TRADUCTION
EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT À une demande de prestations par
VELTA ULMANIS
- et -
RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
rendue à Toronto (Ontario), le 12 février 1991.
DÉCISION
J.C. McNair, C.R., juge-arbitre:
La prestataire fait appel d'une décision unanime du conseil arbitral maintenant la décision de la Commission de rejeter sa demande de faire antidater sa demande au 4 février 1990 pour la raison qu'elle n'avait pas démontré qu'elle avait eu un motif justifiant le fait qu'elle avait attendu durant toute la période écoulée entre ce moment et le 15 septembre 1990 avant de présenter sa demande. Les motifs précisés dans la lettre d'appel de la prestataire se lisent comme suit :
- Le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a refusé d'exercer sa compétence.
- Le conseil arbitral a rendu une décision entachée d'une erreur de droit.
- Le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
En particulier, j'estime que le conseil arbitral ne m'a pas permis de me faire entendre complètement et équitablement au sujet de cette question, contrairement aux principes de la justice naturelle. En outre, le conseil arbitral a commis une erreur de droit et de fait en refusant de tenir compte du fait que je m'étais fiée à des conseils trompeurs et inexacts d'un employé de l'Assurance-chômage au sujet du délai prévu pour la présentation d'une demande.
La prestataire avait occupé un poste de coordonnatrice de la conception à la Société Radio-Canada dans le cadre de plusieurs contrats de travail. Celui en cause couvrait la période allant du 11 septembre 1989 au 10 septembre 1990. La SRC a mis fin à ce contrat le 2 février 1990. Le 19 février 1990, la SRC lui a remis son relevé d'emploi pour la période au cours de laquelle elle avait été employée dans le cadre de ce contrat. Le 20 février 1990, la prestataire s'est rendue au CEC le plus près, avec son relevé, pour prendre un formulaire de demande de prestations d'assurance-chômage. Comme elle s'informait de ses droits, un employé de la Commission lui a dit qu'elle pouvait présenter sur place sa demande de prestations, mais que pour qu'on puisse évaluer sa demande correctement, il fallait qu'elle fournisse les autres relevés d'emploi qu'elle avait reçus de la SRC et de son employeur précédent, la société UMA Spantec Ltd. La prestataire a ensuite demandé à cette personne s'il y avait une date limite pour la présentation de sa demande et des documents d'appoint. On lui a répondu qu'il n'y en avait pas et que souvent, des gens attendaient pendant des mois avant de la présenter. Se fiant à ces renseignements, la prestataire a décidé d'attendre, pour formuler sa demande, d'avoir assemblé tous les documents nécessaires. Elle a finalement présenté sa demande de prestations le 17 septembre 1990. Peu après, soit le 25 septembre 1990, elle a demandé, dans une lettre où elle expliquait en détail les raisons pour lequelles elle avait tardé à présenter sa demande, que sa demande initiale soit antidatée au 4 février 1990.
Par la suite, le refus d'antidater sa demande a fait l'objet d'une certaine confusion. Elle a d'abord été avisée du refus par une lettre datée du 4 octobre 1990. La Commission lui a écrit le 20 novembre suivant pour l'aviser que la décision lui avait été envoyée par erreur et était par conséquent révoquée, que son cas avait été réexaminé et qu'une nouvelle décision avait été rendue. La nouvelle décision rejetant sa demande d'antidate a été envoyée dans une lettre distincte portant la même date; cette décision semble avoir été fondée sur les mêmes dispositions législatives que celles sur lesquelles on s'était fondé pour rendre la première décision datée du 4 octobre 1990. La prestataire a fait appel de cette nouvelle décision auprès du conseil arbitral.
La prestataire était absente au moment de la première audience du conseil arbitral, qui a eu lieu le 11 janvier 1991. Le conseil, tenant compte du fait qu'elle avait été dûment avisée de la date et du lieu de l'audience, a rendu sa décision en son absence à partir des documents en dossier. Dans sa décision, le conseil arbitral en est arrivé à la conclusion suivante :
CONCLUSION :
Après avoir examiné soigneusement les documents qui lui ont été présentés, le Conseil est incapable de trouver un motif convaincant pour justifier le fait que l'appelante a attendu durant toute la période allant du 4 février 1990 au 15 septembre suivant avant de présenter sa demande de prestations. Pour les motifs exposés ci-dessus, l'appel de l'appelante est rejeté.
