TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
YUKIKO NAKATANI
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire
à l'encontre de la décision du conseil arbitral LM 908 rendue à
New Westminster (Colombie-Britannique) le 6 novembre 1997.
DÉCISION
LE JUGE CAMPBELL
La prestataire, Mlle Yukiko Nakatani, présente une demande d'annulation de la décision rendue par le conseil arbitral le 6 novembre 1997. La majorité du conseil arbitral a confirmé la décision où il a été conclu que la prestataire n'avait pas établi de demande de prestations en raison du fait qu'elle avait volontairement quitté son emploi sans motif valable au sens de l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi, S.C. 1996, chap. 23.
La prestataire a été à l'emploi de Wonderland Tours Inc. du 7 septembre 1995 au 20 août 1997, date à laquelle elle a quitté son emploi. Elle affirme qu'elle a démissionné parce qu'elle allègue que son employeur a refusé de la payer pour des heures supplémentaires qu'elle a travaillées. Elle déclare qu'elle a discuté de la situation avec son employeur, mais que celui-ci lui a dit qu'il ne la payerait pas pour ces heures supplémentaires parce qu'elle en avait trop accumulées, et que ceci était dû au fait qu'elle était « lente » et incapable de terminer son travail en une journée normale de travail de huit heures. L'employeur a également avisé la prestataire qu'il se verrait dans l'obligation de réduire son salaire si elle ne pouvait compléter son travail à l'intérieur d'une période de huit heures. La prestataire a jugé que la situation relative à son travail était intolérable, et elle a donc quitté son emploi.
La prestataire a présenté des relevés de temps devant le conseil arbitral et moi-même comme preuve des heures supplémentaires qu'elle a fournies au cours de ses deux années de service à Wonderland Tours.
Dans sa décision, la majorité du conseil arbitral a conclu ce qui suit :
Lors de l'audience, la prestataire a attesté qu'elle avait travaillé de nombreuses heures supplémentaires sans rémunération, et qu'elle avait été très tendue en raison d'un important volume de travail. L'an dernier, elle s'est plainte à son employeur, qui s'est montré compatissant. Toutefois, le volume de travail a encore augmenté. Pourtant, avant qu'il n'augmente, elle avait été très stressée pendant un mois en raison de la grande quantité de travail à exécuter. Elle n'a pas eu suffisamment de temps pour se trouver un autre emploi, et, le 19 août, elle a tenté de parler à son patron, mais celui-ci l'a réprimandée. Elle a songé à porter plainte auprès des normes d'emploi, mais elle a craint de perdre son emploi.
La majorité du conseil arbitral, après avoir examiné minutieusement la preuve et les allégations, conclut que la prestataire a volontairement quitté son emploi sans motif valable. La majorité du conseil arbitral est d'accord avec le principe que la prestataire était mécontente de ses conditions de travail et, en particulier, des heures supplémentaires excessives sans rémunération. Cependant, la majorité du conseil arbitral conclut que la prestataire n'a pas examiné les solutions raisonnables qui s'offraient à elle, à savoir la recherche d'un autre emploi avant sa démission. Quand on lui a demandé pourquoi elle ne l'avait pas fait, la prestataire a d'abord soutenu qu'elle n'avait pas eu suffisamment de temps pour se chercher du travail, et elle a affirmé plus tard qu'elle voulait « tenir le coup » jusqu'à l'année suivante. La majorité du conseil arbitral accepte le fait qu'elle pouvait avoir de bonnes raisons pour quitter son emploi, mais certainement pas de « motifs valables » en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et de la jurisprudence (CUB 18995). Les conditions de travail n'étaient pas intolérables au point de l'empêcher de trouver des solutions raisonnables avant sa démission. La prestataire a prétendu que la discussion qu'elle a eue avec son employeur le 19 août l'a placée dans une situation impossible. La situation n'était toutefois pas intolérable au point de l'empêcher de rechercher des solutions raisonnables avant sa démission. Elle a soutenu que la discussion qu'elle a eue avec son employeur le 19 août l'a placée dans une situation impossible. La situation n'était toutefois pas intolérable au point où elle n'avait d'autre choix que de quitter son emploi, car, le lendemain, elle s'est rendue au travail pour effectuer une journée complète de travail.
