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  • CUB 31946

    TRADUCTION

    DANS L’AFFAIRE DE LA Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    d’une demande de prestations présentée par Laurie J. MacDONALD

    - et -

    d’un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à l’encontre d’une décision du conseil arbitral rendue à Vancouver (C.-B.) le 15 février 1994


    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-152-96


    DÉCISION

    LE JUGE MULDOON

    Il s'agit d'une demande présentée par la prestataire, Laurie J. MacDonald, pour l'annulation de la décision unanime du conseil arbitral rendue à Vancouver (C.-B.) le 15 février 1994.

    L'agent a conclu qu'aux termes des articles 28 et 30.1 de la Loi sur l'assurance-chômage, la prestataire a perdu son emploi de commis-comptable pour la société McRae's Septic Tank Service le 25 août 1993 en raison de sa propre inconduite. Elle a donc été exclue du bénéfice des prestations à partir du 29 août 1993. Encore une fois, le conseil arbitral s'est rangé du côté de l'employeur et de la Commission. Ce phénom&egravene se produit tellement souvent qu'il me porte à me demander qui forme les arbitres et leur apprend à s'acquitter de leurs fonctions.

    Les arbitres ont rendu la décision suivante à l'unanimité:

    Faits :

    Le 25 août 1993, la prestataire a quitté son emploi après cinq années de service pour la société Septic Tank Service Ltd. de Vancouver. La Commission affirme qu’elle a quitté son emploi en raison de sa propre inconduite.

    L'employeur affirme que le relevé d'emploi (Pièce 3.1) a été rempli par la prestataire, même s'il affirme qu'il l'a bel et bien signé. La Pièce 7.1 est le bon relevé d'emploi. Le taux salarial indiqué n'est pas le même.

    L'employeur affirme (Pièces 6 et 11) que la prestaire a été congédiée parce qu'elle utilisait la ligne tél&eacute:phonique du bureau pour faire des appels interurbains de nature personnelle. Elle occupait un poste de confiance et elle a abusé de cette confiance.

    La prestataire a admis qu'elle avait fait des appels et qu'elle avait l'intention de rembourser les frais d'appels .

    La Commission a effectué une enquête pour vérifier s'il existait d'autres motifs de renvoi, mais elle n'a rien trouvé pouvant constituer un autre motif.

    Conclusions :

    La prestataire a affirmé qu'elle avait fait les appels en question et qu'elle avait dû en répondre à M. McRae lorsqu'elle est revenue de vacances le 2 août 1993. La prestaire affirme que M. McRae lui a dit qu'il la garderait à son emploi si elle était disposée à rembourser les frais de ses appels personnels, dont certains n'avaient pas été fait par elle, selon la prestataire.

    La prestataire affirme que trois semaines plus tard, soit le 26 août 1993, M. McRae lui a indiqué qu'il devait la mettre à pied et lui a demandé de remplir son propre relevé d'emploi et d'y inscrire la mention «mise à pied».

    Un peu plus tard, une version modifié du relevé portant la mention «congédiée» a été présentée.

    La lettre de renvoi de la prestataire, datée du 30 juillet 1993, ne lui a été remise que le 25 août 1993. Le conseil arbitral estime qu'il est regrettable qu'une période de trois semaines se soit écoulée avant que la lettre ne soit remise à la prestataire.

    Si ce que la prestataire prétend à propos d'une rencontre avec M.McRae le 2 août 1993 au sujet des appels téléphoniques est vrai, nous estimons également regrettable que ce dernier ait changé d'avis trois semaines plus tard.

    Le conseil arbitral juge que, bien que certaines questions soient restées sans réponse, la prestataire a effectivement fait des appels personnels sans autorisation, sans en informer son employeur et sans lui rembourser les frais d'appel à son employeur.

    Cette conduite est répréhensible et constitue une inconduite, donc une raison de congédiement.

    Décision : L'appel est rejeté.

    La prestataire a-t-elle agi furtivement? On peut en douter. Chacun sait que, tôt ou tard, les factures téléphoniques finissent par arriver. Elle espérait peut-être que son employeur en assumerait les frais, mais, lorsqu'il l'a confrontée, elle a offert de les payer.

