TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
Marilyn WINSOR
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire
à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
Corner Brook (Terre-Neuve) le 18 janvier 1995
Appel entendu à Corner Brook (Terre-Neuve) le 5 octobre 1995
DÉCISION
M. LE JUGE W.J. HADDAD, C.R., JUGE-ARBITRE
Le présent appel a été interjeté par la prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral établissant que la Commission a eu raison d'exclure la prestataire du bénéfice des prestations d'assurance-chômage pendant sept semaines du fait que, sans motif valable, elle a sciemment refusé un emploi convenable au Western Memorial Regional Hospital.
La Commission a rendu la même décision, qui a été confirmée par le conseil arbitral, relativement aux deux refus présumés de la prestataire d'accepter un travail convenable. La Commission a concédé le bien-fondé de l'appel pour ce qui est du second de ces refus survenu le 5 mars 1993. J'accueille donc cet aspect de l'appel et je renvoie cette question en particulier à la Commission pour qu'elle prenne les mesures qui s'imposent.
L'appel s'est poursuivi relativement au premier refus de la prestataire de se présenter au travail le 31 décembre 1992.
En rendant sa décision initiale, la Commission a invoqué l'article 27 de la Loi sur l'assurance-chômage. Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :
27(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations prévues par la présente partie si, sans motif valable, depuis l'arrêt de rémunération qui est à l'origine de sa demande, selon le cas :
a) il a refusé ou s'est abstenu de postuler un emploi convenable qui était vacant, après avoir appris que cet emploi était vacant ou sur le point de le devenir, ou a refusé un tel emploi lorsqu'il lui a été offert;
b) il a négligé de profiter d'une occasion d'obtenir un emploi convenable;
Le motif principal de l'appel de la prestataire est que la Commission et le conseil ont commis une erreur de droit en appliquant le critère de « justification » plutôt que le critère de « motif valable » énoncé à l'article 27. Les observations présentées par la Commission au conseil arbitral sont effectivement fondées sur le critère de « justification ».
La prestataire était représentée par Alice Mannion. Malgré les dix-neuf motifs invoqués dans l'avis d'appel, l'argument principal est que « justification » n'est pas synonyme de « motif valable » car cette dernière expression évoque une exigence moindre.
La prestataire allègue aussi qu'elle n'a pas eu droit à une audition équitable et impartiale et que l'un des membres du conseil a fait preuve de partialité, contrevenant au paragraphe 80a) de la Loi, et que le conseil n'a donc pas observé un principe de justice naturelle. Eu égard à la conclusion que j'entends tirer, je dois m'attarder sur cette question. Si l'allégation est fondée, cela constituerait un motif pour renvoyer l'affaire au conseil arbitral en vue d'une nouvelle audition. J'ajouterais que j'ai lu la transcription d'une partie des délibérations devant le conseil arbitral et je peux comprendre l'inquiétude de la prestataire. Les observations faites par l'un des membres du conseil étaient manifestement empreintes de partialité.
Cet appel a d'abord été entendu par le juge Joyal. Il a fait plusieurs observations pertinentes et a décidé de déférer l'affaire à un nouveau conseil. Ses observations finales et ses directives se lisent comme suit :
J'estime que les faits relatifs à une cause donnée doivent être analysés dans le contexte de l'esprit général de la Loi sur l'assurance-chômage. Pour ce faire, il faut nécessairement prendre en considération l'exigence fondamentale à l'admissibilité aux prestations en vertu de l'article 14 de la loi, les obligations imposées au prestataire aux termes du paragraphe 27(1) et la disposition d'exception du paragraphe 27(2).
Inutile d'en dire davantage sur la question. À mon avis, le conseil arbitral a commis une erreur (compréhensible peut-être) en négligeant d'examiner toutes les circonstances de l'affaire, y compris évidemment la conduite de la prestataire et la politique de l'employeur en matière de rappel au travail. À mon avis, l'affaire dont je suis saisi requiert un tel examen pour que l'on puisse faire respecter convenablement l'objet et l'esprit des dispositions législatives invoquées.
