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  • CUB 26138

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE 1971 SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    Coyley ENDICOTT Sr.

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par
    le prestataire, d'une décision rendue par le conseil arbitral
    à Corner Brook, Terre-Neuve, le 10 février 1993.


    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-707-94


    DÉCISION

    JOYAL, J.:

    Cet appel interjeté par le prestataire soulève quelques questions de fait et de droit intéressantes. Je souligne que ces questions ont été débattues de façon fort compétente par l'avocat du prestataire aussi bien que par l'avocat de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada.

    Les faits en l'espèce, bien qu'ils mènent à des conclusions différentes, ne sont pas contestés sur le fond. Pendant près de 25 ans, le prestataire a travaillé chez les prédécesseurs de la compagnie Bolands Ltd. Il y occupait le poste de représentant des ventes pour le territoire s'étendant de Norris Point à Port-aux-Choix dans l'ouest de Terre-Neuve. De toute évidence, son rendement était satisfaisant puisqu'il est demeuré en poste pendant une aussi longue période auprès des différents employeurs qui se sont succédé.

    En avril 1992, toutefois, le prestataire a été licencié. La preuve n'indique pas clairement si le motif de son licenciement est le manque de travail, l'incapacité de respecter les objectifs de ventes ou la difficulté pour un employé de 59 ans de s'adapter à de nouvelles méthodes informatisées pour la tenue des dossiers. Que son licenciement soit attribuable à une ou plusieurs causes, il est manifeste que le prestataire était bien vu de son employeur et qu'il a été traité avec égards.

    Parallèlement à sa carrière chez Bolands Ltd., le prestataire menait d'autres activités. Vers 1975, il a établi un dépanneur à Rocky Harbour, petit village de pêcheurs au nord de Corner Brook sur la rive ouest. Quelques années plus tard, il a construit quelques maisonnettes à l'intention des touristes qui visitent la province pendant l'été. Il a fondé deux sociétés : la première, Endicott's Ltd., pour exploiter le dépanneur sous cette raison sociale, et l'autre, Gros Morne Cabins Ltd., pour gérer les maisonnettes pour touristes. Cette dernière entreprise, quoique limitée aux mois d'été, a été suffisamment rentable pour permettre au prestataire de construire d'autres maisonnettes. Je suis sûr que la création du Parc national de Gros Morne dans les années qui ont suivi a donné un essor à l'entreprise du prestataire. En 1992, quand il a perdu son emploi chez Bolands Ltd., l'entreprise comptait 22 maisonnettes.

    Dans sa déposition, le prestataire indique que dans les 15 années ou plus d'exploitation de ses entreprises secondaires, il n'y a consacré que quelques heures par semaine. Mme Endicott se chargeait elle-même de la plupart des tâches et le bureau de location des maisonnettes faisait partie du dépanneur. Par la suite, le prestataire a embauché un directeur général, ayant une formation en comptabilité, qui s'occupe actuellement de l'exploitation courante et de la comptabilité des entreprises. Les maisonnettes pour touristes, qui représentent un commerce saisonnier, exigent peu de travail du début de l'automne jusqu'à la fin du printemps. Selon la version du prestataire, il a réussi à établir ses entreprises et même à leur donner de l'expansion tout en conservant son emploi de vendeur qui l'obligeait régulièrement et fréquemment à s'absenter.

    Le prestataire indique également que depuis la création de ses deux entreprises, il ne s'est jamais versé un salaire personnel. Tous les bénéfices étaient réinvestis dans les entreprises et quand, en 1991, l'entreprise de maisonnettes pour touristes a perdu quelque 22 000 $ et le dépanneur n'a même pas fait ses frais, les entreprises ont tout simplement absorbé les pertes. Pour le reste, le prestataire subvenait aux besoins de sa famille au moyen de la rémunération provenant de son emploi.

    Quand il a cessé de travailler, le prestataire a déposé une demande de prestations d'assurance-chômage et, après avoir reçu l'indemnité habituelle de cessation d'emploi, sa paie de vacances et les autres avantages auxquels il avait droit, il a commencé à toucher des prestations.

