TRADUCTION
EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT À une demande de prestations par
Rachel ADEODU
- et -
RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
rendue à EDMONTON (Alberta), le 27 juin 1991.
DÉCISION
REED, J.:
La prestataire interjette appel d'une décision du conseil arbitral la déclarant inadmissible au bénéfice des prestations parce qu'elle ne pouvait prouver sa disponibilité pour travailler. Elle est une étudiante étrangère et peut travailler au Canada seulement selon l'autorisation d'un permis de travail.
La prestataire estime qu'il est tout à fait déraisonnable qu'elle soit déclarée inadmissible au bénéfice des prestations à cause de restrictions que lui impose le gouvernement, tandis que des collègues qui n'ont peut-être pas aussi hâte qu'elle de trouver un emploi peuvent en recevoir. Elle estime inconcevable qu'elle soit tenue de verser des cotisations d'assurance-chômage si l'on sait qu'à cause des restrictions auxquelles est soumis son permis de travail, elle ne pourra jamais tirer profit des prestations prévues par ce régime.
L'avocate de la Commission, à l'examen du dossier, a noté que l'inadmissibilité totale de la prestataire n'était probablement pas juste. Elle a constaté que le permis de travail de la prestataire ne limitait pas ses possibilités d'emploi au Département de l'enseignement primaire comme le donnait à entendre certains documents. La restriction visait l'emploi à l'Université de l'Alberta. L'avocate propose que cette restriction est semblable à celle qu'il y a dans le cas d'une prestataire qui a travaillé dans une petite localité et qui, ayant été licenciée, bénéficie d'une période pour y trouver un nouvel emploi avant d'être obligée d'élargir le champ de sa recherche. En l'espèce, l'avocate estime qu'une période de deux semaines aurait été appropriée pour trouver un nouvel emploi dans le milieu universitaire et que la prestataire devrait se voir accorder des prestations pour deux semaines.
Dans la décision CUB 13136 - Chen (le 21 janvier 1987), il est affirmé que le fait de ne pas avoir de permis de travail ne permettait pas nécessairement de conclure à l'absence d'une preuve de disponibilité pour travailler. Voici un extrait de cette décision :
L'argument du prestataire est franc. Il avance d'abord l'argument de sens commun évident qu'il a un droit moral sinon légal aux prestations :
En réponse à votre lettre du 7 mai 1986 m'informant de votre décision de ne pas accepter ma demande de prestations de chômage, je tiens à vous informer de mon désir d'en appeler de votre décision. Je trouve inacceptable qu'après avoir accepté mes cotisations durant toute la durée de mon emploi chez la « Rowntree Mackintosh Canada Ltd. », votre organisme décide maintenant que je ne suis pas admissible au bénéfice de prestations. Je soutiens qu'ayant accepté mes cotisations, vous avez créé chez moi de faux espoirs, sachant fort bien que « l'alinéa 25a) et l'article 36 de la Loi sur l'assurance-chômage » m'exclut totalement de telles prestations. En conséquence, il n'est que juste dans les circonstances de m'attendre à ce que vous acceptiez ma demande.
(Pièce 7-1)
Son deuxième argument est plus d'ordre juridique. C'est que les restrictions auxquelles était soumise sa disponibilité par suite du besoin d'avoir un permis de travail étaient plus techniques que réelles. Il fait valoir que, dans la pratique, il n'y aurait pas eu dans son cas de difficulté à obtenir le permis de travail requis. Il soutient, par exemple, que s'il avait été mis à pied de façon définitive par la Rowntree il aurait simplement cherché un autre emploi et, quand il en aurait trouvé un, il aurait demandé et obtenu le permis de travail exigé. Le prestataire, comme cela est mentionné ci-dessus, a été mis à pied le 31 mars 1986. À ce moment-là, sa demande de résidence permanente était à l'étude. De fait, il a obtenu la qualité de résident permanent avant que le conseil arbitral entende son appel touchant sa demande de prestations d'assurance-chômage, le 17 juin 1986.
Ce qui ne figure pas parmi les éléments de preuve au dossier est, évidemment, une confirmation de l'affirmation du prestataire quant à la facilité qu'il aurait eu, dans la pratique et dans ses circonstances, à obtenir le permis de travail exigé. En conséquence, je crois que la façon la plus logique de régler cette affaire est de demander à la Commission d'obtenir d'un représentant autorisé du ministère de l'Emploi et de l'Immigration (le sous-ministre si l'on ne peut identifier quelqu'un d'autre) confirmation des dires du prestataire. Si les restrictions imposées au prestataire par le besoin d'avoir un permis de travail étaient plus techniques que réelles comme il l'affirme, alors il satisferait aux exigences de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage quant à la disponibilité. ...
