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    CUB 35066

    TRADUCTION

    (Bureau de la traduction Canada)

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    ERIN M. RETTIE

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire
    à l'encontre d'une décision du conseil arbitral (NW 600)
    rendue à New Westminster (Colombie-Britannique)
    le 31 juillet 1995

    D É C I S I O N

    LE JUGE MULDOON

    La prestataire, Erin M. Rettie, demande l'annulation de la décision rendue par le conseil arbitral le 31 juillet 1995. Les arbitres ont infirmé la décision de la Commission et accueilli à l'unanimité l'appel de la prestataire. La prestataire interjette appel devant le juge-arbitre au motif que les arbitres n'ont pas correctement antidaté sa demande. La prestataire a demandé que le juge-arbitre tranche l'appel sur la foi du dossier. En réponse, la Commission a demandé que la décision soit renvoyée à un conseil arbitral composé de membres différents. La prestataire a été employée à titre de traiteuse par la compagnie B.C. Ferries jusqu'au 24 juin 1994, date à laquelle elle est devenue incapable de travailler en raison d'une blessure au dos subie le 3 septembre 1993. La commission des accidents du travail (CAT) a tardé à traiter sa demande. En février 1995, elle a appris que sa demande auprès de la CAT ferait l'objet d'une audition le 15 août 1995. En mars 1995, le délégué syndical de la prestataire a conseillé à celle-ci de demander des prestations d'assurance-chômage. Auparavant, la CAT lui avait donné la fausse impression qu'elle n'avait pas à demander des prestations ailleurs. La Commission a établi à son profit une période de prestations débutant le 2 avril 1995. Le calcul de la période de prestations à partir du 24 juin 1994 lui a été refusé parce que la prestataire n'avait censément pas démontré qu'elle avait un motif valable pour avoir tardé à présenter sa demande, aux termes de l'article 9 de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, ch. U-1 (« la Loi »). La prestataire a demandé en vain que sa demande de prestations soit antidatée au 24 juin 1994. En appel, le conseil arbitral a permis que sa demande soit antidatée au 1er mars 1995, date à laquelle elle était devenue disponible pour travailler.

    Il s'agit en l'espèce de déterminer si les arbitres ont commis une erreur susceptible de révision lorsqu'ils ont antidaté la demande de la prestataire au 1er mars 1995. La prétention de la Commission selon laquelle les arbitres ne se sont pas penchés sur les raisons de la présentation tardive de la demande et ont donc commis une erreur de droit aux termes de l'alinéa 80b) de la Loi sur l'assurance-chômage est insoutenable. Les motifs invoqués par les arbitres pour leur décision portent expressément sur la cause du retard : la prestataire attendait l'issue de son appel devant la CAT et se fondait sur des renseignements trompeurs qui lui avaient été donnés par la CAT, une tierce partie. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence, qui établit que même si l'ignorance de la loi n'est pas en soi une excuse1, elle n'empêche pas l'admissibilité à l'antidatation si le prestataire prouve qu'il avait un motif valable et a agi comme toute personne raisonnablement prudente l'aurait fait dans les mêmes circonstances (Canada (P.G.) c. Smith, A-549-92, le 11 avril 1994 (C.A.F.); Canada (P.G.) c. Caron, (1986) 69 N.R. 132 (C.A.F.)). Dans le cas qui nous occupe, pour les raisons précitées, le conseil a conclu que la prestataire avait agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. En tirant cette conclusion, les arbitres n'ont commis aucune erreur susceptible de révision.

    Pour qu'une demande d'antidatation soit accueillie, le paragraphe 9(4) de la Loi porte que le prestataire doit faire valoir « un motif justifiant son retard » et démontrer « qu'à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations ». Ayant conclu que la prestataire avait un motif valable, le conseil a antidaté sa demande au 1er mars 1995, jour où elle était devenue disponible pour travailler. À première vue, il s'agit d'une décision fondée sur le sens commun : la prestataire devrait pouvoir toucher des prestations de la CAT pour la période au cours de laquelle elle était incapable de travailler en raison d'une blessure. Toutefois, cela présuppose que l'appel de la prestataire est accueilli par la CAT. Rien dans le dossier n'indique qu'au moment du présent appel, la prestataire avait touché des prestations de la CAT. De plus, la Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'arrêt Hamilton c. Canada (P.G.), A-175-87, le 25 mars 1988 (C.A.F.), que la disponibilité pour le travail n'a strictement rien à voir avec l'antidatation. Ainsi, le sens commun est sapé par la réalité, la loi et la jurisprudence.