    Dans les mois qui ont suivi, la Commission a été informée des entreprises exploitées par le prestataire à Rocky Harbour. Après l'enquête habituelle, la Commission a conclu le 28 janvier 1993 que le prestataire n'était pas admissible aux prestations depuis avril 1992 parce qu'il exploitait une entreprise, qu'il déterminait lui-mêmes ses propres heures de travail et qu'il ne pouvait être considéré comme un chômeur.

    L'avocat du prestataire a immédiatement déposé un appel devant le conseil arbitral. Après l'audience du 10 février 1993, le conseil a confirmé la décision de la Commission. Le conseil ne pouvait croire que l'exploitation d'un dépanneur et de 22 maisonnettes pour touristes exigeait tellement peu de temps, comme le laissait entendre le prestataire, qu'il puisse prétendre être en chômage. Le conseil a examiné l'investissement total du prestataire dans ses entreprises, de même que l'ensemble de ses éléments d'actif et de passif, et il « pouvait difficilement accepter la déclaration du prestataire selon laquelle l'exploitation d'une entreprise de cette nature et de cette ampleur n'exige pas plus de quatre à six heures de travail par semaine ». En outre, selon le conseil, « une telle entreprise exige beaucoup plus d'attention que ce que prétend y consacrer le prestataire, surtout lorsqu'il en assume la totalité des investissements et des risques. Un homme d'affaires prudent consacrerait beaucoup plus de temps à ses affaires ».

    Encore une fois, le prestataire a voulu faire infirmer cette décision défavorable en interjetant appel devant le juge-arbitre. Dans son avis d'appel et de nouveau dans la présentation de ses arguments devant moi, l'avocat du prestataire a fait valoir que le conseil arbitral avait mal interprété les dispositions de l'article 43 du Règlement sur l'assurance-chômage concernant la situation des personnes qui sont, pour ainsi dire, des travailleurs indépendants et qui déterminent leurs propres heures de travail; que le conseil avait commis une erreur en décidant de la quantité de temps que le prestataire devait à son avis consacrer à son entreprise; et enfin, que le conseil avait tiré une conclusion de fait erronée d'une façon absurde ou arbitraire sans tenir aucun compte du fait que l'entreprise du prestataire avait fonctionné pendant 17 ans alors que le prestataire occupait ailleurs un emploi rémunérateur à plein temps.

    En réponse, l'avocat de la Commission m'a demandé instamment de conclure que le conseil arbitral se trouvait devant une situation de fait à partir de laquelle il pouvait tirer ses propres conclusions; qu'il acceptait difficilement la déposition du prestataire concernant le nombre d'heures par semaine qu'il consacrait à son entreprise, et qu'enfin le conseil avait correctement interprété les dispositions de l'article 43 du Règlement.

    Comme je l'ai mentionné ci-dessus, les questions soulevées sont nouvelles et intéressantes. À première vue, il semble anormal qu'un prestataire, propriétaire d'un dépanneur et d'une entreprise de maisonnettes pour touristes dont la valeur nette pourrait faire de lui un individu assez riche, se trouve maintenant dans la position de réclamer des prestations d'assurance-chômage. Les prestations visent à aider financièrement les prestataires qui sont en chômage et qui comptent sur cette aide financière jusqu'à ce qu'ils trouvent un emploi convenable. On peut également se demander si le programme d'assurance-chômage vise également à aider une personne qui peut toujours compter sur son entreprise pour travailler et en tirer des revenus.

    Il n'est pas facile de répondre à cette question. L'inadmissibilité imposée au prestataire ne vient pas de son incapacité de travailler, mais plutôt de la présomption établie à l'article 43 du Règlement. Cette présomption, comme la plupart des présomptions légales, comporte des zones grises. L'article 43 du Règlement est reproduit ci-dessous :

    43.(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsque le prestataire
    a) est un travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé, ou
    b) exerce un emploi autre que celui qui est mentionné à l'alinéa a) et détermine lui-même ses propres heures de travail,
    il est censé travailler une semaine entière.
    (2) Lorsque le prestataire exerce un emploi mentionné au paragraphe (1), mais qu'il y consacre si peu de temps qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance, il n'est pas censé, à l'égard de cet emploi, travailler une semaine entière.
    (3) Lorsque le prestataire exerce un emploi dans l'agriculture auquel ne s'applique pas le paragraphe (2), il n'est pas censé travailler une semaine entière pendant la période allant de la semaine où tombe le 1er octobre à la semaine où tombe le 31 mars suivant, s'il prouve, à la satisfaction de la Commission, que, durant cette période,
    a) il n'a pas travaillé; ou
    b) qu'il a consacré si peu de temps à son travail que cela ne l'aurait pas empêché d'accepter un emploi à plein temps.

