CUB 43528
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
WILLIAM TULLETT
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par
le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral
rendue à Kelowna (Colombie-Britannique) le 12 février 1998.
DÉCISION
Cette affaire a été entendue à Kelowna (Colombie-Britannique) le 8 octobre 1998.
LE JUGE W.J. HADDAD
Le prestataire interjette appel. Le conseil arbitral confirme la décision rendue par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, selon laquelle le prestataire a) était inadmissible aux prestations d'assurance-chômage parce qu'il n'était pas en chômage en travaillant une semaine entière alors qu'il exploitait sa propre entreprise et b) qu'il avait fait onze déclarations fausses ou trompeuses, pour lesquelles la Commission a imposé une pénalité de 4 686, 00 $. La Commission réclame également le remboursement d'un trop-payé de 8 946, 00 $.
Le prestataire fonde son appel sur le fait que le conseil arbitral a tiré des conclusions de fait erronées et commis des erreurs de droit.
Cet appel est plein de rebondissements. La décision de l'agent d'assurance de la Commission date d'octobre 1994. Le prestataire a interjeté appel de cette décision; son appel a été entendu et rejeté par un conseil arbitral le 15 décembre 1995. Le prestataire a donc interjeté appel devant un juge-arbitre et, lorsque l'appel a été entendu le 16 septembre 1996, la Commission a annoncé qu'elle en concéderait le bien-fondé. Le juge-arbitre présidant l'audience a refusé la concession de la Commission et ordonné que l'affaire soit entendue à un autre moment. L'appel a donc été inscrit pour audition devant un juge-arbitre (le deuxième) le 14 octobre 1997, et c'est alors que la Commission et le prestataire ont convenu avec le deuxième juge-arbitre qu'il fallait renvoyer cette affaire devant un conseil arbitral pour une nouvelle décision. Le deuxième juge-arbitre a renvoyé l'affaire à un nouveau conseil, le chargeant de « réexaminer tous les faits ainsi que la loi et de porter une attention particulière à JOUAN, 1995, A-366-94, et notamment SCHWENK (CUB 5454), VEILLET, 1994, A-58-94, et MAGEE (1993), 162 N.R. 236 ».
Un conseil arbitral (le deuxième) a entendu l'appel de nouveau et l'a rejeté le 12 février 1998. L'appel actuel découle de la décision rendue par le deuxième conseil arbitral. À noter qu'au début, le deuxième conseil a tenu compte des six facteurs énoncés dans Schwenk, pour déterminer si l'emploi du prestataire qui exploite une entreprise y consacrait si peu de temps qu'il ne saurait compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance. Le conseil n'a toutefois regardé que superficiellement les autres décisions citées par le deuxième juge-arbitre et a dit « qu'en rendant la décision relativement aux deux questions, le conseil a tenu compte de l'avis ou de la directive du juge-arbitre et a pris les quatre cas mentionnés en considération ».
Le prestataire se décrit lui-même comme un consultant itinérant. Il est, dit-il, un exploitant qualifié en transport et en déménagement, détenteur d'un diplôme d'études collégiales, d'un diplôme en tarification et d'un autre en réglementation du ministère du Transport ».
Le prestataire est déménagé de Toronto à Vernon (C.-B.) en 1992. Il travaillait auparavant chez Hudson Movers Inc., à Don Mills (Ontario) et il était bien payé. Il a déménagé à Vernon pour y accepter un poste que lui avait promis Jack Harris qui exploitait Twin H Movers Inc. Au même moment, le prestataire et son épouse ont décidé d'acheter une maison à caractère historique à Vernon pour en faire un gîte touristique qui leur assurerait éventuellement un revenu à leur retraite. Dans sa présentation, le prestataire a fait remarquer qu'on l'a persuadé de déménager à Vernon pour y travailler dans le domaine du déménagement. La décision d'ouvrir un gîte touristique était une considération secondaire, pour tenir son épouse occupée.
À son arrivée à Vernon, le prestataire a découvert que la compagnie Twin H Movers avait des problèmes financiers et ne pouvait pas l'engager. Twin H Movers a éventuellement fait faillite. Le prestataire a cherché de l'emploi auprès d'autres compagnies, mais sans succès. Entre-temps, le prestataire et son épouse avaient pris des arrangements pour acheter une maison à caractère historique au coût de 128 000 $, pour y exploiter un gîte touristique; ils avaient aussi recueilli 90 000 $ pour la rénover et l'exploiter. Pendant ce temps, le prestataire se disait disposé à travailler, mais ses qualifications lui limitaient malheureusement les débouchés.
Le prestataire a présenté le 4 février 1993 une première demande de prestations qu'il recevrait à compter du 17 février 1993.
Le prestataire et son épouse sont devenus des partenaires de plein droit dans leur entreprise appelée Tuck Inn. Le prestataire admet qu'au début des rénovations et de l'organisation, il a peinturé et posé de la tapisserie, mais il a fait appel à des professionnels pour les travaux de plomberie et d'électricité.