DÉCISION :
L'appel de l'appelante est REJETÉ et la décision de l'agent de l'Assurance est MAINTENUE.
La prestataire s'est plainte auprès de la Commission du fait qu'elle n'avait pas été suffisamment avisée de l'audience et elle a demandé une autre audition. La Commission a accédé à cette demande du fait qu'une nouvelle audience était justifiée en vertu de l'article 86 de la Loi. Cela a permis à la prestataire de déposer un nouvel élément de preuve, soit une lettre de sa psychothérapeute, Elisabeth Mowling, B.Sc., datée du 8 février 1991 et adressée au conseil arbitral. Cette lettre se lit comme suit :
Mme Velta Ulmanis s'est présentée à ce bureau pour des séances hebdomadaires régulières à partir du 20 février 1990 jusqu'à maintenant.
Mme Ulmanis présentait des symptômes de dépression qui, à son avis, avaient commencé après la perte soudaine de son poste à la SRC, où elle avait été licenciée.
Durant la période où elle a été le plus déprimée, elle n'avait que peu d'énergie, ce qui lui a fait négliger de nombreuses choses dont elle se serait normalement occupée.
J'espère que ces renseignements vous aideront quelque peu dans votre décision.
Le même conseil arbitral s'est réuni de nouveau le 12 février 1991 pour entendre l'appel et cette fois, la prestataire était présente. Le conseil arbitral a fait allusion au nouvel élément de preuve contenu dans la lettre provenant de la société Mowling Counselling Services (pièce n° 14) dans son examen des faits et des éléments de preuve et il a ensuite exposé les conclusions de fait et sa conclusion de la façon suivante :
À ce moment [le 20 février 1990], l'appelante souffrait de troubles émotifs. Au cours des deux années précédentes, elle avait vu son bref mariage se terminer abruptement. Après avoir été sollicitée pour un excellent poste au siège de la SRC à Toronto, elle a vécu une situation confuse où différents bureaux principaux lui ont confié des responsabilités diverses; pendant sept semaines, elle n'a reçu aucune rémunération parce qu'on ne savait pas de qui elle relevait.
Au cours de son témoignage, l'appelante a souligné le fait qu'elle avait cherché un emploi à partir de février 1990 jusqu'à ce qu'elle soit finalement embauchée dans un magasin de détail avant la ruée des clients précédant Noël; elle avait aussi obtenu certains contrats à court terme dans sa profession.
CONCLUSION :
L'appelante s'est avérée un témoin crédible et le Conseil a reconnu sa situation avec une grande sympathie. Il est manifeste qu'elle a été très angoissée par les conditions stressantes liées à son travail à la SRC, par la perte soudaine de son emploi et par la confusion qui s'est ensuivie en ce qui concerne sa demande de prestations d'assurance-chômage. Néanmoins, compte tenu de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, le Conseil ne peut conclure que l'appelante a pu démontrer qu'elle avait eu, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage, un motif justifiant le fait d'avoir tant tardé à présenter sa demande de prestations. Elle est allée au CEC le 20 février 1990 avec un relevé d'emploi et elle aurait pu remplir une demande à ce moment-là. Elle s'est fiée à l'opinion d'un employé du CEC et ne s'est plus occupée de sa demande jusqu'au mois de septembre suivant. Bien qu'elle était déprimée et manquait d'énergie, elle a été en mesure de consacrer beaucoup d'efforts à la recherche d'un emploi.
Après avoir examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, le Conseil arbitral conclut à l'unanimité que l'appelante est incapable de démontrer qu'elle avait un motif justifiant le fait d'avoir tardé à présenter sa demande de prestations.
DÉCISION :
L'appel de l'appelante est REJETÉ et la décision de l'agent de l'Assurance est MAINTENUE.
