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    CUB 43142

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    DENNIS CROWTHER

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à
    l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
    Edmonton (Alberta) le 12 février 1998.

    DÉCISION

    Entendu à Edmonton (Alberta) le 18 novembre 1998.

    LE JUGE W.J. HADDAD, C.R.

    Le prestataire a déposé cet appel à l'encontre du fait qu'il aurait, sans motif valable, quitté son emploi chez Melloy & Associates Ltd. le 10 mai 1997.

    La décision rendue par le conseil arbitral est inacceptable. Le conseil a tout simplement récité la preuve présentée par le prestataire et l'employeur. Il n'a pas étudié à fond la preuve, n'a pas fait de conclusion de fait et n'a pas fourni une définition de « motif valable ».

    Plutôt que de renvoyer de nouveau l'affaire au conseil, je prononcerai la décision que ce dernier aurait dû rendre.

    Le prestataire était à l'emploi de Melloy & Associates Ltd., affecté aux opérations d'entretien du site Syncrude Suncor. Il agissait comme délégué syndical de la section locale 146 du syndicat des chaudronniers.

    Le prestataire avance qu'il avait un motif principal et réel de quitter son emploi en plus d'un motif secondaire, qui a précipité son départ.

    Le motif principal concernait les problèmes rencontrés, en tant que représentant syndical, avec la direction de Suncor. Il affirme « qu'il essayait de défendre les droits des gars ». Il s'est plaint que Suncor refusait de nettoyer, en fin de semaine, les chambres dans lesquelles ils étaient logés, conformément à ses obligations à cet égard. Suncor a aussi refusé d'apporter de l'eau embouteillée. On ne pouvait se procurer d'eau qu'à l'aide d'un boyau d'arrosage situé à l'extérieur des salles de bain. Le prestataire maintenait que cette façon de fournir de l'eau était insalubre. Il ajoutait que les boissons fournies avec les repas préparés par Suncor pour les employés n'étaient pas convenables. Chaque homme ne recevait que 250 ml de lait et 250 ml de jus pour un quart de travail de dix heures. La demande présentée par le prestataire pour augmenter ces quantités a été rejetée. Il en a été de même pour les demandes de refroidisseurs d'eau et d'eau embouteillée présentées par le prestataire lors de réunions sur la sécurité. Le prestataire était aussi préoccupé du fait que tous les employés étaient exposés à des rayons X, ce qui constituait un risque d'accident.

    Chris Martin, contremaître de chantier sur le même projet et surveillant immédiat du prestataire, a corroboré les conditions que le prestataire a déplorées. Sa preuve écrite mentionne que le prestataire a entrepris de régler certaines infractions à la sécurité, la plus sérieuse étant l'exposition des travailleurs aux rayons X. La direction a toujours résisté aux approches du prestataire.

    Blair Senecal, un autre contremaître sur le même projet, a aussi corroboré, en partie, les dires du prestataire. Il a été interrogé, au nom de l'employeur, par un enquêteur de la Commission. Il a décrit le prestataire comme un provocateur et l'a critiqué pour ne pas suivre les bonnes procédures. Il a aussi admis que l'entreprise avait la responsabilité de faire les lits et de balayer les planchers pendant les fins de semaine et qu'elle n'assumait pas toujours cette responsabilité. Il a plutôt suggéré que les hommes puissent nettoyer et faire leur lit eux-mêmes.

    Quelque temps après la décision du conseil, le prestataire a rencontré Malcolm Campbell, contremaître général chez Melloy & Associates. Sa note de service « À qui de droit » a été placée dans un dossier. Le prestataire m'a informé qu'à sa connaissance il ne croyait pas que la preuve de M. Campbell était disponible lors de son audition devant le conseil arbitral. Cette preuve est importante et j'ai l'intention de la consulter. Par surcroît, le procureur de la Commission ne s'est pas trop opposé au dépôt de ce document. Sa preuve corrobore tous les aspects des difficultés rencontrées par le prestataire avec la direction.

