CUB 24908
TRADUCTION
Prestataire : ELIZABETH EASTERBROOK
Juge : ROULEAU
D É C I S I O N
La prestataire interjette appel de la décision unanime du conseil arbitral qui a confirmé celle de l'agent d'assurance portant qu'elle n'avait pas fait valoir de motif justifiant le retard à présenter sa demande pendant toute la période allant du 15 octobre 1990 au 9 juin 1992.
La prestataire a présenté une demande de prestations le 9 juin 1992. D'après le relevé d'emploi, son dernier jour de travail a été le 15 octobre 1990; elle a également demandé que sa demande soit antidatée au 15 octobre 1990. Elle a travaillé pour son ex-mari dans deux entreprises différentes, R.I.R. Food Services et Ray Easterbrook Lunchroom Ltd., pendant neuf ans environ. Au cours de 1990, leur relation s'est détériorée et il en est résulté un divorce qui a pris effet en mai 1992. La prestataire a déclaré qu'elle avait communiqué avec le ministère du Travail et qu'on lui avait dit qu'elle avait trois ans pour demander des prestations d'assurance-chômage. La Commission a informé la prestataire le 14 juillet 1992 qu'il avait été établi qu'elle n'avait pas fait valoir de motif justifiant le retard de sa demande, aux termes des articles 6 et 7 de la Loi.
La prestataire a comparu devant le conseil arbitral en compagnie d'un ami et conseiller, M. Papin. Il a produit une copie d'un relevé d'emploi daté du 19 mai 1992 et deux copies d'un rapport de refus de se conformer. Bien que le relevé d'emploi indique que le dernier jour d'emploi a été le 7 octobre 1990, la prestataire a affirmé qu'elle a continué à être rémunérée par les compagnies de son mari. Elle n'a découvert qu'à la fin d'avril 1992 qu'elle était réellement en chômage. Le conseil a constaté en examinant la déclaration de revenu de 1991 de la prestataire qu'aucune cotisation d'assurance-chômage n'avait été payée. Le conseil a conclu que la prestataire avait eu suffisamment de temps entre le 30 avril et le 30 mai 1992 pour se rendre au bureau de la Commission et présenter une demande. Il a rejeté l'appel.
La prestataire a interjeté appel en déclarant que le conseil avait mal interprété la preuve. Elle avait quitté son mari et cessé de travailler le 7 octobre 1990. Toutefois, il a continué de la rémunérer. Ce n'est que lorsqu'elle a reçu son relevé d'emploi le 19 mai 1992 qu'elle a découvert qu'elle avait cessé de travailler le 7 octobre 1990. Elle a pris 21 jours pour présenter sa demande après avoir reçu son relevé d'emploi.
Au cours de l'audience devant le juge-arbitre à Hamilton, le 6 mai 1994, la prestataire a produit les feuillets T-4 pour l'année 1990, qu'elle avait reçus au printemps de 1991. Ces documents indiquaient des gains de 44 000,00 $ et de 7 000,00 $ respectivement, et les deux feuillets montraient que les cotisations d'assurance-chômage avaient été déduites ainsi que les cotisations au Régime de pensions du Canada. Elle a conclu qu'elle était toujours une employée après sa séparation d'avec son mari, étant donné qu'il avait accepté de la garder sur la liste de paye.
C'est un fait qu'après leur séparation en octobre 1990, elle a cessé de travailler, mais a continué de recevoir ses chèques régulièrement. Cela a continué pendant une bonne partie de 1992. Durant toute l'année de 1991, elle a été payée et lorsqu'elle a demandé son feuillet T-4 pour cette année, elle a été informée par son ex-mari ou le comptable de ce dernier que ses gains pour 1991 s'élevaient approximativement à 1 300,00 $ et à 17 000,00 $, mais que ces sommes étaient maintenant attribuées comme une pension que le mari séparé pouvait déduire en entier de son revenu. Il était impossible pour cette prestataire de savoir que ses arrangements financiers avaient été modifiés à la lumière du fait que, pendant les huit ou neuf années précédentes, elle avait continué à recevoir des fonds de l'entreprise, à être traitée comme une employée et à recevoir chaque année les feuillets T-4 qui indiquaient que les cotisations d'assurance-chômage, les cotisations au Régime de pensions du Canada et autres déductions avaient été payées.
Le conseil a estimé que 30 jours étaient amplement suffisants pour présenter une demande et a rejeté l'appel.
Le dossier montre qu'elle a reçu son relevé d'emploi le 19 mai 1992 et qu'elle a présenté sa demande le 9 juin, quelque 20 jours plus tard.
Il est évident qu'à cause de l'échec de son mariage, la présente prestataire a rencontré d'énormes difficultés en tentant d'obtenir son relevé d'emploi. Les pièces 8-1 et 8-2 sont des rapports de refus de se conformer déposés à la Commission par la prestataire. La pièce 8-1 montre que, bien qu'elle ait travaillé pour R.I.R. Food Services en qualité de surveillante, elle n'avait touché que 54,00 $ par jour. La pièce 8-2 révèle que, lorsqu'elle était employée par Ray Easterbrook Lunchroom Ltd., son salaire était de 899,52 $ par semaine. Il est plutôt évident que, après que la présente prestataire a quitté son mari, il a continué à la payer et, en se fiant au passé, elle s'attendait à recevoir des feuillets T-4 à la fin de l'année financière montrant que les cotisations d'assurance-chômage avaient été payées et les autres retenues faites.
J'ai examiné les observations que la Commission a présentées au conseil arbitral. Je n'ignore pas qu'en général aucun représentant de la Commission n'assiste à l'audience devant le conseil et que, dans la plupart des cas, les arbitres essaient d'être aussi justes que possible. Toutefois, dans cette affaire particulière, j'estime que la façon dont la Commission a rédigé ses arguments était préjudiciable; la jurisprudence citée a été tronquée et n'expliquait pas entièrement à ces profanes toute la portée de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Procureur général du Canada c. Albrecht (1985), 1 CF, 623.
Bien que je sois d'accord que la décision Albrecht appuie le fait que le Parlement a voulu que l'on observe strictement les règles relatives à la demande de prestations, et ce, afin de faciliter le travail de la Commission, elle indique néanmoins que la détermination du «motif justifiant» le retard de la présentation de la demande «n'est pas une question de fait et de pouvoir discrétionnaire, mais bien une question de fait et de qualification. La question est une question mixte de fait et de droit». Un juge-arbitre peut intervenir dans certaines circonstances pour modifier la décision rendue par un conseil arbitral. Cette décision confirme le principe selon lequel l'ignorance de la loi n'est pas un «motif justifiant» le retard, mais les circonstances de l'affaire dont je suis saisi sont différentes. Le juge Marceau a écrit ce qui suit :
À mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la Loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un «motif valable» s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi dans ce cas. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande.
La Cour d'appel a conclu que ce qu'il faut considérer, c'est ce que l'on «attendrait d'une personne raisonnable».
Je ne peux pas dire que la conduite de Mme Easterbrook ait été fautive. Les faits indiquent clairement qu'elle a fait ce que toute autre personne raisonnable aurait fait dans cet état de choses.
J'annule, par les présentes, la décision du conseil arbitral et j'accorde à la prestataire l'antidatation qu'elle a demandée.
FAIT à Ottawa (Ontario), ce 25e jour de mai 1994.
P. Rouleau
JUGE-ARBITRE
2011-01-16