CUB 38774
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
SCOTT R. ECKEL
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 13 août 1996.
DÉCISION
Cette affaire a été entendue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 mai 1997.
LE JUGE W.J. HADDAD, C.R.
Le conseil arbitral a confirmé la décision de la Commission d'assurance-chômage qui avait exclu le prestataire du bénéfice des prestations du fait qu'il avait été congédié par son employeur, Rainbow Delights Bakery Ltd., en raison de sa propre inconduite. Les motifs de l'appel s'appuient sur l'allégation voulant que le conseil arbitral aurait omis de respecter un principe de justice naturelle, ou aurait autrement excédé sa compétence ou refusé d'exercer ce qui relevait de sa compétence et, deuxièmement, que le conseil aurait tiré une conclusion de fait erronée. Au cours de sa soumission pendant l'audition, l'avocat du prestataire a également soumis que le conseil avait erré en droit.
Le prestataire confond cependant justice naturelle et équité. Les principes de justice naturelle se réfèrent aux principales règles de procédure, en vertu desquelles le prestataire doit être informé en bonne et due forme de la date, du lieu et de l'heure de l'audience et avoir la chance de présenter son cas en cours d'audition. Rien n'indique ici que ces principes ont été enfreints.
Il reste maintenant à déterminer si, comme le prestataire l'affirme, il y a eu erreur de droit.
L'article 28(1) de la Loi sur l'assurance-chômage stipule ce qui suit :
(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification.
Les éléments de preuve indiquent que le prestataire a été licencié pour avoir omis de se présenter à son travail à trois reprises en l'espace d'une même semaine. Son quart de travail commençait à 22 h et se terminait le lendemain à 6 h.
Dans ses observations au juge-arbitre, le prestataire a révélé qu'en avril 1996 il avait « plaidé coupable à une accusation de trafic et d'introduction dans une zone non autorisée », à la suite de quoi il a été contraint de se soumettre pendant quarante jours à un programme de surveillance électronique à domicile (PSED).
Le prestataire a été tenu de porter à la cheville un bracelet renfermant un dispositif de surveillance à compter du 22 avril 1996, ce qui devait le confiner à son domicile. Avant de quitter sa demeure, il lui fallait communiquer par téléphone avec un agent du PSED entre 16 h et 18 h pour réserver une période de sortie, autrement dit pour obtenir une autorisation. Il devait alors préciser le moment et la durée de son absence, à défaut de quoi le dispositif de surveillance déclenchait une alarme au bureau du PSED.
Or, il appert que le prestataire a omis à trois reprises d'aviser le bureau du PSED. Selon un agent de la Commission, le prestataire aurait tenté d'expliquer son absence en alléguant qu'il avait perdu la notion du temps et avait, dans chacun des cas, tout bonnement oublié d'informer le bureau avant l'heure limite de 18 h. Les explications fournies par le prestataire dans ses observations au juge-arbitre ne diffèrent pas pour l'essentiel de la version de l'agent.
Le dimanche 28 avril 1996, en après-midi, le prestataire a reçu un message émanant du bureau du PSED l'informant qu'il avait activé l'alarme.
Le vendredi 26 avril 1996, le prestataire a appelé le bureau du PSED pour l'aviser qu'il devait s'absenter le dimanche après-midi afin d'effectuer un service communautaire ainsi que le dimanche en soirée, du fait qu'il travaillait à la boulangerie. Une autorisation lui a donc été accordée. De retour chez lui dimanche après-midi, le prestataire a été notifié par le bureau du PSED que sa demande présentée le vendredi pour justifier son absence du dimanche avait été faite avant les vingt-quatre heures devant précéder son absence, de sorte que l'alarme avait été activée. Les responsables ont admis qu'il s'agissait de leur erreur, mais il reste qu'on n'a pas permis au prestataire de se rendre au travail le dimanche en soirée. Par la même occasion, ce dernier a demandé une autorisation de sortie pour le lundi 29 avril 1996 en soirée. Il a ensuite téléphoné à son employeur pour lui faire part du motif de son absence du dimanche.
Le lendemain, soit lundi, le prestataire a dormi trop longtemps et a communiqué avec le bureau du PSED à 18 h 05 pour demander une autorisation de sortie pour son quart de travail du mardi soir. Il s'est alors vu répondre qu'il n'avait pas présenté sa requête dans les délais prescrits, soit avant 18 h. Lorsqu'il s'est présenté au travail le lundi soir, il a donc expliqué à son employeur qu'on ne l'avait pas autorisé à se rendre au travail la journée suivante. L'employeur s'est efforcé d'intervenir en sa faveur, mais en vain, en communiquant avec le bureau du PSED par téléphone.
