties se sont attachées principalement à la question de savoir si la perte d'emploi des prestataires était imputable au conflit collectif. Toutefois, à mon avis, il faut d'abord déterminer le statut des prestataires, vis-à-vis de leur employeur, au moment de la grève. En d'autres termes, les prestataires avaient-elles un emploi à perdre? À cet égard, je me réfère au passage suivant, tiré de Morrisson c. la CEIC (1991), 114 N.R. 272 (CAF) 274 :

    À mon avis, la règle de droit pertinente est plutôt celle qui a été établie par la Cour dans l'affaire Procureur général du Canada c. Morgan (1988), 98 N.R. 92 (C.A.F.) et dans l'affaire Roberts c. Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada (1985), 60 N.R. 349 (C.A.F.). Dans l'affaire Morgan, La Cour a maintenu la décision d'un juge-arbitre pour le motif que la date à laquelle l'emploi commence ou se termine est une pure question de fait. Dans l'affaire Roberts,la décision d'un juge-arbite a été annulée parce qu'elle ne respectait pas la décision du conseil arbitral sur les faits, car le conseil avait soutenu que « le prestataire n'avait pas perdu son emploi par suite du conflit collectif, mais qu'il l'aurait perdu de toute façon à cause des conditions indépendantes de sa volonté» (p. 350-1). Des décisions semblables ont été rendues par des juges-arbitres dans les affaires suivantes : James c. Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada [1987] CUB 14168 (le juge Joyal); Smith c. Commission de l'Emploi et de l'Immigratin du Canada [1989] CUB 14416A (le juge Denault).
    Ces affaires ne justifient donc pas l'ajout à la loi d'une exigence selon laquelle un prestataire devrait être «réellement» au travail pour que le paragraphe 44(1) s'applique. En effet, un avis de rappel pour une date précise suffit.
    La véritable décision à prendre porte sur les faits, c'est-à-dire qu'il s'agit de savoir si le prestataire «a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif...» C'est exactement la question que le juge-arbitre s'est posé et il y a répondu en disant qu'«il était évident que le prestataire et ses collègues de travail avaient réellement un emploi à perdre le 11 août 1986 et que ce dernier avait été perdu par suite de la grève» (dossier, p. 322).

    Dans CUB 14168 JAMES, le prestataire avait été temporairement mis à pied avant le début d'une grève. On estimait que le prestataire n'avait pas mis fin à son lien d'emploi du début de la grève, dans la mesure où le conseil arbitral a statué que, n'eût été de la grève, on aurait demandé au prestataire de se présenter de nouveau au travail une semaine après le début de la grève.

    Le juge-arbitre, répugnant à infirmer la conclusion de fait du conseil arbitral, n'a trouvé aucun motif lui permettant de renverser la décision du Conseil. Le juge-arbitre a ensuite ajouté ce qui suit :

    Le fait tout seul que le prestataire avait déjà été licencié au moment où la grève a été déclenchée ne suffit pas à le soustraire à l'inadmissibilité aux prestations prévue à l'article 44...

    En outre, le prestataire n'a présenté aucune preuve qu'il n'aurait pas été rappelé ni qu'il a pris après le 1er août 1986 des mesures pour rompre la relation employé-employeur. Il me semblerait, comme l'estimait le juge Addy dans CUB 5564, qu'une preuve quelconque permettant de conclure qu'il y a eu une rupture ou qu'une rupture a été discutée ou négociée à une date ultérieure serait nécessaire pour étayer l'argument du prestataire à ce propos (pages 3-4).

