EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
PIERRE GAUDREAULT
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
rendue le 4 mars 1997, à Québec, Qc.
DÉCISION
LE JUGE ROBERGE:
La Commission interjette appel auprès du juge-arbitre, de la décision du conseil arbitral rendue le 4 mars 1997, à Québec, Qc.
Le 25 août 1994, la commission a rendu deux décisions. Dans la première la Commission déterminait que le prestataire ne pouvait recevoir des prestations à compter du 7 mars 1993, parce qu'il travaillait à son compte à titre de directeur de «Technologies Directes P.G. Inc.» et qu'en conséquence il faisait une semaine entière de travail et n'était pas en chômage.
Dans la deuxième décision, la Commission a détermine que le prestataire avait fait sciemment 26 déclarations fausses ou trompeuses, ayant trouvé que le prestataire travaillait à son compte à titre de directeur de la compagnie précitée, depuis le 7 mars 1993; elle lui a infligé une pénalité de 11 076 $, conformément aux dispositions du paragraphe 33(1) de la Loi sur l'assurance-chômage.
Un premier conseil arbitral s'est penché sur ce dossier le 24 novembre 1994.
Il me semble important de citer au texte la décision rendue le 24 novembre 1994, qui est ni plus ni moins une décision de retourner le dossier à la Commission pour plus amples preuves. La décision se lit comme suit:
«NATURE DES LITIGES:
1. Décision du 25-08-94 (pièce 6)
Le prestataire a-t-il prouvé avoir été véritablement en chômage depuis le 07-03-93 et, de ce fait, le droit au bénéfice des prestations peut-il lui être reconnu ?
2. Décision du 25-08-94 (pièce 7)
Le prestataire a-t-il fait sciemment 26 déclarations fausses ou trompeuses en n'ayant pas déclaré avoir travaillé à son propre compte depuis le 07-03-93 et, de ce fait, une pénalité doit-elle lui être imposée ?
ENQUÊTE:
À la suite de la preuve recueillie lors de l'audition de ce jour, le Conseil arbitral, majoritairement, après discussions avec les membres, en vient à la conclusion d'ajourner la présente audition afin d'obtenir un complément de preuve à être fournie par la Commission relativement aux documents en référence et mentionnés à la pièce 9.2.
«L'ampleur des renseignements au dossier tels que: la facturation, les contrats, les comptes de dépenses, les déplacements, démontrent le cheminement de l'entreprise depuis le début de la demande de prestations de M. Gaudreault.»
La Commission devra établir de la façon la plus précise possible le revenu exact que le prestataire a touché au cours de cette période, sous forme de revenus hebdomadaires et le temps consacré pour réaliser un tel revenu. Les pièces mentionnées à la pièce 9.2 devront être accessibles lors de la prochaine audition.
P S.: Pièce 12 déposée lors de l'enquête.»
Cette décision a été prise à la majorité. Le membre dissident a fait les commentaires suivants:
«Bien que la décision d'ajourner relève ultimement du président du Conseil arbitral, je suis d'avis qu'à la suite d'une audition d'une durée d'une heure 15 minutes au cours de laquelle le prestataire et son représentant ont fourni les explications quant à son état de chômage et sur ses déclarations de prestataire à compter du 07 mars 1993. Le Conseil arbitral aurait été en mesure de rendre une décision sur les questions qui lui étaient posées à savoir:
1. Décision du 25-08-94 (pièce 6)
Le prestataire a-t-il prouvé avoir été véritablement en chômage depuis le 07-03-93 et, de ce fait, le droit au bénéfice des prestations peut-il lui être reconnu ?
2. Décision du 25-08-94 (pièce 7)
Le prestataire a-t-il fait sciemment 26 déclarations fausses ou trompeuses en n'ayant pas déclaré avoir travaillé à son propre compte depuis le 07-03-93 et, de ce fait, une pénalité de 11076.00$ doit-elle lui être imposée ?
En effet, l'audition nous a appris que:
1. La compagnie fut fondée par le prestataire ingénieur de formation, avec des collègues, avant la demande de prestations du prestataire, alors que celui-ci était considéré comme n'ayant pas subi d'arrêt de rémunération vu les sommes versées à sa cessation d'emploi.