À une troisième occasion, le prestataire revenait chez lui aux petites heures du matin après son quart de travail lorsque la propriétaire lui a demandé de prendre soin de son enfant pendant qu'elle faisait des courses. À son retour, le prestataire a dit à la dame qu'il avait besoin de repos et s'est assuré qu'elle le réveillerait avant 18 h afin qu'il puisse demander une autorisation de sortie pour son quart de travail du lendemain. Bien qu'elle lui ait promis de le faire, elle s'est absentée et n'est revenue chez elle que passé 19 h. Résultat : le prestataire ne s'est pas réveillé à temps. Après avoir imploré la clémence du bureau du PSED, mais sans succès, il a téléphoné à son employeur pour le mettre au courant du problème et a été congédié sur-le-champ.
Le conseil arbitral n'a revu ni évalué aucun de ces faits. Il a soumis avoir pris connaissance des données dont il disposait pour conclure que le prestataire avait été « congédié par son employeur pour avoir omis de se présenter au travail à trois reprises ». Le conseil en est ensuite arrivé à la conclusion que le prestataire avait été licencié pour inconduite, invoquant ce qui suit :
« Le représentant du prestataire a avancé que le prestataire s'était montré insouciant au cours de sa période d'adaptation eu égard aux conditions d'un programme de surveillance électronique et qu'il ne s'est, par conséquent, pas présenté au travail, ce qui a mené à son congédiement. Le conseil est pour sa part d'avis que la conduite du prestataire était à ce point insouciante et négligente qu'elle frôlait le caractère délibéré et correspond à la définition qui est faite de l'inconduite dans l'arrêt TUCKER A-381-85.
Le conseil considère que le prestataire savait très bien quelles étaient les exigences auxquelles il devait se soumettre et les interdits qu'il devait respecter, conformément aux directives émanant du service correctionnel du ministère du Procureur général de la province de Colombie-Britannique. Il en conclut que le prestataire était conscient du besoin impérieux d'aviser les responsables du PSED afin d'obtenir la permission de se rendre au travail.
Or, le prestataire a admis qu'il ne s'était tout bonnement « pas réveillé à temps » à deux reprises, et qu'il a donc perdu l'occasion de téléphoner aux responsables pour recevoir une autorisation de sortie.
Par conséquent, le conseil est d'avis que le prestataire était pleinement conscient de ce qu'il devait faire pour se présenter au travail, mais qu'il ne l'a pas fait et qu'il a, pour cette raison, perdu son emploi. Il s'agit, à nos yeux, d'un cas d'inconduite.
Le conseil fonde sa décision sur les arrêts TUCKER A-381-85 et JOSEPH A-636-85. » [TRADUCTION]
Le prestataire allègue principalement que le conseil arbitral a remis une décision entachée d'une erreur de droit en interprétant à mauvais escient le sens du mot « inconduite » et en omettant d'examiner la présence de l'élément psychologique pour déterminer si l'absence du prestataire au travail était délibérée à un point tel qu'elle constituait un cas d'inconduite.
Or, il est on ne peut plus clair que l'interprétation du mot « inconduite » est une question de droit et que la façon de l'appliquer à chaque cas particulier relève des faits.
Le prestataire conteste l'utilisation qu'a fait le conseil des termes « insouciant » et « négligent » pour établir le motif d'inconduite, avançant qu'il s'agit d'une erreur de droit. Le prestataire ne demande rien de mieux que de voir admettre - et il a en cela raison - que ces termes, dans leur contexte habituel, ne sont pas taxés d'inconduite, bien qu'une conduite insouciante ou négligente de la part d'un employé puisse effectivement donner lieu à son congédiement. La cinquième édition du Black's Law Dictionary dresse une liste des synonymes du terme « inconduite » (misconduct), d'où les substantifs « négligence » (negligence) et « insouciance » (carelessness) sont expressément exclus. Malgré le fait que le conseil ait bel et bien commis une erreur de droit pour les raisons qui suivent, l'utilisation qu'il s'est trouvé à faire des termes « insouciance » et « négligence » ne constituait pas nécessairement une erreur, compte tenu du contexte et de la combinaison de mots dans laquelle ils s'insèrent à la définition du substantif « inconduite », comme en fait d'ailleurs foi cette citation du Black's Law Dictionary reprise par le juge d'appel MacGuigan dans A.G. Canada c. Tucker, à la décision CUB 10319, qui se lit comme suit :
« ces synonymes sont délit, méfait, mauvaise conduite, faute, pratique répréhensible, mauvaise gestion, infraction, mais ne sont pas négligence ou incurie.