La prestataire a été représentée devant moi avec compétence par Mlle Rebecca Will, une étudiante en droit employée par la firme Genest Murray DesBrisay Lamek, qui a déposé un mémoire d'allégations bien préparé ainsi qu'un mémoire de textes de jurisprudence. M. Robert Goldstein a exercé la fonction de conseil de la Commission et a fait une bonne présentation en faveur de son client.
La représentante de la prestataire a allégué que sa cliente avait un motif justifiant le fait qu'elle avait tardé à présenter sa demande, car elle s'était fiée à un renseignement erroné d'un employé de la Commission à l'effet qu'il n'y avait pas de date limite pour présenter sa demande. En raison de ce qu'on lui a dit à ce moment, la prestataire a conclu qu'il serait moins compliqué d'attendre d'avoir en main tous ses relevés d'emploi. Le conseil a en outre allégué que la prestataire souffrait de troubles émotifs après son licenciement par la SRC en raison du stress subi au travail et de l'échec de son mariage et qu'elle n'était pas émotivement en mesure de faire face aux problèmes liés au fait d'acquérir de son employeur ses relevés d'emploi. Elle a fait remarquer avec insistance que le conseil arbitral avait reconnu ce fait. Elle a allégué que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit dans son interprétation de ce qui constituait un «motif justifiant» le délai en cause, selon le critère établi dans l'arrêt de principe de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Procureur général du Canada c. Waldemar Albrecht (1985), 1 CF 710, juge Marceau, page 718. Elle a ensuite brièvement passé en revue les décisions CUB figurant dans son mémoire.
Le conseil de la prestataire a allégué que Mme Ulmanis était exactement dans la même situation que les prestataires en cause dans ces cas, puisqu'elle s'est fiée à un renseignement incorrect ou insuffisant donné par un employé de la Commission, ce qui l'a portée à croire qu'elle ne serait pas pénalisée si elle remettait à plus tard la présentation de sa demande, étant donné qu'aucune date limite n'était prévue et qu'il valait mieux attendre qu'elle ait reçu tous ses relevés d'emploi.
Le conseil a ensuite élaboré l'allégation à l'effet que le conseil arbitral avait fait défaut d'observer un principe de justice naturelle, en affirmant que le fait que le conseil arbitral a rendu sa décision lors d'une deuxième audience alors qu'il avait déjà rendu une décision défavorable auparavant entraînait une crainte raisonnable de parti pris, citant à cet effet la décision prise dans l'affaire Millward (CUB 14813).
Enfin, le conseil de la prestataire a allégué que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit en refusant la demande de la prestataire qui voulait faire antidater sa demande de prestations, ce qui est contraire au critère établi concernant ce qu'aurait fait, dans des circonstances semblables, une personne raisonnable ayant reçu un renseignement erroné d'un employé de la Commission.
Le premier point soulevé par le conseil de la Commission, M. Goldstein, était que l'explication fournie par la prestataire pour avoir tardé à remplir sa demande de prestations, à savoir qu'elle avait reçu un renseignement erroné de la Commission, était différente de celle qui avait été présentée au conseil arbitral dans la pièce numéro 4, à savoir qu'elle avait décidé de retarder la présentation de sa demande jusqu'à ce qu'elle ait en main tous ses relevés d'emploi parce qu'elle ne voulait pas faire travailler inutilement les employés et créer un embrouillamini administratif. Ensuite, le conseil a allégué que le renseignement fourni n'était pas réellement erroné parce que la Loi et le Règlement ne prévoient pas de date limite pour la présentation d'une demande de prestations et qu'il est littéralement vrai que certaines personnes attendent des mois avant de la remplir. À l'appui de cette affirmation, il a cité ma décision dans l'affaire Nielsen (CUB 11718), alléguant que les faits, dans cette cause, étaient très semblables à ceux de la présente affaire. En réponse à une question que je lui ai posée, le conseil de la Commission a admis que bien qu'aucune date limite n'est prévue dans la Loi et le Règlement pour la présentation des demandes de prestations d'assurance-chômage, les prestataires ont néanmoins l'obligation de remplir leur demande promptement dans l'intérêt de l'efficacité administrative.