2. L'entreprise requérant un investissement de 1 à 1.5 millions$ et le prestataire ayant reçu réponse négative des «bailleurs de fonds» à la fin octobre 1992, cette entreprise n'a donc pas franchi l'étape de «projet»; tel qu'en fait foi la pièce déposée par le prestataire à cet effet lors de l'audition.
3. Le prestataire affirme n'avoir jamais investi dans la compagnie, si ce n'est que les 100.00$ nécessaires à l'obtention de la charte de la compagnie.
4. Le prestataire déclare également qu'en sa qualité de chercheur, il a obtenu plusieurs brevets en dehors de ses heures régulières de travail alors qu'il était salarié.
5. Il ressort du témoignage du prestataire qu'il est un «patenteux de la foresterie», «qu'il aime ça faire de la recherche et du développement», qu'il a toujours «patenté» dans ses temps libres et les fins de semaine; bref qu'il s'agit pour lui d'un «hobby».
6. Ce loisir du prestataire lui a entraîné des brevets qui, à leur tour, bénéficièrent à ses employeurs alors qu'il était salarié. Ces trois derniers points sont d'ailleurs corroborés par une lettre de l'employeur apparaissant à la pièce 12 déposée lors de l'audition.
7. Ce potentiel que le prestataire exploite également dans ses loisirs lui a valu quelques requêtes alors qu'il était en chômage.
Selon le témoignage du prestataire, non contredit à l'audition, ces contrats ont nécessité en tout une trentaine d'heures de travail en six mois, puisqu'il s'agissait «d'adapter quelque chose qui existait bien avant» et les sommes versées par les requérants ont servi à 90% à payer les pièces (matériaux) et les sous-contracteurs; i.e. ceux qui fabriquaient les pièces demandées.
8. Jusque-là, ni le temps consacré ni les argents investis à «l'entreprise» ne nous permettent de conclure que ce projet d'entreprise aurait pu être considéré comme son principal gagne-pain.
9. Au printemps 1994, le prestataire accepte un emploi pour North America Hydraulique pour lequel il reçoit un salaire et pour lui, cela constitue un travail et représente son principal gagne-pain puisqu'il y consacre environ 40 heures par semaine et qu'il est rémunéré.
Comme il le mentionnait précédemment, le prestataire continue d'occuper ses loisirs à la recherche même s'il est salarié pour North America Hydraulique et pour lui, il s'agit là d'un «hobby».
10. L'audition de l'appel du prestataire nous apprend finalement que le prestataire n'a jamais voulu tromper la Commission, qu'il n'a pas déclaré ses activés parce qu'il s'agissait pour lui d'un simple «hobby», lequel il exerçait tout en travaillant chez son ancien employeur.
Compte tenu de tous ces éléments, je note, bien sûr, l'absence des documents dont fait état la Commission à la pièce 9.2, mais je considère que cette absence constitue en elle-même un élément qui devait être traité selon son mérite »
Le même conseil arbitral s'est réuni de nouveau le 18 janvier 1995 et a procédé à l'étude d'une nouvelle preuve et de tous les documents qui ont pu être obtenus par la Commission. Encore là, il est important d'avoir en vue la décision rendue le 18 janvier 1995:
«NATURE DES LITIGES
1. Décision du 25-08-94 (pièce 6)
Le prestataire a-t-il prouvé avoir été véritablement en chômage depuis le 07-03-93 et, de ce fait, le droit au bénéfice des prestations peut-il lui être reconnu ?
2. Décision du 25-08-94 (pièce 7)
Le prestataire a-t-il fait sciemment 26 déclarations fausses ou trompeuses en n'ayant pas déclaré avoir travaillé à son propre compte depuis le 07-03-93 et, de ce fait, une pénalité doit-elle lui être imposée ?
ENQUÊTE:
Une première audition a eu lieu dans ce dossier le 24 novembre 1994. L'absence des pièces au dossier, lors de cette audition, n'a pas permis, majoritairement, de prendre une décision. Le dossier a été retourné à la Commission afin qu'elle fournisse les documents que nous retrouvons aujourd'hui aux pièces 13.1 à 13.37 incluses.
La dissidence de la représentante des employés à l'audition du 24 novembre 1994 résume bien le contenu de la preuve qui a été faite à ce moment.
