CUB 38323
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
Timothy J. Benoit
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par
le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral
rendue à London (Ontario)
le 6 septembre 1996
DÉCISION
LE JUGE CULLEN
Dans une lettre en date du 24 juillet 1996, l'agent d'assurance a informé le prestataire qu'il ne recevrait pas de prestations parentales pour la période commençant le 16 juin 1996 parce qu'il n'avait pas prouvé qu'un enfant lui avait été confié pour adoption.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral.
Le conseil arbitral [ci-après appelé le «conseil»] a jugé dans une décision majoritaire que, puisque le prestataire avait seulement reçu la garde permanente des enfants au lieu de les adopter en bonne et due forme suivant les lois de l'Ontario, il ne pouvait pas toucher de prestations parentales conformément au paragraphe 20(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, 1970-1971-1972, chap. 48, art. 1 [ci-après appelée la «Loi»]. L'appel du prestataire a donc été rejeté.
La minorité, qui aurait fait droit à l'appel, a conclu qu'il n'y avait pas de différence entre des parents adoptifs et des parents ayant la garde. Elle a émis l'opinion que le législateur entendait inclure des situations comme celle du prestataire dans le paragraphe 20(1).
LES FAITS
Les deux enfants ont d'abord été placés en famille d'accueil chez le prestataire. Leur mère naturelle est décédée et leurs pères respectifs ne s'en occupent pas du tout activement. Selon certaines indications, au moins un des pères est incarcéré.
La procédure d'adoption a été entamée par le prestataire et sa femme peu après que les enfants eurent été placés chez eux. Comme l'adoption ouverte n'est pas sanctionnée par la loi en Ontario, il a été déterminé qu'une ordonnance de garde serait plus indiquée qu'une ordonnance d'adoption. L'ordonnance de garde non seulement offrait aux enfants une protection et une stabilité au sein de la famille du prestataire, mais leur permettait aussi de garder des liens positifs avec leur famille d'origine, à savoir leur demi-soeur de trois ans et leur arrière-grand-mère. Le 28 février 1996, le tribunal a rendu, à l'intention du prestataire et de sa femme, une ordonnance de garde permanente par des tiers en ce qui concerne les deux enfants. Cette ordonnance répondait à l'intérêt véritable des enfants, comme l'exigent les lois de l'Ontario.
L'avocat du prestataire fait valoir que, mis à part les droits de visite, la situation du prestataire équivaut à une adoption.
Le prestataire satisfait à toutes les exigences du paragraphe 20(1), à part le fait qu'il ne s'agit pas d'une adoption à strictement parler.
LE POINT EN LITIGE
À mon avis, il n'y a qu'un point en litige dans cette affaire. Une situation qui équivaut à une adoption dans les faits, mais non en droit, rend-elle admissible à des prestations parentales en vertu de l'article 20 de la Loi?
RAISONNEMENT
1. La législation
Voici la disposition pertinente de la Loi :
20. (1) Par dérogation à l'article 14 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie pour demeurer à la maison pour prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d'un ou plusieurs enfants placés auprès de lui en vue de leur adoption, en conformité avec les lois régissant l'adoption dans la province où il réside.
[C'est moi qui souligne]
2. Les principes de l'interprétation de la loi
La «règle d'or» de l'interprétation de la loi est bien résumée dans la décision Grey c. Pearson (1857), 6 H. L., dossier 60, pages 104 et 105 :
... en interprétant les testaments et les lois, et tous les actes écrits, il faut respecter le sens grammatical et ordinaire des termes, à moins que cela n'occasionne une absurdité, ou encore une incompatibilité ou une incohérence avec le reste de l'acte, dans lequel cas le sens grammatical et ordinaire des termes peut être modifié de façon à éviter l'absurdité et l'incohérence, mais sans plus.