Dans la décision CUB 14357 - Mota (le 9 octobre 1987), le juge-arbitre en chef a affirmé ce qui suit :
....
La plaignante est arrivée au Canada le 17 mai 1981. Elle détenait un permis de séjour pour étudiant valide grâce auquel elle a pu étudier à l'Université de Waterloo. Elle détient aujourd'hui deux diplômes d'études supérieures. Son mari étudiait également à l'Université de Waterloo. Il termine actuellement un doctorat. Le couple a toujours eu l'intention de retourner au Mexique une fois leurs études terminées.
En tant qu'étudiante détenant une autorisation de séjour, Mme Mota a pu obtenir en mai 1985 un permis de travail grâce auquel elle a décroché un emploi d'enseignante auxiliaire à l'université. Elle a exercé cet emploi du 1er mai au 31 décembre 1985. L'emploi était assurable, et des cotisations d'assurance-chômage ont été prélevées sur son salaire.
Le 8 janvier 1986, Mme Mota a présenté une demande de prestations parce que son emploi temporaire avait pris fin. Elle a touché des prestations de maternité de janvier à avril 1986.
Le 14 mai 1986, Mme Mota s'est vu délivrer un nouveau permis de travail pour un emploi d'enseignante auxiliaire. Elle a exercé un emploi du 1er mai au 31 août 1986. Les permis de travail sont semble-t-il valides pendant un an. Le 15 octobre 1986, Mme Mota s'est vue offrir un autre emploi d'enseignante auxiliaire. Elle l'a accepté, et son employeur a communiqué avec les autorités de l'Immigration pour s'assurer qu'elle était autorisée à travailler. Les fonctionnaires ont alors constaté qu'elle avait terminé ses études le 20 mai 1986. Par conséquent, elle n'était plus étudiante, de sorte qu'il a fallu annuler son permis de travail.
Mme Mota était à ce moment considérée comme en visite au Canada. Étant donné que son mari détenait encore un permis de séjour pour étudiant, elle a été autorisée à demander, au Canada, un autre permis de travail. Toutefois, en raison de son changement de statut, les conditions auxquelles elle devait satisfaire étaient plus strictes. Le permis de travail lui a été refusé.
Elle a présenté une demande de prestations d'assurance-chômage le 28 octobre 1986, mais les prestations lui ont été refusées. La Commission a jugé qu'elle n'était pas disponible pour travailler parce qu'elle n'avait pas le statut d'immigrant et ne détenait pas de permis de travail valide. Elle a été déclarée inadmissible au bénéfice des prestations pour aussi longtemps que sa situation resterait la même.
....
Il y a lieu ici de préciser les exigences auxquelles une personne qui se trouve dans cette situation doit satisfaire pour obtenir un permis de travail. Ces exigences sont énoncées à l'article 20 du Règlement sur l'immigration (SOR/78-172, avec modifications), dont voici un extrait :
20.(1) L'agent d'immigration ne peut délivrer un permis de travail à une personne
a) s'il est d'avis que l'embauchage de cette personne nuira à celui des citoyens canadiens ou des résidents permanents au Canada; ou
b) si la délivrance de permis nuira
(i) au règlement de tout conflit de travail qui sévit au lieu de travail ou au lieu prévu de travail, ou
(ii) à l'emploi de toute personne touchée par ce conflit.
...
(3) Pour être en mesure de se faire une opinion aux fins de l'alinéa (1)a), l'agent d'immigration doit tenir compte des facteurs suivants, à savoir :
a) si l'employeur éventuel a fait des efforts raisonnables pour embaucher ou former des citoyens canadiens ou des résidents permanents afin qu'ils puissent exercer l'emploi pour lequel un permis de travail a été sollicité;
b) si le requérant possède les qualités et l'expérience voulues pour exercer l'emploi pour lequel un permis de travail a été sollicité; et
c) si les conditions de travail et le salaire offerts sont de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents pour qu'ils exercent ou continuent d'exercer l'emploi en question.
...