La période de prestations du prestataire se situe entre le 07 mars 1993 et le 07 mars 1994. Dans la demande de prestations du prestataire en date du 24 février 1993, il est précisé, questions 21 et 25, qu'il a perdu son emploi pour manque de travail le 17 juillet 1992 et qu'il a reçu une allocation de départ devant couvrir sept (7) mois de salaires avant d'avoir droit aux prestations. Aux questions 51 et 52: (51) Travaillez-vous à votre propre compte il a répondu «non». (52) Travaillez-vous actuellement pour un employeur, il a répondu également «non.
Lors de l'enquête effectuée par la Commission le 08 août 1994 il a fait les déclarations suivantes:
1. Pièce 3.1
Je possède une entreprise (cie) «Technologies Directes P.G. Inc» depuis avril 1992 (pièce 3.1).
Pendant ma période de prestations, de février 1993 à février 1994, ma compagnie était en opération. Je suis le seul actionnaire de cette entreprise; je possède 100% des parts.
2. Pièce 3.2
Je n'ai jamais déclaré au chômage que j'ai fait des démarches et investi du temps pour lancer «Technologies directes P. G. Inc.» car je ne me suis jamais versé de salaires pour cela et qu'il n'y avait aucun revenu pour le faire. Mais j'ai investi de l'argent dans le but de lancer l'entreprise.
3. Pièce 3.4
Il n'a jamais reçu de salaire de sa propre compagnie même si sa compagne a été en opération depuis sa fondation au début de 1992. Il n'y a jamais eu d'autres employés que lui dans cette compagnie. Il n'a jamais cru pouvoir se verser de salaires. Si la compagnie avait fait des dividendes, il se serait versé des dividendes.
Résumé des pièces 13.1 à 13.17 incl
Les pièces 13.21 à 13.37 incl. se situant dans la période de prestations révèlent que le prestataire a réalisé un chiffre d'affaires de 62 050$ en honoraires professionnelles et que le temps consacré à la réalisation de ses contrats se situe à 31 semaines et 3 jours.
Le prestataire a insisté pour dire que les montants qu'il a reçus constituaient pour lui des «royautés» découlant des brevets d'invention qu'il a obtenus et qui sont toujours sa propriété.
Les membres du Conseil arbitral doivent cependant s'en tenir à ses réclamations faites à ses clients lesquelles sont de deux types: honoraires professionnelles pour des études de prototypes de machinerie et de conception de prototypes de machinerie (pièces 13.21, 22, 23, 24, 25 , 26, 27, 28, 29, 31, 32, 33 et 36)
Analyse de la preuve
Il n'y a aucun doute dans l'esprit majoritaire des membres du Conseil arbitral que le prestataire a travaillé régulièrement au développement de son entreprise contrairement à ses déclarations faites à l'enquêteur aux pièces 3.3 et 3.4.
DÉCISIONS:
Décision du 25 août 1994 (pièce 6)
Les membres du Conseil arbitral, majoritairement, considèrent que la décision de rendre le prestataire inéligible aux prestations en vertu de l'article 8 et des paragraphes 10(1) et 40(1) de la loi ainsi que sur l'alinéa 43(1) des Règlements était pleinement justifiée, maintiennent la décision de la Commission et rejettent l'appel.
Décision du 25 août 1994 (pièce 7
Les membres du Conseil arbitral, majoritairement, considèrent que les réponses fournies par le prestataire sur chacune de ses déclarations
1. Avez-vous travaillé pendant la période visée par cette déclaration ? (réponse: non)
2. Avez-vous commencé à travailler à temps plein pendant la période visée par cette déclaration ?
(réponse: non)
3. Avez-vous reçu ou recevrez vous des sommes autres que celles indiquées dans les parties C, D et E au côté 2 ? (réponse: non)
son incompatibles avec les activités que sa compagnie a connues en 1993 et dont il était le seul actionnaire. Technologies Directes P.G. Inc. Ne pouvait effectuer les travaux mentionnés aux différentes pièces ajoutées au dossier mais Pierre Gaudreault président et seul actionnaire de la compagnie l'a fait, ce qui en faisait un travailleur autonome. Il aurait dû en informer la Commission sur ses déclarations ou encore en venant au bureau exposer sa situation. Il a déclaré lors de l'audition, s'être souvent interrogé au sujet de sa situation.
