TRADUCTION
DANS L’AFFAIRE DE LA LOI SUR L’ASSURANCE-CHÔMAGE
- et-
d’une demande de prestations présentée par Vernon Fagan
- et -
d’un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire
à l’encontre d’une décision du conseil arbitral rendue
à Richmond Hill (Ontario) le 22 septembre 1994
DÉCISION
LE JUGE MURDOCH
J’ai été saisi de l’appel à Barrie, en Ontario, le 12 mars 1996.
Il s’agit de déterminer si le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification et si l’exclusion doit s’appliquer à chaque semaine de la période de prestations qui suit le délai de carence, conformément aux paragraphes 28(1) et 30.1(1) de la Loi sur l’assurance-chômage.
Le 9 août 1993, le prestataire a quitté son emploi chez Metroland Printing, Publishing and Distribution. Il prétend avoir été forcé de le faire, parce que ses fonctions passaient de chef du service du courrier, chef du service de l’acheminement et coordonnateur de la santé et de la sécurité à celles de chef de la réception et de l’expédition uniquement. Au lieu de relever du directeur de la production, il ne relèverait plus dorénavant que du chef de l’établissement.
À la case J de sa demande de prestations d’assurance-chômage, le prestataire a indiqué «retraite anticipée». La pièce 4 rend compte d’une entrevue qu’il a eue avec un représentant de la Commission :
«La retraite anticipée a été prise à la demande de l’employeur en raison d’une compression du personnel. Le prestataire dit que, s’il n’avait pas accepté cette retraite anticipée, un autre employé aurait probablement été mis à pied.»
Cette pièce est signée par le prestataire, Vern Fagan.
La pièce 8-2 est une curieuse lettre adressée par l’employeur «à qui de droit» et datée du 11 janvier 1994. Elle dit en partie ceci :
«Il a été licencié en raison de la fermeture du service.»
La pièce 9 est le compte rendu d’une conversation téléphonique entre un représentant de la Commission et Connie Glover, l’auteur de la lettre correspondant à la pièce 8-2. D’après la pièce 9, elle aurait dit que la lettre du 11 janvier 1994 avait été rédigée à des fins de référence. Rien dans les éléments de preuve portés à ma connaissance ne vient définir ces termes. La pièce résume aussi la teneur d’une lettre du 9 août 1993 adressée par l’employeur au prestataire (pièce 14-9) et présentant les choix offerts au prestataire, soit :
Option A : Mutation au service de l’expédition 1 - mutation au poste de chef de l’expédition et de la réception au même salaire (moins l’allocation d’automobile, car il n’est plus nécessaire de voyager).
Option B : Indemnité de départ.
La pièce 9 donne ensuite trois possibilités offertes au prestataire au cas où il ne se prévaudrait pas de l’option A. On y lit également :
«Le prestataire a choisi l’option B, c’est-à-dire l’indemnité de départ, et a refusé l’emploi de chef du service de l’expédition et de la réception, offert au même salaire. »
L’intéressé a présenté une demande de prestations, et le début de sa période de prestations a été fixée au 15 mai 1994. Dans une lettre datée du 10 août 1994, il a été informé par l’agent d’assurance qu’il était exclu du bénéfice des prestations parce qu’il avait quitté volontairement son emploi chez Metroland Printing sans justification.
«Compression du personnel» est un terme utilisé par les employeurs pour désigner la réduction des effectifs. En vertu du Règlement sur l’assurance-chômage, la «compression du personnel» suppose que des conditions bien précises sont respectées. Elles figurent à la pièce 6. Rien n’indique que le prestataire appartenait à un groupe d’employés visé par le processus de compression du personnel; en fait, le conseil arbitral tire la conclusion suivante (pièce 7-12) :
«Le prestataire n’appartient pas à un groupe d’employés visé par la procédure de compression du personnel.»
Le prestataire a refusé d’être muté au poste de chef du service de l’expédition et de la réception. Comme je l’ai déjà dit, et comme le signale la pièce 14-13, le prestataire occupait le poste de chef du service du courrier, chef du service de l’acheminement et coordonnateur du service de la santé et de la sécurité.
Après une rencontre avec un représentant du ministère du Travail au sujet du service de santé et de sécurité, un rapport a été communiqué au directeur de la production de l’employeur, dans lequel il était dit que la conduite du prestataire manquait de professionnalisme. Peu après, il y a eu une réunion à laquelle le directeur de la production et le prestataire étaient présents. Le prestataire a été informé que son rendement antérieur était digne d’éloges, mais que les questions actuelles de santé et de sécurité nécessitaient une approche plus évoluée et que son style n’était plus acceptable (pièce 14-7). Une autre rencontre a eu lieu, qui rassemblait le directeur de la production, le directeur des ressources humaines, le chef de l’établissement et le prestataire. Celui-ci a été informé qu’on lui enlevait ses responsabilités à l’égard du programme de santé et de sécurité, qu’il ne devait plus être associé à ce programme à quelque niveau que ce soit et qu’en raison de la fermeture du service du courrier, il serait muté au service de l’expédition et de la réception. On lui a donné deux options : 1) être muté au service de l’expédition; 2) accepter la prime de départ. Aucun des éléments de preuve présentés dans les pièces 14-6, 14-7 ou 14-8 n’est contesté.
Il est allégué, au nom du prestataire, que celui-ci a été implicitement congédié. Le conseil arbitral a conclu ce qui suit, après un examen approfondi des faits pertinents :
«La perte d’emploi était donc volontaire, car l’entreprise lui a offert, au même salaire, un poste convenable qu’il a refusé.»