En général, en vertu de l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi, s'il est démontré qu'un prestataire a volontairement quitté son emploi sans motif valable, il n'a pas droit à des prestations. Pour ce qui est des « motifs valables », le paragraphe 29(c) énumère les circonstances susceptibles de constituer un motif valable. Les parties applicables de l'article déclarent ce qui suit :
c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
- harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
- nécessité d'accompagner son conjoint ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
- discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
- conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
- nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent,
- assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat,
- modification importante de ses conditions de rémunération,
- excès d'heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
- modification importante des fonctions,
- relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur;
- pratiques de l'employeur contraires au droit,
- discrimination relative à l'emploi en raison de l'appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
- incitation indue par l'employeur à l'égard du prestataire à quitter son emploi,
- toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
[Mise en relief ajoutée]
Dans sa décision, la majorité du conseil arbitral n'a pas abordé la question quant à savoir s'il y a eu réellement une modification importante des modalités relativement aux payes ou au salaire, ou si l'employeur a exigé de la prestataire qu'elle fournisse des heures supplémentaires excessives ou s'il a refusé de la payer pour ces heures de travail; la prestataire a allégué que ces deux circonstances se sont produites. Le conseil arbitral n'a plutôt fait qu'insister sur la question quant à savoir si la prestataire n'avait vraiment aucune solution raisonnable, et il n'en est venu à aucune conclusion ayant rapport à la possibilité que l'employeur ait exigé de la prestataire qu'elle fournisse des heures supplémentaires excessives, ou à celle où il a refusé de la payer pour le travail qu'elle a effectué pendant ces heures supplémentaires. Je conclus que l'approche adoptée par le conseil arbitral est incorrecte, conformément à ce que dit le juge Pratte dans Canada (Procureur général) c. Landry (1993), 2 C.C.E.L. (2e) 92, où il déclare :
Depuis l'adoption du nouvel article 28 de la Loi sur l'assurance-emploi, le conseil arbitral, dans un cas comme celui-ci, n'a pas à établir si la conduite du prestataire a été raisonnable ou non pour en arriver à une conclusion. Il doit plutôt tenir compte de la question quant à savoir si le prestataire a quitté son emploi conformément à n'importe quelle des circonstances qui figurent dans les alinéas 28(4)a) à 28(4)e) de la Loi ou non, et, si tel n'est pas le cas, si le prestataire n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi.
[Mise en relief ajoutée]
Dans Bell c. Canada (Procureur général), (1996), 195 N.R. 392 (C.A.F.), la prestataire a interjeté appel de la décision du conseil arbitral en se fondant sur le fait que celui-ci, en rendant sa décision, n'a pas tenu compte de la possibilité qu'il y ait eu de motifs valables à la lumière de l'allégation de la prestataire selon laquelle elle a été victime de harcèlement sexuel au travail. À la page 393, le juge Pratte fait la déclaration suivante :
Malheureusement, le conseil arbitral ne s'en est pas tenu au test élaboré dans la Loi, mais il a plutôt conclu qu'il n'y avait pas de « motifs valables » en raison du fait qu'il n'y avait pas « d'urgence ou de nécessité » et du fait que la situation de la prestataire au travail n'était pas « critique au point où elle n'aurait eu d'autre choix véritable que de quitter son emploi ». Nous croyons que ces tests s'avèrent plus exigeants que le langage de la Loi, qui ne requiert que « dans toutes les circonstances, [...] la prestataire n'avait d'autre solution raisonnable [...]. »
Nous notons également que le conseil arbitral n'a jamais fait de conclusion de fait relativement à la possibilité que la prestataire ait été harcelée sexuellement. [...] En réalité, le fait qu'elle ait été ou non harcelée s'applique à une décision quant à savoir si, dans les circonstances, elle n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi [...].
À mon avis, dans le cas présent, le conseil arbitral a commis une erreur semblable. Il devait d'abord établir si la situation de la prestataire correspondait au paragraphe 29(c) et, si tel n'était pas le cas, si, dans les circonstances, elle n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi, ce qui n'a pas été fait.
Selon la preuve, je conclus que la prestataire n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi en raison du fait qu'on exigeait d'elle qu'elle fournisse des heures supplémentaires excessives sans rémunération.
Par conséquent, je conclus que la prestataire a droit aux prestations d'assurance-emploi.
Douglas R. Campbell
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 28 octobre 1998