Le conseil de la Commission a insisté sur le fait que le conseil arbitral détenait des éléments de preuve à l'effet que la décision de la prestataire de ne pas remplir sa demande promptement était surtout fondée sur son désir de ne pas faire travailler inutilement les employés et d'éviter un embrouillamini administratif, et qu'ainsi le conseil arbitral pouvait raisonnablement conclure qu'elle n'avait pas démontré avoir un motif justifiant le fait qu'elle avait tardé à présenter sa demande. Le conseil a également fait remarquer avec insistance que le véritable critère consistait à savoir si la décision du conseil arbitral était raisonnable à la lumière de la preuve présentée, et non pas de savoir si un juge-arbitre jugeant de la question en première instance pourrait avoir été persuadé d'en arriver à une conclusion différente à partir de la même preuve.
Quant à la crainte de parti pris découlant du fait que le même conseil arbitral a rendu de nouveau une décision défavorable, le conseil de la Commission a soutenu que la décision de Mme le juge Reed dans l'affaire Millward, que j'ai déjà mentionnée, n'est pas allée jusqu'à établir la règle absolue dont se prévaut le conseil de la prestataire. Il a en outre affirmé que la façon dont le conseil arbitral a mené la nouvelle audience et rendu sa deuxième décision ne pouvait mener une personne raisonnablement bien informée a conclure qu'il y avait une probabilité de parti pris, selon le critère postulé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Committee for Justice and Liberty v. National Energy Board (1976), 68 DLR (3d), 716.
En voilà assez en ce qui concerne les arguments. Je propose maintenant d'examiner certains des textes de jurisprudence cités dans la présente cause.
Dans l'affaire Procureur général du Canada c. Albrecht, dont j'ai déjà donné la référence, le juge Marceau a énoncé ce qui est devenu le critère normal pour l'interprétation des mots «motif justifiant» un délai dans les causes impliquant une demande d'antidate en affirmant ceci à la page 718 :
À mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un «motif valable» s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi.
[Souligné par mes soins.]
Dans l'affaire Soltice (CUB 11100), le juge-arbitre a appliqué le critère établi dans la cause Albrecht en donnant raison à un prestataire qui avait fait appel du refus de faire antidater sa demande, en dépit du fait que le prestataire, qui avait reçu un renseignement erroné d'une employée de la Commission, avait présenté sa demande après un délai de plus de deux ans, pour le motif qu'il avait fait ce qu'une personne raisonnable aurait fait dans des circonstances semblables pour s'assurer des droits et obligations que lui imposait la Loi. Le prestataire avait téléphoné à un CEC et parlé à une dame de son droit à des prestations, expliquant qu'il avait été obligé de prendre sa retraite avec une pension d'invalidité à l'âge de 55 ans. La dame l'a informé qu'il ne pourrait recevoir de prestations avant d'avoir atteint l'âge de 65 ans. Deux ans plus tard, un de ses amis qui avait travaillé pour le même employeur avant de prendre également sa retraite lui a dit qu'il avait présenté sa demande un an et demie après avoir pris sa retraite et qu'il avait obtenu des prestations d'assurance-chômage. Le prestataire a donc présenté sa demande à son tour, mais on lui a dit que c'était trop tard. Lorsqu'il a demandé de faire antidater sa demande, on lui a encore opposé un refus. Le principal argument avancé par le prestataire était que la raison pour laquelle il n'avait pas présenté sa demande promptement n'était pas vraiment son «ignorance de la loi», mais plutôt un renseignement erroné communiqué par un fonctionnaire de la Commission et auquel il s'était fié. Le juge Muldoon a fait la déclaration suivante à la page 4 de sa décision :
Maintenant, une personne raisonnable n'est pas une personne paranoïaque, en proie à l'anxiété, qui met en doute ou qui refuse de croire des conseils faisant autorité, au point de chercher à vérifier ces avis une deuxième et une troisième fois, chaque jour ou à intervalle régulier, de crainte que ces avis soient erronés. Une personne raisonnable, justifiée au premier abord d'accepter des avis qui font apparemment autorité, continue naturellement à les accepter jusqu'à ce qu'on attire son attention sur leur caractère erroné et peu digne de foi. Ce comportement décrit précisément la conduite qu'a adoptée le prestataire, laquelle était celle d'une personne raisonnable.
