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  • CUB 22889

    EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations par
    Michel COMEAU

    - et -

    RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
    le prestataire de la décision d'un conseil arbitral rendue
    à Trois-Rivière le 19 juin 1991.

    DÉCISION

    LE JUGE TEITELBAUM:

    Il s'agit d'un appel à un juge-arbitre par le prestataire, Michel Comeau, à un juge-arbitre d'une décision unanime d'un conseil arbitral rendue le 19 juin 1991 rejetant l'appel du prestataire de la décision de l'agent d'assurance selon laquelle il était inadmissible au bénéfice des prestations au motif que les conditions auxquelles il était disponible à un emploi étaient trop restrictives (Pièce 25-1).

    Un appel à un juge-arbitre se fait selon l'article 80 de la Loi sur l'assurance-chômage (Loi).

    80. Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel de la manière prescrite, devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l'employeur est membre, au motif que, selon le cas
    (a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
    (b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
    (c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

    En l'instance, le prestataire fonde son appel sur les alinéas (a), (b) et (c) de l'article 80 de la Loi (Pièce 26-1).

    Les Faits

    Le prestataire était à l'emploi de la Distribution Pharmacies Universelles Inc. du 3 juin 1988 au 17 mars 1990 et fut mis à pied à cause d'un manque de travail (Pièce 2-1).

    Le 26 mars 1990, le prestataire a déposé une demande de prestations (Pièce 2) et a rempli un questionnaire touchant les cours de formation ou il déclaré qu'il a débuté un cours à temps complet à l'Université du Québec à Trois-Rivières (Pièce 4). Il a indiqué avoir suivi ce cours tout en travaillant pour la période allant du 3 juin 1988 au 16 mars 1990 et, par la même occasion, il a indiqué que son calendrier de cours ne peut être modifié et qu'il n'est pas prêt à abandonner son cours pour accepter un emploi (Pièce 6). Toutefois, le prestataire a déclaré être intéressé à un emploi à temps partiel tout en poursuivant ses études (Pièce 5-1).

    Compte tenu de cette information, une période de prestations a été établie au 25 mars 1990.

    Le 14 septembre 1990, le prestataire a rempli un deuxième questionnaire indiquant que le 4 septembre 1990 il a débuté une nouvelle session à l'université, et a réitéré son affirmation à l'effet qu'il n'est pas disposé à modifier son calendrier de cours, pas plus qu'il n'est disposé à abandonner son cours pour un emploi à temps plein (Pièce 7). Toutefois, il a réaffirmé son intention de chercher un travail à temps partiel tout en poursuivant ses études (Pièce 9-1).

    La Commission, à la suite de ce qui précède, a envoyé au prestataire une lettre en date du 15 octobre 1990 l'avisant comme suit :

    Nous avons évalué votre disponibilité en relation avec la poursuite de votre cours de formation.
    Nous avons décidé que vos études ne constituaient pas, pour le moment, une circonstance ayant pour effet de vous rendre inadmissible aux prestations.
    Toutefois, nous réévaluerons votre disponibilité au cours des mois de novembre ou décembre 1989.
    Cet avis n'est pas une autorisation à suivre un cours en vertu de l'article 39 de la Loi sur l'assurance-chômage, et ne vous libère pas de vos obligations face à la Loi.

    Le 18 décembre 1990, le prestataire a rempli un troisième questionnaire où il a déclaré suivre des cours à la session hiver 1990 commençant le 7 janvier 1991 (Pièce 14-1). Le prestataire a encore affirmé son intention d'obtenir un travail à temps partiel tout en poursuivant ses études.

    Enfin, le 17 janvier 1991 la Commission a informé le prestataire de l'inadmissibilité qui devait entrer en vigueur le 7 janvier 1991 (Pièce 16) :

    Le fait de suivre un cours auquel vous n'avez pas été référé(e) par la Commission a entraîné certaines restrictions quant à votre disponibilité, ce qui a fortement réduit vos chances de trouver un emploi convenable. Le paiement des prestations sera donc interrompu tant que vous continuerez de suivre ce cours.
    [Pièce 15-1]

    Cet avis a été envoyé conformément aux articles 14(a) et 23 de la Loi.