    M. Campbell a agi avec le prestataire sur un plan professionnel et le prestataire était continuellement en contact avec lui concernant les préoccupations des hommes au sujet de leur sécurité et de leur bien-être. Plutôt que de tenter de paraphraser ses commentaires, j'en citerai un extrait :

    « Un délégué syndical a été faussement défini comme provocateur. Dennis Crowther, après plusieurs tentatives pour rectifier la situation, est devenu diplomatiquement frustré. Je peux comprendre sa frustration et je sympathise fortement avec lui. Il était difficile de composer avec le personnel de Suncor, et ce, à tous les niveaux. J'ai personnellement eu à discuter avec ces gens sur bon nombre de conflits m'apparaissant très faciles à régler mais que, pour une raison quelconque, Suncor rendait difficiles, p. ex., les rayons X, le nettoyage des chambres les fins de semaine, etc. J'ai travaillé autrefois chez Suncor et je sais que l'entreprise ne nettoie pas les chambres les fins de semaine. Mes hommes travaillent fort. Je les respecte pour le travail effectué dans de telles circonstances. Je ne peux moi-même concevoir, par respect pour les hommes, aucune raison de ne pas nettoyer les chambres en fin de semaine, sauf l'argent! Dennis Crowther ne devrait pas être le bouc émissaire parce qu'il effectue un travail ingrat. Dennis, mis au pied du mur, a défendu les droits des syndiqués auprès d'une direction récalcitrante; Dennis a décidé, après en avoir fréquemment discuté avec moi, qu'étant donné qu'on ne respectait pas ses services il devait quitter son emploi chez Melloy & Associates. Je comprends le raisonnement de son mécontentement. J'y étais! »

    [TRADUCTION]

    Le deuxième motif invoqué, et peut-être celui qui a déclenché le départ du prestataire, est le fait que son amie, à Edmonton, avait reçu un avis l'enjoignant de quitter son domicile; il se sentait obligé d'aller à son secours. S'il n'avait pas rencontré tant de problèmes au travail, tout porte à croire qu'il aurait pu demander une autorisation d'absence. Il a plutôt décidé que le moment était propice pour quitter son emploi.

    Le juge A.C. Jerome a prononcé, dans le CUB 21628, la définition de « motif valable » généralement acceptée, qui se lit comme suit :

    « Il est établi par la jurisprudence qu'il est généralement satisfait au critère de la justification si les conditions de travail sont tellement intolérables ou manifestement insatisfaisantes qu'elles donnent lieu à un grief fondé et à la prise de toutes les mesures raisonnables pour remédier au problème avant de quitter l'emploi. Il est satisfait au critère de la « justification » de quitter un emploi si le prestataire a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. S'il n'a pas trouvé autre chose, le prestataire doit avoir des raisons très solides et contraignantes de quitter son emploi et de se mettre ainsi en chômage. »

    Les conditions de travail du prestataire étaient en effet intolérables. Ses griefs étaient authentiques et les mesures raisonnables prises pour régler plusieurs problèmes n'ont rencontré que de la résistance de la part de la direction. La direction l'a défini comme un instigateur de désordre pour ses efforts, et cette attitude a rendu le travail du prestataire pénible et intolérable. Il ne pouvait, sans la coopération de la direction, régler les griefs des hommes qu'il représentait. Le prestataire, en laissant son emploi, a agi de façon raisonnable dans les circonstances.

    Bien que n'ayant pu bénéficier de la preuve déposée par M. Campbell, le conseil arbitral a omis d'examiner toute la preuve reçue et a évité de faire des conclusions de faits. Le conseil a rendu sa décision sans se soucier du matériel présenté – et sur ce point, le conseil a commis une erreur.

    La décision du conseil est annulée et l'appel est accueilli.

    W.J. Haddad

    Juge-arbitre

    Edmonton (Alberta)
    Le 2 décembre 1998

    2011-01-16