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  • CUB 23158

    TRADUCTION

    EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande par
    DEBRAH BERMAN

    - et -

    RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
    la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
    rendue à Richmond Hill, Ontario, le February 12, 1991.

    DÉCISION

    MacKAY, J., JUGE-ARBITRE:

    J'ai entendu l'appel interjeté par la prestataire le 27 mai 1992; elle a plaidé elle-même sa cause et la Commission était représentée par Mme Dale Bruce. La prestataire fonde son appel sur l'alinéa 95c) de la Loi sur l'assurance-chômage, soit que le conseil arbitral a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'il a tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en jugeant qu'elle était en chômage parce qu'elle exploitait une entreprise à son compte ou à titre d'associée et qu'étant par conséquent une travailleuse indépendante, elle était inadmissible au bénéfice des prestations.

    La prestataire est vétérinaire et a travaillé pour le Brown's Animal Hospital à Don Mills (Ontario) du 2 octobre 1989 au 23 mars 1990. Dans sa demande de prestations d'assurance-chômage, qui est datée du 24 octobre 1990, elle a signalé qu'elle avait quitté son emploi à cet endroit parce qu'elle avait trouvé un meilleur poste ailleurs, soit à la Veterinary Emergency Clinic, à Scarborough (Ontario), où elle a travaillé de mars 1990 à octobre 1990 pendant environ trois jours par semaine. Toutefois, d'après les renseignements qu'elle a présentés en réponse à la demande de la Commission, il semble qu'elle ait continué de travailler à temps partiel au Brown's Animal Hospital jusqu'en mai 1990 tout en travaillant à temps partiel à la Veterinary Emergency Clinic. De juillet à novembre 1990, la prestataire a travaillé à la Bayview Village Veterinary Clinic, à Willowdale, tout en continuant de travailler à la Veterinary Emergency Clinic. La prestataire qualifie son travail à la Bayview Village Veterinary Clinic et à la Veterinary Emergency Clinic, pour lequel elle a été rémunérée, d'« indépendant ». Je suppose que cela signifie qu'elle n'était pas strictement une employée de ces cliniques et qu'elle était rémunérée à l'heure pour ses services. En même temps, et cela apparemment depuis mars 1990, la prestataire travaillait également sans rémunération les lundis et vendredis au York Central Veterinary Service, clinique dans laquelle elle avait une participation de cinquante pour cent et qu'elle avait lancée avec deux autres vétérinaires.

    Le 1er novembre 1990, la prestataire a fait savoir qu'elle ne pouvait, en raison de sa grossesse, continuer d'exercer sans danger ses fonctions de vétérinaire et elle a été remplacée à la fois à la Bayview Village Veterinary Clinic et à la Veterinary Emergency Clinic.

    Par un avis daté du 4 décembre 1990, la Commission a informé la prestataire qu'elle n'était pas admissible au bénéfice des prestations parce qu'elle n'avait pas prouvé qu'elle était en chômage du fait qu'elle exploitait une entreprise à son compte ou à titre d'associée. Elle était donc censée travailler une semaine entière.

    La Commission a fondé sa décision sur les articles 8 et 10 de la Loi sur l'assurance-chômage et l'alinéa 43(1)a) du Règlement sur l'assurance-chômage. Ces dispositions se lisent comme suit :

    8. Lorsqu'un assuré, qui remplit les conditions requises aux termes de l'article 6, formule une demande initiale de prestations, on doit établir à son profit une période de prestations et des prestations lui sont dès lors payables, en conformité avec la présente partie, pour chaque semaine de chômage comprise dans la période de prestations.
    10.(1) Une semaine de chômage, pour un prestataire, est une semaine pendant laquelle il n'effectue pas une semaine entière de travail.
    43.(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsque le prestataire
    a) est un travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé ...
    il est censé travailler une semaine entière.
    (2) Lorsque le prestataire exerce un emploi mentionné au paragraphe (1), mais qu'il y consacre si peu de temps qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance, il n'est pas censé, à l'égard de cet emploi, travailler une semaine entière.