    Par sa lettre du 6 février 1991, le prestataire a interjeté appel devant le conseil arbitral (Pièce 17).

    Décision du Conseil Arbitral:

    Le conseil arbitral a décidé unaniment de maintenir la décision de la Commission :
    Or, après toute cette période de prestations et après avis du 15 octobre 1990 (pièce no. 10) et après avoir complété le questionnaire à l'intention des étudiants (pièces 13-1 et 2), il persiste à chercher un travail à temps partiel qui puisse se concilier avec ses études et ce, malgré qu'il ait modifié le genre d'emploi recherché.
    À nouveau, à la pièce no. 14-1 et 2, en date du 18 décembre 1990, il a réaffirmé rechercher un emploi à temps partiel et suivre son cours.
    Après au delà de 9 mois de prestations nous croyons que le véritable statut du prestataire est celui d'étudiant et que le fait de rechercher du temps partiel le confirme d'une certaine façon.
    Dans pareil cas, nous considérons que bien qu'il ne lui ait pas été signifié comme tel, mais considérant que lors de l'avis du 15 octobre 1990, le feuillet (EMP 3366) lui a été remis, le prestataire a bénéficié d'un délai raisonnable.
    Bien qu'en cours de route le prestataire a modifié quelque peu ses exigences, il n'a toutefois pas éliminé la présomption qui pesait contre lui à savoir qu'il n'était pas véritablement sur le Marché du travail et que son but était la poursuite de ses études.
    [Pièces 25-1 et 25-2]

    Le prestataire a interjeté appel de cette décision.

    Les Soumissions du Prestataire:

    Le prestataire soutient que parce que le conseil arbitral n'a pas considéré si la Commission était obligée de donner un avis au prestataire avant de le rendre inadmissible aux prestations, il n'a pas observé un principe de justice naturelle. De plus, le prestataire soumet que le conseil arbitral (1) a erré en droit lorsqu'il a conclu qu'un délai raisonnable avait été accordé au prestataire et (2) erré en fait parce qu'il n'a pas tenu compte de tous les faits portés à sa connaissance.

    Les Soumissions de la Commission:

    La Commission soumet qu'il n'est pas mis en preuve que le conseil arbitral n'a pas observé les principales règles de justice naturelle, ni que le conseil arbitral, en rendant sa décision, a erré en fait ou en droit.

    La Commission soumet qu'il n'y a aucune disposition dans la Loi qui oblige la Commission de donner au prestataire un préavis raisonnable, ni de lui accorder un délai raisonnable avant de suspendre ses prestations. Même si la Commission était obligée d'accorder au prestataire un délai raisonnable, dans la présente situation, le prestataire a bénéficié d'un long délai du 16 mars 1990 au 7 janvier 1991.

    Finalement, la Commission soumet qu'il n'est pas mis en preuve que la décision du conseil arbitral est fondée sur une conclusion de fait erronée. La Commission est d'avis que la décision du conseil se fonde sur les éléments de preuve au dossier.

    Questions en Litige:

    1. Est-ce que le prestataire est capable de travailler et disponible à cette fin selon l'article 14(a) de la Loi?
    1. Est-ce que la Commission est obligée d'avertir le prestataire quant aux restrictions d'emploi qu'il imposait et de donner un délai raisonnable avant la suspension du paiement des prestations?

    Discussion:

    La disposition pertinente en l'espèce est l'article 14(a) de la Loi :

    14. Un prestataire n'est pas admissible au service des prestations initiales pour tout jour ouvrable d'une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu'il était
    (a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d'obtenir un emploi convenable ce jour-là.

    Chaque cas doit être apprécié selon ses circonstances particulières et, selon les dispositions de la Loi. Dans le cas d'un étudiant qui poursuit des études à temps plein une présomption de fait existe à l'effet qu'il n'est pas disponible pour travailler. La présomption peut être renversée lorsque le prestataire démontre que le calendrier des études pourrait être modifié, que le prestataire est prêt à laisser son cours d'études pour une offre d'emploi à temps plein, ou lorsqu'il peut établir un historique d'emploi à temps partiel pendant ses études à temps plein (voir Smith - CUB 10060).