À mon avis, cependant, le conseil a commis une erreur en ne cherchant pas à déterminer si le prestataire était justifé à quitter son emploi.
Le conseil avait à décider si le prestataire avait bien quitté son emploi volontairement et s’il était fondé à le faire. Il a erré en droit quant au sens à donner aux expressions «fondé à quitter son emploi» et «sans justification» de l’article 28 et n’a pas exercé sa compétence comme il se doit.
Voici les paragraphes pertinents de la Loi sur l’assurance-chômage :
Paragraphe 28(1)
(1) «Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s’il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification.»
Paragraphe 28(4)
(4) «Pour l’application du présent article, le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci- après, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas».
Le prestataire se fonde sur les alinéas 28(4)i), j), m) et n), qui se présentent comme suit :
«i) modification importante des fonctions;
j) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur;
m) incitation indue par l’employeur à l’égard d’employés à quitter leur emploi;
n) toute autre circonstance raisonnable prescrite.»
Je ne trouve aucun élément de preuve qui vienne étayer la position du prestataire à l’égard des alinéas 28 4)j), m) ou n).
Dans la décision CUB 18009, le juge-arbitre MacKay déclare, à la page 5 :
«Selon certaines décisions, l’expression «justification» impose au prestataire l’obligation d’agir comme l’aurait fait une personne prudente dans les circonstances (CUB 9449) ou l’obligation de tenter de régler les différends avec l’employeur avant de quitter son emploi (CUB 11413). Toutefois, il n’est généralement pas exigé que l’employé fasse des efforts en vue d’une réconciliation lorsque l’employeur a agi unilatéralement d’une façon qui modifie fondamentalement les conditions d’emploi qui existaient avant la cessation. Il en est ainsi lorsque l’employeur propose à l’employé des conditions d’emploi fondamentalement différentes et nouvelles ou diverses options quant à ces nouvelles conditions et l’informe qu’il doit les accepter ou faire face au congédiement. Dans un tel cas, l’employé est tout à fait justifié de considérer les instructions ou les options comme s’assimilant à un congédiement implicite et de partir. » (CUB 18009, pages 5 et 6)
D’après les éléments de preuve du dossier, le prestataire était entièrement fondé à considérer les instructions ou les options comme un congédiement implicite et à partir.
Le juge-arbitre MacKay poursuit en ces termes :
«Les juges-arbitres ont généralement reconnu qu’un changement fondamental des conditions d’emploi constituait une justification de le quitter [...] Il semblerait que les motifs traditionnels en common law de congédiement implicite peuvent tous tenir lieu de justification de quitter volontairement un emploi au sens de l’article 41 [devenu article 28] de la Loi.» (CUB 18009, page 6)
En fait, l’employé s’est vu offrir une rétrogradation. Il ne serait plus chef du service du courrier. Il ne serait plus coordonnateur du service de santé et de sécurité qu’il avait établi, développé et fait connaître; il deviendrait chef de l’expédition et de la réception. Alors qu’il relevait auparavant du directeur de la production, il ne relèverait plus que du chef de l’établissement.
Dans l’affaire Stewart c. MacMillan Bloedel Ltd., 37 C.C.E.L. 292, le point en litige était de savoir si le demandeur qui avait été muté était fondé à considérer la mutation comme un congédiement implicite. À la page 301, le juge Harvey donne les facteurs qui peuvent être pris en considération quand il s’agit de déterminer si un employé a été implicitement congédié. Les voici :
«La teneur des discussions entre l’employeur et l’employé au moment où l’employé a été informé de la mutation, le fait que la mutation impliquait une perte de prestige et de rang et les circonstances entourant le changement d’emploi.»
Le savant juge poursuit ainsi :
«La question essentielle est de savoir si, dans toutes les circonstances de l’affaire, les attributions de l’employé ont été modifiées par l’employeur au point qu’il en résulte une rupture des modalités fondamentales du contrat de travail.»
À la lumière de ces faits, je conclus que le prestataire a été implicitement congédié et était justifié à quitter son emploi.
Dans son appel devant le conseil et le juge-arbitre (CUB 18009), le prestataire s’est appuyé sur des extraits de The Law of Dismissal in Canada (1985, Canada Law Book, Aurora) de Levitt. Le juge-arbitre MacKay cite les passages suivants :
«Toutefois, même si tout changement majeur à la relation employeur-employé peut donner lieu à un congédiement implicite, il y a certains genres de changements qui ont traditionnellement fait l’objet de litiges :
1. démission forcée,
2. rétrogradation,
3. diminution de rémunération ou refus de payer,
4. baisse du rang hiérarchique,
5. changement unilatéral des responsabilités,
6. mutation forcée,
7. traitement abusif,
8. semaine de travail réduite, temps supplémentaire non rémunéré, congé obligatoire,
9. mise à pied de brève durée.»
Il n’y a pas de doute que, parmi les points susmentionnés, les suivants s’appliquent en l’espèce :
(1) démission forcée,
(2) rétrogradation,
(3) baisse du rang hiérarchique,
(4) changement unilatéral des responsabilités,
(5) mutation forcée.
Après examen des faits, le conseil arbitral a déclaré :
«La perte d’emploi a donc été volontaire, car l’entreprise lui a offert, au même salaire, un poste convenable qu’il a refusé.» (Pièce 17-3)
À mon avis, le conseil a erré en droit en n’examinant pas la signification donnée à l’expression «sans justification» du paragraphe 28(1) de la Loi et en ne cherchant pas à déterminer si le prestataire avait été implicitement congédié.
L’appel sera accueilli.
JUGE-ARBITRE
PETERBOROUGH, Ontario
30 mars 1996