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  • CUB 39839

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    CAROLE THOMAS et al
    DANIÈLE DRUDI
    LILIANE JABOUR
    SYLVIA KUMP et al
    DANIEL PINET et al

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
    par le prestataire de la décision d'un conseil arbitral
    rendue le 20 juin 1995 à Ste-Thérèse, Québec



    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-42-98


    DÉCISION

    LE JUGE ROULEAU

    Il s'agit en l'espèce de déterminer si le conseil arbitral avait raison de maintenir les décisions de la Commission à l'endroit de tous les prestataires qui ont vu leur demande de prestations rejetée du fait qu'il était survenu un lock-out chez l'employeur Nationair Canada le 19 novembre 1991.

    La Commission avait déterminé que les agents de bord avaient perdu leur emploi à cause d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif et, par conséquent, en vertu de l'article 31 de la Loi, avait décidé qu'ils n'étaient pas admissibles au bénéfice des prestations.

    Cette décision s'appliquera mutatis mutandis à tous les prestataires dont le nom apparaît à l'annexe A attachée à la présente.

    Toutes les décisions du conseil arbitral sont en date du 20 juin 1995. Les seules distinctions entre les divers appelants sont à l'effet qu'au moment du lock-out certains d'entre eux étaient déjà en chômage et attendaient une date de rappel, d'autres avaient été avisé d'une date de retour au travail et plusieurs autres étaient en fonction le 19 novembre 1991. Mme Danièle Drudi quant à elle était en congé parental lors du lock-out et a déposé une demande d'antidate qui fut refusée par la Commission.

    La compagnie Nationair Canada était une ligne aérienne qui se spécialisait dans les vols nolisés. Le 19 novembre 1991, un lock-out est survenu chez cet employeur. Il existait une convention collective entre la compagnie et le Syndicat canadien de la fonction publique qui représentait deux secteurs, le premier groupe soit le personnel au sol et le deuxième groupe les agents de bord, au nombre d'environ 440, et dont la convention collective avait expiré en décembre 1990.

    L'exposé des faits au dossier n'est pas clair en ce qui concerne le groupement de divers autres cadres au sein de la compagnie mais il est à noter que lors de l'audition devant le conseil arbitral, il fut affirmé en témoignage qu'il y avait probablement cinq unités distinctes syndicales au sein de l'entreprise. Les employés au sol faisaient partie du Syndicat de la fonction publique, les Teamsters représentaient les directeurs de vol, la National Association of Machinists représentait le personnel d'entretien et le N. F. C. M. A. représentait les pilotes et les ingénieurs de vol. Je dois présumer qu'il n'existait pas de conflit entre la compagnie et les quatre autres unités.

    Des 440 agents de bord syndiqués, environ 300 avaient été mis à pied en septembre 1991 à cause de la période creuse que traversait le transporteur aérien. Le porte-parole de la compagnie anticipait le déclenchement d'une grève en décembre 1991. La haute saison de Nationair se situait entre la mi-décembre et la mi-mars pour les destinations vers le sud. Étant donné l'impossibilité de conclure une entente et de ratifier une nouvelle convention collective, la compagnie a décrété un lock-out le 19 novembre 1991 et environ 140 agents de bord syndiqués en fonction ont été mis à pied en plus des 300 qui avaient déjà été mis à pied et attendaient une date de rappel. Il est à souligner que trois équipages, représentant environ une trentaine d'employés, ont été abandonnés en Europe et ont dû être rapatriés par le syndicat.

    En septembre 1991, l'employeur, tout en poursuivant les négociations et ses opérations, a embauché 360 individus non-syndiqués qu'il qualifiait de "personnel de substitution" dans le but de remplacer les agents de bord syndiqués. Il est en preuve que le processus d'embauche du personnel de substitution s'est déroulé sur une période de deux mois à deux mois et demie en raison de la formation requise pour qualifier ce personnel afin qu'il puisse occuper les postes d'agents de bord. La preuve au dossier révèle que chaque candidat devait subir trois entrevues préliminaires: si sélectionné après la troisième entrevue, le candidat devait subir un examen médical suivi de deux à trois semaines d'entraînement intensif; le candidat devait ensuite subir des examens finaux et se rapporter au ministère des Transports pour obtenir une carte d'identité et un certificat de compétence, le tout sujet à une enquête approfondie de la section sous le contrôle de la Gendarmerie Royale du Canada. Le processus a coûté environ $200, 000 en plus des dépenses additionnelles pour les uniformes. Au moment du lock-out le personnel de substitution était qualifié et a immédiatement pris la relève des agents de bord syndiqués.

    Lorsque les agents de bord mis à pied ont produit des demandes de prestations, la Commission les a rejetées en raison du conflit collectif qui sévissait chez l'employeur. Cette décision fut portée en appel.

