TRADUCTION
EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT À une demande par
Marilyn Yatcyshyn
- et -
RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
rendue à Saskatoon, Saskatchewan, le 12 août 1993.
DÉCISION
STRAYER, J.
La prestataire a travaillé à la garderie Humpty Dumpty à Prince Albert, en Saskatchewan, d'octobre 1992 au 30 avril 1993. À l'époque, elle a quitté volontairement son emploi afin de s'occuper de ses quatre enfants. Son mari travaillait à son compte dans l'industrie de la construction et devait être disponible pour travailler une fois que la saison de la construction commencerait. (C'est lui qui était demeuré à la maison pendant l'hiver pour s'occuper des quatre enfants, alors âgés de 5, 9, 11 et 12 ans). La prestataire touchait 6,50 $ de l'heure à la garderie Humpty Dumpty.
Elle a présenté une demande de prestations le 6 mai 1993, et la Commission a déterminé qu'elle avait volontairement quitté son emploi sans justification.
La prestataire a interjeté appel de la décision, et elle et son mari ont participé par téléphone à l'audition devant le conseil arbitral. Le conseil a rejeté son appel, et elle interjette maintenant appel de cette décision. Elle soutient que le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle et a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. À l'audition, j'ai indiqué que l'allégation d'entorse à un principe de justice naturelle ne semblait pas fondée, mais qu'il pouvait y avoir erreur de droit. La Commission a d'ailleurs soulevé la question dans son argumentation écrite. Selon moi, le conseil arbitral a commis une erreur de droit et n'a donc pas tenu compte d'aspects pertinents de la preuve.
Dans son argumentation devant le conseil arbitral, la prestataire a essentiellement insisté sur le fait qu'elle ne pouvait pas se permettre de continuer à travailler et de payer quelqu'un pour s'occuper de ses enfants. La Commission ne conteste pas le fait qu'elle serait obligée d'offrir le salaire minimum, soit 5,45 $ de l'heure à la personne qui viendrait chez elle pour s'occuper de ses enfants. Étant donné qu'elle ne toucherait que 6,50 $ de l'heure si elle continuait à travailler, que la gardienne devrait être payée pour le temps passé au-delà de la période où la prestataire travaille et qu'il y aurait des dépenses accessoires en plus du taux horaire pour la garde d'enfants, on peut conclure qu'il coûterait plus à la prestataire pour faire garder ses enfants qu'elle ne gagnerait en travaillant. On a aussi expliqué au conseil que même si elle plaçait le cadet en garderie et qu'elle n'avait pas besoin de gardienne lorsque les autres enfants seraient à l'école, elle occupait un poste par quarts et devait parfois quitter la maison tôt le matin. Par conséquent, elle aurait besoin de quelqu'un pour s'occuper des enfants avant qu'ils ne partent pour l'école et, bien entendu, pendant l'été. On a aussi indiqué au conseil que le diabète de l'aîné occasionnait des problèmes spéciaux. Le mari de la prestataire, parlant en son nom, m'a aussi assuré que le conseil savait qu'elle avait tenté régulièrement de se trouver un autre emploi, mieux rémunéré, qui lui permettrait de travailler et de payer pour faire garder ses enfants.
Je crois que le conseil n'a pas tenu compte, du moins pas de façon adéquate, d'une telle preuve parce qu'il ne s'est pas attaché à la question que la Loi lui demande de trancher. La prestataire a volontairement quitté son emploi juste après l'entrée en vigueur des dispositions actuelles de l'article 28 de la Loi sur l'assurance-chômage. Le paragraphe 28(1) indique que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justification; cependant, selon le paragraphe 28(4) :
28.(4) Pour l'application du présent article, le prestataire était fondé à avoir quitté volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles énumérées ci-après, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas :
e) nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent...
