CUB 39252
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
JEANNETTE MAJOR
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à
l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
Nanaimo (Colombie-Britannique) le 7 juin 1996.
DÉCISION
LE JUGE JEROME, A.J.C.
La prestataire fait appel de la décision du conseil arbitral voulant qu'elle ait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
Mme Major a présenté une demande de prestations d'assurance-chômage le 11 avril 1996, mentionnant qu'elle avait été congédiée du poste de préposée qu'elle occupait auprès de Dorita's Ticket Centre Inc. après avoir informé son employeur que le médecin lui avait ordonné de prendre un congé de dix jours. Au cours d'un entretien avec la Commission, l'employeur a déclaré que le rendement de la prestataire laissait à désirer depuis son entrée en fonction. À une certaine occasion, notamment, la prestataire avait laissé des billets de loterie et de l'argent liquide dans un tiroir après la fermeture plutôt que de suivre le processus habituel qui consiste à les déposer dans un coffret de sûreté. L'employeur a fait part de ses préoccupations à Mme Major le 18 janvier 1996. Le lendemain, la prestataire avisait son employeur qu'elle était malade et que son médecin traitant souhaitait la voir prendre dix jours de repos. Bien que la prestataire détenait un certificat médical attestant qu'elle était tenue de s'absenter de son travail pour des raisons médicales, l'employeur l'a licenciée.
En fonction de ces renseignements, la Commission a statué que la prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite et qu'elle était, par conséquent, admissible au versement de prestations. L'employeur en a appelé de cette décision devant le conseil arbitral. Le conseil a majoritairement accueilli l'appel de l'employeur, invoquant que le fait d'avoir omis de ranger les billets de loterie et l'argent dans un coffret de sûreté à la fermeture du commerce, comme l'exigeait l'employeur, était un acte intentionnel, délibéré et à ce point insouciant qu'il constituait un cas d'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-chômage.
Le membre minoritaire a, pour sa part, rejeté l'appel de l'employeur pour les raisons suivantes :
Il appert qu'au cours d'une certaine période de temps l'employeur a trouvé à redire au travail effectué par la prestataire, y compris en une certaine occasion où cette dernière aurait laissé dans un tiroir des billets d'une valeur de 1 449 $. L'employeur s'est entretenue du problème avec la prestataire le 18 septembre [sic] 96, mais ne lui a adressé aucun reproche, ni n'a menacé de la renvoyer.
La prestataire croyait l'affaire réglée, pensant qu'une telle chose ne se reproduirait plus.
Plus tard, l'employeur a communiqué avec les Normes d'emploi et a appris que la prestataire pouvait être suspendue sans raison ni préavis de licenciement.
Lorsque la prestataire a appelé son employeur pour l'aviser qu'elle était malade et ne pouvait se présenter au travail, l'employeur lui a dit qu'il ne valait même pas la peine qu'elle se préoccupe de son retour au travail.
La Commission n'a trouvé aucun motif d'inconduite. L'employeur a fait appel de cette décision, prétextant que l'incident des billets de loterie devait être considéré comme un cas d'inconduite et que, pour cette raison ainsi que d'autres plaintes déposées contre la prestataire, cette dernière avait été congédiée.
Or, rien ne prouve que la prestataire ait, de plein gré, commis une erreur. Il semble par ailleurs que l'employeur n'ait, somme toute, pas jugé ce manquement assez grave pour justifier un congédiement immédiat. Ce n'est qu'après avoir été informée par les Normes d'emploi que l'employeur a pris la décision de renvoyer la prestataire, fournissant comme excuse ou comme prétexte l'incident des billets de loterie.
[TRADUCTION]
La prestataire en appelle maintenant de la décision majoritaire du conseil arbitral devant le juge-arbitre, alléguant que le conseil a rendu une décision entachée d'une erreur de droit. Mme Major soutient que l'incident des billets de loterie n'était aucunement voulu, qu'il s'agissait d'une erreur humaine et qu'elle s'était mis en devoir de rectifier la situation dès que son employeur lui en avait fait part. En outre, elle admet n'avoir manqué aucun quart de travail ni refusé de s'acquitter de ses fonctions.
J'en conclus donc que l'appel de la prestataire doit être accueilli.