    Le conseil arbitral dans tous les dossiers en question a maintenu la décision de la Commission et s'exprimait comme suit:

    Devant les faits, le conseil arbitral retient la preuve que les opérations de l'entreprise ont été maitenues, voire même, améliorées durant la longue période de "lockout". Les membres du conseil reconnaissent, toutefois, que l'employeur qui exploitait une entreprise de service, avait à son actif tous les éléments essentiels requis pour poursuivre ses activités, à l'exception du personnel de cabine à compter du 19 novembre 1991; que l'employeur avait, depuis un certain temps, prévu l'éventualité d'une grève ou d'un lockout; que le cas échéant, l'employeur avait mis sur pied des mesures, que le conseil considère comme étant extraordinaires, exceptionnelles et temporaires; que le maintien des opérations de l'entreprise a été rendu possible grâce au déploiement d'une équipe improvisée malgré "l'arrêt de travail" des effectifs usuels.

    En conséquence, le conseil arbitral doit reconnaître que la CEIC s'est libérée du fardeau de la preuve que l'appelant a perdu son emploi où n'a pu le reprendre en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif décrété par l'employeur le 19 novembre 1991 en vertu de l'article 31(1) de la Loi, et qu'aucune condition de non-application n'existait durant toute la période du conflit.

    L'appel est donc rejeté à l'unanimité.

    Lors des audiences devant le conseil arbitral, le représentant de la Commission a soulevé un grand nombre de décisions de juges-arbitres et de jugements de la Cour d'appel fédérale appuyant le raisonnement à l'effet que des prestations ne peuvent être versées dans les cas de conflits collectifs lorsque l'employeur prend des mesures extraordinaires, exceptionnelles et temporaires afin de maintenir ses opérations. De plus, il soulève que le personnel de substitution, n'étant pas syndiqué et n'ayant pas de contrat de travail, n'avait aucune garantie d'emploi et pouvait donc être qualifié d'employés temporaires.

    Il est à noter que, peu après le renvoi des agents de bord syndiqués, la compagnie exigeait qu'ils retournent leurs uniformes et les avisait de la suspension de tous leurs bénéfices marginaux. La preuve révèle que le personnel de substitution lors de son embauche a obtenu les bénéfices marginaux; ces employés ont travaillé pendant plus de seize mois et, suite au règlement du conflit survenu en février 1993, ils se sont vu garantir des postes permanents au sein de la compagnie. Il est illogique de suggérer que le personnel de substitution recruté par Nationair Canada était en fait du personnel temporaire puisque l'entreprise a déboursé au dessus de $200, 000 pour le recrutement et la formation de ces employés.

    Le procureur des prestataires soumet que tous les agents de bord tant ceux qui avaient été mis à pied à cause d'un arrêt de travail et qui n'avaient pas de date fixe de rappel, ceux qui avaient une date fixe de rappel ainsi que tous ceux qui étaient en fonction lors du lock-out devraient pouvoir percevoir des prestations. Il souligne qu'il faut lire attentivement la jurisprudence ainsi que l'article 31(1) de la Loi. Cet article se lit comme suit:

    31.(1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre son emploi antérieur du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations avant, selon le cas:

    a) la fin de l'arrêt de travail;

    b) le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.

    (C'est moi qui souligne)

    Il soumet que dans le cas en l'espèce, il n'a jamais été question d'un arrêt de travail. La preuve révèle que le Vice-président de la compagnie le jour même du lock-out a déclaré ce qui suit:

    Tout semble fonctionner à merveille. On est prêt à passer l'hiver; dommage pour les agents de bord.

    De plus, lors des audiences devant le conseil arbitral, un directeur de vol a déclaré ce qui suit et cette preuve n'est pas contestée:

    Le taux de passagers n'a pas réduit du tout ...Ils ont même améliorer après le 19 novembre à cause ...de l'amélioration de la flotte... c'était su qu'on préparait les nouveaux en prévision du conflit.

    Comme le souligne le procureur des prestataires, avant que l'on puisse refuser des prestations dans des cas de conflit collectif il faut nécessairement que les conditions suivantes existent:

    1. qu'il y ait perte d'emploi

    2. qu'il y ait arrêt de travail

    3. que l'arrêt de travail soit attribuable à un conflit collectif

    - et

    4. que le conflit soit intervenu au lieu de travail

    Je dois donc me poser la question suivante: Est-ce que les prestataires ont perdu leur emploi à cause d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif?

    La Commission s'appuie sur la jurisprudence pour me convaincre que le conseil arbitral était justifié dans le cas en l'espèce de déterminer que, même s'il n'y a pas eu d'arrêt travail, l'employeur avait dû prendre des mesures extraordinaires et exceptionnelles pour poursuivre ses opérations et qu'en conséquence les prestataires n'avaient pas droit au bénéfice des prestations.

