CUB 36384A
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
DANIEL KAY
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire
à l'encontre d'une décision du conseil arbitral
rendue à Montréal (Québec) le 7 mars 1995
DÉCISION
LE JUGE ROULEAU
Le prestataire en appelle d'une décision du conseil arbitral qui a déterminé que sa demande de prestations ne pouvait pas être antidatée car il n'a pas prouvé que, pour chaque journée entre le 2 janvier 1994 et le 5 octobre 1994, il avait un motif valable pour retarder la présentation de sa demande.
Alors vice-président de New Ventures Roofing of BPCO, A Division of Emco Inc., M. Kay a été mis à pied le 1er janvier 1994. Au moment de sa mise à pied, il a reçu une indemnité de départ de 89 393, 10 $, devant lui être payée en versements bimensuels entre le 2 janvier 1994 et le 28 février 1995. L'agent de rémunération au lieu de travail du prestataire et le conseiller professionnel embauché par l'employeur pour aider M. Kay après sa mise à pied lui ont tous deux indiqué qu'il ne lui servait à rien de présenter une demande de prestations d'assurance-chômage, car il n'y aurait de toute façon pas droit tant qu'il toucherait son indemnité de départ.
Il a présenté une demande de prestations le 5 octobre 1994, en demandant qu'elle soit antidatée au 2 janvier 1994 et en précisant qu'il avait tardé à présenter sa demande parce que son employeur l'avait mal renseigné. La Commission a rejeté sa demande d'antidatation au motif que l'ignorance de la Loi ne constitue pas pour M. Kay un motif valable pour ne pas avoir présenté plus tôt une demande de prestations et qu'il n'a donc pas démontré qu'il avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande. Son appel ultérieur devant le conseil arbitral a été rejeté.
Je fais droit à l'appel du prestataire pour les raisons suivantes. L'expression «l'ignorance de la Loi n'est pas une excuse» ne peut plus être invoquée comme principe d'application générale pour rejeter les appels de cette nature. Dans la décision CUB 17192 (BO), le juge-arbitre Jerome a apporté les précisions suivantes à ce sujet :
Le principe suivant lequel l'ignorance de la Loi n'est pas une excuse a longtemps été suffisant pour rejeter un grand nombre de demandes d'antidatation et, très souvent, la Commission et les conseils arbitraux ont exigé du prestataire des preuves indiquant qu'il lui avait été physiquement impossible de présenter une demande plus tôt avant de lui offrir la possibilité d'antidater sa demande. Par bonheur, nous adoptons maintenant un point de vue beaucoup plus éclairé comme en fait foi l'arrêt Procureur général du Canada c. Albrecht, [1985] 1 F.C. 710 (CAF). Désormais, si un prestataire a d'autres motifs valables pouvant inclure l'ignorance de son admissibilité à des prestations, il pourra toujours profiter d'une antidatation de sa demande pour autant qu'il ait réussi à prouver qu'il a fait des efforts raisonnables pour s'enquérir de ses droits et obligations en vertu de la Loi.
En conséquence, il faut donc que chaque cas soit examiné en fonction des faits en l'espèce, en faisant appel à une appréciation partiellement subjective des circonstances. Dans l'arrêt Hamilton c. Procureur général du Canada (198), 91 NR 145, la Cour d'appel fédérale a conclu que ce sont toujours les faits qui déterminent ce qui constitue un motif valable. Dans cette affaire, le juge Mahoney, citant la décision de la Cour dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Gauthier (A-1789-83, le 9 octobre 1984), a affirmé ce qui suit :
À tout le moins, à notre avis, les circonstances dans lesquelles il est raisonnable pour un prestataire de retarder délibérément la présentation de sa demande doivent-elles également constituer des motifs justifiant un retard. Les tribunaux ne devraient pas, par des obstacles artificiels, nuire aux démarches louables d'un prestataire qui, pour des motifs raisonnables, retarde la présentation de sa demande de prestations.
Il existe des cas où les mauvais renseignements fournis par une tierce personne en laquelle le prestataire pouvait raisonnablement avoir confiance peuvent affecter son admissibilité à des prestations. Dans le cas d'un prestataire qui a pris toutes les mesures raisonnables pour se renseigner sur son admissibilité à des prestations, on considérera qu'il a démontré qu'il avait un «motif valable» de retarder sa demande, lorsque son retard à ce chapitre est directement attribuable aux informations erronées transmises par des tierces personnes. Dans la décision CUB 10026, le juge Reed a formulé l'observation suivante à cet égard :
Si je comprends bien la Loi applicable,..., c'est que les circonstances dans lesquelles le principe d'ignorance de la Loi s'applique doivent être différentes des circonstances dans lesquelles le retard mis à déposer une demande est attribuable aux faux renseignements communiqués au prestataire par une tierce personne. À mon avis, afin d'être considérés comme motif valable, les faux renseignements doivent avoir été formulés par une personne en laquelle le prestataire avait raisonnablement confiance. Il n'est évidemment pas suffisant que le prestataire ait simplement négligé de poser des questions ou qu'il se soit fié aux dires de ses collègues. ..
Aux termes du paragraphe 20(4) de la Loi..., le prestataire doit prouver qu'il avait un motif valable de retard. En déterminant si le prestataire a satisfait à cette exigence, il ne faut pas s'attendre du prestataire qu'il se soit mieux conduit que toute personne censée qui a demandé certaines précisions à un particulier qu'il ou qu'elle a toute raison de croire informé sur la question comme c'est la cas d'un directeur du personnel d'une entreprise ou d'un conseiller en placement ... ne jugera pas nécessaire de demander des renseignements directement à la Commission. Les conseillers en question se considèrent bien informés de la question. Ainsi que je l'ai fait remarquer ailleurs, je ne vois pas de différence entre de faux renseignements fournis par un particulier et de faux renseignements fournis par un agent de la Commission pour ce qui est des répercussions pour le prestataire. C'est par son comportement que le prestataire doit prouver qu'il avait un motif valable de retard.
À mon avis, ce raisonnement peut s'appliquer à la situation de fait en l'espèce. M. Kay n'a pas négligé de s'informer de ses droits relativement aux prestations d'assurance-chômage et a agi en fonction des informations obtenues de tierces personnes à qui il était raisonnable pour lui de se fier. Dans ces circonstances, et compte tenu du retard relativement restreint dont il est question en l'espèce, je suis convaincu qu'il faut accorder au prestataire une antidatation de sa demande et qu'une telle mesure ne serait nullement préjudiciable à la saine administration de la Loi.
Pour ces motifs, la décision du conseil arbitral est annulée et l'appel du prestataire est accueilli.
P. ROULEAU
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 31 juillet 1997