    La prestataire soutient qu'elle est visée par l'exception prévue au paragraphe 43(2), c.-à-d. qu'elle consacre si peu de temps à l'emploi qu'elle exerce à la clinique dans laquelle elle a une participation de 50 p. 100 qu'elle ne saurait normalement compter sur ce dernier comme principal moyen de subsistance. Dans sa lettre d'appel au juge-arbitre, que la Commission a reçue le 20 mars 1991, la prestataire affirme qu'elle ne travaillait que dix heures par semaine à la clinique, que l'entreprise était un échec financier en ce qu'aucun des partenaires n'en avait tiré un salaire et qu'elle était disposée à chercher un autre emploi et avait de fait travaillé plusieurs jours au cours des mois de novembre et décembre 1990 et de janvrier 1991.

    La prestataire soutient en outre qu'elle ne considérait pas la clinique comme son principal moyen de subsistance et que, dans trois ou quatre ans, ses partenaires et elle examineraient les activités de la clinique et décideraient s'ils pouvaient vraiment la considérer comme leur principal moyen de subsistance. D'ici à ce temps-là, il lui fallait exercer d'autres emplois, à raison de 30 heures ou plus par semaine, pour subvenir à ses besoins financiers et à ceux de sa famille.

    La Commission plaide que le fait de ne pas tirer de revenu d'un travail indépendant n'est pas concluant pour décider s'il y est consacré peu de temps et qu'il faut examiner tous les facteurs pertinents, y compris la détermination d'établir une entreprise. La Commission signale l'engagement de la prestataire de payer sa partie de l'hypothèque, soit un montant de 590 $ mensuellement. En outre, la Commission soutient que cela n'entre pas dans l'objet de la Loi de subventionner l'établissement d'une entreprise ou d'une profession.

    Relativement à l'affirmation de la prestataire selon laquelle elle cherchait un autre emploi et, de fait, avait travaillé à des cliniques autres que la sienne, la Commission soutient que la recherche d'un autre emploi n'est pas vraiment pertinente. À l'appui de cela, Mme Bruce invoque l'affaire CUB 14013, McAllister, 23 juillet 1987, dans laquelle le juge en chef adjoint Jerome a dit que l'affirmation selon laquelle une prestataire tente de trouver un autre emploi ne règle pas la question de savoir si elle exploitait une entreprise à son compte dans une mesure assez importante pour constituer un emploi aux termes de la Loi. Comme je le comprends, le consentement à chercher ou à accepter un autre emploi est un facteur à examiner pour décider s'il est consacré peu de temps au travail indépendant.

    Dans l'affaire McAllister, la prestataire était une comptable agréée qui avait établi son propre bureau avec un associé. Chaque associé pouvait y consacrer de zéro à 24 heures par semaine. L'affaire n'était pas prospère et la prestataire a continué de chercher activement un emploi qu'elle était toujours prête à accepter. Le juge en chef Jerome s'est exprimé comme suit :

    « La question de savoir si une prestataire exploite une entreprise à son compte ou à titre d'associée ainsi que celle de savoir s'il est consacré à cet emploi si peu de temps qu'une personne ne saurait normalement compter sur lui comme principal moyen de subsistance sont des questions de fait. Elles peuvent être des questions de fait assez complexes, mais elles relèvent entièrement de la compétence du conseil arbitral.
    En l'espèce, le conseil arbitral était saisi d'abondants éléments de preuve à l'appui de sa conclusion. La prestataire et son associé s'étaient engagés dans une entreprise professionnelle qui n'avait rien d'une affaire d'amateurs. Les associés étaient des comptables qualifiés et expérimentés et il est clair qu'ils se proposaient d'établir une entreprise indépendante dans laquelle ils étaient prêts à investir une somme assez considérable. La prestation de conseils fiscaux par des comptables généraux certifiés ne saurait guère être considérée comme un passe-temps secondaire qui ne serait pas un emploi. Je n'aurais donc aucune raison d'infirmer la décision du conseil arbitral. »

    Les circonstances de cette affaire sont très semblables à celles de l'espèce. Toutefois, une importante différence est que la prestataire, outre l'emploi qu'elle exerçait à la clinique dans laquelle elle avait une participation, était employée à temps partiel dans une mesure importante.