    Dans la décision D'Amours - CUB 17553, j'ai déclaré :

    Je suis entièrement d'accord avec M. le juge Pinard lorsqu'il déclare ce qui suit au CUB 12968 :
    "Il incombait au prestataire de faire la preuve de sa disponibilité. Une abondante et constante jurisprudence établit qu'un étudiant suivant des cours vers lesquels il n'a pas été dirigé par la Commission n'est pas éligible aux prestations pendant ses études.

    À titre de juge-arbitre je ne puis modifier la conclusion du conseil arbitral concernant la disponibilité du prestataire parce que, à mon avis, cette conclusion n'était pas tirée de façon absurde ou arbitraire, ni sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La décision du conseil arbitral m'apparaît fondée sur des éléments de preuve au dossier. Le prestataire était un étudiant à l'université qui a limité sa disponibilité lorsqu'il a admis être disposé à accepter que des emplois dont les heures n'entrent pas en conflit avec son horaire de cours.

    De plus, le prestataire avait bénéficié d'une période de quatre mois pour trouver un emploi partiel avant d'être jugé inadmissible. À mon avis, le prestataire n'a pas été capable de prouver sa disponibilité pour occuper un emploi convenable. Alors, en ce qui concerne la question de la disponibilité du prestataire, je ne vois aucune erreur dans la décision du conseil arbitral, dans l'interprétation des faits ou du droit.

    Même si la conclusion concernant la disponibilité doit demeurer intacte, il reste une question à régler, celle de savoir si la Commission aurait dû avertir le prestataire de son inadmissibilité imminente avant de suspendre ses prestations.

    Il n'y a aucune disposition dans la Loi qui oblige expressément la Commission à donner au prestataire un préavis raisonnable, ni à lui accorder un délai raisonnable avant de le déclarer inadmissible au versement des prestations. Néanmoins, la jurisprudence récente en matière d'assurance-chômage exige que les principes d'équité et de justice naturelle demandent que les prestataires soient avertis, pas la Commission, de leur inadmissibilité avant de suspendre leurs prestations Voir CUB 14701 - Jelen; CUB 16823 - Nichols; CUB 19338 - Cook; CUB 20316 - Tétrault.

    Ce principe a été clairement énoncé dans la décision Tibbles - CUB 15771, par le juge en chef adjoint, à la page 3 :

    La règle veut que le prestataire bénéficie d'une période raisonnable pour trouver un emploi convenable dans sa localité, mais à la fin de cette période, si la restriction subsiste, il cesse d'être admissible au bénéfice des prestations. Comme il est difficile de déterminer ce qui est raisonnable dans chaque cas, il a été jugé que les prestataires devraient être prévenus par la Commission lorsqu'ils persistent trop longtemps à restreindre exagérément leur recherche d'emploi. Ni la Loi ni le Règlement n'exige que soit donné cet avertissement, mais aux termes de simples principes d'équité, si les conditions d'admissibilité au bénéfice des prestations doivent changer, le prestataire a le droit de le savoir et d'avoir une possibilité raisonnable de prendre des mesures pour y satisfaire.

    En outre, dans la décision Nichols - CUB 16823, le juge MacKay a appliqué les principes d'équité et en est venu à la conclusion que la Commission doit alerter la prestataire du besoin d'étendre sa recherche d'emploi et lui donner une période raisonnable de recherche étendue avant de l'informer de son inadmissibilité aux prestations. Il a déclaré ce qui suit :

    À mon avis, il est fait une entorse aux principes d'équité et de justice naturelle lorsque la Commission prononce rétroactivement l'inadmissibilité d'un prestataire au bénéfice des prestations au motif que sa recherche n'est pas assez étendue quand il lui a été donné à croire depuis le début qu'elle suffisante. Dans ces circonstances, le prestataire doit être averti que sa recherche est jugée trop restreinte et que si elle n'est pas étendue, le versement de ses prestations risque d'être suspendu.

