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  • CUB 27838

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE

    - et -

    IN THE MATTER of a claim by
    BETTY McINTOSH

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission de l'emploi
    et de l'immigration Canada à l'encontre d'une décision du conseil arbitral
    rendue à London (ONTARIO), le 10 mars 1993

    DECISION

    ROULEAU, J.:

    Il s'agit d'un appel de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada interjeté à l'encontre d'une décision du conseil arbitral soutenant que la prestataire était en droit de faire prolonger sa période de référence en vertu de l'article 7 de la Loi sur l'assurance-chômage.

    Mme McIntosh était employée à titre de coupeuse dans une fabrique de vêtements. Du 5 novembre 1991 au 30 juillet 1992, elle a fait partie du jury au procès de Guy Paul Morin. À la fin du procès, elle n'a recommencé à travailler que le 13 octobre 1992 en raison du manque de travail chez son employeur et elle a finalement été mise à pied le 4 décembre suivant en raison d'une pénurie de travail. Elle a ensuite présenté une demande de prestations d'assurance-chômage le 9 décembre 1992. Par un avis daté du 18 janvier 1993, la Commission a avisé la prestataire de ce qui suit :

    Pour être admissible aux prestations d'assurance-chômage, un prestataire doit avoir travaillé durant un nombre minimal de semaines dans le cadre d'un emploi assurable au cours de sa période de référence. Ce nombre minimal varie de dix à vingt semaines dans l'ensemble du Canada, selon le taux de chômage de la région où réside normalement le prestataire.

    Dans votre cas, vous avez indiqué avoir accumulé huit semaines dans un emploi assurable, alors qu'il faut au moins dix-sept semaines pour être admissible aux prestations.

    Cette décision était fondée sur l'article 7 de la Loi, qui stipule que la période de référence d'un prestataire est la période de cinquante-deux semaines précédant immédiatement la date de l'entrée en vigueur de la demande. En l'espèce, la période de référence de la prestataire allait du 8 décembre 1991 au 5 décembre 1992. Parce qu'elle avait exercé une fonction de jurée, son relevé d'emploi indiquait qu'elle n'avait accumulé que huit semaines dans un emploi assurable au cours de cette période. On a donc jugé que Mme McIntosh n'avait pas accumulé le nombre minimal de semaines exigé pour établir une période de prestations. Elle a demandé que sa période de référence soit prolongée conformément au paragraphe 7(2), mais la Commission a refusé en disant que la fonction de jurée ne faisait pas partie des motifs énumérés justifiant une telle prolongation.

    La prestataire a fait appel auprès d'un conseil arbitral, qui a accueilli son appel en invoquant les motifs suivants :

    Se fondant sur le témoignage oral et écrit de la prestataire et de son représentant, le conseil a conclu que l'on avait incorrectement déterminé la période de référence de la prestataire, qui aurait dû être prolongée en vertu du paragraphe 7(2) de la Loi sur l'assurance-chômage. Si l'on prolonge la période de référence de la prestataire, celle-ci a accumulé un nombre suffisant de semaines pour être admissible aux prestations, d'après le relevé d'emploi.

    La prestataire a prouvé que même si, durant sa période de référence, elle n'était pas employée dans le cadre d'un emploi assurable en raison de sa restriction involontaire qui exigeait qu'elle exerce la fonction de jurée pendant huit mois et demi, elle avait eu des motifs justifiant que l'on prolonge sa période de référence en vertu de l'alinéa 7(2)b), «elle était détenue dans une prison, un pénitencier ou une autre institution de même nature». Les mots «une autre institution de même nature» pourraient être mis en parallèle avec le fait que la loi a obligé la prestataire à accepter la fonction de jurée à moins de prouver qu'elle avait des raisons d'être exemptée.

    La Commission fait maintenant appel auprès d'un juge-arbitre en alléguant que le conseil a commis une erreur de droit en rendant sa décision. Elle soutient qu'on ne peut considérer que l'alinéa 7(2)b) comprend la fonction de juré, car le sens des mots «une autre institution de même nature» est restreint à la même catégorie que les mots qui les précèdent, soit «prison» et «pénitencier».

    Le paragraphe 7(2)b) se lit comme suit :

    7. (2) Lorsqu'une personne prouve de la manière que la Commission peut ordonner qu'au cours d'une période de référence visée à l'alinéa 1)a) elle n'a pas exercé, pendant une ou plusieurs semaines, un emploi assurable parce que, selon le cas : (...)
    b) elle était détenue dans une prison, un pénitencier ou une autre institution de même nature; (...)
    cette période de référence sera, pour l'application du présent article, prolongée d'un nombre équivalent de semaines.