    Les arbitres auraient dû se pencher sur la question de savoir si la prestataire « remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations » à la date antérieure (paragraphe 9(4) de la Loi). Le paragraphe 9(1) de la Loi porte que la période de prestations débute a) lorsque survient l'arrêt de rémunération, ou b) lorsque la demande initiale de prestations est formulée, si la date de celle-ci est postérieure à l'arrêt de rémunération. Puisque la demande d'antidatation aux termes du paragraphe 9(4) a été accueillie par les arbitres, il faut passer outre aux dispositions de l'alinéa b). Par conséquent, la période de prestations devrait débuter à la date où la rémunération de la prestataire a été interrompue. L'interruption est survenue le 24 juin 1994, soit le jour de sa blessure. C'était là le premier jour où elle était admissible aux prestations. Dans les arguments qu'elle a présentés au juge-arbitre, la Commission a concédé que s'il y avait antidatation, la date appropriée serait celle du 25 juin 1994.

    À titre de confirmation, l'article 14 de la Loi porte que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d'une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu'il était : a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d'obtenir un emploi convenable, b) soit incapable de travailler par suite d'une blessure prévue par les règlements. La blessure prévue au paragraphe 47(6) du Règlement sur l'assurance-chômage (C.R.C. 1978, ch. 1576) (« le Règlement ») en est une qui « rend le prestataire incapable de remplir les fonctions de son emploi régulier ou habituel ou de tout autre emploi convenable ». Aux termes du paragraphe 47(1) du Règlement, le prestataire doit fournir un certificat médical à la Commission. La prestataire a produit un certificat de son médecin (pièce 5) attestant qu'elle était entièrement incapable d'exercer tout emploi avant le 5 mars 1995. Après cette date, elle ne pourrait pas remplir les fonctions de son ancien emploi ou d'un emploi analogue, mais pourrait exercer un autre type d'emploi.

    Les observations faites par la Commission au juge-arbitre trahissent une méprise quant aux dispositions législatives qui concernent le « motif justifiant le retard » dans la présentation d'une demande de prestations d'assurance-chômage. Voici certains extraits qui témoignent de cette méprise :

    La Commission a examiné les motifs de la prestataire et a adopté le point de vue depuis longtemps soutenu par la jurisprudence selon lequel seul un bref délai est convenable dans les cas où un prestataire s'attend à recevoir des indemnités. En l'espèce, le retard de 40 semaines a été réputé trop long pour pouvoir être appuyé par un motif valable puisqu'une personne raisonnable se serait renseignée plus tôt (pièce 4).

    La prestataire en a appelé de la décision de la Commission devant le conseil arbitral. Le conseil a accueilli l'appel de la prestataire, mais uniquement à la date où elle était de nouveau disponible pour travailler (pièce 12). La décision n'indique pas clairement les raisons pour lesquelles le conseil a choisi cette date. Le conseil fait référence à la disponibilité de la prestataire, mais il est clair que celle-ci appartenait à la première catégorie et aurait été admissible aux prestations de maladie à compter du 25 juin 1994 si le conseil avait permis l'antidatation de sa demande à cette date.

    La Commission adopte comme position que le conseil arbitral n'aurait dû accorder aucune période d'antidatation car le retard de 40 semaines est trop long pour être justifié par un motif valable dans les circonstances. Les principes qui ont été établis dans l'arrêt Albrecht et confirmés dans la décision D. Cipollone (CUB 18990) doivent s'appliquer en l'espèce.

    La signification de « motifs valables » est une question de droit, mais l'application de cette notion aux circonstances d'une affaire relève des attributions des arbitres, dans lesquelles un tribunal de révision (ou un juge-arbitre) ne doit pas s'immiscer à la légère.