Il faudrait à ce moment-ci faire mention de la loi pertinente aux questions en cause. Le paragraphe 10 (1) de la Loi sur l'assurance-chômage (en vigueur au moment où ces questions ont surgi) stipule ce qui suit :
(1) Une semaine de chômage, pour un prestataire, est une semaine pendant laquelle il n'effectue pas une semaine entière de travail.
Les paragraphes (1) et (2) de l'article 43 du Règlement stipulent ce qui suit :
(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsque le prestataire
(a) est un travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé, ou
(b) exerce un emploi autre que celui qui est mentionné à l'alinéa (a) et détermine lui-même ses propres heures de travail, il est censé travailler une semaine entière.
(2) Lorsque le prestataire exerce un emploi mentionné au paragraphe (1), mais qu'il y consacre si peu de temps qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance, il n'est pas censé, à l'égard de cet emploi, travailler une semaine entière.
Le prestataire maintenait que l'entreprise était exploitée par son épouse, mais qu'il y mettait une heure chaque jour le matin et une heure en soirée. Dans un document écrit à la Commission et daté du 20 juin 1994, le prestataire faisait remarquer que son gîte touristique était aussi sa résidence et qu'il n'y effectuait des travaux que dans sa maison. Voici ce qu'il disait:
« Pour ce qui est des travaux de peinture et de tapisserie au Tuck Inn, vous devez comprendre que c'est aussi ma résidence et que j'ai aussi été propriétaire de 15 autres maisons. J'ai toujours fait la décoration de mes maisons et j'ai eu un emploi à plein temps, travaillant à l'occasion de 10 à 12 heures par jour. Je trouve toujours le temps de faire ma décoration et, mon jardinage; ce sont mes loisirs, des choses que j'aime faire, qui ne m'ont pas empêché de me chercher un emploi. J'étais toujours disposé et apte à occuper un nouvel emploi.
Quant aux deux heures par jour dont j'ai parlé, où j'aidais ma femme au Tuck Inn, je nous faisais des rôties au lever, et je l'aurais fait, que nous ayons été propriétaires d'un gîte touristique ou pas. Le Tuck Inn est la responsabilité de mon épouse dans le cadre de notre relation de travail. Elle a eu beaucoup d'aide, gratuitement, d'amis venus nous rendre visite; elle n'avait pas besoin de moi ».
Le conseil arbitral reconnaît la preuve du prestataire « qu'il ne travaillait pas au gîte touristique, sauf que pour faire des travaux autour de la maison ».
Les rénovations et l'obtention d'une licence et d'un permis d'exploitation, etc., avant que l'entreprise démarre étaient des préparatifs qui ne faisaient pas partie de l'« exploitation » de l'entreprise – et les activités du prestataire au cours de cette période ne devraient donc pas être considérés comme de l'emploi dans l'« exploitation » d'une entreprise. Il existe de la jurisprudence pour appuyer cette proposition. L'entreprise a été lancée le 16 avril 1993 – quelque deux mois après la date d'entrée en vigueur des prestations du prestataire.
Le conseil arbitral s'est faufilé avec soin dans les critères d'après Schwenk, CUB 5454, mais il n'a pas tenu compte de la justification exprimée dans Jouan, relativement au facteur du « temps consacré ». La décision relative à Jouan a été rendue avant la promulgation de la Loi sur l'assurance-emploi et e son règlement qui codifiait dans l'article 30 les six critères à examiner à l'article 43. La décision rendue dans Jouan s'est attardée sur ce facteur. Le juge Marceau écrivait ce qui suit pour la Cour :
J'estime, cependant, que le facteur le plus important, le plus pertinent, et qui est aussi le seul facteur essentiel à entrer en ligne de compte, doit dans tous les cas être le temps qui est consacré à l'entreprise. C'est ce que prévoit de manière non ambiguë la version française, le membre de phrase ambiguë «so minor in extent» qui se trouve dans la version anglaise devant être lu dans le contexte des mots dénués de toute ambiguïté «il y consacre si peu de temps» utilisés dans la version française. (Voir, à cet égard, Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, Blais 1982, aux PP. 297-298). C'est d'ailleurs la démarche qu'impose le bon sens. Quelle que soit 1'importance des autres facteurs en jeu (qu'il s'agisse des capitaux investis, de la réussite de l'entreprise, ou encore de la durée de celle-ci), ces autres éléments n'ont pas de pertinence propre, car, dans chaque cas, la conclusion dépendra directement et nécessairement du «temps consacré», car la seule chose qui nous intéresse en l'occurrence c'est l'idée de «travailler une semaine entière».