    ... ... ...

    À mon avis, il est injuste que la Commission, soudainement et sans avertissement, informe la prestataire que "les conditions auxquelles vous êtes disposée à accepter de l'emploi sont trop restrictives" et impose l'inadmissibilité au bénéfice des prestations rétroactivement. Si la Commission a conclu en août que la prestataire restreignait indûment sa recherche d'emploi, elle aurait dû l'en avertir alors, l'informer qu'elle devait étendre sa recherche et lui accorder une période raisonnable pour faire cette recherche étendue avant de lui adresser un avis d'inadmissibilité.

    Dans le cas présent, j'en viens à la conclusion que le conseil arbitral a erré quand il a considéré que la Commission a suivi les principes d'équité et a accordé au prestataire une période raisonnable de recherche étendue avant l'avis d'inadmissibilité.

    En l'espèce, le prestataire avait indiqué clairement, depuis le début, qu'il cherchait de l'emploi à temps partiel basé sur un calendrier de disponibilité restrictif. Compte tenu de cette information, la Commission a accordé l'admissibilité au bénéfice des prestations. De plus, entre mars 1990 et décembre 1990 le prestataire a rempli deux questionnaires où il a indiqué qu'il restreignait sa recherche d'emploi au travail partiel. C'est seulement par lettre en date du 15 octobre 1990 que le prestataire est avisé que la Commission réévaluerait sa disponibilité au cours des mois de novembre ou décembre 1990.

    À mon avis, avant l'avertissement d'inadmissibilité du 17 janvier 1991, rien n'indique que la Commission ait tenté d'avertir le prestataire que sa recherche d'emploi était trop restreinte et que le versement de ses prestations risquait d'être suspendu si sa recherche n'était pas étendue.

    En conséquence, l'avis d'inadmissibilité n'était pas un avertissement suffisant. Les principes d'équité et de justice naturelle exigent que la Commission avertisse le prestataire qu'il doit étendre sa recherche et lui accorde une période raisonnable pour prendre les mesures pour y satisfaire.

    La durée de la période de recherche étendue avant la suspension des prestations est basée sur plusieurs facteurs et dépend des circonstances particulières de chaque cas. Dans la décision Jelen - CUB 14701 le juge en chef adjoint a déclaré qu'un facteur important à examiner est la durée de la période pendant laquelle le prestataire a touché des prestations. Dans cette décision, le juge en chef adjoint a estimé qu'après huit mois de prestations, quatre semaines constituaient une période raisonnable de recherche étendue bien que, dans certains cas, une période de huit semaines ait été jugée appropriée.

    Enfin, dans la cause Tétrault - CUB 20316 le juge Rouleau était d'avis que quatre semaines auraient constitué un préavis raisonnable après un délai de 5 mois en chômage.

    Dans le cas présent, le prestataire a reçu des prestations pour à peu près neuf mois avant d'être avisé de son inadmissibilité, soit le 17 janvier 1991. Compte tenu de la jurisprudence, une période raisonnable, en l'espèce, aurait été deux semaines.

    Conclusion:

    En conclusion, j'estime que le conseil arbitral a erré en fait et en droit quand il a considéré que la Commission a accordé au prestataire une période raisonnable de recherche étendue avant l'avis d'inadmissibilité. Les principes d'équité et de justice naturelle exigent que la Commission alerte le prestataire du besoin d'étendre sa recherche d'emploi. De plus, le prestataire avait droit à une période raisonnable de recherche étendue d'un emploi convenable avant d'être déclaré inadmissible aux prestations.

    Donc, l'inadmissibilité du prestataire ne devrait pas être rétroactive mais devrait commencer deux semaines après la décision de la Commission, soit le 17 janvier 1991.

    L'appel est donc accueilli en partie en ce qui concerne le changement de la date d'inadmissibilité.

    "Max M. Teitelbaum"

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA
    le 15 juillet 1993

    2011-01-16