(5) Nonobstant l'alinéa (1)a) et les paragraphes (3) et (4), un agent d'immigration peut délivrer un permis de travail
a) à une personne visée aux alinéas 19(4)(f), h), i), j) ou k);
b) à une personne qui entre ou se trouve au Canada pour y exercer un emploi aux termes
(i) d'un accord international passé entre le Canada et un pays étranger ou d'une entente conclue avec un pays étranger par le gouvernement du Canada, ou par celui d'une des provinces ou en son nom, autre qu'une entente concernant les travailleurs saisonniers, ou
(ii) d'un accord que le Ministre a conclu avec une province ou un groupe de provinces en vertu du paragraphe 109(2) de la Loi;
c) à un titulaire d'un permis de séjour pour étudiant en cours de validité, qui, de l'avis de l'agent d'immigration, ne peut être visé à l'alinéa (1)a) du fait qu'il ne reçoit plus d'argent temporairement, pour des raisons tout à fait indépendantes de sa volonté et de celle de toute personne dont il dépend pour ce qui a trait aux ressources financières visées à l'alinéa 15(1)b);
d) à une personne dont l'emploi est lié à des programmes de recherche, d'enseignement ou de formation approuvés par le Ministre;
e) à une personne qui, de l'avis de l'agent d'immigration, ne peut être visée à l'alinéa (1)a) pour une des raisons suivantes :
(i) le fait d'employer cette personne créera ou conservera un nombre important d'emplois, d'avantages ou de débouchés pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents,
(ii) cette personne offrira bénévolement ses services à un organisme religieux ou à une société de bienfaisance, ou
(iii) l'emploi de cette personne pourrait entraîner l'emploi réciproque de citoyens canadiens dans d'autres pays; ou
f) à une personne visée à l'alinéa 19(4)e) et qui, selon l'avis d'un agent d'immigration, ne devrait pas être visée par l'alinéa (1)a) pour des considérations d'ordre humanitaire ou des motifs de commisération découlant de l'une des situations suivantes :
(i) un état de guerre ou tout autre événement perturbant gravement l'ordre public dans le pays de dernière résidence permanente de cette personne avant qu'elle vienne au Canada,
(ii) un grave fléau de la nature ayant récemment frappé le dernier lieu de résidence permanente de cette personne avant qu'elle vienne au Canada, ou
(iii) le fait que la personne était, immédiatement avant son arrivée au Canada, membre d'une catégorie désignée par le gouverneur en conseil en vertu de l'alinéa 115(1)d) de la Loi.
Une lecture de ces dispositions réglementaires nous amène à soulever plusieurs points importants. Premièrement, en tant qu'étudiante, Mme Mota pouvait prouver qu'elle n'était pas assujettie à l'alinéa 20(1)a) et au paragraphe 20(3) si elle ne recevait plus d'argent temporairement au sens de l'alinéa 20(5)c). En perdant le statut d'étudiant, cette possibilité n'existait plus pour elle. C'est peut-être pour cette raison qu'elle s'est vu refuser un permis de travail pour le poste qu'elle occupait auparavant. Deuxièmement, un visiteur qui demande un permis de travail doit ou bien pouvoir bénéficier de l'une des exemptions énumérées au paragraphe 20(5), ou bien être en mesure de remplir les exigences énoncées aux paragraphes 20(1) et (3). Pour déterminer si ces exigences sont respectées, l'agent d'immigration doit être en mesure d'établir les conditions dans lesquelles le visiteur se propose de travailler. En d'autres termes, le visiteur doit détenir une offre pour un emploi déterminé avant de demander un permis de travail. La décision rendue par la Commission dans le cas présent place la prestataire dans une situation sans issue. Elle doit détenir un permis de travail pour être considérée comme disponible pour travailler et remplir ainsi les conditions ouvrant droit aux prestations, mais on doit lui avoir offert un emploi convenable pour qu'elle puisse obtenir un permis de travail. La question que nous avons à trancher dans le cas présent consiste à déterminer si une personne qui n'a pas d'emploi et qui, de ce fait, ne détient pas de permis de travail, peut être considérée comme disponible pour travailler.
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Le juge-arbitre en chef a ensuite répondu affirmativement à cette question :
... J'ai déjà affirmé dans le cadre d'une autre affaire (voir la cause de Robert Priest, décision CUB 13580) que la Loi n'exige pas à mon avis qu'une personne soit disponible pour commencer à travailler sur-le-champ. Dans d'autres décisions rendues par un juge-arbitre, il a été reconnu qu'une personne se trouvant dans la même situation que Mme Mota ne devait pas automatiquement être considérée comme non disponible (voir les décisions rendues par le juge Reed dans les causes de Chen (CUB 13136) et de Ramirez (CUB 10602)). Si Mme Mota remplit toutes les autres conditions pour être considérée comme disponible, le fait qu'elle puisse demander un permis de travail uniquement après avoir obtenu une offre d'emploi n'empêche pas à mon avis de considérer qu'elle est disponible pour travailler.