    La Cour d'appel a clairement repoussé la définition stricte du motif valable dans l'arrêt Hamilton c. P.G. du Canada (A-175-87, le 25 mars 1988). Curieusement, le nom des juges ne concorde pas dans la version originale anglaise et la traduction française. Voici un extrait des motifs prononcés pour la Cour par le juge Mahoney :

    Le juge-arbitre a eu raison de soulever la question de savoir si le requérant avait un motif valable de tarder à demander des prestations, et de statuer que la question de la disponibilité n'était pas pertinente. Il a rejeté l 'appel pour la raison suivante :

    Il y a motif valable lorsqu'il existe des circonstances qui échappent à la volonté d'une personne et l'empêchent de faire sa demande plus tôt.

    Malgré tout le respect que je lui dois, il a, à mon avis, mal interprété la loi. La loi exige seulement qu'il existe un motif valable de retard. Ce qui constitue un motif valable est toujours une question de fait. La fonction judiciaire ne consiste nullement dans la formulation de règles générales qui interdisent de conclure qu'un prestataire avait effectivement un motif valable de tarder à demander des prestations.

    Ainsi, le « motif valable de retard » n'est pas un concept aux limites strictement circonscrites, mais bien une notion plus souple et à caractère plus circonstanciel. Après tout, « le motif valable de retard vise la manière d'agir du prestataire », pour reprendre les termes du juge Marceau dans l'arrêt P.G. du Canada c. Albrecht. La détermination du motif valable étant à ce point individualisée, chaque affaire étant tranchée selon les circonstances qui lui sont propres, la Commission n'a pas à craindre de courir à sa perte en raison d'une ouverture des vannes.

    Si l'on en juge d'après ses observations écrites, précitées, la Commission croit que le motif valable, une fois établi, peut « se rouiller » ou se dissiper si on le fait valoir sur un délai « trop long ». Ainsi, il semble que le motif valable d'un prestataire mal informé peut subsister pendant un « bref délai », mais disparaît au cours d'un délai de 40 semaines « réputé être trop long pour justifier de façon valable un retard, étant donné qu'une personne raisonnable se serait renseignée plus tôt ». Les textes législatifs et la jurisprudence n'appellent aucunement une telle interprétation illogique. À vrai dire, l'arrêt Hamilton cité ci-dessus rejetterait toute rigueur fantaisiste de cet ordre.

    Si le fait qu'un prestataire a été mal informé est un motif valable de retard, ce motif valable persiste naturellement et en droit jusqu'à ce qu'il soit supplanté par une information exacte, comme, en l'espèce, lorsque le délégué syndical de la prestataire lui a conseillé de demander des prestations d'assurance-chômage. Une fois bien informée, la prestataire a présenté sa demande sans retard indu.

    La décision des arbitres d'antidater la demande au 1er mars 1995, soit le jour où la prestataire est devenue disponible pour travailler, constitue une erreur susceptible de révision car les arbitres ont commis une erreur de droit lorsqu'ils ont établi la date de début de la période de prestations (alinéa 80a)). L'« appel » devant le juge-arbitre est analogue à une demande de révision judiciaire car le juge-arbitre ne peut examiner que la décision des arbitres et décider si, d'après les éléments portés à leur connaissance, ceux-ci ont commis une erreur. Il ne s'agit pas d'un procès de novo (Canada (P.G.) c. McCarthy, (1994) 174 N.R. 28 (C.A.F.)); l'« appel » permet plutôt au juge-arbitre de rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre. La Cour d'appel fédérale a récemment confirmé ces pouvoirs dans l'arrêt Morin c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), (1996) 134 D.L.R. (4th) 724. Pour les raisons précitées, le conseil aurait dû antidater la période de prestations accordée à la prestataire au 25 juin 1994, soit le lendemain du jour où elle est devenue incapable de travailler en raison de sa blessure, comme l'a reconnu la Commission. La demande faite par la prestataire devant le juge-arbitre est accueillie et la demande de la Commission visant le renvoi de l'affaire à un conseil arbitral composé de membres différents est rejetée.

    F.C. MULDOON

    Juge-arbitre

    FAIT à Ottawa (Ontario), ce 21e jour d'août 1996.



    1 La maxime Ignorantia juris non excusat s'applique exclusivement en droit criminel, dont ne relèvent certainement pas les textes législatifs régissant l'assurance-chômage. 2011-01-16