Les membres du Conseil arbitral, majoritairement, maintiennent la décision de la commission en ce qui concerne la pénalité imposée et rejettent l'appel.
N.B.: Pièces déposées à l'audition. Quatre lettres de clients de Technologies Directes P.G. Inc. (pièce 14 en liasse)»
Pour sa part, le membre dissident s'exprime comme suit:
DISSIDENCE
1. «Décision du 25-08-94 (pièce 6)
Le prestataire a-t-il prouvé avoir été véritablement en chômage depuis le 07-03-93 et, de ce fait, le droit au bénéfice des prestations peut-il lui être reconnu ?
2. Décision du 25-08-94 (pièce 7)
Le prestataire a-t-il fait sciemment 20 déclarations fausses ou trompeuses en n'ayant pas déclaré avoir travail/é à son propre compte depuis le 07-03-93 et, de ce fait, une pénalité de 11076.00$ doit-elle lui être imposée ?
Je suis dissidente dans la présente cause pour les raisons suivantes:
- D'une part, il m'apparaît pour le moins inusité qu'une majorité de membres de Conseil arbitral s'arrogent ««unilatéralement», c'est-à-dire sans accord ni avertissement aux parties, un ajournement pour un «complément de preuves» APRÈS L'AUDITION, et ce, après le départ du prestataire et son représentant.
Cette façon de procéder m'apparaît contraire aux règles de preuve établies par la pratique et par la jurisprudence voulant que le fardeau de preuve en cas de pénalité pour fausses déclarations revient à celui qui l'allègue. Aucune preuve n'apparaissant au dossier lors de l'audition du 24 novembre 1994, il me semble que le bénéfice du doute aurait dû servir le prestataire. Il en est de même pour l'état de chômage qui n'était nullement contredit par le dossier tel que constitué au moment de cette audition.
- D'autre part, lors de ce qu'on peut appeler la «deuxième audition» réclamée par la majorité des membres du Conseil arbitral et qui s'est tenue le 18 janvier 1995, il me semble que la décision majoritaire fut rendue sans tenir compte des éléments, preuves et explications fournies par le prestataire lors de cette deuxième audition.
En effet, la décision majoritaire ne fait nulle mention de l'explication fournie par le prestataire et d'une lettre de son ancien employeur déposée à cette audition à l'effet qu'il s'agissait pour lui d'un «hobby» qu'il exerçait avant d'être en chômage et qu'il continuera d'exercer maintenant qu'il s'est trouvé un autre emploi et c'est pourquoi, le prestataire n'a pas voulu tromper la Commission en ne déclarant pas «ce hobby». Ne pas tenir compte de cette explication plausible fournie par le prestataire, me semble aller à l'encontre des conclusions du jugement de la Cour d'appel Fédérale dans ces cas.
- Enfin, le jugement apparaissant dans le CUB 20148 fait état des questions que l'on doit se poser pour juger de l'état de chômage d'un prestataire. Le prestataire, non-contredit, allègue n'avoir consacré qu'un total de trente (30) à quarante (40) heures échelonnées sur six (6) mois pour ses activités. Il me semble que cette déclaration non-contredite rencontre le «test» de «si peu de temps».
Le prestataire soutient qu'il s'agissait pour lui d'un «hobby». Conclure qu'un loisir constitue un travail à plein temps alors que ce loisir s'exerçait avant et continuera de s'exercer après une période de prestations, m'apparaît arbitraire et injuste.
Finalement, bien que les «fruits» de ce «hobby» soient considérables, dès lors qu'ils ont pour source les brevets et royautés obtenus AVANT une demande de prestations, je ne crois pas qu'ils puissent déterminer l'état de non-chômage du prestataire. Ce dernier a clairement démontré que tout au cours de sa période de prestations il se cherchait du travail: ce qu'il a d'ailleurs obtenu en mars 1994. Bref, le prestataire a agi tout au long de sa période de prestations comme tout prestataire ordinaire l'aurait fait et les gains obtenus de ses inventions antérieures ne peuvent, selon moi, à elles seules, nous permettre de conclure qu'il n'était pas en chômage.
Pour toutes ces raisons, je rescindrais les deux (2) décisions de la Commission et j'accueillerais l'appel du prestataire.»