    Dans le CUB 16604 ALBRIGHT, on avait établi une date de retour au travail. Toutefois, le juge-arbitre a fait remarquer, à la page 5 :

    Il s'agit d'une distinction subtile, mais apparemment, la seule perspective ou peut-être même la garantie d'un emploi ne suffisent pas pour que l'on puisse établir que le prestataire exerce un emploi au début d'une grève quand, en fait, il ne travaille pas à l'époque.
    Cependant, si les employés sont régulièrement rappelés au travail, de sorte que dans le cas d'employés occasionnels on les rappelle périodiquement au travail pour qu'ils soient considérés comme faisant partie de l'effectif, alors la situation est différente, et l'on peut déterminer qu'ils ont perdu leur emploi à partir de la date où ils auraient été rappelés au travail, si la grève n'avait interrompu le cycle.
    [C'est moi qui souligne]

    À l'examen des décisions rendues par divers conseils arbitraux, il me semble que ces conseils ont négligé d'établir le statut des prestataires au moment de la grève, notamment de déterminer s'il existait un lien employé-employeur. À la lumière de la jurisprudence, les conseils ont commis une erreur en négligeant de résoudre cette question déterminante avant de décider si les prestataires avaient perdu leur emploi en raison de la grève.

    Je puis renvoyer la question au conseil arbitral ou me prévaloir des pouvoirs discrétionnaires que me confère l'article 81 et rendre la décision qu'aurait dû rendre le conseil arbitral. J'ai décidé de rendre la décision, à cause du nombre de prestataires touchées et pour accélérer le processus.

    Aucune objection n'a été présentée en réponse à la déclaration de M. Ken Reid, président de la section locale du syndicat, qui répondait à une question au sujet des licenciements cycliques pendant l'été.

    Le licenciement ne s'assortissait manifestement d'aucune date définie de rappel au travail, mais je suis convaincu que les licenciements et les rappels au travail étaient suffisamment courants pour établir qu'il existait un lien d'emploi comme celui auquel faisait allusion le juge-arbitre dans ses observations présentées dans CUB 16604. Le lien d'emploi n'a pas été rompu, et pour ce seul motif, l'appel est rejeté. Étant donné les brillants exposés qu'ont faits le représentant des prestataires et le représentant de la Commission, j'estime que je dois également déterminer si la perte d'emploi (quoique temporaire) était imputable à un arrêt de travail découlant lui-même d'un conflit collectif à l'endroit où la prestataire travaillait. Le conseil arbitral a déterminé, en s'appuyant sur les faits, que :

    La pénurie de travail résultat de la grève. Le conseil n'est pas d'accord avec le fait que, pour qu'une personne perde le droit à ses prestations, il doit y avoir eu conflit collectif, puis grève et mise à pied, dans cet ordre. Cependant tous ces éléments doivent être présents, et dans l'affaire en l'espèce, ils le sont.
    Cependant tous ces éléments doivent être présents, et dans l'affaire en l'espèce, ils le sont.

    LA LOI

    Dans le cas qui nous occupe, les licenciements ont précédé l'arrêt de travail de trois jours, et le conseil arbitral a déterminé en droit que la perte d'emploi découlait d'une grève ou d'un lock-out imminent. « En d'autres termes, le conseil arbitral était d'avis que la perte d'emploi pouvait précéder l'arrêt de travail », déclare le représentant de la prestataire, estimant qu'il s'agit là d'une erreur de droit.

    À l'appui des allégations de la prestataire, il cite l'arrêt Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada c. Caron (1989) C.L.L.R. 12, 224, dans lequel la majorité des membres de la Cour d'appel fédérale ont déclaré ce qui suit au sujet de l'actuel paragraphe 31(1) de la Loi sur l'assurance-chômage :

    En d'autres termes, le paragraphe 44 (1) ne s'attache pas uniquement à une cause, tel le conflit collectif, mais un seul effet, l'arrêt de travail, mais il s'attache à une chaîne de causalité : la première cause, conflit collectif, est suivie d'un effet initial, d'un arrêt de travail, lequel à son tour provoque un deuxième effet, savoir la perte d'emploi du prestataire. Par définition, la première cause s'applique à un groupe. Le premier effet, l'arrêt de travail, touche également un groupe; il touche plusieurs employés, habituellement, de nos jours, tous les membres d'une même unité de négociation. La perte d'emploi, en comparaison, touche toujours un seul individu, s'applique spécifiquement à chaque prestataire qui, en raison de l'arrêt de travail a perdu « son emploi ».
    [C'est moi qui souligne]

    et ensuite :

