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    CUB 43755

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    CATHERINE WARGA

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à
    l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
    New Westminster (Colombie-Britannique) le 31 mars 1998.

    DÉCISION

    LE JUGE ROULEAU

    Il s'agit d'un appel de la prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral qui a soutenu qu'elle n'avait pas droit aux prestations pour avoir perdu son emploi en raison de son inconduite.

    Mme Warga a déposé une demande de prestations le 23 octobre 1997, indiquant qu'elle avait été renvoyée de son poste de gérante de magasin chez Pantorama Ind. Inc. La prestataire a informé la Commission que son employeur était insatisfait de son rendement comme gérante et lui a offert une rétrogradation au poste de gérante adjointe pour 20 000 $ de moins de salaire par année. Bien qu'elle ait accepté le poste, Mme Warga a informé son employeur qu'elle engagerait une poursuite judiciaire contre lui pour licenciement détourné, et c'est pour cette raison qu'elle a été renvoyée.

    La Commission a communiqué avec son employeur, qui a tout d'abord déclaré que la prestataire avait été renvoyée le 22 août 1997 parce qu'elle l'a informé qu'elle engagerait une poursuite relative à sa rétrogradation de son poste de gérante de magasin (pièces 5 et 6). L'avocat de l'employeur a informé la Commission que Pantorama était insatisfait du rendement de la prestataire comme gérante. Elle a reçu plusieurs lettres d'avertissement à cet égard mais, comme il n'y avait aucune amélioration, on lui a offert un poste de gérante adjointe. L'avocat a confirmé que la prestataire a accepté le nouveau poste sous réserve de poursuivre l'employeur pour licenciement détourné, ce qui a conduit à son renvoi (pièce 9).

    D'après cette information, la Commission a conclu que les faits ne soutenaient pas une conclusion d'inconduite, puisqu'on ne pouvait considérer le rendement au travail de la prestataire comme une action faite de mauvaise foi, mais plutôt le fait qu'elle n'effectuait pas son travail à la satisfaction de l'employeur. De plus, la Commission n'a pas considéré l'intention de la prestataire d'engager des poursuites judiciaires comme un acte d'inconduite. Bien que cette décision puisse avoir engendré une relation de travail désagréable, elle n'est pas considérée non plus par la Commission comme un acte fait de mauvaise foi. La Commission a donc accepté la demande de prestations conformément au paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi.

    L'employeur a interjeté appel devant un conseil arbitral, soutenant que la prestataire avait en fait perdu son emploi à cause de son inconduite. Dans ses représentations devant le conseil (pièce 14.1), l'employeur déclare :

    Malgré des avertissements répétés, de l'aide et toutes les possibilités de s'améliorer, Mme Warga avait un rendement comme gérante de magasin vraiment terrible. Ce rendement excessivement mauvais sur une période de deux ans ne peut s'expliquer par de la simple incompétence ou de l'inexpérience. La seule explication est que Mme Warga ne voulait pas prendre les mesures nécessaires pour changer son rendement. Le piètre rendement était le résultat d'une mauvaise attitude plutôt que de la simple incompétence.

    [TRADUCTION]

    Le conseil arbitral a accueilli l'appel de l'employeur en énonçant ainsi ses raisons :

    La prestataire était employée comme gérante d'un magasin de vente au détail après avoir travaillé pour l'entreprise dans ses bureaux, s'étant elle-même élevée jusqu'au poste de superviseur des bordereaux de la paie. Le 21 août 1997, il y avait 23 ans qu'elle travaillait pour l'entreprise. En mai 1995, elle a accepté le poste de gérante de magasin, poste qu'elle avait demandé. À compter du 1er septembre 1995, elle a reçu huit lettres exprimant une préoccupation croissante concernant son rendement comme gérante et des infractions à la politique de l'entreprise (pièces 14.21 à 14.34). L'entreprise a examiné sa conduite qui était si grave qu'elle a eu une suspension d'une semaine du 17 au 23 avril 1997 (pièce 14.31).

    Dans les représentations écrites et verbales, on a informé la prestataire qu'elle avait le choix d'être renvoyée pour un motif déterminé ou d'accepter un poste subalterne avec une diminution de salaire de 45 000 $ à 25 000 $ par année. L'impression que l'on ressent devant la preuve présentée est que, parce qu'elle était employée depuis longtemps, on lui offrait la possibilité de recycler ses compétences en gestion sous une étroite supervision.