La décision du conseil arbitral est donc annulée et j'ordonne la tenue d'une nouvelle audition devant un autre conseil arbitral. Lors de cette nouvelle audition, et dans la mesure où les exigences de l'affaire le justifient, le conseil arbitral devrait s'inspirer des observations que je me suis permis de faire dans ces motifs. »
Les parties prétendent que le nouveau conseil arbitral n'a pas suivi les directives qui lui ont été données. Dans les circonstances, les deux parties ont demandé que je décide de l'appel plutôt que de déférer l'affaire encore une fois à un autre conseil arbitral.
La prestataire est une infirmière autorisée qui réside à Deer Lake (Terre-Neuve). Elle a accepté un emploi à temps partiel sur appel au Western Memorial Regional Hospital de Corner Brook. Avant de s'établir à Deer Lake, la prestataire a résidé à St. John's (Terre-Neuve) où elle exerçait un emploi d'infirmière à plein temps. Elle a quitté St. John's avec son mari pour aller résider à Deer Lake. Une distance d'environ trente milles sépare les deux villes. Incapable de trouver un emploi à plein temps après son déménagement à Deer Lake, la prestataire a accepté un emploi occasionnel au Western Memorial Regional Hospital de St. John's. Je fais mention de cet élément de preuve en particulier parce que le second conseil arbitral a fondé sa décision, en partie, sur la croyance erronée que la prestataire avait fait un choix personnel de vivre à Deer Lake pendant qu'elle avait un emploi à Corner Brook.
Le dossier de la prestataire en tant qu'employée occasionnelle est exemplaire. Elle a été embauchée le 29 mai 1991 et, entre cette date et le 28 octobre 1991, elle a effectué 61 postes de travail. Le 29 octobre 1991, en se rendant à l'hôpital dans des conditions hivernales rigoureuses elle s'est blessée à la colonne vertébrale dans un accident de voiture. Une fois rétablie, elle a effectué quarante-sept autres postes de travail à compter du mois d'août 1992 jusqu'à la fin de l'année, ce qui fait un total de cent huit postes de travail. La seule fois qu'elle a refusé de se présenter au travail au cours de toute cette période concerne la soirée du 31 décembre 1992. C'est ce refus qui a donné lieu à la pénalité imposée par la Commission et qui est l'objet du présent appel. Il importe de souligner ici que malgré ce refus l'hôpital a continué de retenir les services de la prestataire par la suite. La pénalité s'est traduite par une exclusion du bénéfice des prestations d'assurance-chômage pendant une période de sept semaines. La prestataire n'a été avisée de son exclusion que le 23 mars 1992 - soit après qu'on eut signalé son refus de se présenter au travail le 5 mars 1992. Il s'agit du refus dont l'appel a été concédé par la Commission.
Les éléments de preuve révèlent que plusieurs infirmières à l'emploi de l'hôpital devaient travailler le soir du 31 décembre 1992. Quelques semaines avant cette date elles ont présenté des demandes de congés annuels visant le poste de nuit. L'employeur a attendu jusqu'à quatre heures de l'après-midi de ce jour-là avant d'approuver les demandes en question, et il a ensuite demandé à la prestataire de se présenter au travail pour le poste du soir. La prestataire a refusé pour les motifs qui suivent. Le conseil arbitral avait en main des éléments de preuve montrant que la prestataire, consciente des nombreuses demandes de congés annuels, s'était informée auprès de l'employeur le 28 décembre 1992 s'il y avait du travail pour elle; la réponse a été négative. Elle était prête à travailler ce soir-là. Cependant, étant donné qu'à midi du 31 décembre 1992, l'hôpital n'avait toujours pas communiqué avec la prestataire, celle-ci en a déduit qu'elle était libre et pouvait donc aller de l'avant avec ses plans de passer la veille du Jour de l'An avec son mari et un groupe de voisins et d'amis à l'église de la paroisse. La prestataire a fait valoir devant le conseil arbitral qu'elle n'aurait pas refusé de se présenter au travail si son rappel était de nature urgente et non pas pour remplacer une employée en congé. De plus, elle avait déjà prévenu l'hôpital qu'elle préférait être informée à l'avance de l'horaire de l'employée régulière qu'elle pourrait être appelée à remplacer.