Cette «règle» peut se diviser en deux principes : a) le principe exigeant que les termes d'une disposition soient interprétés dans leur sens grammatical et ordinaire; b) le principe voulant que le sens grammatical et ordinaire des termes soit respecté à moins que cela ne conduise à une absurdité, à une incompatibilité ou à une incohérence. Ces principes sont utiles pour trancher la question en litige.
a) Sens grammatical et ordinaire des termes
En l'occurrence, la difficulté réside dans l'interprétation de l'exigence selon laquelle les «enfants [doivent être] placés auprès [du prestataire] en vue de leur adoption, en conformité avec les lois régissant l'adoption dans la province où il réside». Il convient d'analyser chaque membre de phrase contenu dans cet extrait du paragraphe 20(1).
«enfants placés» : Le «placement» d'un enfant désigne, aux fins de la Loi, la garde réelle, physique. En général, la garde physique précède l'adoption. Selon la loi provinciale, l'adoption se produit ordinairement à une date ultérieure par la voie d'une ordonnance judiciaire finale.1 C'est la date du placement, et non la date de l'ordonnance, qui détermine le paiement des prestations.2
Les enfants ont-ils été placés auprès du prestataire? Celui-ci s'est vu octroyer la garde physique des enfants et l'a réellement. Par conséquent, les enfants ont été placés auprès du prestataire. Cette partie de la disposition est respectée.
«en vue de leur adoption» : Le terme pertinent est «en vue» (purpose). Quel en est le sens ordinaire et grammatical? Je consulte d'abord le Oxford Concise Dictionary, 7e édition (Oxford : Clarendon Press, 1983), qui définit le terme comme «but à atteindre, intention». Le Black's Law Dictionary, 5e édition (St. Paul Minn.: West Publishing Co., 1979), donne une définition semblable, soit «ce qu'on se propose d'accomplir; fin, intention ou but, objectif, dessein, projet». J'en déduis de ces définitions et en me fondant sur le sens commun que «en vue de» se rapporte fondamentalement à quelque chose qu'on souhaite voir se réaliser. La définition est nécessairement axée vers l'avenir, c'est-à-dire qu'elle a trait à une chose que l'on veut accomplir, plutôt qu'à une chose déjà accomplie. Dans la disposition en cause, le but fondamental est l'adoption.
Ce qui importe en l'espèce au sujet de cette disposition, c'est le fait qu'elle est tournée vers l'avenir. Ce fait et le lien entre l'expression «en vue de» et son complément, adoption, signifient que la disposition ne vise pas un enfant qui a déjà été adopté par le prestataire. Elle vise au contraire un enfant dont le prestataire a la garde physique («enfants placés») et que le prestataire a l'intention d'adopter. Qu'arrive-t-il si l'enfant est placé auprès du prestataire en vue de l'adoption, mais qu'il n'est jamais adopté dans les faits pour une raison ou une autre (comme le décès du prestataire ou de l'enfant avant que la procédure officielle d'adoption soit terminée)? La disposition n'est-elle pas censée s'appliquer?
Rien n'indique dans la disposition que l'enfant doit bel et bien être adopté par le prestataire. Si la disposition était censée viser plus que l'intention ou l'objectif de l'adoption, elle aurait été formulée à cet effet. Si le législateur voulait que les prestations parentales ne soient payées que dans les situations où l'enfant a déjà été adopté ou que dans les cas où la procédure d'adoption est déjà en cours, il aurait pu facilement recourir à d'autres termes. Par exemple, il aurait pu utiliser les termes «placés pour adoption», ce qui aurait signifié que la procédure d'adoption est terminée ou en cours, au lieu de «placés en vue de leur adoption», expression qui dénote l'intention et un plus large éventail de situations. Nous devons présumer que le choix des termes est délibéré dans les dispositions des lois si nous voulons être en mesure d'appliquer correctement ces dispositions.
À en juger d'après le sens ordinaire des mots utilisés, il n'est pas nécessaire que l'adoption ait lieu pour établir l'admissibilité aux prestations prévues par la disposition. Cependant, il est certain que le placement doit se faire dans l'intention d'adopter l'enfant. La distinction est subtile, mais elle doit être prise en compte.