En vertu des articles 28 et 30 de la Loi sur l'assurance-chômage, un prestataire qui perd son emploi pour motif d'inconduite est exclu du bénéfice des prestations. Bien que le terme « inconduite » ne soit pas expressément défini par la loi, la jurisprudence a amplement établi que les circonstances menant au congédiement d'un employé doivent être examinées au cas par cas afin de déterminer s'il y a bel et bien eu inconduite. Lorsqu'on reproche à une personne d'avoir été renvoyée en raison de sa propre inconduite, il revient à la Commission ou à l'employeur de s'acquitter du fardeau de la preuve, si accablant soit-il. Le conseil arbitral doit donc disposer de preuves solides, convaincantes et non équivoques pour en arriver à une telle conclusion.
Pour constituer un cas d'inconduite, la prestataire doit avoir posé un acte délibéré, ou du moins insouciant ou négligent à un point tel qu'il soit possible d'affirmer qu'elle aurait, de plein gré, choisi d'en ignorer les conséquences sur ses relations de travail. Dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Tucker, [1986] 2 C.F. 329 - et Canada (Procureur général) c. Brissette, [1994] 1 C.F. 684, la Cour d'appel fédérale a confirmé qu'un cas d'inconduite devait comporter l'existence d'un élément psychologique, soit un caractère délibéré, soit une conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré.
Il ne suffit pas de démontrer que l''employeur jugeait répréhensible la conduite de tel employé, ou encore que l'employeur a repris cet employé pour s'être mal conduit. Témoin la citation suivante, tirée d'une décision de la Cour d'appel fédérale dans Fakhari c. Canada (Procureur général) (1996), 197 N.R. 300 :
L'évaluation purement subjective que pourrait faire un employeur de la gravité d'un cas d'inconduite devant mener à un congédiement justifié ne peut être considérée comme un facteur probant par le conseil arbitral. Certes, il n'est pas difficile d'envisager des situations où les agissements d'un employé pourraient à juste titre être qualifiés d'inconduite; cependant, en pareils cas, on jugera arbitraire, voire déraisonnable la décision de l'employeur qui renvoie son employé. Nous ne croyons pas que le seul fait d'être absolument convaincu de l'inconduite d'un employé, et d'affirmer qu'il s'agit de la raison pour laquelle l'employé a été suspendu de ses fonctions, suffit à s'acquitter du fardeau de la preuve qui repose sur la Commission en vertu de l'article 28.
[TRADUCTION]
(Souligné par mes soins)
Enfin, il doit exister un lien de cause à effet entre le présumé cas d'inconduite et le congédiement. Ce principe a été maintes fois confirmé par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Nolet, A-517-91, 12 mars 1992; Smith c. Canada (Procureur général), A-875-96, 11 septembre 1997; et Canada (Procureur général) c. Brissette, [1994] 1 C.F.684, où la Cour a déclaré ce qui suit :
() Il doit, en premier lieu, exister une relation de cause à effet entre l'inconduite et le congédiement. Il ne suffit pas, pour conclure à l'inadmissibilité, que l'inconduite serve d'excuse ou de prétexte au renvoi () Elle doit constituer le motif du renvoi et en être la cause principale.
[TRADUCTION]
Je ne puis admettre que, dans le présent cas, l'employeur ait réussi à prouver l'existence d'un acte d'inconduite ou de preuves solides, convaincantes et non équivoques témoignant d'une inconduite de la part de la prestataire. Je suis plutôt d'avis que le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait tirée de façon abusive en ce que, compte tenu des éléments de preuve portés à sa connaissance, il n'aurait raisonnablement pas dû parvenir à une telle conclusion.
Rien n'indique ici que les erreurs non intentionnelles commises par Mme Major en ce qui a trait au respect du processus de fermeture, notamment le fait qu'elle ait omis à une ou deux reprises de retirer des billets de loterie et de l'argent liquide d'un tiroir pour les placer dans un coffret de sûreté, étaient à ce point délibérées et insouciantes qu'elles nuisaient à son rendement au travail.
S'il est vrai que l'employeur s'est plaint de ces erreurs et en a discuté avec la prestataire, il appert de toute évidence qu'il ne s'agit pas là des motifs qui ont conduit à son congédiement. Au contraire, Mme Major a été renvoyée après que son employeur a découvert qu'il lui était possible de la licencier sans préavis, motif ou indemnité de départ. Il n'existait, par conséquent, aucune relation de cause à effet entre les actes reprochés à la prestataire et son congédiement.
Je suis d'avis que le conseil a commis une erreur et de fait et de droit en rendant sa décision. Pour ces chefs, l'appel de la prestataire est accueilli.
JAMES A. JEROME
Juge-arbitre en chef
Ottawa (Ontario)
Le 9 octobre 1997