    Ces dispositions s'appliquent à un certain nombre d'occupations dans lesquelles il n'y a pas de relations employeur-employé ou qui supposent que la personne travaille de façon indépendante et détermine son propre style de travail. Dans la première catégorie, on trouve l'entrepreneur qui, bien qu'il touche des prestations d'assurance-chômage, essaie d'établir sa propre entreprise afin d'en tirer des profits et des revenus. Selon les faits, la présomption selon laquelle il est censé « travailler une semaine entière » s'appliquera à son cas. La deuxième catégorie regroupe toute une série de personnes, comme des vendeurs d'assurance ou des agents immobiliers, qui comptent sur les commissions pour subvenir à leurs besoins. La présomption s'appliquera habituellement aussi à leur situation peu importe qu'ils parviennent ou non pendant une certaine période à vendre des polices d'assurance ou des propriétés. Ces personnes sont réputées occuper un emploi à plein temps.

    L'avocat du prestataire fait valoir que le conseil arbitral a limité son enquête au paragraphe 43(2) sans se demander si le prestataire était visé par les dispositions du paragraphe 43(1). Il ne fait aucun doute que le paragraphe 43(2) s'applique lorsqu'un prestataire travaille de façon autonome ou que, du fait de ses conditions d'emploi, il détermine lui-même ses propres heures de travail. Je veux dire par là que le conseil a présumé que le prestataire était assujetti au paragraphe 43(1) du simple fait qu'il possède une entreprise. D'après l'avocat du prestataire, il s'agit là d'une erreur de droit susceptible de donner lieu à un examen judiciaire.

    Je souscris à l'opinion de l'avocat sur ce point. Le conseil a simplement présumé qu'à titre de propriétaire de l'entreprise le prestataire était un travailleur indépendant et que la présomption énoncée à l'alinéa 43(1)a) s'appliquait à son cas. C'est, à mon avis, la raison pour laquelle le conseil a consacré autant de temps à analyser la nature de l'exploitation, le capital investi et les obligations financières, pour en arriver à la conclusion qu'en tant que travailleur indépendant, le prestataire ne pouvait se prévaloir de l'exemption énoncée au paragraphe 43(2).

    Le fait d'être propriétaire d'une entreprise n'est pas un critère déterminant pour conclure qu'un prestataire est un travailleur indépendant et appliquer l'article 43. Il y a de nombreux prestataires qui, bien qu'étant propriétaires de différentes entreprises, ont néanmoins droit aux prestations d'assurance-chômage. Certaines personnes gèrent des immeubles d'appartements dont ils sont propriétaires, d'autres sont plus ou moins associées dans des coentreprises, que ce soit dans des clubs d'investissement ou dans la spéculation immobilière. D'autres personnes travaillent les fins de semaine à organiser des ventes-débarras. Il n'y a pas de limite à l'imagination que peuvent déployer tous ceux qui cherchent à s'enrichir ou à grossir leurs revenus au-delà des salaires qu'ils tirent de leur emploi. Ce qui ne signifie pas nécessairement, cependant, qu'en cas de perte d'emploi, ces personnes sont visées par l'article 43 du Règlement et sont inadmissibles aux prestations d'assurance-chômage.