    Cette jurisprudence n'est pas pertinente. Elle ne traitait pas, tel qu'en l'espèce, d'une situation où l'employeur avait préparé des effectifs de remplacement avant d'imposer un lock-out. Il s'agissait plutôt de situations où, après le déclenchement d'une grève, l'employeur maintenait ses opérations soit en ré-affectant les employés cadres aux fonctions opérationnelles de l'entreprise ou en utilisant la technologie pour remplacer la main-d'oeuvre. Dans d'autres situations, la jurisprudence élabore la question de reprise des travaux afin de déterminer si les prestataires avaient droit aux prestations à la suite du règlement du conflit et la détermination de la reprise normale des opérations de l'entreprise. Cette jurisprudence s'applique encore moins parce que dans le cas qui nous occupe les opérations normales ont persisté.

    En l'espèce, les membres du conseil arbitral ont eux-mêmes confirmé que les opérations de Nationair Canada se sont poursuivies normalement sans aucun ralentissement.

    Dans l'affaire Létourneau, (1986) 2 F.C. 82, la Cour d'appel fédérale exprimait l'opinion qu'un arrêt de travail signifie la cessation des opérations normales de l'entreprise de l'employeur.

    Mon interprétation de la jurisprudence me porte à conclure qu'il n'y a pas eu en l'espèce d'arrêt de travail et que les agissements de l'employeur ne constituent pas des mesures extraordinaires ou exceptionnelles tel qu'établi par la jurisprudence.

    Je suis plutôt porté à suivre les directives de la Cour suprême du Canada qui incite les tribunaux à reconnaître le droit aux prestations lorsque le libellé de la loi laisse un choix.

    Dans l'arrêt Hills, (1988) 1 R.C.S.513, la Cour suprême du Canada s'exprimait comme suit aux pages 537 et 538:

    Comme la Loi vise à assurer des prestations aux personnes sans travail, il est justifié de donner une interprétation libérale aux dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations, étant donné que la Loi n'est pas conçue pour priver des avantages qu'elle confère les victimes innocentes d'un conflit de travail et compte tenu également du fait que les employés cotisent à la caisse d'assurance-chômage.

    . . .

    Si un employeur fixe des conditions déraisonnables au règlement d'un conflit et que les employés savent qu'ils ne toucheront pas de prestations d'assurance-chômage si un arrêt de travail résulte de l'absence de consensus, cela peut inciter ces employés à accepter des conditions de travail défavorables qu'ils n'auraient pas autrement acceptées. Dans un tel cas, la Loi devient un instrument de coercition... Le refus de verser des prestations dans ces circonstances ne traduit guère une position de neutralité.

    En l'espèce, je suis persuadé en vertu de la preuve qu'il n'y a pas eu "arrêt de travail" au sens de l'article 31 de la Loi. Il est évident que les opérations de l'entreprise se sont poursuivies normalement même s'il existait un conflit entre l'employeur et les agents de bord. En embauchant et en formant du personnel de substitution, l'employeur a pris les mesures requises pour assurer la continuité de ses opérations. Toutefois, cette façon d'agir constitue ni plus ni moins le congédiement injustifié d'un secteur complet de l'entreprise. Je suis donc d'avis que les prestataires n'ont pas perdu leur emploi en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif et que leur droit aux prestations doit être rétabli.

    À mon avis, conclure autrement irait à l'encontre de la neutralité prévue à la législation ainsi qu'aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hills, supra.



    " P. ROULEAU "

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, Ontario
    Le 17 décembre 1997

    ANNEXE A

    Appel représentatif de Daniel Pinet et al

    Yves Asselin Daniel Charette
    Jean-Claude Couillard Chantal Lathulière
    Anna Marcantonio Alain Parent
    Sergio Teja Nathalie Sanson
    Marie-France Bourget Normand Lessard
    Anne Boulet Doris Issa
    Elaine Paquette Alice Balabanian
    Julie Barbeau Annie Lacroix
    Johanne Therrien Christian Cormier
    Josée Rondeau Louise Charette
    Chantal Fortin John Karkar
    Audrey Duchêne Josée Forget

    Appel représentatif de Sylvia Kump et al

    Alice Banabanian Sergio Teja
    Yves Asselin Normand Lessard
    Daniel Pinet Claudine Lanthier
    Suzy Evoy Manon Beaudoin
    Louise Charette Jean-Claude Couillard
    Cathy Kirkwood Robert Ledoux
    Marie-Claire Hayes John Karkar
    Annie Lacroix Johanne Therrien
    Andréa E. Hébel Nathalie Sanson
    Patrice Drudi Lemaire Audrey Duchêne

    Appel représentatif de Carole Thomas et al

    Pierre Burton Patsy Ann Ellis
    Lucie Francoeur Robert Galarneau
    Paul-André Langevin Claudine Lanthier
    Patrice Drudi Lemaire Roger Lussier
    Jesus Martinez Robert Ledoux

    2011-01-16