TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
RAMACHANDRAN CHINNIAH
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire
à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
Etobicoke (Ontario) le 12 avril 1996
DÉCISION
LE JUGE FERNAND GRATTON
Le prestataire interjette appel à l'encontre d'une décision du conseil arbitral, selon laquelle il n'était pas admissible à des prestations, parce qu'en sa qualité d'agent immobilier pouvant décider de ses heures de travail, il ne pouvait pas être considéré comme étant en chômage. Une audience n'a pas été demandée, de sorte que l'affaire sera instruite sur la foi du dossier.
M. Chinniah a présenté une demande de prestations le 21 décembre 1995 après avoir été licencié en raison d'une pénurie de travail. Une période de prestations a été établie; elle commençait le 24 décembre 1995. Par la suite, la Commission a appris que le prestataire avait mené à terme la formation voulue pour devenir agent immobilier et avait rempli toutes les conditions relatives à l'obtention d'un permis.
En se fondant sur cette information, la Commission a jugé que le prestataire effectuait une semaine entière de travail et n'était donc pas en chômage. Il a été déclaré inadmissible aux prestations le 29 janvrier 1996. Le prestataire a interjeté appel devant un conseil arbitral en faisant valoir que, même s'il avait un permis d'agent immobilier, il ne menait aucune activité dans ce domaine et cherchait diligemment un autre emploi. Le conseil arbitral a rejeté son appel en concluant qu'à titre d'agent immobilier, il était un travailleur indépendant.
Le prestataire porte maintenant sa cause en appel devant un juge-arbitre. Il soutient que le conseil arbitral a commis une erreur de droit et de fait en rendant sa décision. Il affirme avoir obtenu son permis d'agent immobilier pendant qu'il occupait un emploi rémunéré de commis comptable et avoir conservé son emploi même après l'obtention du permis. Une fois licencié, il n'a pas consacré de temps à l'activité immobilière.
Les dispositions applicables en l'espèce sont le paragraphe 10(1) de la Loi et l'article 43 du Règlement, que voici :
10(1) Une semaine de chômage, pour un prestataire, est une semaine pendant laquelle il n'effectue pas une semaine entière de travail.
43(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsque le prestataire
a) est un travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé
(...) il est censé travailler une semaine entière.
(2) Lorsque le prestataire exerce un emploi mentionné au paragraphe (1), mais qu'il y consacre si peu de temps qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance, il n'est pas censé, à l'égard de cet emploi, travailler une semaine entière.
Une fois confirmé le fait qu'un prestataire s'occupe d'immobilier, il reste à déterminer si le par. 2 du Règlement est applicable à sa situation. Si le prestataire consacre si peu de temps à son travail qu'il ne saurait normalement compter sur l'immobilier comme principal moyen de subsistance, l'exception prévue au par. 43(2) du Règlement s'applique et le prestataire est admissible aux prestations.
Dans la décision CUB 5454, le juge Dubé a énuméré six facteurs à prendre en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si le travail indépendant en question occupe si peu du temps du prestataire qu'il tombe sous le coup de l'exception prévue au par. 43(2) du Règlement. Ce sont :
1. le temps consacré;
2. les capitaux et les ressources investis;
3. le succès ou l'échec financier;
4. la continuité de l'entreprise;
5. la nature de l'emploi : est-ce le type d'activité qui occuperait normalement le prestataire?
6. la volonté d'accepter ou de chercher un nouvel emploi.
Dans une récente décision, Procureur général du Canada c. Jouan (inédit, 23 janvrier 1995, A-366-94), la Cour d'appel fédérale a formulé les commentaires suivants au sujet de ces facteurs (p. 5 et 6) :
Il est vrai que les mots utilisés par le législateur pour définir la portée de l'exception prévue [au par. 43(2) du Règlement] ne sont pas entièrement clairs. Non seulement l'expression anglaise « so minor in extent » est-elle ambiguë, mais l'application de l'idée de « principal moyen de subsistance » n'est ni simple, ni claire. Il est également vrai qu'il y avait à l'origine de l'exception prévue la volonté de ne pas encourager la paresse et de ne pas pénaliser le chômeur qui entend simplement occuper utilement une partie du temps dont il dispose. Pour appliquer correctement la disposition susvisée, il y a peut-être lieu d'analyser un certain nombre de facteurs.
J'estime, cependant, que le facteur le plus important, le plus pertinent, et qui est aussi le seul facteur essentiel à entrer en ligne de compte, doit dans tous les cas être le temps qui est consacré à l'entreprise. C'est ce que prévoit de manière non ambiguë la version française, le membre de phrase ambiguë « so minor in extent » qui se trouve dans la version anglaise devant être lu dans le contexte des mots dénués de toute ambiguïté « il y consacre si peu de temps » utilisés dans la version française (...) C'est d'ailleurs la démarche qu'impose le bon sens. Quelle que soit l'importance des autres facteurs en jeu (qu'il s'agisse des capitaux investis, de la réussite de l'entreprise, ou encore de la durée de celle-ci), ces autres éléments n'ont pas de pertinence propre, car, dans chaque cas, la conclusion dépendra directement et nécessairement du « temps consacré », car la seule chose qui nous intéresse en l'occurrence c'est l'idée de « travailler une semaine entière ». Le prestataire qui, chaque semaine, consacre ordinairement 50 heures aux activités de sa propre entreprise ne saurait en aucun cas se prévaloir de l'exception prévue au paragraphe 43(2). Un tel prestataire se verra nécessairement appliquer la présomption générale posée au paragraphe 43(1) et sera considéré comme travaillant une semaine entière.
En appliquant ce principe aux faits de la présente cause, je ne peux juger que le conseil arbitral avait assez d'éléments de preuve en main pour justifier la conclusion selon laquelle le prestataire était un travailleur indépendant au sens du paragraphe 43(1) du Règlement. Selon le témoignage non contredit de M. Chinniah, il ne s'était jamais occupé activement d'immobilier bien qu'il détienne un permis d'agent immobilier. Au contraire, il a consacré tout son temps à la recherche d'un autre emploi après avoir été licencié de son poste de commis comptable.
La décision de la Commission et celle du conseil arbitral reposent entièrement sur le fait que le prestataire détenait un permis d'agent immobilier. Or, cela ne suffit pas en soi à étayer la conclusion selon laquelle il était un travailleur indépendant. Rien ne prouve en l'occurrence que M. Chinniah travaillait comme agent immobilier de quelque façon que ce soit.
Pour ces raisons, la décision du conseil arbitral est annulée et l'appel du prestataire est accueilli.
Fernand Gratton
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 4 avril 1997