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  • CUB 26809

    TRADUCTION

    EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT A une demande de prestations par
    RAFIG ROKERYA

    - et -

    RELATIVEMENT A un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
    le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
    rendue à Toronto (Ontario), le 26 février 1993.

    DÉCISION

    WALSH, J. :

    Dans l'affaire en l'espèce, le conseil arbitral devait déterminer s'il convenait d'antidater une demande de prestations au 1er septembre 1991 bien qu'aucun motif valable n'ait été fourni pour justifier le retard pour la période allant du 1er septembre 1991 au 24 juillet 1992; le conseil arbitral devait aussi décider si le prestataire était admissible aux prestations même s'il n'a pu obtenir de relevé d'emploi de son ancien employeur. Dans les deux cas, l'inadmissibilité a été imposée le 23 octobre 1992.

    Le dossier contient de longues observations écrites. Les faits montrent que le prestataire a cessé de travailler le 14 juin 1991 et qu'il a présenté une demande de prestations parentales le 22 juillet 1992 seulement; il s'agit de la question en litige.

    Le prestataire a travaillé comme vérificateur pour Revenu Canada du 30 mars 1987 au 14 juin 1991. On lui a accordé un congé sans solde pour des raisons personnelles allant du 3 septembre au 1er décembre 1991, après qu'il a pris son congé annuel du 18 juin au 30 août 1991.

    Le 9 mai 1991, il avait demandé à son employeur un congé de paternité en vertu de la convention collective, mais on le lui a refusé. (À ne pas confondre ici avec le congé parental prévu dans la Loi sur l'assurance-chômage.) Il a ensuite demandé son congé annuel et l'a obtenu, de même qu'un congé sans solde pour la période allant du 3 septembre au 1er décembre 1991.

    Il a justifié le retard de sa demande en expliquant que sa femme avait donné naissance à un enfant par césarienne le 7 juin 1991 et qu'il y avait eu des complications causant chez la jeune mère une dépression post partum et beaucoup de souffrances. Des infirmières visiteuses lui ont prodigué des soins à domicile. Le 20 juillet 1991, le prestataire a emmené sa femme et sa famille à Singapour pour qu'elle puisse vivre chez ses parents à elle. Il n'a pas tenté de présenter une demande pendant qu'il était là-bas. Malheureusement, il est lui-même tombé gravement malade; il est revenu au Canada le 2 décembre 1991 et a recommencé à travailler le jour même.

    Ces faits ne sont pas contestés. Ce n'est qu'en juin 1992 qu'en parlant avec un collègue il a appris qu'en raison des modifications apportées à la Loi sur l'assurance-chômage il aurait pu être admissible à des prestations parentales. Ces modifications avaient été apportées en novembre 1990 et avaient été largement diffusées. Lorsqu'il a appris qu'il aurait pu être admissible, il a agi promptement, a présenté sa demande de prestations et demandé une antidatation le 24 juillet 1992.

    On lui avait posté son relevé d'emploi alors qu'il était à l'extérieur du pays et, à son retour en novembre, il était gravement malade; il déclare donc qu'il n'aurait pas pu présenter de demande à ce moment-là même s'il avait été au courant des dispositions législatives en question.

    Depuis l'affaire Albrecht (1985-1, C.F. 710), l'ignorance de la loi constitue un motif valable si un prestataire a agi comme une personne raisonnable, de sorte que les faits de chaque dossier doivent être examinés.

    Le prestataire s'appuie sur la décision rendue par la juge Reed dans la décision CUB 16667, où elle cite un long extrait de la décision rendue par le juge Joyal dans la décision CUB 12027 (Flanders); on y stipule que l'ignorance de l'existence de prestations d'assurance-maladie avait été invoquée pour justifier un long retard dans la présentation d'une demande. Après s'être rendu au bureau de la Commission et avoir obtenu les formulaires requis, le prestataire en l'espèce les avait présentés promptement; il avait demandé une antidatation par la même occasion. On a aussi allégué le fait qu'un retard dans la présentation de la demande ne nuisait pas au bon fonctionnement du régime de l'assurance-chômage, et le représentant de la Commission a reconnu que, n'eût été du retard, la demande aurait été accueillie. Le juge Joyal a énoncé les facteurs devant être pris en compte, y compris les démarches entreprises rapidement par le prestataire une fois qu'il a été informé de ses droits, et le fait que, lorsque la demande touche une période définie et facilement déterminable, les exigences concernant le dépôt des demandes en temps opportun ne sont pas aussi strictes.