La décision rendue dans l'affaire Soltice a été appliquée par le juge Joyal dans la cause Sanders (CUB 12950).
Dans l'affaire Cosgrove (CUB 11271), la Commission, cherchant à justifier le rejet d'une demande d'antidate, a allégué que le renseignement donné par le conseiller de la Commission au prestataire à l'égard de sa demande initiale était techniquement correct parce que le prestataire ne s'était pas précisément informé au sujet de l'annulation de cette demande. Le juge-arbitre en chef a soutenu que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit parce qu'il avait appliqué un critère trop restrictif en rejetant l'appel du prestataire pour le motif qu'il ne s'était pas informé précisément au sujet de l'annulation de sa demande, au lieu de conclure qu'il avait fait ce qu'une personne raisonnable aurait fait dans sa situation pour s'assurer des droits et obligations que lui imposait la Loi, dans la perspective plus large du critère établi dans l'affaire Albrecht. On peut trouver la justification de la décision dans l'exposé suivant du juge en chef adjoint Jerome [p. 4 et 5] :
(...) mais lorsqu'il [le prestataire] se renseigne auprès de la Commission, elle doit lui fournir des renseignements exacts. Dans le cas présent, le prestataire s'est rendu au bureau de la Commission, a informé son conseiller des faits pertinents relatifs à sa demande et lui a demandé conseil concernant les mesures à prendre. Lorsqu'il a suggéré au prestataire de ne pas interrompre ses prestations puisqu'il aurait droit à une prolongation de sa période d'admissibilité en présentant une nouvelle demande, le conseiller de la Commission l'a induit en erreur. Le prestataire s'en est tenu aux renseignements obtenus et est alors devenu inadmissible aux prestations auxquelles il aurait autrement eu droit si on lui avait conseillé de mettre fin aux prestations qu'il touchait à ce moment-là. (...) Dans le cas qui nous occupe, l'erreur commise par l'appelant est acceptable étant donné qu'elle est causée par des renseignements erronés fournis par un employé de la Commission.
Dans l'affaire Millward (CUB 14813), on a reconnu qu'une question imprécise posée par un prestataire à un représentant de la Commission au sujet de son admissibilité aux prestations ne menait pas automatiquement à la conclusion qu'il n'avait pas de motif justifiant le fait d'avoir tardé à présenter sa demande.. La Commission avait prétendu que parce que le prestataire avait posé une question imprécise, il avait conclu à tort qu'il n'était pas admissible aux prestations et que cette conclusion erronée devait lui être imputée. Le juge-arbitre a soutenu que le renseignement erroné que le prestataire avait reçu de la Commission l'avait mené à croire qu'il n'était pas admissible aux prestations et qu'il constituait un motif justifiant son délai.
Le cas est également intéressant en ce qui concerne la question du parti pris. Au moment de la première audience, le conseil arbitral a rejeté l'appel que la prestataire avait interjeté à l'encontre du refus que la Commission avait opposé à sa demande d'antidate. Lorsqu'il est devenu manifeste que la prestataire n'avait pas été avisée correctement de la tenue de la première audience, l'affaire a été entendue une deuxième fois par le même tribunal, qui a rendu la même décision qu'au moment de la première audience. Ni l'une ni l'autre décision ne contenait un exposé des faits justifiant la décision, ce qui est contraire au paragraphe 94(2) de la Loi. Cette situation a poussé le juge Reed à faire la déclaration suivante (pages 3 et 4) :
Le fait que le conseil n'a pas décrit les questions de faits essentiels sur lesquels il a fondé sa décision, et le fait qu'il avait déjà rendu une décision défavorable au prestataire avant de l'entendre, m'amènent à conclure qu'il y a eu déni de justice naturelle en l'espèce. Un autre conseil aurait dû être constitué pour la nouvelle audition. Demander au même conseil d'entendre de nouveau l'affaire, après qu'il a déjà rendu une décision, donne l'impression d'un parti pris.