    Nous soulignons que la déclaration précitée a été approuvée par Mme la juge L'Heureux-Dubé, dans un arrêt de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Caron (p. 12, 068) :
    La majorité notait que le paragraphe 44(1) créait une chaîne de causalité : un conflit collectif peut causer un arrêt du travail à un groupe d'employés et l'arrêt du travail peut à son tour causer une perte d'emploi à un individu... Je suis substantiellement d'accord avec la position de la majorité de la Cour d'appel fédérale.
    Voilà qui met en relief la série d'événements qui doivent se produire pour qu'un prestataire perde son droit aux prestations en vertu du paragraphe 31(1), savoir :
    1. Il doit y avoir conflit collectif;
    2. Le conflit collectif doit entraîner un arrêt du travail;
    3. Le prestataire doit perdre son emploi en raison de cet arrêt de travail.

    La Commission pour sa part estimait que l'inadmissibilité, en l'espèce, avait été imposée en vertu de l'article 31 de la loi, qui se lit comme suit :

    31.(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes :
    a) la fin de l'arrêt de travail;
    b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne;
    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.
    (2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire prouve :
    a) d'une part, qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé;
    b) d'autre part, qu'il n'appartient pas à un groupe ou à une catégorie de travailleurs dont certains exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt de travail et participent au conflit collectif, le financent ou y sont directement intéressés.
    (2) Lorsque des branches d'activités distinctes qui sont ordinairement exercées en tant qu'entreprises distinctes dans des locaux distincts, sont exercées dans des services différents situés dans les mêmes locaux, chaque service est réputé, pour l'application du présent article, être une usine ou un atelier distincts.

    Le paragraphe 2(1) de la loi définit comme suit un « conflit collectif » :

    2(1) Conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l'emploi ou aux modalités d'emploi de certaines personnes ou au fait qu'elles ne sont pas employées.

    Le conseil arbitral a statué que la prestataire avait été mise à pied «en raison d'une pénurie de travail imputable à la décision de l'employeur de confier le travail à exécuter à d'autres usines de la société qui n'étaient pas en mesure de faire la grève» «En d'autres termes, ajoute la Commission, s'il n'y avait pas eu de conflit collectif et d'arrêt de travail imminent en raison d'une grève, l'employeur n'aurait pas été obligé d'envoyer le travail à l'extérieur, de sorte qu'il aurait pu garder [la prestataire] à son emploi.»

    À mon avis, l'arrêt Létourneau (cité plus haut) n'est pas pertinent en l'espèce étant donné que le prestataire avait démissionné de son poste et rompu tout lien d'emploi. Le juge Marceau, de la Cour d'appel fédérale, a abordé clairement cette question en ces termes :

    ...l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, qui déclare inadmissible aux bénéfices des prestations l'employé qui perd son emploi par suite d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif, s'applique-t-il à celui qui démissionne et quitte définitivement son emploi juste avant que ne soit déclenchée une grève des employés de l'unité dont il fait partie ?

    Non, répond le juge Marceau, à la page 6 :

    Il évite l'inadmissibilité parce qu'en modifiant complètement son état il ne devient jamais gréviste.

    Toutefois, le juge Marceau est très clair :

    ...À moins que la démission ne soit qu'apparente et ne constitue qu'une façon de déclencher une grève comme ce serait le cas de démissions collectives fomentées par un groupe d'employés, démissions auxquelles l'employeur ne pourrait, en pratique, donner effet. Il y aurait là sans doute une fraude à la Loi qui serait immédiatement sanctionnée. Mais rien de tel ici, on parle d'une démission réelle, vraie, individuelle.