    Les arguments de la Commission figurent au dossier, en date du 13 mai 1994. Elle prétend que la prestataire a été congédiéepour avoir fait des appels interurbains de nature personnelle sans autorisation sur la ligne de son employeur pendant ses heures de travai. L'employeur était en vacances lorsque la prestataire a fait ces appels en Allemagne. La prestataire était en vacances lorsque l'examen des factures a révélé l'existence de ces appels, mais elle a dû en répondre à son employeur dès son retour de vacances. À ce moment, l'employeur avait l'intention de congédier la prestataire et avait préparé un avis écrit (Pièce 19.5). La prestataire a admis qu'elle avait fait ces appels et elle a offert à son employeur d'en rembourser les frais (Pièce 12). «À ce moment-là, l'employeur avait accepté les explications de la prestataire, mais il a poursuivi ses recherches et retiré son avis de congédiement» (p.2). Quand cette enquête a révélé que d'autres appels interurbains avaient été placés sans autorisation et pendant les heures de travail, l'employeur a congédié la prestataire, le 25 août 1993.

    Dans l'arrêt Canada c. Tucker, [1986] 2 C.F. 329, qui fait jurisprudence en matière d'inconduite et, tel qu'il a été citée dans la décision récemment rendue dans Procureur g´néral du Canada c. Secours, A-325-94, 6 février 1995, on indique que, pour constiter une inconduite, un acte ou une omission doit avoir été commis «volontairement», c.-à-dire délibérémment ou intentionnellement. Dans la décision Joseph (A-635-85), la cour a déclaré ce qui suit relativement aux preuves d'inconduite:

    Prouver l'inconduite d'un employé, c'est établir qu'il s'est comporté autrement qu'il n'aurait dû. On ne fait donc pas cette preuve en établissant seulement que l'employeur a jugé répréhensible la conduite de son employé ou, encore, qu'il lui a reproché, en termes généraux, de s'être mal conduit. Pour qu'un conseil arbitral puisse conclure à l'inconduite d'un employé, il doit avoir devant lui une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d'abord, de savoir comment l'employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement était répréhensible.

    Dans le CUB 12786, soit l'arrêt Kiesler, le juge-arbitre indique:

    La perte d'un emploi constitue une pénalité très dure pour un mauvais usage du téléphone, mais puisque ni le conseil arbitral ni le juge-arbitre ne sont habilités à confirmer cette pénalité, ou à rendre son emploi au prestatire, il faut axer cette révision uniquement sur l'imposition au prestataire par la Commission d'une exclusion du bénéfice des prestations pour une durée de quatre semaines.

    La question de savoir si les agissements d'un employé sont visés par la définition d'une inconduite est une question de fait qui dépend de toutes les circonstances du cas. Quoiqu'il en soit, c'est à la Commission qu'il incombe de prouver l'inconduite et, lorsqu'il existe un doute raisonnable, la question doit être tranchée en faveur du prestataire. La preuve est déterminée sur la pr&eacutepondérance des probabilités.

    En l'espèce, il existe suffisamment de preuves de probabilités pour que le conseil arbitral statue en faveur de la prestataire. Les circonstances suivantes auraient dû inciter un conseil arbitral raisonnable à remettre en question la conclusion d'inconduite:

    1. La prestataire a travaillé pendant cinq ans sans aucun incident et son dossier présente une évaluation favorable. La prestataire a été «mise à pied» et remplacée peu après par un «parent» de l'employeur.

    2. L'employeur a reçu une facture de téléphone alors que la prestataire était en vacances et lui a demandé des explications dès son retour. La prestataire a indiqué son intention de rembourser sa dette (comme elle l'avait déjà fait auparavant lorsque son employeur lui avait prêté de l'argent pour faire réparer son réfrigérateur) et les deux intéressés ont indiqué que la question avait été résolue.

    3. L'employeur a agi de façon insultante en congédiant la prestataire trois semaines plus tard et en signant tous les formulaires voulus pour ensuite aller engager un membre de sa famille. Il est encore plus déraisonnable et suspect que l'employeur ait décidé, trois semaines après avoir mis la prestataire à pied, qu'elle était congédiée pour inconduite. L'employeur s'est cru tout permis quant aux droits de la prestataire en matière d'emploi.