Pour bien interpréter l'expression «en vue de leur adoption», il est également utile de procéder à une analyse conceptuelle. L'analyse conceptuelle, qui donne son sens au libellé, évite que nous basions notre conclusion sur une approche purement grammaticale et une étude trop technique des termes utilisés. Cette façon de voir est conforme au raisonnement de la Cour d'appel fédérale, qui fonde son interprétation sur l'objet visé dans des circonstances exceptionnelles et appropriées, même pour des dispositions claires et non ambiguës.3
L'article 20 de la Loi autorise le paiement de prestations parentales aux prestataires de la première catégorie qui, comme parents, accueillent des enfants en permanence chez eux. Les parents naturels ont les droits et les responsabilités liés à la garde et à l'éducation de leurs enfants. Les parents adoptifs ont les droits et les responsabilités liés à la garde et à l'éducation de leurs enfants. Sur le plan conceptuel, qu'en est-il des parents ayant la garde permanente, tels que le prestataire et sa femme?
La loi qui régit la garde des enfants en Ontario a pour titre Loi portant réforme du droit de l'enfance. Le paragraphe 20(2) y définit les droits et les responsabilités d'une personne ayant un droit de garde à l'égard d'un enfant. Le voici :
(2) Droits et responsabilités - Quinconque a, à l'égard d'un enfant, un droit de garde possède les droits et les responsabilités d'un père ou d'une mère relativement à la personne de l'enfant et doit exercer ces droits et assumer ces responsabilités dans l'intérêt véritable de l'enfant.
Ce paragraphe montre clairement que le prestataire, en l'occurrence, a les droits et les responsabilités d'un père, même s'il n'est pas le père naturel des enfants. Le prestataire n'est pas non plus le père adoptif des enfants, car il a été jugé dans l'intérêt véritable des enfants de garder contact avec leur arrière-grand-mère et leur demi-soeur naturelles. Sur les plans conceptuel et légal, le prestataire a tous les droits et toutes les responsabilités d'un père adoptif, sauf qu'il doit en plus rester en rapport avec les deux membres de la famille naturelle des enfants. Mise à part cette responsabilité supplémentaire, on peut dire que le prestataire se trouve en fait dans une situation d'adoption.
En comparant les effets de l'ordonnance d'adoption et ceux de l'ordonnance de garde permanente, on en arrive également aux conclusions énoncées ci-dessus.
Les effets de l'ordonnance d'adoption sont définitifs et irrévocables, abstraction faite de la juridiction d'appel en la matière. Les liens de l'enfant adoptif avec ses parents naturels sont rompus; il n'est plus leur enfant dans les faits. Il devient l'enfant des parents adoptifs comme s'il était leur enfant naturel. Personne d'autre que les parents adoptifs n'a un droit d'accès et de visite.
L'ordonnance de garde permanente confie au prestataire la garde permanente des enfants et ses effets sont définitifs et irrévocables. Le prestataire et sa femme ont l'autorité exclusive à l'égard des enfants. Le père naturel, n'ayant pas la garde, ne peut pas exercer les droits qu'a le prestataire en tant que père. Les liens et les droits parentaux du père naturel sont dénués de caractère pratique. En vertu du paragraphe 20(2) de la Loi portant réforme du droit de l'enfance, le prestataire a tous les droits et toutes les responsabilités d'un père à l'égard des enfants. L'adoption légale des enfants ne sera jamais offerte aux membres de la famille naturelle. Les droits de visite sont maintenus pour l'arrière-grand-mère et la demi-soeur naturelles des enfants.
L'ordonnance de garde permanente rendue par le tribunal est définitive. Par suite de cette ordonnance, le prestataire et sa femme sont réputés être les parents des enfants et avoir les droits et les obligations de parents naturels.
