TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE 1971 SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
L. R. C. (1985), chap. U-1
- et -
d'une demande de prestations présentée par
BONNIE PENNEY
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la
prestataire à l'encontre d'une décision du conseil
arbitral rendue à Gander (Terre-Neuve)
le 27 octobre 1995
L'appel a été entendu à Gander (Terre-Neuve) le 10 juin 1996.
DÉCISION
LE JUGE R. C. STEVENSON
La Commission a jugé que Mme Penney était exclue du bénéfice des prestations parce qu'elle avait volontairement quitté son emploi sans justification. Elle a aussi jugé que la prestataire n'était pas admissible aux prestations parce qu'elle n'avait pas prouvé qu'elle était capable de travailler et disponible pour le faire, et qu'elle était incapable de trouver un emploi convenable.
Mme Penney en a appelé de cette décision devant le conseil arbitral, qui a rejeté son appel. Elle interjette maintenant appel devant le juge-arbitre.
Mme Penney travaillait comme commis aux produits de 25 à 27 heures par semaine. Elle payait une amie 60 $ par semaine pour garder ses deux enfants, mais celle-ci a cessé de le faire après avoir obtenu un meilleur emploi. Mme Penney a demandé à des membres de sa famille de prendre soin de ses enfants jusqu'à ce qu'elle trouve une autre gardienne. Elle n'a pas réussi à en trouver une qui chargeait moins de 125 $ par semaine, et son salaire net n'était que d'environ 165 $ par semaine. Son mari travaillait à l'extérieur, et il n'acquittait que les factures importantes. Elle devait payer les frais de garde d'enfants, d'épicerie et de crédit ainsi que les frais de transport qu'elle engageait pour l'aller au travail et le retour à la maison. Elle a demandé un congé, mais son employeur a refusé de le lui accorder.
Voici ce qu'a dit le conseil arbitral au sujet de l'exclusion :
«Dans sa lettre d'appel, la prestataire ... mentionne que travailler de 25 à 27 heures par semaine n'était pas suffisant pour lui permettre de payer une gardienne. Elle a aussi argué qu'en travaillant, elle ne faisait que donner de l'emploi à une autre personne, sans en tirer elle-même avantage.
La Commission maintient que la perte d'emploi dans cette affaire a été volontaire puisque le taux horaire de la prestataire était de 8, 43 $ et celui d'une gardienne, de 4, 75 $. La Commission est d'avis que la prestataire aurait donc dû, avant de quitter son emploi, essayer de prendre d'autres dispositions concernant la garde de ses enfants.
Compte tenu de la jurisprudence établie et de la législation actuelle, le conseil juge que la prestataire a volontairement quitté son emploi sans justification ...»
Si le conseil arbitral a adopté la position de la Commission selon laquelle la prestataire aurait dû essayer de trouver une solution de rechange avant de quitter son emploi, il a erré. Les éléments de preuve versés au dossier montrent clairement que la prestataire avait pris des arrangements provisoires avec sa mère et sa belle-mère, mais qu'elle était incapable de trouver une gardienne permanente à un coût abordable.
Les circonstances dont il faut tenir compte dans la présente affaire sont d'ordre économique. Mme Penney ne pouvait pas travailler à moins de faire garder ses enfants, et il était évident que ses frais de garde allaient augmenter. À un moment donné, ces frais et les frais de transport pour l'aller au travail et le retour à la maison, par rapport au revenu réel qu'elle tirait de son emploi, avaient atteint un point où il n'était plus réaliste pour la prestataire, sur le plan financier, de continuer à travailler. Je ne crois pas qu'une personne doive franchir la ligne que Charles Dickens a tracée entre le bonheur et la misère1.
Dans l’affaire Nielsen (CUB 14748), le juge Teitelbaum a dit ce qui suit :
«...si une personne doit quitter son emploi pour s'occuper temporairement d'un enfant de trois ans...il y a «justification» au sens de la Loi.»
Dans l’affaire Cadeau (CUB 18679), le juge Muldoon a dit ce qui suit :
«Il est certainement justifié de quitter un emloi à temps partiel parce que la distance à parcourir et la faible rémunération qui en est tirée annulent tout avantage qu'il procure.»
Le conseil arbitral a erré en ne tenant pas compte des facteurs économiques. Il n'a pas clairement énoncé les faits sur lesquels il a fondé sa décision voulant que Mme Penney ne soit pas justifiée à quitter son emploi. Il s'agit d'un cas limite qui, à mon avis, répond aux principes énoncés par les juges Teitelbaum et Muldoon. Je suis d'avis que Mme Penney était fondée à quitter son emploi.
Pour ce qui est de la disponibilité de la prestataire, la Commission a tenu compte d'une enquête sur le marché du travail. Elle était d'avis que la prestataire avait restreint sa recherche d'emploi à un emploi à temps plein dans un secteur où, selon l'enquête, il y avait peu de travail à temps plein. La Commission a aussi basé sa décision sur le fait que la prestataire n'avait pas pris de dispositions pour la garde de ses enfants au cas où un emploi deviendrait disponible, mais une personne peut difficilement passer un contrat avec une gardienne avant d'avoir d'abord obtenu cet emploi. Je ne trouve pas que l'enquête était une preuve convaincante, et il n'y a pas eu de constatation de fait à cet égard de la part du conseil arbitral.
L'appel est donc accueilli.
RONALD C. STEVENSON
Juge-arbitre
Fredericton
Le 5 juillet 1996