L'inconduite, qui rend les employés congédiés inadmissibles aux prestations de chômage, se produit lorsque l'employé fait preuve d'insouciance intentionnelle ou totale quant aux intérêts de l'employeur, comme dans les cas de violation délibérée ou de non-observation des normes de comportement dont l'employeur est en droit de s'attendre de ses employés, d'incurie, de négligence d'un niveau semblable ou d'intentions délictueuses répétitives »
Le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale, s'exprimant au nom de la majorité, a approuvé l'exactitude de cette définition en tant qu'énoncé de loi. Il a déclaré :
« il s'agit, selon moi, d'un énoncé juste de notre loi en ce qu'elle indique que pour constituer une inconduite, le geste doit avoir été posé de façon délibérée, insouciante ou négligente pour pouvoir dire que l'employé, délibérément, n'a pas tenu compte des effets que son geste aurait sur son rendement au travail. On ne retrouve dans le présent cas aucun acte délibéré. »
L'application du processus de contrôle judiciaire dans l'affaire Tucker a été instaurée à la suite d'une décision rendue par la juge Reed agissant en qualité de juge-arbitre. Il semble qu'en définissant le terme « inconduite », elle ait substitué aux mots « insouciance » et « négligence » un terme différent (soit reckless). Le juge MacGuigan, de la Cour d'appel fédérale, s'est également fait l'écho de l'interprétation du mot « inconduite » adoptée par la juge Reed. Il a déclaré ce qui suit :
« Je n'ai aucune hésitation à conclure que la juge Reed a interprété de façon correcte l'alinéa 41(1) réclamant l'exclusion d'une intention délibérée ou d'une conduite négligente au point d'être considérée comme un acte délibéré. »
L'erreur commise par le conseil porte sur le fait qu'il n'a pas examiné les éléments de preuve portés à sa connaissance afin de déterminer, dans chacun des cas, le motif pour lequel le prestataire ne s'est pas présenté au travail, ainsi que pour établir l'existence d'un élément psychologique prouvant le caractère intentionnel de chaque infraction. Le conseil s'est simplement borné à appliquer la définition d'inconduite tirée de l'affaire Tucker pour conclure que l'absence du prestataire au travail à trois reprises constituait un cas d'inconduite, sans plus.
S'il est possible que l'absence du prestataire à son travail ait mené à son congédiement, il demeure en revanche qu'un motif de congédiement ne correspond pas nécessairement à de l'inconduite.
Le conseil a, par conséquent, erré en droit et sa décision ne saurait avoir cours.
Ainsi donc, plutôt que de renvoyer l'affaire devant un conseil nouvellement constitué afin d'examiner la question du caractère délibéré des infractions reprochées au prestataire, j'instruirai cette affaire de la façon dont le conseil aurait initialement dû le faire.
Dans le premier cas où le prestataire s'est absenté de son travail, l'erreur est attribuable aux responsables du PSED, ce qu'eux-mêmes ont d'ailleurs avoué. Le prestataire a bel et bien demandé une autorisation de sortie qui a été approuvée – et, plus tard, retirée. Il s'agit de circonstances hors de la volonté du prestataire et dénuées de tout caractère intentionnel.
Dans le deuxième cas, le prestataire a dormi trop longtemps et a manqué l'heure limite de cinq minutes. Sa version des faits est crédible; on ne peut y voir une tentative visant à ne pas se présenter au travail de son plein gré. Il s'agissait tout simplement d'une erreur humaine, d'un cas de négligence. Il est à noter que le prestataire a immédiatement appelé son employeur pour s'expliquer et que celui-ci a même tenté d'intercéder en sa faveur.
Dans le troisième cas, le prestataire s'est fié à sa propriétaire pour le réveiller. Il appert que celle-ci a négligé de le faire, et qu'il s'est donc réveillé trop tard. Encore une fois, il se peut qu'il ait fait montre de négligence, mais dans les circonstances le fait de s'être réveillé trop tard n'était aucunement intentionnel, délibéré, voire insouciant.
Il importe de mentionner qu'à chaque reprise, le prestataire s'est fait un devoir de communiquer avec son employeur sur-le-champ.
Les preuves ne permettent pas de conclure à l'existence d'un élément psychologique à l'appui d'un acte délibéré, et la conduite du prestataire ne concorde pas avec la définition du terme d'inconduite. Pour ces chefs, l'appel est accueilli.
W.J. HADDAD
Juge-arbitre
Edmonton (Alberta)
Le 2 juillet 1997