La décision de ce conseil arbitral a été l'objet d'un appel devant un juge-arbitre. Il y a lieu de rapporter ci-après certaines parties de cette décision de l'honorable juge Dubé sur cet appel, ou cette demande de révision. À la page 2, on peut lire:
«La décision majoritaire du conseil arbitral souligne que «le prestataire a réalisé un chiffre d'affaires de 62 050, 00$ en honoraires professionnelles et que le temps consacré à la réalisation de ses contrats se situe à 31 semaines et 3 jours». Par ailleurs, la décision majoritaire retient également que «le prestataire a insisté pour dire que les montants qu'il a reçus constituaient pour lui des «royautés» découlant des brevets d'invention qu'il a obtenus et qui sont toujours sa propriété».
Par contre, le membre dissident trouve qu'il s'agissait pour le prestataire d'un «hobby» qu'il exerçait avant être en chômage et que les fruits de ce «hobby» sont considérables mais «qu'ils ont pour source les brevets et royautés obtenus AVANT une demande de prestations»
Selon la Commission, les faits au dossier démontrent clairement que le prestataire exploite une entreprise depuis le 22 avril 1992 puisqu'il y consacrait tout son temps et était maître de déterminer ses heures de travail. De plus, l'ensemble des pièces déposées au dossier (les facturations, contrats, comptes de dépenses et déplacements) démontrent le cheminement de l'entreprise depuis le début de la demande de prestations du prestataire. L'objectif premier du prestataire était donc la rentabilité de son entreprise, toujours selon la Commission.
À l'audition de cet appel devant le juge-arbitre, le procureur du prestataire a argumenté que le conseil aurait dû se poser la question, en vertu du paragraphe 43(2) du Règlement sur l'assurance-chômage à savoir si le prestataire consacrait si peu de temps à son entreprise qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance. Il souligne également le fait que le prestataire exploitait déjà son «hobby» avant de toucher les prestations. Quant aux pénalités, le conseil aurait dû se poser la question à savoir si le prestataire a sciemment fait les 26 déclarations fausses ou trompeuses en question. Selon le procureur, le prestataire était dans l'ingénierie et se faisait «patenteux» de la foresterie dans ses temps libres, au sens qu'il créait des nouveaux concepts hors de ses heures de travail alors qu'il était salarié dans l'ingénierie.
Dans les circonstances particulières de ce cas, je crois qu'il est juste et équitable de retourner cette affaire à un conseil composé de nouveaux membres pour qu'il applique avec précision les six critères bien connus de l'affaire Schwenk CUB 5454, en vue de déterminer si oui ou non le prestataire tombe sous l'exception prévue au paragraphe 43(2) du Règlement.
Dans l'affaire Canada (P.G.) c. Jouan, A-366-94, en date du 23 janvier 1995, la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge Marceau, a estimé que le facteur le plus important relativement au paragraphe 43(2) du Règlement est «le temps qui est consacré à l'entreprise».
Le nouveau conseil doit déterminer également si les montants importants mentionnés plus haut proviennent de royautés reliées à une invention antérieure ou s'ils sont reliées à l'entreprise Technologies Directes P.G. Inc. Finalement, le nouveau conseil doit se poser la question à savoir si le prestataire a sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses et y répondre clairement et distinctement.
L'affaire est retournée à un conseil composé de nouveaux membres.»
Le conseil arbitral s'est réuni le 4 mars 1997, formé de nouvelles personnes. Il me semble important de citer au long cette décision, avec la dissidence.
«1) Le prestataire a-t-il prouvé avoir été véritablement en chômage depuis le 7 mars 1993 et, de ce fait, le droit au bénéfice des prestations peut-il être reconnu ?
2) Le prestataire a-t-il fait sciemment 26 déclarations fausses ou trompeuses en n'ayant pas déclaré avoir travaillé à son propre compte depuis le 7 mars 1993 et de ce fait, une pénalité de 11, 076.00$ doit-elle lui être imposée ?
Lors de l'audition, le prestataire déclare qu'il est ingénieur mécanique de formation depuis 1977. Depuis toujours, il a été un bricoleur et «patenteux», ce qui était son «hobby», et même lorsqu'il était étudiant il a toujours consacré en moyenne une quinzaine d'heures/semaine minimum à son hobby
En mars 1992, il créa sa propre compagnie «Technologies Directes P.G. Inc.» dont les principaux objectifs étaient d'obtenir de l'information (catalogues) de différentes sources ainsi qu'un accès plus facile à la maison des brevets.