    Cette constatation nous amène maintenant à traiter de l'autre motif d'appel, savoir que le conseil a tiré une conclusion de fait erronée, d'une façon absurde ou arbitraire. La preuve déposée devant le conseil, basée sur des faits objectifs et non sur les affirmations intéressées du prestataire, indique que les entreprises du prestataire existent depuis quelque 17 ans, période durant laquelle le prestataire occupait un emploi rémunérateur. Le conseil n'a pas tenu compte de cette preuve spécifique qui, à mon avis, était essentielle à la question dont il était saisi et tout à fait conforme à la portée et à la teneur de la loi traitant du chômage. Avec égards pour les membres du conseil arbitral, je ne vois pas pourquoi ils jugent incroyable que le prestataire puisse exploiter son entreprise en y consacrant uniquement de quatre à six heures par semaine quand, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, c'est précisément ce qu'il a fait pendant 17 ans. En fait, la question de la crédibilité, tranchée par le conseil arbitral qui juge d'après les faits, et à l'égard de laquelle le juge-arbitre hésite à intervenir en appel, n'est pas à mon avis en cause. Et même si c'était le cas, il s'agirait d'une question subsidiaire n'ayant rien à voir avec la question principale. Le conseil devait décider si le prestataire était ou non un travailleur indépendant relativement à l'exploitation de son entreprise. Il y a lieu de se demander si l'on peut en arriver à cette conclusion, qui entraîne l'application de l'article 43, quand on constate que ces entreprises étaient exploitées pendant que le prestataire occupait à plein temps un emploi rémunérateur dans un domaine n'ayant aucun lien, même éloigné, avec l'exploitation d'un dépanneur ou d'une entreprise de maisonnettes pour touristes. Et pourtant, comme la preuve l'indique clairement, il a réussi à exploiter avec succès ses entreprises et à conserver pendant 25 ans son emploi auprès des employeurs qui se sont succédé.

    La jurisprudence abonde de cas où l'article 43 du Règlement a été invoqué. Dans la plupart des cas, mais pas nécessairement dans la totalité, les prestataires en cause touchaient des prestations au moment de la création d'une entreprise ou en même temps qu'ils exerçaient un emploi rémunéré à la commission. Dans un des cas que j'ai examinés, un travailleur saisonnier mettait ses talents d'ébéniste à profit comme passe-temps pendant sa période de prestations, ce qui est en fait l'exemple classique d'application du paragraphe 43(2). Avec le temps, toutefois, le passe-temps est devenu une véritable entreprise et, par conséquent, le prestataire a été rétroactivement exclu du bénéfice des prestations pour une période de plusieurs mois. [Voir Adhémard Simard, CUB 21472, décision datée du 13 juillet 1992; confirmée par la Cour d'appel fédérale, n° de greffe A-1244-92 (inédite)].

    Une série semblable de cas met en cause des prestataires qui retournent aux études à plein temps dans des collèges ou des universités. La jurisprudence confirme sans exception que ces prestataires sont exclus du bénéfice des prestations même s'ils affirment énergiquement qu'ils seraient heureux d'abandonner leurs études si un emploi leur était offert. Toutefois, la jurisprudence indique également que si le prestataire travaillait, habituellement à temps partiel, pendant qu'il fréquentait l'école, il est possible qu'il ait droit à des prestations d'assurance-chômage s'il perd son emploi.

    Je le répète, le cas en l'espèce est singulier. Les erreurs du conseil arbitral auxquelles j'ai fait référence sont visées à la fois à l'alinéa 80b) et à l'alinéa 80c) de la Loi. Selon mon interprétation des faits et de la loi, et après avoir examiné la présomption visée à l'article 43 que devait examiner le conseil, j'accueille l'appel du prestataire et décide que, sur ce point, il n'y a pas de raison que le prestataire n'ait pas droit à ses prestations. Le prestataire est donc admissible aux prestations.

    Je me rends bien compte que la situation peut avoir beaucoup évolué depuis que le conseil arbitral a entendu l'appel du prestataire il y a quelque deux ans et demi. Il existe peut-être d'autres motifs qui permettent de contester l'admissibilité du prestataire pendant toute la période des prestations. Ma décision porte simplement sur le fait que la présomption prévue à l'article 43 du Règlement ne s'applique pas en l'espèce.

    Il est clair qu'au vu de ma décision la Commission pourra songer à interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale. Il est possible qu'un examen plus approfondi de l'ensemble du cas soit justifié de façon à préciser les règles du jeu. Je crois donc approprié, dans ces circonstances, de laisser à la Commission le soin de décider si elle souhaite intenter d'autres procédures.

    L'appel du prestataire est accueilli, la décision du conseil arbitral est annulée et je déclare que le prestataire est admissible aux prestations.

    L-Marcel Joyal

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    le 31 août 1994.

    2011-01-16