L'allusion du conseil dans sa décision relative à l'incohérence du prestataire, parce qu'il ne faisait que préparer des rôties est faite hors contexte. La preuve du prestataire, présentée ci-dessus, est qu'il a toujours préparé des rôties le matin. Le raisonnement du conseil, en général, est que, vu les sommes d'argent que le prestataire a investies dans l'entreprise, il avait un emploi. Le montant investi n'est qu'un facteur dont il faut tenir compte, mais pas de façon isolée.
Dans la cause Magee (1991) 162 N.R. 236, la Cour d'appel fédérale a décidé que la prestataire a ouvert un magasin de détail dans lequel elle a investi d'importantes sommes d'argent et consacré en moyenne sept heures par jour au magasin, tout en se cherchant activement un emploi. La Cour a confirmé la décision du juge-arbitre qui a annulé celle du conseil arbitral, savoir que la prestataire consacrait si peu de temps à son emploi qu'elle ne saurait pas compter sur celui-ci comme principal moyen de subsistance. Le juge-arbitre soutenait qu'aucun facteur en particulier figurant dans la décision Schwenk n'était déterminant et qu'il fallait examiner tous les facteurs de cette décision et d'autres qui peuvent être aussi pertinents pour résoudre le problème. Le juge-arbitre disait que, vu l'investissement important de la prestataire et le temps qu'elle consacrait à son commerce, le conseil n'était pas tenu à ce compte-là de conclure que la prestataire n'avait pas droit à l'exemption que lui permettait le paragraphe 43 (2) du règlement. En tirant cette conclusion à partir de ce raisonnement, il a été décidé que le conseil avait commis une erreur de droit.
De même, dans la présente cause, le conseil n'était pas tenu de dire que le prestataire, en raison de l'investissement important que lui et son épouse avaient fait, n'avait pas droit à l'exception prévue au paragraphe 43 (2) du règlement. Adopter un tel raisonnement constituerait une erreur de droit.
On a appliqué le raisonnement utilisé dans la cause Magee au cas Gilles Veillet A-58-94, une autre décision de la Cour d'appel fédérale, portant sur le temps consacré par un agent d'immeubles qui en donnait très peu à son travail. La Cour a décidé, parce qu'il était agent d'immeubles et qu'on lui versait une commission, qu'il ne devait pas être exclu de l'exception prévue au paragraphe 43 (2) du règlement.
Pour déterminer le facteur de temps consacré dans n'importe quel cas, le conseil devrait examiner et tirer des conclusions relatives au temps consacré par un prestataire et la nature du travail effectué pendant ce temps et tenir compte de ces conclusions et de tous les autres faits pertinents comme, par exemple, les efforts du prestataire pour se trouver un emploi. On commet une erreur en ne se fiant qu'à un seul facteur tel qu'un investissement d'argent important. En tirant ses conclusions, le conseil arbitral s'est aussi fié à sa comparaison de la situation du prestataire avec celle d'un agent immobilier ou d'un vendeur de voitures. Là encore c'est une erreur, car chaque cas devrait être évalué en fonction des preuves présentées.
Il n'y a pas de preuve substantielle pour réfuter la prétention du prestataire qu'il a passé deux heures par jour à aider son épouse au gîte touristique qui est aussi sa résidence, et que les travaux qu'il y effectuait seraient normalement des travaux qu'il effectuerait à sa maison.
Le conseil arbitral a aussi dit que le prestataire n'a pas fait de recherche d'emploi. La preuve du prestataire est qu'il était toujours disposé et apte à entreprendre un emploi et, bien qu'il n'ait pas présenté de recherche d'emploi sur papier, il a dit cependant qu'il avait communiqué avec d'autres entreprises spécialisées dans le déménagement. La règle régissant la présentation d'une recherche d'emploi par écrit n'est certes pas rigide à ce point qu'on ne devrait jamais tenir compte des preuves d'un prestataire, s'il n'y a pas de recherche d'emploi écrite. De toute façon, la déclaration du prestataire, à l'effet qu'il était en quête d'un emploi est appuyée par le fait qu'il s'est trouvé un emploi éventuellement chez Designers Gallery où il ne travaillait que quelques heures au début. Il exploite aujourd'hui sa propre entreprise de déménagement.
Le prestataire a déclaré dans le questionnaire qu'il a l'intention dans l'immédiat de faire du gîte touristique son principal moyen de subsistance. Cela concorde avec sa déclaration que cette entreprise a été lancée dans le but de lui assurer un revenu à sa retraite.
Le prestataire consacrait relativement peu de temps à l'exploitation de son entreprise, et sa contribution était bien minime, au point qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance. Le prestataire n'est donc pas censé travailler une semaine entière, et les cartes de déclaration qu'il a présentées n'étaient ni fausses ni trompeuses, mais bien exactes.
Étant donné mes conclusions, l'appel est accueilli.
W.J. HADDAD
Juge-arbitre
Edmonton (Alberta)
Le 23 novembre 1998