    Cette affaire fait ressortir la distinction entre le fait de perdre son emploi et le fait de le quitter. Dans l'arrêt Caron (ci-dessus), le tribunal s'attachait à la question de déterminer à quel moment l'arrêt de travail avait pris fin, situation complètement différente de celle à laquelle nous sommes confrontés ici. Une fois de plus, dans l'arrêt Valois (ci-dessus), la question était de savoir si Valois avait participé à un conflit collectif, et en dernière analyse, le tribunal a déterminé que l'inadmissibilité prévue à l'article 44 ne tient pas nécessairement à une succession d'événements.

    L'affaire qui décrit le mieux les allégations de la prestataire est celle de Bilodeau, CUB 9830-A; je cite la décision du juge Joyal, qui faisait office de juge-arbitre :

    À la date de la mise à pied, soit le 7 avril 1982, il n'existait pas d'arrêt de travail à l'usine. L'arrêt de travail n'est survenu que le lendemain, le 8 avril 1992. Même si l'écart entre le congédiement et l'arrêt de travail n'ait été que de courte durée, on ne pourrait prétendre, pour fins de l'article 44, qu'un arrêt de travail existait. Il importe peu qu'il soit établi que le congédiement ait eu lieu en prévision d'un arrêt de travail qui devait s'effectuer le lendemain par voie d'un «lock-up». Le texte de l'article 44 ne parle pas d'une perte d'emploi prévue à l'article 44. Dans les circonstances, le motif de l'employeur en congédiant le prestataire n'est pas pertinent à la cause.

    Après lecture de sa décision étayée avec soin, il me semblait qu'elle n'allait pas dans le sens de la jurisprudence habituelle à ce sujet, c'est-à-dire celle qui portait qu'une succession d'événements aurait dû se produire. La Commission a cité les CUB 4769, 5410 et 8498, autant d'affaires où l'on avait déterminé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d'un arrêt de travail. Cependant, le raisonnement du juge en chef adjoint, qui faisait office de juge-arbitre dans le cas du CUB 19771 (Baronette et al.) est très contraignant :

    Le prestataire a été embauché par la municipalité régionale de Sudbury (la «Région») pour travailler comme manoeuvre temporaire du 21 novembre 1998 au 20 juin 1989. Le 14 avril 1989, il a rempli une demande renouvelée de prestations dans laquelle il indiquait que son emploi avait cessé le 6 avril 1989 et une période de prestations a été établie à partir au 9 avril 1989.
    Toutefois, la Région a fait savoir qu'un conflit collectif l'opposant aux section 6 et 207 du Syndicat canadien de la fonction publique [SCFP] avait donné lieu à un arrêt complet de travail à partir du 7 avril 1989. La région a indiqué dans le relevé d'emploi du prestataire que son emploi avait cessé en raison d'une grève. Shirley Clemence, une commis du Personnel, a fait savoir que les employés temporaires sont tenus de verser des cotisations syndicales et que, même s'ils n'ont aucun droit de rappel précis, l'employeur peut les rappeler. Elle a mentionné qu'ils auraient travaillé jusqu'à la fin de la période prévue s'il n'y avait pas eu de conflit collectif et qu'ils ont été licenciés parce qu'ils occupaient des emplois compris dans l'unité de négociation et ne pourraient terminer leur contrat en raison de la grève. Le conflit collectif a apparemment cessé en septembre 1989 et le prestataire a par la suite recommencé à travailler pour la Région le 16 octobre 1989.
    Par un avis de refus daté du 29 mai 1990, la Commissiona informé le prestataire qu'il n'était pas admissible aux bénéfices des prestations depuis le 9 avril 1989 jusqu'à la fin de l'arrêt de travail parce qu'il avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Le prestataire a par la suite fait lever l'inadmissibilité à partir du 20 juin 1989. Le 13 juin 1989, le prestataire a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral; il alléguait que son emploi auprès de la Région avait cessé le 6 avril 1989, qu'il n'était pas membre du syndicat et n'était pas intéressé au conflit ni à son issue et qu'il n'y participait pas ni ne le finançait.

