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  • CUB 21574

    EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations par
    Michel Brissette

    - et -

    RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission Emploi et
    Immigration Canada à l'encontre d'une décision d'un conseil arbitral
    rendue á Joliette, Québec le 2 mai 1991



    CUB CORRESPONDANT : 21574A

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-1342-92


    DÉCISION

    DENAULT, J., JUGE-ARBITRE:

    La Commission en appelle d'une décision du conseil arbitral qui a annulé la décision de son agent d'exclure le prestataire de son droit aux prestations d'assurance-chômage pour une durée de sept semaines au motif qu'il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

    Les faits sont fort simples et méritent d'être brièvement résumés. Chauffeur de camion pour une entreprise de transport depuis le 25 mai 1988, le prestataire a été congédié le 22 janvier 1991 en raison de la suspension de son permis de conduire. L'événement ayant entraîné cette suspension était survenu deux ans plus tôt, un dimanche après-midi, lorsqu'intercepté par la police, il avait dû se soumettre à un test d'ivressomètre. Il était alors au volant de son automobile en dehors de ses heures de travail. Lorsqu'il a fait une demande de prestations d'assurance-chômage, la Commission y a vu un cas d'inconduite et l'a exclu de son droit aux prestations pour sept semaines. Le conseil arbitral, après avoir glané dans la jurisprudence des notions d'inconduite que la loi ne définit d'ailleurs pas, a analysé la preuve et conclu que les faits dont ils saisis ne constituaient pas de l'inconduite. Voici comment il s'est exprimé:

    DÉCISION

    Des pièces nouvelles sont ajoutées au dossier soit les pièces nos 10.1-10.2. Le représentant du prestataire nous cite les CUB 7007 et 7230 pour son argumentation. Au CUB 7230 on y retrouve la définition de l'inconduite soit:
    1. Citation du Juge Dubinsky: "L'inconduite consiste en quelque action malfaisante touchant le travail lui-même".
    2. Citation du Juge Cattanach: "L'inconduite consiste en quelque action malfaisante touchant la relation entre commettant et préposé ou employeur et employé".
    Nous sommes ici devant un prestataire qui a perdu son permis de conduire parce que son taux d'alcool dépassait 0.08 suite à une vérification de routine des policiers un dimanche en juillet 89 en-dehors de ses heures de travail.
    Les membres du conseil arbitral doivent déterminer si le prestataire a perdu son emploi à cause d'une inconduite. Comme précédemment il a été cité deux (2) définitions des savants juges il est clair pour les membres du conseil arbitral que le prestataire n'a pas perdu son emploi pour cause d'inconduite mais plutôt a perdu son emploi car il ne remplissait plus les conditions de son emploi c'est-à-dire qu'il n'avait plus de permis de conduire et ne pouvait plus être considéré comme chauffeur de camion.
    Pour toutes ces raisons, les membres du conseil arbitral, unanimement, annulent la décision de la Commission.

    J'estime que cette décision ne comporte aucune erreur de droit ou de fait et ne mérite pas l'intervention du juge-arbitre. Il est acquis depuis longtemps en jurisprudence que la question de savoir si la conduite d'un employé entraînant la perte de son emploi constitue une "inconduite", dépend dans une large mesure des circonstances de chaque cas individuel. Si d'une part, l'interprétation du mot inconduite constitue une question de droit, d'autre part la question de savoir si une action ou omission particulière de la part d'un employé est visée par la définition de ce mot en est une de fait. (Procureur général du Canada c. Bedell, C.A.F. A-1716-83). En l'occurrence, le conseil arbitral a estimé que "le prestataire n'a pas perdu son emploi pour cause d'inconduite mais plutôt a perdu son emploi car il ne remplissait plus les conditions de son emploi, c'est-à-dire qu'il n'avait plus de permis de conduire et ne pouvait plus être considéré comme chauffeur de camion." On a parfois estimé en jurisprudence que l'inconduite, pour justifier un congédiement, pouvait avoir eu lieu en dehors des lieux et des heures de travail et qu'il suffisait qu'elle soit suffisamment reliée à l'emploi pour nécessiter un congédiement (CUB 12635). On a aussi considéré (CUB 12882) que tout geste d'un prestataire durant ou en dehors de ses heures d'ouvrage, qui conduit à son congédiement, constitue de l'inconduite. Dans cette affaire, le juge-arbitre s'était ainsi exprimé:

    Misconduct under the Act should mean any activity on the part of the claimant, whether on or off the job, that directly leads to the dismissal.
    In this case, the claimant, who knows he must have his driver's permit to be employed, loses his permit as a result of his impaired driving. By his actions, he causes the loss of his employment.
    This, in my opinion, is misconduct.

    Avec égard pour l'opinion contraire, j'estime que cette décision va beaucoup trop long: tout en restreignant singulièrement les activités d'un individu en dehors de ses heures de travail, elle impose en quelque sorte au prestataire le fardeau de prouver que la perte de son emploi n'est pas attribuable à sa propre faute. Selon l'économie générale de la loi, il incombe plutôt à la Commission de prouver que les faits et gestes d'un prestataire constituent de l'inconduite justifiant son exclusion au droit aux prestations. En l'instance, la Commission a manifestement failli de faire cette preuve devant le conseil arbitral et il n'y a pas lieu que j'intervienne pour modifier la décision du conseil. Par ailleurs, j'estime que la notion d'inconduite implique la présence d'un geste délibéré ou volontaire d'un employé vis-à-vis de son employeur ou dans sa relation de travail avec celui-ci. La simple occurrence d'un fait extérieur qui met l'emploi en péril ou justifie le congédiement ne constitue pas pour autant une forme d'inconduite.

    Pour ces motifs, l'appel de la Commission est rejeté.

    JUGE-ARBITRE

    le 3 juin 1992

    2011-01-16