Il faut rappeler que le juge Joyal, en déférant cette affaire à un nouveau conseil arbitral, a déclaré qu'à son avis le conseil arbitral aurait dû examiner en premier lieu toutes les circonstances de l'affaire y compris la conduite de la prestataire et la politique de l'employeur en matière de rappel au travail.
Dans mon exposé des faits, j'ai examiné à fond toutes les circonstances de l'affaire et je considère que la conduite de la prestataire montre qu'elle est une employée occasionnelle loyale, désireuse de travailler et disponible à cette fin. Elle a fait preuve d'assiduité au travail chaque fois qu'on a fait appel à ses services. La preuve en est le nombre de postes de travail qu'elle a acceptés de faire durant la période à laquelle j'ai fait allusion.
La politique de l'employeur en matière de rappel au travail a été obtenue par la Commission et la prestataire. Essentiellement, cette politique stipule que les infirmières occasionnelles n'accumulent aucun temps aux fins de l'ancienneté et que le fait de refuser un poste de travail ne change d'aucune façon le statut de l'employée sur la liste de l'employeur. Elle stipule aussi que si une employée occasionnelle déclare systématiquement ne pas être disponible pour travailler sur une période de plusieurs mois, l'employeur doit prendre des mesures pour examiner la situation avec l'employée afin de trouver une solution satisfaisante. Si l'employée continue à ne pas être disponible par la suite, elle sera rayée de la liste des employées sur appel. La politique de l'employeur est en réalité souple et prévenante, et loin d'être rigide. Il me semble que la politique de l'employeur est dictée en grande partie par la disposition suivante contenue dans la convention collective négociée entre l'employeur et le syndicat de l'employée et qui porte le titre de Newfoundland & Labrador Nurses' Union Collective Agreement. La clause 2.01b) de cette convention prévoit notamment que :
« Employée occasionnelle » désigne toute employée qui travaille de façon occasionnelle ou intermittente. Ces employées ne sont nullement tenues de se présenter au travail lorsqu'on fait appel à leurs services et l'hôpital n'a aucune obligation d'appeler une employée en particulier. »
Je suis aussi d'accord avec le juge Joyal lorsqu'il déclare que la situation d'un employé sur appel diffère considérablement de celle d'un prestataire qui est sans travail et qui a l'obligation de chercher un emploi.
Les deux questions fondamentales au sens de l'article 27 sont les suivantes :
L'emploi était-il convenable?
La prestataire avait-elle un motif valable pour refuser l'emploi?
La prestataire a présenté un argument sur la question de l'emploi convenable et j'en ai examiné la teneur dans son plaidoyer écrit intitulé « Observations de la prestataire à l'intention du juge-arbitre ». J'en ai conclu que l'argument invoqué par la prestataire porte essentiellement sur son refus de travailler le 5 mars 1992.
À mon avis, l'emploi était convenable et cette question ne pose pas de problème majeur. La véritable question est de savoir si la prestataire avait un « motif valable » pour refuser de travailler le soir du 31 décembre 1992. À cette fin, il nous faut préciser le sens de l'expression « motif valable » et déterminer les circonstances sous-jacentes au refus. Il a été judiciairement établi que « motif valable » n'est pas synonyme de « justification ». L'expression « motif valable » sous-entend une exigence moindre que le terme « justification ». Pour ce qui est des circonstances, l'expression « sans justification » et le libellé législatif qui la suit semblent placer le poids de la preuve sur la prestataire une fois qu'il a été établi que l'emploi est convenable.
L'approche adoptée par le juge Joyal me semble utile pour déterminer si la prestataire a prouvé qu'elle avait un motif valable.