    Le prestataire en a appelé de la décision du conseil arbitral, qui avait rendu la décision suivante :

    La majorité a donc jugé que le prestataire avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif parce que «l'avis de cessation d'emploi délivré à la fin du poste du prestataire le 6 avril 1989 l'a été à cause de la décision du syndicat d'arrêter le travail le 7 avril 1989» et a rejeté son appel.
    Toutefois, un membre dissident du conseil a retenu que l'avis de cessation d'emploi a été délivré un jour avant le retrait des services du syndicat et, s'appuyant sur l'arrêt Létourneau, A-1082-84, selon lequel l'employé qui démissionne avant le début d'une grève ne sera pas déclaré inadmissible, il a conclu que «les prestataires n'étaient donc pas employés par la Région quand la grève a commencé. Il a souligné que c'était l'employeur qui avait pris l'initiative de licencier le prestataire avant l'arrêt de travail et que ce dernier n'a donc jamais été en grève. Il a conclu que le prestataire n'avait pas fait de piquetage ni participé de quelque autre façon à la grève et, s'appuyant sur la déclaration du prestataire selon laquelle «il n'avait pas voté pour ou contre la grève ni pour ou contre le contrat proposé», il a accueilli l'appel.
    Le prestataire en appelle devant le juge-arbitre de la décision majoritaire du conseil en vertu de l'alina 80b) de la Loi sur l'assurance-chômage. Il soutient que les prestataires qui perdent leur emploi par suite de la décision d'un employeur de les licencier avant le début d'un conflit collectif ne le perdent pas «du fait d'un arrêt de travail». Il affirme qu'il n'était pas membre du syndicat, qu'il n'avait pas le droit de voter, qu'il n'a rien eu à voir à la décision de déclencher la grève et qu'il n'a pas participé à la grève ni reçu d'indemnité de grève. Il soutient que tout intérêt qu'il a pu avoir à être réembauché à une date ultérieure et à bénéficier ainsi du conflit collectif est indirect et spéculatif, dépend uniquement du bon plaisir de la Région et que rien n'autorise à penser qu'une possibilité de rappel futur au travail suffit pour prouver qu'un prestataire est «directement intéressé». Finalement, il soutient que les employés temporaires constituent «un groupe ou une catégorie de travailleurs» distincts des employés permanents et stagiaires de la Région en ce que leurs relations de travail sont sensiblement différentes et que leurs avantages et privilèges sont beaucoup moins favorables.

    Dans sa conclusion, à cet égard, le juge en chef Jerome écrit ce qui suit :

    Le prestataire a-t-il perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail?

    Il est clair que, n'eût été le conflit collectif, le prestataire aurait continué de travailler pour la Région jusqu'à ce que sa période contractuelle se termine le 20 juin 1989. Le représentant du prestataire a perdu son emploi non pas du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif mais par suite de la décision de la direction de licencier tous les travailleurs temporaires. Il s'appuie sur les décisions rendues par la Cour d'appel fédérale dans les affaires Hurren v. A.G. Canada [1986], 69 N.R. 117, et Létourneau c. Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada), [1986] 2 C.F. 82, 24 D.L.R. (4th) 688, pour soutenir que le paragraphe 31(1) ne s'applique pas au prestataire.

    Dans l'affaire Hurren, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question de savoir si un employé en grève qui prend sa retraite pendant une grève demeure inadmissible au bénéfice des prestations d'assurance-chômage. Le juge Hugessen, au nom de la Cour, a décidé que l'inadmissibilité de l'employé devrait dès lors cesser. Son raisonnement était que:

    L'employé qui prend sa retraite (volontairement ou en y étant forcé, peu importe) rompt les liens qui l'unissent à son employeur. Il n'a plus rien à tirer ni à perdre de l'issue d'un conflit collectif. Il est désormais libre. La cause de la perte de son emploi, facteur décisif à la détermination de l'inadmissibilité visée au paragraphe 44(1), n'importe plus car il a volontairement renoncé à la possibilité de jamais reprendre son emploi.