    Le conseil arbitral n'a pas fait mention des autres emplois de la prestataire ni des autres facteurs à examiner. En réalité, il semble que le conseil arbitral se soit appuyé presque exclusivement sur le fait que la prestataire travaillait dans une entreprise dont elle était copropriétaire à 50 p. 100. Voici le texte intégral de la décision du conseil arbitral :

    LE POINT EN LITIGE
    La prestataire est-elle admissible ou non au bénéfice des prestations parce qu'elle n'a pas prouvé qu'elle est en chômage. La question se pose parce qu'elle exploite une entreprise à son compte ou à titre d'associée. Il s'ensuit qu'elle est censée travailler une semaine entière et n'est pas en chômage. Le versement de prestations est suspendu à partir du 21 octobre 1990 tant que subsistera cette situation.
    TOUS LES FAITS PERTINENTS OBTENUS À L'AUDIENCE
    L'appelante travaille à une clinique dont elle est copropriétaire à 50 p. 100. La question à trancher est celle de savoir si elle est en chômage.
    MOTIFS ET EXPOSÉ DES CONCLUSIONS DU CONSEIL ARBITRAL
    Le conseil arbitral conclut que l'appelante n'est pas en chômage. Elle travaille dans une entreprise dont elle est propriétaire à 50 p. 100. Même si l'entreprise ne réalise pas de bénéfices, l'appelante exploite une entreprise à son compte et avec d'autres et, par conséquent, elle est une travailleuse indépendante et n'est pas en chômage aux termes de la Loi.
    DÉCISION
    L'appel de l'appelante est REJETÉ et la décision de l'agent d'assurance est CONFIRMÉE.

    À la lecture de cette décision, il me semble qu'on n'a pas examiné tous les facteurs nécessaires pour trancher la question de savoir s'il était consacré peu de temps à l'emploi. Il s'agit là, à mon avis, d'une erreur de droit. En outre, le conseil arbitral n'a clairement pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont il était saisi. En conséquence, conformément aux pouvoirs que me confère l'article 81 de la Loi, je rendrai la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre.

    Dans l'affaire CUB 22006, Joseph, 16 septembre 1992, le juge Reed, en qualité de juge-arbitre, s'est reportée à l'affaire CUB 19228, Milligan, 11 février 1991, dans laquelle il a été question des six facteurs à examiner pour décider s'il est consacré peu de temps à un travail indépendant. Ces six facteurs sont :

    1) le temps consacré à l'entreprise;
    2) le capital et les ressources investis;
    3) le succès ou l'échec financier de l'entreprise;
    4) l'exploitation continue du commerce;
    5) la nature de l'emploi;
    6) le consentement du prestataire à accepter ou à chercher un autre emploi.

    Voici les observations faites dans l'affaire Milligan relativement à ces facteurs :

    Je m'arrêterai, pour un moment, aux six critères établis dans la décision Schwenk. Il est évident que si le temps passé par le prestataire correspond à une semaine de travail normale, en particulier si la personne est contrainte de respecter un horaire passablement rigide (9 h à 17 h) cela contribuerait à montrer que l'activité ne pourrait vraisemblablement être visée par le paragraphe 43(2). Plus le temps consacré est court et l'horaire, flexible (p. ex. les fins de semaine et les soirées), plus l'activité a de chance d'entrer dans la catégorie visée au paragraphe 43(2).
    En ce qui concerne le deuxième critère, plus le capital et les ressources investis sont élevés, plus il est probable que le prestataire considérera cette activité comme son principal moyen de subsistance.
    Pour ce qui est du troisième critère, à savoir le succès ou l'échec financier de l'entreprise, si le prestataire tire, directement ou indirectement, des revenus de son entreprise, il est probable que ce n'est pas une activité qui pourra être visée par le paragraphe 43(2). Par contre, le fait de ne pas tirer de revenu de cette activité ne signifie pas nécessairement que celle-ci soit visée par le paragraphe 43(2) : voir, par exemple, les arrêts CUB 12353 - Marsh (11 juillet 1986) et CUB 13693 - Atwal (23 avril 1987).
    Le quatrième critère, soit l'exploitation continue du commerce, est un facteur pertinent en ce sens que si l'exploitation de l'entreprise est continue et que le prestataire ne retourne pas au travail, l'on peut présumer que les activités auxquelles se consacrait le propriétaire pendant qu'il recevait des prestations n'étaient pas celles prévues au paragraphe 43(2). Si le contraire se produit, la présomption inverse s'applique. Ces présomptions, toutefois, ne sont que cela, des présomptions, et les faits d'une espèce pourraient les contredire. Par exemple, en l'espèce, l'on semble pouvoir prouver que la prestataire avait une raison de changer sa situation relativement à son entreprise après la fin de sa période de prestations. Le fait qu'elle se soit constituée en société n'est pas, en soi, une preuve qu'elle devrait être exclue du bénéfice des prestations, voir CUB 16430 - Marshall (5 avril 1989) et CUB 18060 - Young (27 avril 1990).
    Le cinquième critère, qui consiste à déterminer si la nature de l'emploi correspond au genre d'entreprise qui intéresserait normalement le prestataire, sert à évaluer la probabilité que le prestataire considère que son activité remplace une recherche d'emploi. Si le travail indépendant est semblable à l'emploi habituel du prestataire, il est probable que celui-ci entend faire de cette activité son principal moyen de subsistance et y consacre tout son temps et ses énergies; voir, par exemple, la décision CUB 18060 - Young (27 avril 1990).
    Le sixième critère, qui concerne le consentement du prestataire à accepter ou à chercher un autre emploi, est un autre facteur à prendre en considération au moment d'évaluer la nature de la participation du prestataire à son entreprise.
    Ce qui vient d'être dit démontre clairement que le conseil arbitral, pour rendre sa décision, doit prendre en considération les divers facteurs et exercer son jugement. Ce n'est pas une décision qui peut être tranchée arbitrairement en ne s'appuyant que sur un ou deux faits. En outre, la décision rendue par la Commission en l'espèce n'établit pas une présomption contre la prestataire. Le conseil arbitral doit décider par lui-même sans privilégier l'opinion de la Commission.