En juillet 1992, il perdit son emploi, ce qui n'était pas prévisible de sa part. Bien qu'il avait un contrat signé de cinq ans avec son employeur, il accepta une indemnité de départ de 7 mois afin d'éviter de s'expatrier au Wisconsin suite à l'exigence de l'employeur.
Suite à la perte de son emploi, le prestataire a effectué des recherches d'emploi en offrant en premier lieu ses services professionnels. Le prestataire a reçu des offres d'emploi de différentes compagnies, mais toujours à l'extérieur de Québec, ce qu'il refusait compte tenu de sa situation familiale, mais offrait à ces employeurs éventuels la possibilité de travailler à partir de Québec. Le prestataire voulait maintenir un lien employé/employeur dans ses offres de services.
À la pièce 3.3, l'agent de la Commission note un argument du prestataire à l'effet que: «vers décembre 1992, il a décidé de ne pas investir ni temps ni argent dans son entreprise car l'investissement en capital aurait été trop énorme et qu'il n'en avait pas la capacité financière.
Le représentant du prestataire dépose la pièce 22 démontrant l'entente entre M. Pierre Gaudreault, le prestataire, et la compagnie Denharco Inc sur le versement d'une somme de 32, 300.00$ pour un concept déjà élaboré par le prestataire vers 1986.
En réponse, à la demande du Juge Arbitre J.E. Dubé, le conseil arbitral, à la majorité, applique ci-après les 6 critères pour l'application de l'article 43(2) du Règlement.
Sur l'application des critères:
1) Le temps consacré par le prestataire à son entreprise.
Il a été mis en preuve, que le prestataire, en 1993, n'a pas augmenté de façon substentielle le temps consacré à son «HOBBY». Le fait de consacrer 15 à 20 heures/semaine, ce que le prestataire fait depuis plus de 20 ans permet au conseil arbitral de conclure qu'il y consacre si peu de temps que ce n'est pas une semaine entière de travail au sens de 43.2 du Règlement.
2) Le capital et les ressources investies:
Comme l'agent de la Commission le résumait à la pièce 3.3 et comme le prestataire le confirme par son témoignage, il a décidé en 1992 de ne pas investir temps et argent dans son entreprise, parce que le capital nécessaire à ce type d'entreprise pour espérer gagner sa vie est très élevée de l'ordre de plusieurs centaines de milliers de dollars. Ce qui était impossible.
3) Le succès financier:
De la preuve documentaire au dossier et du témoignage du prestataire, il apparaît clairement au conseil arbitral que les revenus touchés en 1993-1994 sur un projet conçu en 1986 ne peuvent être considérés comme un succès financier d'entreprise.
4) L'exploitation continue du commerce:
Dans le cas sous étude, nous ne sommes pas devant une entreprise commerciale mais vraiment devant un prestataire qui a un «hobby». Donc, la continuité d'intérêt pour son hobby ne peut être assimilable à une continuité pour un commerce.
5) La nature de l'emploi:
Dans ce cas, comme au point 4, le conseil arbitral a bien apprécié la nature spéciale de l'emploi d'inventeur. Mais comme ceci est un hobby nous ne pouvons conclure que les activités du prestataire s'identifient à un emploi conventionnel comme ingénieur.
6) Les efforts déployés par le prestataire pour se trouver un emploi:
Tel que présenté par le prestataire lors de son témoignage, il a fait plusieurs recherches d'emploi qui aurait pu se concrétiser mais pour des raisons particulières il a été dans l'obligation de refuser ces offres. De façon continue, il a toujours été en recherche active d'emploi,
Par conséquent le conseil arbitral, à la majorité, conclut que le prestataire consacrait si peu de temps qu'il ne peut être considéré comme faisant une semaine entière de travail
Le conseil arbitral s'est penché également sur la question de savoir si les sommes appréciables reçues durant sa période de prestation ont valeur de rémunération ou doivent être considéré comme étant des royautés.
