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  • CUB 42827

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    ERIC McGAW

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire
    à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
    Toronto (Ontario) le 26 novembre 1997.

    DÉCISION

    LE JUGE E.J. HOUSTON, C.R.

    J'ai entendu cet appel dans la ville de Toronto le 7 octobre 1998.

    L'appelant demande de faire annuler la décision du conseil arbitral à l'effet qu'il avait présenté sa demande de prestations en retard et n'avait pas démontré un motif valable pour son retard. Il a renouvelé sa demande de prestations le 7 octobre 1997.

    La demande d'antidatation de la première partie de la demande n'est pas bien fondée même si le prestataire était bien motivé. Croyant qu'il avait décroché un bon emploi, il n'a pas présenté sa demande, bien qu'il ait dit qu'il pensait avoir envoyé ses cartes.

    Dans la pièce 3-1, le prestataire a montré ses antécédents professionnels auprès du conseil scolaire d'Etobicoke, du 6 janvier au 26 juin 1997. Dans la pièce 6, remontant au 29 octobre 1997, le prestataire a écrit ce qui suit à la Commission :

    « Je souhaite interjeter appel à l'encontre de la décision de faire débuter ma demande d'assurance-emploi le 28 septembre 1997. Je pense que ma demande devrait commencer lorsque je me suis retrouvé sans emploi, soit le 29 juin 1997. Je ne réalisais pas qu'il me fallait présenter une demande immédiatement après avoir commencé à travailler, étant donné que je n'ai pas reçu mon relevé d'emploi qui indiquait qu'il me fallait absolument présenter une demande d'ici le 26 septembre 1997.
    Je voudrais de plus réactiver et examiner une demande précédente qui aurait dû se terminer le 6 janvier 1997, car on a arrêté bien avant cette date de m'envoyer des cartes concernant cette demande et je n'ai reçu aucune prestation pour la période de chômage.
    Je comprends aujourd'hui que mon attitude générale envers l'assurance-emploi a été mal orientée. Lorsque j'étais sans emploi, je me sentais coupable de ne pas travailler; j'ai donc effectivement évité de recueillir des prestations. Mon attitude à l'égard de l'assurance-emploi est qu'elle ne devrait servir qu'en dernier recours; c'est pour cette raison que je n'ai pas déclaré ma mise à pied sur-le-champ. À ce moment, j'ai préféré tenter de décrocher un emploi sans demander de prestations d'assurance-emploi. Je pensais que si je me trouvais en difficulté financière, il serait acceptable de demander rétroactivement des prestations pour ma période sans emploi. Je réalise que cette notion est erronée et est l'exception plutôt que la règle, mais j'ignorais ce détail, sinon je me serais présenté à un de vos bureaux immédiatement après avoir perdu mon emploi.
    J'ai toujours activement recherché du travail pendant les périodes en question et je souhaite recevoir des prestations d'assurance-emploi rétroactives pour ces périodes. » [TRADUCTION]
    (J'ai souligné)

    Le paragraphe 10(5) de la Loi sur l'assurance-emploi précise :

    « (5) Lorsque le prestataire présente une demande de prestations, autre qu'une demande initiale, après le délai prévu par règlement pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si celui-ci démontre qu'il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard. »

    Le juge Décary dans Diane Larouche (A-644-93) a mentionné que le test est de déterminer la manière dont une personne raisonnable aurait réagi dans les mêmes circonstances.

    Le juge Marceau dans Canada c. Albrecht (A-172-85), a livré un jugement de la Cour d'appel. Dans une savante discussion de la Loi applicable, il a mentionné, au paragraphe 6 de la page 216 :

    « Le paragraphe 1 de l'article 20 établit que c'est la date du dépôt de la demande initiale de prestations qui détermine la date à laquelle le droit aux prestations commence à courir. Le dépôt rapide des demandes est manifestement considéré par le Parlement comme une condition essentielle du bon fonctionnement du système mis sur pied par la Loi. Pour le comprendre, il suffit de penser au nombre d'enquêtes que la Commission est appelée à faire pour confirmer la validité d'une demande. Néanmoins, on ne peut que difficilement être insensible au fait qu'une application stricte du principe pourrait causer au prestataire des pertes pécuniaires qui ne pourraient pas toujours se justifier en invoquant une application plus facile de la Loi. Le paragraphe 20(4) vise évidemment à apporter une certaine souplesse dans l'application du principe. La Loi permet d'antidater la demande de prestations si le prestataire réussit à faire valoir un motif "justifiant son retard", une condition trouvant un écho à l'article 39 du Règlement, qui expose comme suit les "conditions prescrites" requises par la Loi :
    39. Une demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve
    (a) qu'à cette date antérieure, il remplissait les conditions requises à l'article 17 de la Loi pour recevoir des prestations; et
    (b) que, durant toute la période comprise entre cette date antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa demande, il avait un motif justifiant le retard de sa demande. »