    J'examinerai maintenant chaque facteur isolément. En ce qui concerne le premier critère, le temps consacré à l'entreprise, la prestataire a témoigné qu'elle travaillait à sa clinique dix heures par semaine. En même temps, jusqu'à ce que sa grossesse l'en empêche, elle travaillait aussi pendant environ 72 heures à la Veterinary Emergency Clinic et de 23 à 40 heures par mois à la Bayview Clinic. Les dix heures par semaine étaient souples, pouvaient être faites le soir et même reportées si une autre tâche s'offrait.

    En ce qui concerne le deuxième critère, les ressources investies, il n'y avait aucune preuve de cela à part l'obligation de la prestataire de verser sa part de l'hypothèque, qui était de 590 $ par mois.

    Le troisième facteur à examiner est le succès ou l'échec financier de l'entreprise. Le témoignage de la prestataire à ce sujet est qu'aucun des trois associés ne touchait un salaire. Les associés se proposaient d'examiner la situation financière de la clinique après trois ou quatre ans pour décider si elle pouvait être considérée comme leur principal gagne-pain.

    Le quatrième facteur est l'exploitation continue de l'entreprise. Il n'y avait aucune preuve que l'entreprise ne subsistait pas. Toutefois, la prestataire était employée ailleurs pendant qu'elle travaillait à temps partiel à sa clinique et, à l'audience, elle a témoigné qu'elle était alors également employée ailleurs. À part la période où elle ne pouvait travailler ailleurs en raison de sa grossesse, la prestataire n'avait pas perdu son emploi ou son travail à d'autres cliniques.

    En ce qui concerne le cinquième facteur, la nature de l'emploi, la prestataire exerce bien la profession qu'elle a choisie. Cela étant, il est vraisemblable que sa clinique puisse devenir son principal moyen de subsistance. Toutefois, les éléments de preuve révèlent qu'il en est bien autrement.

    La question de savoir si la prestataire cherchait de l'emploi ailleurs et était disposée à en accepter, ce qui est le sixième critère, joue en faveur de la prestataire en l'espèce. Non seulement la prestataire cherchait de l'emploi, elle travaillait dans deux autres cliniques pendant la période en question et également au moment de l'audience.

    À la lumière d'une appréciation de tous les facteurs à examiner, je conclus que la prestataire consacrait à son emploi à sa clinique si peu de temps qu'elle ne pouvait normalement compter sur ce dernier comme principal moyen de subsistance. En réalité, ce n'était pas son principal moyen de subsistance, même si elle continuait d'y travailler, parce qu'elle avait de l'emploi rémunéré ailleurs. La prestataire est clairement visée par l'exception prévue au paragraphe 43(2) du Règlement.

    Comme il est mentionné précédemment, le conseil arbitral a, à mon avis, commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance et en n'examinant pas tous les facteurs pertinents pour décider si la prestataire consacrait peu de temps à son emploi. En conséquence, l'appel de la prestataire est accueilli et la décision du conseil arbitral est infirmée.

    W. Andrew MacKay

    JUGE-ARBITR

    OTTAWA, Ontario
    le 20 août 1993

    2011-01-16