Suite à l'analyse de l'ensemble de la preuve et du dépôt de la pièce 22 le conseil arbitral conclue que le montant de 32, 300.$ versé par la compagnie Denharco Inc est une somme forfaitaire pour l'ensemble du concept lequel a été conçu par M. Pierre Gaudreault aux environs de 1986 et par conséquent constitue des royautés. De plus, à la même pièce il est mentionné que les modalités de paiement, à la demande de la compagnie Denharco Inc s'est faite sur plusieurs semaines sous formes d'honoraires professionnels. Dans ces faits, et suivants les explications du prestataire, c'était un montant forfaitaire qui était perçu et représentait l'ensemble de son concept. La formulation exigée au point 4 de la pièce 22 était une modalité demandée par la compagnie Denharco Inc. Il en est de même concernant l'ensemble de la facturation.
À la question concernant les déclarations fausses ou trompeuses, l'ensemble des réponses obtenues de la part du prestataire suite aux questions qui lui étaient posées par son procureur, ont démontrées que le prestataire n'était pas familier avec les rouages de l'assurance-chômage, que c'était la première fois qu'il demandait des prestations et qu'en aucun temps il n'a voulu tricher sciemment la Commission.
Selon les aveux même du prestataire le contexte dans lequel il a évolué ne lui a jamais permis de vouloir fausser les choses en vue d'en retirer des avantages et ce contexte a été bien compris par les membres du conseil arbitral.
En conséquence, à l'unanimité, le conseil arbitral rejette la décision de la Commission et fait droit à l'appel sur cette question de pénalité.
Les membres du conseil ont convenu que les décisions dans le présent dossier seront au nombre de 3.
1) Décision en regard du temps consacré à son entreprise.
2) Les royautés ont-elles valeur de rémunération ?
3) A-t-il fait des Déclarations fausses ou trompeuses ?
Je suis d'accord avec mes collègues du conseil sur les décisions 2 et 3 mais je suis dissident sur la première. DISSIDENCE
Les pièces au dossier et les preuves fournies lors de l'audition ont pour effet selon ma compréhension que le prestataire a consacré plus de temps à son entreprise et, de ce fait contrevient à l'article 43.3.
L'ensemble des travaux et des déplacements réalisés pendant la période où il retirait des prestations doivent être évalués et cette évaluation aura valeur de rémunération .
Il appartient à la Commission d'établir le temps consacré en tenant compte que dans le passé le prestataire a concilié son «hobby» et sa profession.»
Il faut remarquer que la première partie de la décision, soit celle portant sur l'état de chômage, est l'œuvre de deux membres du conseil arbitral, dont le président. Comme on vient de le voir à la lecture de la décision, la majorité a conclu que le prestataire ne pouvait être considéré comme faisant une semaine entière de travail. La deuxième partie de la décision porte sur la question de savoir si les sommes reçues par le prestataire ont valeur de rémunération ou si elles doivent être considérées comme étant des royautés, et aussi sur la question de savoir si les déclarations fausses ou trompeuses ont été faites sciemment. Comme on le voit, à cette partie de la décision signée par les trois membres, le conseil arbitral a fait droit à l'appel sur la question de la pénalité.
Or le membre dissident, Guy Racine, a écrit qu'il était dissident sur la première partie, mais en accord avec ses collègues pour les deux autres. En conséquence, il est d'accord pour dire que les sommes reçues étaient des royautés et n'avaient pas valeur de rémunération, et qu'il n'y avait pas eu de déclarations fausses ou trompeuses faites sciemment.
Des observations ou de l'argumentation de la Commission sur l'appel au juge-arbitre il faut retenir en premier lieu que la Commission est d'accord avec la décision du conseil arbitral en ce qui a trait à l'état de chômage. Par contre, la Commission n'est pas d'accord sur la question de la rémunération et sur la pénalité.
À la fin de son argumentation, la Commission déclare qu'elle entend concéder une partie de la pénalité et qu'en conséquence elle estime que le prestataire aurait fait 19 déclarations fausses ou trompeuses et non pas 26.
En résumé, il en résulte que je suis saisi seulement de deux questions. La première est celle de savoir si les argents touchés par le prestataire au cours de sa période de chômage portent valeur de rémunération ou s'il s'agit de royautés. La deuxième concerne les déclarations fausses ou trompeuses faites sciemment et la pénalité s'y rattachant.