Malheureusement, Mme Bodnarchuk, l'agent d'assurance, ne semblait pas connaître cette modification de la Loi. Elle n'y a pas fait allusion dans son argumentation présentée au nom de la Commission au conseil arbitral et datée du 22 juillet 1993, lorsqu'elle exposait les critères justifiant le départ volontaire d'un employé. Elle a plutôt cité d'anciennes décisions de juges-arbitres, dont la plus récente a été rendue près de sept ans avant que les dispositions actuelles de l'article 28 n'entrent en vigueur. Selon moi, il est important de souligner que l'alinéa 28(4)e) implique que la Loi reconnaît qu'une personne peut quitter son emploi pour prendre soin d'un enfant si son départ constitue la seule « solution raisonnable » dans son cas. Voici certaines déclarations citées par Mme Bodnarchuk et extraites de la jurisprudence :
Les ententes relatives à la garde des enfants sont la responsabilité du prestataire, et une personne prudente n'aurait pas laissé un emploi stable et susceptible de se poursuivre pour un certain temps sans d'abord prendre les mesures nécessaires pour prendre d'autres ententes ou trouver un autre emploi. (CUB 11287)
En soi, ses problèmes familiaux ne justifiaient pas le fait qu'elle ait quitté son emploi sans s'assurer d'en avoir un autre qui l'attend. (CUB 6244)
Selon ce que je comprends de la Loi actuelle, il est légitime qu'un parent quitte son emploi pour s'occuper d'un enfant lorsque aucun autre arrangement raisonnable ne peut être fait afin que les deux parents travaillent et prennent soin de l'enfant. Selon moi, le conseil ne comprenait pas bien ce principe, et ce, probablement à juste titre, en raison des arguments présentés au conseil par la Commission. Le conseil a indiqué dans sa décision :
Le conseil croit que la prestataire n'a pas pris en considération toutes les options qui pourraient améliorer sa situation avant de quitter son emploi et le fait de quitter son emploi parce qu'elle ne peut se permettre de travailler et de payer une gardienne ne constitue pas une justification même si la décision de quitter son emploi peut être valable ou découler d'une bonne intention. L'appel est rejeté. (C'est moi qui souligne)
Je crois que cette conclusion va clairement à l'encontre des dispositions de l'alinéa 28(4)e) de la Loi. Étant donné que le conseil avait ce concept de la justification, il n'a pas su, selon moi, juger de façon adéquate la preuve qui lui a été présentée concernant les besoins spéciaux de cette famille quant au service de garde à domicile et le coût de ce service par rapport au revenu que la prestataire peut gagner dans le seul emploi disponible pour elle.
Comme je n'ai pas certains renseignements essentiels, par exemple le calcul précis, effectué par la prestataire et son mari, des coûts qu'elle doit débourser pour faire garder ses enfants -- en particulier en ce qui touche leurs besoins spéciaux -- par rapport à ses revenus ou les efforts qu'elle a faits pour trouver un autre emploi mieux rémunéré, je ne peux prendre la décision que le conseil aurait dû prendre. Je ne dispose pas non plus de preuve précise quant au travail rémunéré que le mari pouvait occuper au printemps 1993 et qui aurait justifié qu'il retourne sur le marché du travail et qu'elle quitte son emploi. De plus, on ne précise pas réellement pourquoi il n'aurait pas pu s'occuper des enfants avant qu'ils ne partent pour l'école si elle devait travailler plus tôt. Je dois donc annuler la décision du conseil en raison d'une erreur de droit ou d'une conclusion de fait erronée qui ne tenait pas compte de la preuve légalement pertinente, et renvoyer l'affaire à un autre conseil qui devra la réentendre en tenant compte de toute la preuve selon les principes que j'ai mentionnés plus haut.
Je dois toutefois avertir la prestataire et son mari. Ils croient pouvoir s'indigner à bon droit parce qu'il n'est pas aussi évident pour nous que pour eux que la prestataire devrait recevoir des prestations d'assurance-chômage puisqu'elle ne peut pas travailler à l'extérieur de la maison pour des raisons pratiques. La Commission, pour des raisons que je ne comprends pas très bien, n'a pas tenu compte dans cette affaire de la disponibilité de la prestataire pour travailler. Le principe de base de l'assurance-chômage est d'offrir des fonds à ceux qui sont disponibles pour travailler et qui ne réussissent pas à se trouver du travail. Il existe certaines exceptions dans des situations très précises, comme les dispositions sur les prestations de maternité ou de garde d'enfants pour les parents naturels de nouveau-nés ou les parents adoptifs d'enfants récemment placés dans leur foyer. Toutefois, il existe bien des cas où un parent n'était pas disponible pour travailler et n'a donc pas été jugé admissible à des prestations parce qu'il devait rester à la maison pour s'occuper des enfants. Il arrive fréquemment qu'un prestataire n'ait pas les moyens d'engager quelqu'un pour s'occuper des enfants. Peut-être que notre régime d'assurance-chômage devrait fournir des prestations à ces parents tout comme c'est le cas pour les parents de nouveau-nés ou ceux qui ont récemment adopté un enfant. Mais, rien n'est prévu comme tel dans la loi. Le fait que la Commission ait déterminé que la prestataire avait quitté son emploi sans justification a eu comme conséquence de la rendre inadmissible à des prestations pendant le reste de sa période de prestations. Si la Commission avait déterminé qu'il s'agissait d'un problème de disponibilité et que la prestataire était redevenue disponible, sans pouvoir trouver du travail, alors, elle aurait pu recevoir des prestations. Toutefois, tant et aussi longtemps que la prestataire ne pourra, comme elle dit, retourner sur le marché du travail à moins de trouver un emploi offrant un salaire d'au moins 10 $ de l'heure et elle a insisté sur le fait que ce genre d'emploi était impossible à trouver, je crois qu'elle n'est pas, au sens pratique disponible pour travailler. Dans ce cas-ci, la Commission n'a pas tenu compte de la disponibilité. Toutefois, la prestataire et son mari ne devraient pas croire qu'ils ont été moins bien traités que bien d'autres parents qui soutiennent ne pouvoir travailler parce qu'ils doivent s'occuper de leurs enfants.
B.L. Strayer
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, CANADA
le 15 août 1994