    Selon moi, le conseil n'a pas commis d'erreur de droit. En fait, sa décision est entièrement conforme à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Procureur général du Canada contre Xuan (1994), 2 CF 348, où le juge Robertson a fait, aux pages 354 et 355, les observations suivantes au sujet de l'optique qu'il faut prendre pour l'interprétation de l'article 7 :

    Disons, pour décrire succinctement l'objet de la Loi, que celle-ci vise le versement de prestations aux personnes qui, pour des raisons légitimes, sont devenues sans emploi. Pour faciliter l'atteinte de cet objectif, le paragraphe 7(2) de la Loi permet la prolongation de la période de référence pour certains motifs légitimes prévus par la Loi. En vérité, il serait paradoxal qu'une personne incarcérée dans un établissement correctionnel au Canada pour avoir, on peut le présumer, commis une infraction pénale puisse disposer d'un motif légitime de prolongation de la période de référence, alors qu'une personne qui n'a commis aucune infraction et n'a fait que remplir ses obligations professionnelles ne le puisse pas. Les conséquences d'une telle décision iraient nettement à l'encontre de l'intention qu'avait le législateur quand il a formulé cette disposition. Le requérant n'a pu présenter aucune raison de principe (difficulté d'administration du régime d'assurance, conflit avec d'autres dispositions ou d'autres objectifs législatifs) qui justifierait de ne pas verser de prestations d'assurance-chômage à l'intimé. Cela nous amène à conclure que l'interprétation retenue par le juge-arbitre est la bonne, conclusion que viennent renforcer l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, ainsi que la décision rendue par la juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada (1983) 1 R.C.S. 2, dans laquelle elle formule le principe directeur suivant (à la page 10) :

    Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.
    L'avocat du requérant a soumis, je le reconnais, une argumentation habile, mais j'estime qu'elle présente trois vices importants. Premièrement, elle s'attache exclusivement au mot «institution» et laisse tomber le mot «détenue». Un mot détaché de son contexte est sans signification. Deuxièmement, le raisonnement suivi ne reconnaît pas la contribution cumulative de chaque alinéa de l'article 7 à la signification globale de la disposition ni leur incidence sur la détermination des buts et des objets de la Loi. En l'espèce, le contexte à examiner ne se limite pas à l'alinéa 7(2)b), mais englobe plutôt la totalité de l'article 7 et la Loidans son ensemble. Je souscris à l'argument de l'intimé selon lequel l'interprétation des lois requiert l'examen de nombreux facteurs et peut nécessiter qu'on se détourne de la perspective limitative suggérée par le contexte immédiat si l'intention globale du législateur impose une optique plus large. Finalement, je ne puis mettre de côté la décision Garland où il a été établi que rien n'impose de restreindre le sens du mot «institution» à celui d'un édifice.

    Ce raisonnement peut également s'appliquer aux faits de l'espèce. Il n'y a pas de doute qu'un procès devant jury est une institution essentielle et fondamentale du système de justice pénale dans ce pays. Un juré qui doit exercer cette fonction est confiné par des circonstances indépendantes de sa volonté qui l'empêchent de remplir les obligations rattachées à son emploi. Il serait contraire à la politique gouvernementale et tout à fait injuste de faire une distinction à l'égard de ces personnes et de leur refuser une prolongation que l'on octroie pourtant, la Commission le concède, aux prisonniers. Il n'y a pas de politique justifiable selon laquelle les prestataires qui doivent être à la cour pour exercer une fonction publique ne devraient pas profiter autant de la Loi sur l'assurance-chômage que les accusés détenus. Cette interprétation serait sans doute contraire à l'intention du législateur démontrée par l'objet et l'esprit de l'ensemble de la Loi.

    Je suis convaincu que rien n'appuie l'allégation de la Commission selon laquelle l'alinéa devrait être interprété de façon restrictive et les mots «une autre institution de même nature» doivent être restreints à la même catégorie que les mots «prison» et «pénitencier». Il est manifeste, à la lumière de l'arrêt Xuan, que c'est là une optique beaucoup trop étroite que n'appuie pas la jurisprudence. De toute façon, il est certain que tout doute soulevé par la formulation de la Loi doit être résolu en faveur du prestataire. On ne peut dire que le conseil, en suivant ce principe de droit maintenant bien établi, a commis une erreur en rendant sa décision.

    Pour ces motifs, l'appel de la Commission est rejeté.

    JUGE-ARBITRE

    2011-01-16