On peut voir à l'examen du dossier et des diverses décisions qui ont été rendues, que l'expression «hobby» (en français «passe-temps favori») n'est pas survenue lors de la décision du conseil arbitral qui est en appel devant moi aujourd'hui. C'est depuis le mois de novembre 1994 qu'il est question de cela et cela résulte du témoignage que le prestataire a donné devant le premier conseil arbitral, celui qui a retourné le dossier à la Commission pour complément de preuve.
Il a encore été question de passe-temps favori dans la décision du conseil arbitral du 18 janvier 1995. Encore là, c'est le membre dissident qui soulève cette question de passe-temps favori. La majorité avait parlé de royautés découlant des brevets d'inventions qui étaient restés la propriété du prestataire.
Pour sa part, l'honorable juge Dubé dans sa décision, réfère à cette question de royautés comme il réfère à celle de «hobby». En conclusion, l'honorable juge Dubé retourne le dossier au conseil arbitral pour examiner la question de savoir si les montants reçus par le prestataire proviennent de royautés ou non, et aussi il doit déterminer la question de savoir s'il y a eu déclarations fausses ou trompeuses faites sciemment.
Il n'est pas surprenant que le conseil arbitral réuni au mois de mars 1997 se soit penché sur cette question. C'est justement ce qu'il avait à faire.
On sait, en général, que le conseil arbitral est maître des faits et c'est lui qui doit déterminer quels sont les faits qu'il retient pour asseoir sa décision. Je ne vois pas en quoi le conseil arbitral aurait excédé sa compétence en se penchant sur cette question et en la décidant. C'était sa raison être.
La preuve que le conseil arbitral a eue devant lui, tant par le dossier lui même que par les témoignages qui se sont donnés devant lui, est amplement suffisante pour justifier la décision qui a été prise. Les montants reçus n'ont pas valeur de rémunération, mais sont des gratuités résultant de royautés que le prestataire a pu toucher grâce à son expertise et à ses inventions antérieures aux faits mentionnés dans la preuve.
Le prestataire était donc justifié de dire qu'il n'avait pas travaillé et n'avait pas reçu de revenus. En conséquence, il ne devrait pas être pénalisé conformément aux dispositions du paragraphe 33.1 de la loi, parce qu'il n'a pas fait de déclarations fausses ou trompeuses.
Bref, j'en viens à la conclusion que le conseil arbitral a eu raison de décider comme il l'a fait et de considérer les montants reçus par le prestataire comme étant des royautés et il a eu raison également en refusant d'accorder la pénalité.
Sur le tout, l'appel de la Commission est donc rejeté et celle-ci devra revoir le dossier pour donner effet à la décision du conseil arbitral du 4 mars 1997 et à la présente décision.
"GABRIEL ROBERGE"
JUGE-ARBITRE
Québec, Qc
Le 2 octobre 1997 Décisions consultées:
Affaire Robert Tremblay et Robert Larouche, Cour d'appel fédérale, A-674-85;
Décision Kenneth Walford, Cour d'appel fédérale, A-263-78;
Affaire Christian Masson, CUB 28198;
Affaire Alain Déziel, CUB 21172-A, 6 juin 1994;
Affaire Daniel Laforest, A-296-86;
Affaire Robert M. Purcell, de la Cour d'appel fédérale, A-694-94;
Affaire Dennis McDonald, Cour d'appel fédérale, A-897-90;
Affaire Catherine Gates, Cour d'appel fédérale, A-600-94;
Affaire David Martin, Cour d'appel fédérale, A-1001-92;
Affaire Line Morin, Cour d'appel fédérale, A-453-95;
Affaire Christine Dunham, Cour d'appel fédérale, A-708-95;
Affaire Lucien Rancourt, Cour d'appel fédérale, A-355-96
Affaire Réjean Ménard, Cour d'appel fédérale, A-904-96
Affaire Michael Hamilton, Cour d'appel fédérale, A-175-87;
Affaire Ginette Léonard, Cour d'appel fédérale, A-443-95;
Affaire Nellie Roberts, Cour d'appel fédérale, A-595-84;
Affaire Maryse Baillargeon, Cour d'appel fédérale, A-219-93.
Affaire Alfred J. Jouan, Cour d'appel fédérale, A-366-94
Affaire Allan Taschuk, Cour d'appel fédérale, A-616-95
Affaire Luc Ratté, Cour d'appel fédérale, A-255-95
2011-01-16