En accordant la garde permanente des enfants au prestataire et à sa femme, le tribunal ontarien a fait la seule chose qu'il pouvait faire en vertu de la loi provinciale dans l'intérêt véritable des enfants. Il a conféré tous les droits et toutes les responsabilités de parents au prestataire et à sa femme. Il ne pouvait rendre une ordonnance d'adoption, car il a été jugé que le maintien des relations avec certains membres de la famille naturelle était dans l'intérêt véritable des enfants. Mise à part cette exigence, que le prestataire et sa femme ont convenu de respecter, il s'agit d'une situation d'adoption.
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le prestataire se trouve en pratique dans une situation d'adoption. Cette situation est donc visée conceptuellement par la disposition, outre que le sens grammatical et ordinaire du libellé s'y applique.
b) Le sens grammatical et ordinaire des termes occasionne-t-il une absurdité, ou encore une incompatibilité ou une incohérence avec le reste du texte? Le versement de prestations à des personnes chez qui des enfants ont été placés en vue de leur adoption, mais qui n'ont pas réellement été adoptés et ne le seront peut-être jamais, donne-t-il lieu à une absurdité par rapport au reste du texte de loi? À mon sens, eu égard à l'objet de la Loi, ce n'est pas le cas.
La Loi sur l'assurance-chômage est un volet important de la législation sur la sécurité sociale. Cette législation doit être interprétée de façon libérale, par respect pour son objet bienveillant. L'objet général de la Loi est de mettre des prestations à la disposition des chômeurs.4 Interprété libéralement, l'article 20 vise non seulement les prestataires qui ont déjà entrepris une procédure d'adoption et qui ont la garde physique des enfants, mais aussi ceux qui ont la garde légale et physique des enfants et ont l'intention de les adopter - et peuvent prouver leur intention -, que l'adoption se concrétise ou non.
C'est l'intention manifeste d'adopter les enfants qui prévaut au paragraphe 20(1).
Il existe cependant quelques causes à l'effet contraire. Par exemple, dans la décision CUB 18705, le juge-arbitre exigeait que la procédure d'adoption soit entamée pour que l'article 20 s'applique. Je ne peux souscrire au raisonnement du juge-arbitre à ce sujet, car le libellé de la disposition ne fait aucunement état du début de la procédure d'adoption.
La conclusion du juge-arbitre dans la décision CUB 18705, qui est contraire à la mienne, est révélatrice, en ce sens qu'elle signale l'existence possible d'une ambiguïté dans la disposition. Le sens de l'expression «placés en vue de leur adoption» peut être interprété de deux façons différentes. Lorsqu'une disposition peut donner lieu à deux interprétations différentes, les doutes que peuvent susciter les difficultés de compréhension devraient être dissipés en faveur du prestataire.5 La disposition en cause doit être interprétée de façon libérale. Par conséquent, je ne me sens pas contraint de me conformer au raisonnement suivi par le juge-arbitre sur ce point dans la décision CUB 18705. Je reviendrai plus tard sur cette affaire.
Je crois raisonnable de déduire que l'expression «placés auprès de lui [le prestataire] en vue de leur adoption» vise une situation de garde permanente, comme celle que vit le prestataire, qui s'accompagne de l'intention initiale d'adopter les enfants. Conclure autrement mènerait à une situation absurde, où un prestataire a tous les droits et obligations légaux d'un père ou d'une mère sous un régime légal, mais se voit refuser, en vertu d'un autre régime légal, les bienfaits de la législation sur la sécurité sociale qui a pour objet de venir en aide aux parents. Conclure autrement serait incompatible avec l'objet de la loi tout entière, qui est d'assister les chômeurs. Conclure autrement créerait une incohérence au sein de la disposition même, qui prévoit des prestations aux nouveaux parents. À l'époque en question, le prestataire était un nouveau père.
c) Les principes de l'interprétation de la loi appliqués à la décision du conseil arbitral
Voici la conclusion majoritaire du conseil arbitral :
Le prestataire n'a pas prouvé que les enfants ont été placés auprès de lui pour adoption. Il doit prouver que les enfants ont été placés dans sa famille pour adoption, en conformité des lois qui régissent l'adoption en Ontario. Le prestataire a la garde permanente des enfants, mais ceux-ci n'ont pas été adoptés.