Je suis d'accord avec le juge Joyal lorsqu'il déclare qu'il faut trouver un équilibre entre le pouvoir discrétionnaire qu'a un employeur de demander à un travailleur occasionnel de se présenter au travail en tout temps et l'obligation de la prestataire de répondre favorablement à une telle demande. Il est clair que, conformément à la politique adoptée par l'employeur et aux dispositions de la convention collective, un employé a le droit de refuser de se présenter au travail. Un tel droit ne le dispense pas toutefois de l'obligation de montrer que son refus s'appuyait sur un motif valable comme l'exigent les dispositions législatives.
Dans la décision CUB 26056, le juge A.H. Hollingworth, C.R., agissant en sa qualité de juge-arbitre, a adopté le critère exprimé par le juge Cullen dans la décision CUB 18413 (Lupaschuk) à savoir qu'un prestataire a un motif valable lorsque, compte tenu de toutes les circonstances, il a agi comme l'aurait fait normalement toute personne raisonnable.
De plus, le juge Maguire dans la décision CUB 4875 (Jackson) considère que des raisons familiales raisonnables et appropriées constituent un motif valable pour refuser de se présenter au travail.
J'en conclus donc que l'employeur ne jouit pas d'un pouvoir discrétionnaire absolu lui permettant d'obliger un employé occasionnel à se présenter au travail.
À mon avis, l'employeur a le pouvoir discrétionnaire d'exiger qu'un employé sur appel se présente au travail en cas d'urgence. Dans une telle situation, l'urgence requiert une réponse positive car un refus signifierait que l'employé n'agit pas comme une personne raisonnable. Cependant, ici, la balance penche du côté de la prestataire. Elle avait prévu qu'on aurait peut-être besoin de ses services compte tenu des nombreuses demandes de congé présentées par les infirmières à temps plein, et elle s'est renseignée à ce sujet auprès de l'employeur deux ou trois jours avant le 31 décembre 1992. À ce moment-là, elle a clairement indiqué qu'elle était disponible mais l'employeur lui a fait savoir qu'on n'aurait pas besoin de ses services. Elle a attendu jusqu'à midi de la journée du 31 décembre avant de faire ses plans pour la soirée. N'ayant pas reçu d'appel de l'hôpital, la prestataire a raisonnablement conclu que ses services ne seraient pas requis et qu'elle pouvait donc faire d'autres plans pour la soirée. Il s'agissait en fait de plans que l'on peut assimiler à des raisons familiales car il était question de son mari et d'une rencontre amicale avec des amis. De plus, rien n'indique que l'appel de l'employeur était de nature urgente.
Le second conseil arbitral a mal interprété les observations du juge Joyal comme en témoigne ce passage de la décision qu'il a rendue : le juge-arbitre déclare que la loi est muette sur les circonstances de cette affaire mais, malgré tous nos efforts, nous ne parvenons pas à trouver un seul article de la Loi qui traite de compassion ou autorise le conseil à « user de discrétion ».
Le conseil arbitral n'a aucunement cherché à analyser la signification de l'expression « motif valable » afin de déterminer comment appliquer ce critère - et pour ce motif il n'a pas convenablement déterminé si la situation de la prestataire correspondait à la définition de motif valable. La teneur de la décision du conseil montre qu'il s'est basé sur la prémisse que l'expression « motif valable » avait une connotation rigide. En ce sens, le conseil a commis une erreur de droit.
Compte tenu de toutes les circonstances, je suis d'avis que la prestataire a agi de façon raisonnable et prudente et que, par conséquent, elle n'a pas à justifier son refus en démontrant qu'elle avait un « motif valable ».
Par conséquent, l'appel de la prestataire est accueilli.
« W.J. Haddad »
W.J. Haddad, Q.C. - JUGE-ARBITRE
Représentante de la prestataire :
Alice Mannion
Représentant de la Commission :
Chris Bundy
Fait à Edmonton (Alberta)
Le 6 mai 1996.