Ceci étant dit, je m'empresserai toutefois d'ajouter une précision importante. Rien n'empêche que Mme Mota prouve sa disponibilité, mais pour ce faire, elle devra surmonter un obstacle assez important. Elle se trouve un peu dans la même situation qu'un prestataire qui, en raison de son lieu de résidence ou d'obligations familiales, serait forcé d'imposer certaines restrictions quant au genre d'emploi qu'il pourrait accepter. Dans le cas présent, à moins que Mme Mota satisfasse au paragraphe 20(5) du Règlement sur l'immigration, elle ne pourra obtenir un emploi si son embauchage risque de nuire à celui de citoyens canadiens ou de résidents permanents. En raison de la situation particulière dans laquelle Mme Mota se trouve, elle devra prouver que ses démarches visent à obtenir un emploi de ce genre et qu'elle a des chances d'en obtenir un. Si elle satisfait à cette exigence, elle devrait alors se voir accorder une période raisonnable pour trouver un tel emploi, comme c'est le cas pour tout autre prestataire qui impose une restriction à l'égard de l'emploi qu'il est disposé à accepter. En un tel cas, on accorde habituellement une période de huit semaines pour trouver un emploi.
....
Je remarque que la Commission n'a cité aucune de ces décisions dans ses observations au conseil arbitral. Il est toujours troublant de constater que la Commission cite une jurisprudence non équilibrée ou périmée aux conseils arbitraux. En l'espèce, la Commission a renvoyé aux décisions CUB 8763 - Tenjo et autres (le 6 décembre 1983) et CUB 9991 - Wagner (le 23 janvier 1985), mais non aux plus récentes décisions précitées. Cela n'est pas juste. On sait que les conseils arbitraux comptent énormément sur la documentation que la Commission leur présente. La Commission a l'obligation de veiller à ce que cette documentation soit équilibrée et non périmée.
Il y a, en outre, la très récente décision CUB 21910 - Lin (le 2 octobre 1992). Il se peut que cette décision et la documentation qui y est citée puissent avoir porté la Commission, en l'espèce, à donner à entendre que la situation de la prestataire était proche de celle d'une personne qui a perdu son emploi dans une petite localité. Comme il est mentionné, il est accordé à une telle personne une certaine période pour trouver un nouvel emploi dans cette localité avant d'être tenue d'élargir le champ géographique de sa recherche. La question qu'il reste à trancher, selon cette analyse, c'est pourquoi il est dit que deux semaines constituent une période appropriée. Voici un extrait de la décision rendue dans l'affaire Lin, où il est renvoyé à l'affaire Joulani, no 118-512, le 15 juillet 1991 :
[TRADUCTION] Le conseil arbitral a conclu qu'[au] minimum, la Commission n'avait pas accordé au prestataire assez de temps pour restreindre sa recherche d'emploi à l'université Carleton (la décision CUB 14537 suggère un minimum de huit semaines, par exemple, et d'autres, comme la décision CUB 2392, ont accordé jusqu'à quatre mois), spécialement parce que la restriction est involontaire. Le conseil arbitral a également noté que la décision CUB 8763 a refusé des prestations uniquement parce que le permis de travail n'était pas valide, même si le prestataire était restreint à travailler pour une seule université, et le conseil arbitral a conclu que puisque le prestataire avait un permis de travail valide et cherchait activement du travail à l'université Carleton, il ne restreignait pas indûment sa disponibilité aux termes de l'alinéa 14a) de la Loi sur l'assurance-chômage, même si les possibilités d'un emploi d'été à cette université n'étaient pas nombreuses.
Dans la décision rendue dans l'affaire Lin, le juge Muldoon a ensuite cité l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Procureur général du Canada c. Dodsworth, [1984] 2 C.F. 193, où une femme mariée qui avait suivi son mari dans une région où il n'y avait guère ou que peu de possibilités d'emploi s'est vue accorder deux mois pour y trouver un emploi avant d'être déclarée inadmissible au bénéfice des prestations. Je remarque que dans la décision CUB 16657 - Plante (le 19 mai 1989), le juge-arbitre a mentionné que la jurisprudence semblait proposer que, lorsqu'il s'agissait de déménagement dans une région où il n'y avait guère ou que peu de possibilités d'emploi, une période de deux ou trois mois était appropriée, bien que la période accordée puisse varier en fonction des états de service du prestataire.
J'accepte l'analyse que fait la Commission des règles juridiques qu'il convient d'appliquer. Toutefois, je n'accepte pas qu'une période de deux semaines est appropriée. J'estime qu'une période de deux mois serait plus conforme à la jurisprudence applicable en l'espèce.
Pour les motifs précités, je fais droit à l'appel de la prestataire dont l'admissibilité au bénéfice des prestations doit être établie en tenant compte du fait qu'elle devrait avoir droit à une période de deux mois afin de chercher un nouvel emploi à l'Université de l'Alberta avant d'être déclarée inadmissible.
B. Reed
UMPIRE
OTTAWA (Ontario)
le 9 décembre 1992.