De toute évidence, la majorité du conseil arbitral n'a pas tenu compte du libellé précis de la disposition. Elle a appliqué le critère consistant à déterminer si les enfants avaient été adoptés ou non par le prestataire. Ce n'est cependant pas le critère applicable à en juger par le libellé. Il s'agit de déterminer si les enfants ont été placés en vue de leur adoption, et non pas s'ils ont été adoptés. La majorité du conseil a donc commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère. C'est une erreur de droit ouvrant droit à révision, en vertu de l'alinéa 80b) de la Loi.
En ne se fondant pas sur le bon critère, la majorité du conseil arbitral a fait abstraction de l'intention du prestataire, de même que de l'effet de l'ordonnance de garde permanente. Ces deux facteurs auraient fait en sorte que l'expression «placés [...] en vue de leur adoption, en conformité avec» se serait appliquée à la situation en cause. La majorité du conseil arbitral a donc rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il s'agit d'une erreur ouvrant à droit à révision, selon l'alinéa 80c) de la Loi.
3. La jurisprudence
J'ai précédemment fait état de décisions antérieures selon lesquelles, dans le cas d'un enfant placé auprès d'un prestataire à d'autres fins que l'adoption, l'article 20 ne s'applique pas avant que la procédure d'adoption ait été entamée.6 Dans la décision CUB 18705, le juge-arbitre a fait droit à l'appel de la Commission dans le cas d'un prestataire qui a reçu la garde d'un enfant sans que celui-ci ait été adopté. À la page 3 de sa décision, le juge Martin déclare ce qui suit :
Il y a énormément de différence entre la garde et l'adoption, et le conseil arbitral a commis une erreur en jugeant que les mots signifiaient la même chose. La prestataire a admis que l'enfant avait été placé auprès d'elle aux termes d'une ordonnance de garde et, en outre, qu'à ce moment-là, elle n'avait même pas envisagé l'adoption. Cela étant, en jugeant que l'enfant avait été placé avec la prestataire en vue de son adoption, le conseil arbitral n'a pas tenu compte des éléments portés à sa connaissance et sa conclusion doit être infirmée.
[C'est moi qui souligne]
Dans cette affaire, l'enfant a été placé chez la prestataire et son mari, qui était le père naturel. La mère naturelle avait la garde de l'enfant; c'est par suite d'une procédure judiciaire entre la mère et le père que la garde a été confiée à celui-ci et à la prestataire. La prestataire a ensuite fait une demande de prestations d'adoption en vertu du paragraphe 20(1), bien que la procédure d'adoption n'ait pas encore été entamée et qu'elle puisse ne pas l'être avant la nouvelle année. Il reste que l'intention de la prestataire était d'adopter l'enfant en définitive.
Analyse : La situation en cause dans la décision CUB 18705 se distingue de celle qui est applicable en l'espèce sous deux rapports importants. Premièrement, dans la première affaire, l'enfant avait été placé chez la prestataire - et le père naturel. Dans la cause qui nous occupe, les enfants ont été placés auprès de deux personnes qui ne sont pas parents par le sang. Les régimes légaux qui régissent les deux situations sont complètement différents. Lorsqu'un enfant est placé pour adoption chez des personnes qui ne sont pas parents par le sang, tous les liens avec la famille naturelle sont nécessairement rompus conformément aux lois ontariennes sur l'adoption. Cependant, lorsqu'un enfant est placé pour adoption dans une famille où le conjoint de la personne qui adopte est le père ou la mère naturel, alors les liens avec la famille naturelle ne sont pas rompus.