    Suite à une discussion sur « l'ignorance de la loi » dans le paragraphe 13 de la page 217, le savant juge ajoute :

    « Dans ses motifs de jugement, le juge-arbitre nous rappelle à juste tire que le "motif valable de retard vise la manière d'agir du prestataire". Le prestataire est, en effet, soumis à une obligation impliquant un devoir de prudence et j'admets sans peine que pour garantir le dépôt rapide des demandes de prestations, ce que le législateur considère comme très important, il faut interpréter cette obligation et ce devoir comme étant très sévères et très stricts. Évidemment, je ne doute pas qu'il serait illusoire pour un prestataire d'invoquer un "motif justifiant son retard" lorsque sa conduite ne peut être imputée qu'à son indifférence ou à son incurie. J'admets également sans peine qu'il ne suffit pas pour le prestataire d'invoquer simplement sa bonne foi et son ignorance totale de la loi. Mais le respect d'une obligation et du devoir de prudence qui l'accompagne n'exige pas des actes qui vont au-delà des limites raisonnables. À mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un "motif valable" s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande. »

    Dans P.G. Canada c. Caron (1986) 69 N.R. 132 (C.A.F.), le savant juge mentionne, en page 134 :

    « Ce n'est qu'en démontrant qu'il a fait ce qu'une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances, soit de clarifier la situation concernant son emploi ou établir ses droits et obligations en vertu de la disposition de la Loi sur l'assurance-chômage de 1971, qu'un prestataire qui a omis de présenter sa demande au moment où il a cessé de travailler ou de recevoir toute rémunération, pourrait établir une excuse valable pour son retard et avoir sa demande considérée de façon rétroactive. » [TRADUCTION]

    Chaque affaire concernant les demandes d'antidatation doit être jugée selon ses propres faits. Comme le mentionne le juge Marceau dans le paragraphe 3 de la cause Albrecht, « une application stricte du principe pourrait imposer au prestataire des pertes pécuniaires qui ne seraient pas toujours justifiées pour le seul but de faciliter les tâches administratives. »

    On ne retrouve aucun méfait dans son appel (deuxième partie de la demande d'antidatation). L'appelant était en possession d'une demande parfaitement légitime. Le but de la Loi sur l'assurance-emploi est d'aider les prestataires qui ont des demandes légitimes et n'ont pas tenté, à l'aide d'un subterfuge, de circonvenir aux dispositions de la Loi.

    J'ai écrit à plusieurs reprises que les employeurs devraient aviser les employés admissibles aux prestations de présenter leurs demandes le plus tôt possible. L'employé (prestataire) dans cette affaire a présenté sa demande peu de temps après avoir reçu son relevé d'emploi, dans lequel il est mentionné de déposer immédiatement sa demande.

    Le dictionnaire de poche Oxford définit notamment le mot « reasonable », comme « sensible, moderate, not expecting too much. »

    Le jugement de Mme L'Heureux-Dubé, dans lequel elle invite à une généreuse interprétation de la Loi (consulter C.E.I.C. c. Gagnon [1988] 2 R.C.S. 29, page 37) s'applique ainsi que l'historique de la Loi sur l'assurance-chômage dans Hills c. Canada (P.G.) [1988] 1 R.C.S. 513. Mme Karen L. Rudner, dans sa Loi sur l'assurance-emploi annotée de 1997, traite, en page 2, du but et du fonctionnement de la Loi.

    Les tribunaux ont souvent amolli les structures des lois sur la prescription aux fins d'accueil de demandes légitimes.

    Le conseil a commis une erreur de droit dans sa décision. La demande du prestataire devrait être accueillie à partir du 26 juin 1997 ou aussitôt que possible après cette date.

    L'appel est accueilli en partie comme il est mentionné plus haut.

    E.J. Houston

    Juge-arbitre

    Ottawa (Ontario)
    Le 26 octobre 1998

    2011-01-16