    Dans la décision Canada (Procureur général) c. Jewell (C.A.F), A-236-94, il est indiqué:

    La bonne question posée par la Commission et par le conseil était de savoir si l'intimée avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Les décisions dans Canada c. Bedell, (1985) 60 N.R. 116 (C.A.F.), dans Canada (Procureur général) c. Tucker [1986] 2 C.F. 329, ainsi que dans Canada c. Brissette, [1994] 1 C.F. 684 énoncent le droit applicable selon la cour quant à ce qui constitue une inconduite. Il ressort de ces décisions qu'en l'absence de l'élément psychologique requis, le comportement reproché ne peut être qualifié d'inconduite au sens de l'article 28 de la Loi.

    Par ailleurs, le juge-arbitre s'est demandé si l'inconduite de l'intimée constituait un motif valable de congédiement. Ce faisant, il a commis une erreur selon une décision antérieure de la cour. En effet, dans Procureur général du Canada c. Namaro (1983) 46 N.R. 541 (C.A.F.), il est dit ce qui suit (à la page 554):

    J'estime que le conseil ne s'est pas posé la bonne question; alors qu'il aurait dû se pencher sur la question de savoir si la réclamante avait été congédiée pour inconduite, il s'est demandé si les circonstances de l'espèce justifiaient un congédiement pour inconduite. [Pour une décision au même effet, se reporter au jugement du juge Le Dain dans Davlut c. Procureur général du Canada, (1982) 46 N.R. 6).]

    Le conseil arbitral a commis une erreur semblable en l'espèce. Il ne lui appartenait pas de décider que «cette conduite est répréhensible et constitue une inconduite, donc une raison de congédiement». La question dont il était saisi constituait à déterminer si l'employeur avait bel et bien congédié la prestataire pour inconduite. Le conseil arbitral doit être convaicu que l'inconduite est la véritable raison du licenciement et non un prétexte. (Davlut c. Procureur général du Canada, (1982) 46 N.R. 6.)

    Dans le cours des relations quotidiennes entre un employeur et son employé, un usage abusif du téléphone (qu'il soit intentionnel ou non) justifie un avertissement ou une pénalité pour une première infraction. Les lois canadiennes en matière d'emploi sont fondées sur un système équitable de gradation des pénalités. Bien que l'employeur ait pu trouver déplaisant l'incident du téléphone, le fait qu'il n'a pas congédié la prestataire au moment de l'incident, qu'il n'a signé les papiers lui signifiant sa mise à pied que trois semaines plus tard dans le but d'engager un parent et qu'il l'a congédié trois semaine après l'avoir mise à pied, porte raisonnablement à soupçonner que l'employeur a eu recours à l'inconduite comme prétexte pour congédier la prestataire plutôt que comme raison de congédiement. Ce doute raisonnable aurait dû jouer en faveur de la prestataire.

    Le conseil arbitral aurait dû discerner que toute inconduite concernant une utilisation non autorisée du téléphone avait été annulée, sinon pardonnée, par l'employeur lorsque la prestataire a accepté de rembourser les frais et qu'elle a réintégré ses fonctions. Ce n'est pas qu'après cette entente que l'employeur a, de façon si odieuse, changé d'avis et qu'il a d'abord mis la prestataire à pied pour ensuite la congédier, en ressuscitant le motif d'inconduite qui avait déjà été réglé. Un employeur raisonnable et honorable n'agit pas ainsi. La prestataire a laissé entendre que la raison de cette inconduite pourrait être que le parent qui l'a remplacé, ou d'autres membres de la famille au nom du parent qui l'a remplacée, lui enjoignait de la dépeindre plus noire qu'elle n'était afin d'être débarrassé d'elle et de ne pas être si clément à son égard.

    Que cette hypothèse, qui n'est pas si invraisemblable, soit vraie ou non, l'employeur ne peut pas revenir sur une entente et se servir des erreurs du passé pour congédier la prestataire. La Commission de l'emploi et de l'immigration ne peut pas entériner une telle conduite de la part d'un employeur en privant la prestataire de ses prestations. Le conseil arbitral a commis une erreur de droit en maintenant cette décision. La résurrection de l'inconduite n'était qu'un prétexte pour congédier la prestataire. Les arbitres n'ont pas tenu compte de toutes ces preuves.

    La présente espèce devrait faire l'objet d'un examen sérieux par un conseil arbitral différemment constitué. Ce dernier devrait tenir compte des présents motifs.

    F. C. Muldoon

    Juge-arbitre

    FAIT à Ottawa (Ontario), ce 8e jour de décembre 1995

    2011-01-16