En l'espèce, une ordonnance de garde permanente a été délivrée, qui donne des droits de visite et d'accès à l'arrière-grand-mère et à la demi-soeur des enfants. Comme l'Ontario ne reconnaît pas légalement les adoptions ouvertes, il ne pourrait pas y avoir de droit de visite si le prestataire avait adopté les enfants. Dans l'affaire CUB 18705, les faits ne sont pas les mêmes, étant donné que l'adoption de l'enfant par la prestataire ne supprimerait pas les droits de visite et d'accès.
La deuxième distinction importante à établir entre les deux causes est le fait que, dans l'affaire CUB 18705, la prestataire n'avait même pas encore envisagé clairement l'adoption quand l'enfant a été placé auprès d'elle. La prestataire a déclaré ceci :
Je ne me suis pas encore vraiment renseignée sur la procédure d'adoption, car la procédure d'attribution de la garde était en soi une épreuve - si ce n'est que notre avocat nous a informés que c'était la prochaine étape. Nous allons probablement nous occuper de cela l'année prochaine.
À ce stade, la prestataire n'avait pas encore manifesté l'intention d'adopter l'enfant.
Dans le cas qui nous occupe, au contraire, les enfants ont d'abord été placés en famille d'accueil chez le prestataire. Peu après, la procédure d'adoption a été entreprise, et une ordonnance de surveillance a été rendue au profit du prestataire et de sa femme. Ceux-ci ont alors reçu la garde permanente des enfants. C'est une ordonnance de garde, et non une ordonnance d'adoption, qui a été rendue pour que les deux membres de la famille naturelle conservent leur droit de visite. Contrairement à ce qui s'est produit pour la prestataire dans l'affaire CUB 18705, le prestataire, en l'espèce, s'est informé au sujet de la procédure d'adoption et en a entamé une.
Je conclus donc que je ne suis pas lié par une décision antérieure pour statuer sur la question en litige.
CONCLUSION
Pour respecter la lettre et l'esprit de la disposition et l'exigence d'équité, il faut interpréter les termes «enfants placés auprès de lui [le prestataire] en vue de leur adoption, en conformité avec les lois régissant l'adoption dans la province» comme englobant non seulement les cas d'adoption reconnus en droit, mais aussi les cas d'adoption de fait comme celui du prestataire. Plus précisément, la disposition doit englober les cas où un prestataire a reçu la garde légale et permanente de l'enfant lorsqu'il est dans l'intérêt véritable de l'enfant, comme le prescrit la loi, d'autoriser ce type de garde plutôt que l'adoption en bonne et due forme.
Le versement de prestations parentales aux personnes qui se trouvent dans la situation du prestataire ouvrirait-il la porte au paiement de prestations à des gens qui n'y sont pas admissibles? Je ne pense pas. Les circonstances de la présente affaire sont inhabituelles. Une ordonnance de garde permanente a été rendue, et il existe un type très précis de relation père- enfant selon lequel le prestataire a tous les droits et toutes les responsabilités d'un père jusqu'à la majorité des enfants. Dans les faits, il s'agit d'un cas d'adoption. Le critère à appliquer est assez rigoureux.
Pour que l'ordonnance du tribunal qui accorde au prestataire et à sa femme la garde permanente des enfants prenne véritablement effet, il faut considérer leur situation comme faisant partie des situations qui, selon le législateur, tombent sous le coup de l'article 20 de la Loi. Les enfants ont été placés auprès du prestataire et de sa femme «en vue de leur adoption», et il s'agit bien, dans les faits, d'un cas d'adoption. Conclure autrement serait non seulement aller à l'encontre du libellé de la disposition et de l'objet de la loi, mais ce serait diminuer la portée et le sens d'une autre ordonnance de tribunal ayant force exécutoire. Cela, je ne suis pas prêt à le faire.
En conséquence, je fais droit à cet appel et j'annule la décision majoritaire du conseil arbitral.
Bud Cullen
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 8 juillet 1997