[Souligné par mes soins.]
Le critère servant à déterminer s'il y a une appréhension raisonnable de parti pris dans une affaire donnée a été formulé de la façon suivante par le juge en chef Laskin dans la cause Committee for Justice and Liberty v. National Energy Board (1976), 68 DLR (3d) 716 (SCC), page 732-333 :
Lorsque l'important, comme ici, est qu'il n'y ait pas de jugement préalable (ni, certainement, de décision préalable) à l'égard des questions en jeu en ce qui concerne le fait de savoir non seulement si une demande particulière pour un pipeline sera approuvée, mais aussi si un pipeline quelconque sera approuvé, la participation de M. Crowe aux discussions et décisions ayant mené à la demande faite par la société Canadian Arctic Gas Pipeline Limited pour un certificat de commodité et de nécessité publiques, à mon avis, ne peut pas faire autrement que soulever, dans l'esprit d'une personne raisonnablement informée, l'appréhension raisonnable d'un parti pris à l'égard de l'appréciation des questions relatives à une demande visée par l'article 44 et du jugement porté en relation avec ces questions.
[Souligné par mes soins.]
Le juge LeDain a appliqué ce critère dans l'affaire Caccamo v. Minister of Manpower and Immigration (1978), 1 C.F. 366 (C.A.) en déclarant ceci aux pages 376 et 377 :
La question en jeu dans cette affaire consiste à savoir si la déclaration attribuée par l'article de journal à M. B. M. Erb, directeur de l'Information au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, soulève la crainte raisonnable de l'existence d'un parti pris chez l'enquêteur spécial chargé de l'enquête ou chez tout autre enquêteur spécial qui pourrait être chargé de l'enquête. Le critère à appliquer, comme l'a indiqué la Cour suprême du Canada, consiste à savoir si des personnes raisonnablement informées pourraient éprouver cette crainte d'un parti pris à l'égard de l'appréciation des questions à résoudre et du jugement porté au sujet de ces questions. Voir l'affaire Committee for Justice and Liberty v. National Energy Board (1976), 68 DLR (3d), 716, Laskin, juge en chef du Canada, page 733.
Dans la présente affaire, je doute qu'une personne raisonnablement bien informée pourrait raisonnablement suspecter l'existence d'un parti pris en raison du simple fait que le conseil en est arrivé à une décision défavorable semblable, étant donné que la décision elle-même a été fondée sur un examen plus approfondi de la preuve et que le conseil a établi des conclusions favorables en ce qui concerne la bonne foi de la prestataire et le stress qu'elle a subi à la suite de la perte de son emploi à la SRC. En bref, la décision était substantiellement différente, bien que le résultat a été le même. Étant donnés les faits et les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas persuadé que la décision du conseil arbitral, en appel, était teintée d'un parti pris et rendue illégale, selon le critère établi par la Cour suprême du Canada dans la cause Committee for Justice and Liberty.
Là où le conseil arbitral s'est trompé, à mon avis, c'est en minimisant l'importance du renseignement erroné donné à la prestataire par un employé de la Commission au moment de l'entrevue initiale du 20 février 1990 et en concluant que le fait qu'elle se soit fiée à la parole d'un employé représentait une omission ou une supposition erronée de sa part. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que le conseil arbitral a commis une erreur de droit en concluant que la prestataire n'avait pas prouvé qu'elle avait un motif justifiant le fait qu'elle avait attendu durant toute la période allant du 4 février 1990 au 15 septembre de la même année avant de présenter sa demande, selon le critère proposé par la Cour d'appel fédérale dans la décision qu'elle prise dans l'affaire Albrecht.
Pour les motifs exposés ci-dessus, l'appel de la prestataire est accueilli et la décision du conseil arbitral est par conséquent annulée.
(s) J. C. McNair
JUGE-ARBITRE
Ottawa (Ontario)
le 3 septembre 1992