    Donc, la Cour a reconnu que le prestataire qui rompt ses liens avec son emploi au cours d'un conflit collectif peut, même s'il a à bon droit été jugé inadmissible au début du conflit, invoquer dès lors l'exception prévue au paragraphe 31(2).

    Dans l'affaire Létourneau, la Cour a jugé que le paragraphe 31(1) ne s'applique pas à un employé qui, avant le début d'une grève, quitte définitivement son emploi. Le juge Marceau a souligné la nature «finale» de la perte d'emploi et distingué l'acte collectif de l'acte individuel relativement à la perte d'emploi :

    [à D.L.R. 692-3] L'article utilise l'expression «perd son emploi» mais, il ne faut pas s'y tromper, il s'agit de la »perte d'emploi» du gréviste (ou de celui qui est sous le coup d'un lock-out), une perte d'emploi fort spéciale qui résulte d'une «cessation de travail», collective, ne crée pas d'état de chômage, et constitue une simple étape de solution d'un conflit employeur-employés. Or, celui qui démisionne avant le déclenchement de la grève ne «perd pas son emploi» à la manière du gréviste : la perte d'emploi dans son cas est individuelle, elle le rend chômeur et elle est définitive. On n'a plus aucune raison de maintenir à son égard l'inadmissibilité du gréviste.

    Toutefois, le juge Pratte a insisté sur la possibilité qu'une grève puisse se produire ou non après que l'employé a rompu sa relation de travail pour mettre l'accent sur l'acte de l'employé comme la «cause» de la perte d'emploi plutôt que le conflit collectif :

    [à 690-1] Pour que cette disposition s'applique, il faut donc que la perte d'emploi ait été causée par l'arrêt du travail lu- même. Ce n'est pas le cas ici. Il est logiquement impossible qu'un événement en ait causé un autre si cet autre événement se serait produit même si le premier n'avait pas eu lieu. Comme le requérant avait quitté son emploi avant que la grève ne commence, il était toujours possible que cette grève n'ait pas lieu et, alors, le requérant n'aurait pas retrouvé son emploi. En réalité, le requérant n'a donc pas perdu son emploi «du fait» de la grève, il l'a perdu, plutôt, parce qu'il prévoyait que la grève aurait lieu.

    Finalement, le juge MacGuigan a conclu que la rupture complète de la relation de travail était déterminante :

    [à 694] En effet, la gréviste retient ses liens avec son employeur mais le démissionnaire a complètement abandonné son droit de retourner à son emploi. En l'espèce, le prestataire a rompu ses liens avec son employeur par son acte de démission et il ne serait pas réaliste selon la Loi de caractériser cet acte autrement qu'une perte volontaire sans justification.

    M. Arenburg estime que les arrêts Hurren et Létourneau peuvent être appliqués à cette situation où l'employeur prend l'initiative de rompre la relation de travail avant le début d'un conflit collectif. Toutefois, ce serait défier la logique que de prétendre que l'acte de l'employeur en l'espèce n'avait pas pour cause l'arrêt de travail imminent. Il y a lieu e croire que l'acte de l'employeur a été précipité par l'avis de grève et que, n'eut été la grève, le prestataire aurait continué de travailler pour la Région. Je conclus donc que la majorité a à bon droit décidé que le prestataire avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail.

    À mon avis, l'affaire en l'espèce correspond en tous points à celle que je viens de citer, et je suis d'accord avec le raisonnement du JCA, selon lequel il serait illogique ici de maintenir que le licenciement de la prestataire n'a pas découlé de l'arrêt de travail provoqué par un conflit collectif. Il ne fait aucun doute ici que la prestataire était membre en règle du syndicat, qui versait ses cotisations, mais qu'elle pouvait servir à appuyer une mesure de grève, et que la prestataire profiterait directement des gains découlant de la grève.

    Pour les motifs précités, l'appel est rejeté.

    ______________

    JUGE-ARBITRE

    2011-01-16