    La juge Reed a souscrit à cette décision, faisant remarquer que, lorsqu'un prestataire n'est pas tenu de prouver sa disponibilité, il n'en résulte pas le même risque de préjudice pour la Commission, comme c'est le cas pour une demande de prestations ordinaires.

    Dans la décision CUB 14019, le juge Joyal s'est une fois de plus attaché à l'ignorance de l'existence des prestations d'assurance-maladie et a déterminé que toute personne raisonnable pourrait omettre de présenter sa demande immédiatement; pour cette raison, il a excusé l'ignorance de la loi.

    Ici, il me semble que l'ignorance par le prestataire de son droit aux prestations parentales est d'autant plus pertinente qu'il s'agit d'une disposition relativement récente de la Loi. Il y aurait manifestement eu droit s'il en avait fait la demande au moment où l'enfant avait besoin de soins parentaux que la mère ne pouvait lui fournir. Les prestations parentales sont accordées pour une période maximale de dix semaines.

    Même s'il n'avait pas de justification pour toute la période allant de la date de l'antidatation demandée et la date réelle de la présentation de la demande, puisque le prestataire se trouvait de son propre gré à l'extérieur du pays, le retard dans la réception de son relevé d'emploi ne semble pas pertinent. Il faisait une demande de prestations non pas ordinaires, mais bien d'une nature spéciale, soit des prestations parentales.

    On peut également s'inspirer de la décision rendue par le juge Strayer dans l'affaire CUB 11094, où le retard n'était que de six semaines (bien inférieur à l'affaire qui nous occupe). Dans cette décision, comme ici, le prestataire avait été malade pendant une partie de la période de six semaines et ne connaissait pas le fonctionnement du régime. Voici ce que le juge Strayer a déclaré :

    Je ne vois pas comment une demande présentée avec quelque six semaines de retard peut, dans les circonstances, constituer un préjudice grave pour la Commission et je trouve assez déplorable que tant le conseil arbitral que le juge-arbitre aient à subir le poids de ce genre d'interprétation restrictive de la Loi et des Règlements par la Commission.

    Dans la décision CUB 12401, le juge Teitelbaum a déclaré ce qui suit :

    Je pense que la Commission est tenue de respecter la Loi, mais aussi de faire tout ce qu'elle peut pour permettre à ces personnes de présenter une demande de prestations si elles y ont droit.
    On ne devrait pas avoir recours à des détails techniques pour empêcher une personne de toucher des prestations si elle y a droit sans cela.

    J'aurais tendance à souscrire à ces décisions portant sur les faits de l'affaire, qui sont, pourrait-on dire, assez rares; en effet, même si l'ignorance de la loi n'est pas, comme telle, un motif valable de retard, il demeure que, corroborée par des faits montrant que le prestataire a agi comme une personne raisonnable le ferait dans des circonstances particulières, elle peut constituer une « justification ».

    Je conclus donc que la décision du conseil arbitral était erronée en droit parce que le conseil a omis d'appliquer la jurisprudence pertinente aux faits, parce qu'il a également mal évalué certains faits pertinents, notamment la demande initiale de congé parental présentée à l'employeur par le prestataire et le dépôt d'un grief pour s'être vu refuser ce congé, faits qui n'ont aucune portée sur ses droits en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage. Le prestataire a tardé à présenter sa demande de prestations parentales en vertu de la Loi non pas parce qu'il attendait une décision concernant le grief qu'il avait déposé, mais bien parce qu'il ne savait pas qu'il y avait droit.

    Par conséquent, j'ai décidé d'accueillir l'appel et de rendre la décision qu'à mon avis le conseil arbitral aurait dû rendre. J'accorde l'antidatation au 1er septembre 1991 pour permettre au prestataire de présenter une demande de prestations parentales.

    J. Walsh

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    le 22 novembre 1994

    2011-01-16