    L'employeur a déclaré que cette offre était faite à condition qu'elle accepte de ne pas mettre en œuvre sa menace de poursuite (pièces 14.34 et 20.6).

    La prestataire a déclaré verbalement et par écrit que toutes les préoccupations que l'employeur a exprimées avaient été réglées dans des entrevues personnelles avec son superviseur. Il n'y a aucune documentation indiquant qu'elle a répondu par écrit aux questions soulevées dans les lettres qu'elle a reçues concernant son rendement.

    L'employeur (pièces 20.1 à 20.6) et la prestataire (pièces 21.1 à 21.4) ont fourni de nouveaux renseignements. Tous ces renseignements ont été examinés.

    Dans CUB 34892 et 37306, le mauvais rendement est considéré comme une bonne raison de renvoi et comme une inconduite. La preuve indique amplement que la prestataire connaissait les attentes de l'employeur et elle n'a pas changé ses habitudes de travail pour être à la hauteur de ces attentes.

    Compte tenu de toute la preuve présentée, le conseil conclut que la prestataire a été renvoyée à juste titre pour inconduite.

    [TRADUCTION]

    La prestataire en appelle maintenant devant un juge-arbitre pour le motif que le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de faits erronée qu'il a rendue d'une façon absurde ou arbitraire ou sans égard à la documentation dont il disposait.

    J'accueille l'appel de la prestataire pour les raisons suivantes.

    Conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi, un prestataire qui perd son emploi pour inconduite devient inadmissible aux prestations. Bien que le terme « inconduite » ne soit pas défini dans la législation, la jurisprudence a établi qu'il faut un élément mental de mauvaise volonté ou de conduite si insouciante qu'elle s'approche de la mauvaise volonté. Le fait de savoir si la conduite d'un employé entraînant la perte de son emploi constitue une « inconduite » dépend largement des circonstances de chaque cas. Il doit exister une preuve claire, solide et non équivoque qu'un prestataire a été renvoyé pour inconduite avant que le conseil arbitral puisse tirer une telle conclusion. De plus, le fait qu'un employeur ait renvoyé un employé pour ce qu'il croit être une bonne raison ne signifie pas nécessairement que, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, l'inconduite a été établie.

    Il incombe à la Commission ou à l'employeur d'établir que la perte de l'emploi d'un prestataire est attribuable à son inconduite. Afin de se dégager de cette obligation, le conseil arbitral doit conclure que l'inconduite a été la raison du renvoi et non simplement l'excuse de ce renvoi. Il s'agit d'une décision factuelle prise après pondération de toute la preuve. Dans Meunier c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1996), 208 N.R. 377, la Cour d'appel fédérale a formulé les commentaires suivants concernant les cas d'inconduite :

    Il est établi que l'inconduite mentionnée au paragraphe 28(1) « n'est pas une simple infraction de l'employé quant aux fonctions associées à son emploi; il s'agit d'une infraction d'une portée telle que son auteur pourrait normalement prévoir qu'il serait susceptible d'être renvoyé ». (Canada c. Langlois, A-94-95, 21 février 1996, non publié, C.A.F.). Il est également établi qu'il incombe à la Commission de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les conditions de l'article 28 ont été satisfaites (Choinière c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, A-471-95, 28 mai 1996, non publié, C.A.F.). Et enfin, il est établi qu'« une évaluation objective [est] nécessaire pour dire que l'inconduite a été en fait la cause de la perte de l'emploi (Choinière), que la simple assurance de l'employeur qu'il croit que la conduite en question est une inconduite ne sera pas suffisante (Fakhari c. Canada (Procureur général) (1996), 197 N.R.300 (C.A.F.) et que « pour qu'un conseil arbitral conclue qu'il y a eu inconduite d'un employé, il doit disposer d'une preuve suffisamment détaillée pour pouvoir, premièrement, savoir comment l'employé s'est comporté et, deuxièmement, déterminer si ce comportement était répréhensible » (Joseph c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, A-636-85, 11 mars 1986, non publié, C.A.F.).

    (c'est moi qui souligne)
    [TRADUCTION]

    Ici, l'employeur soutient que la prestataire a été renvoyée à cause de son mauvais rendement comme gérante. Il soutient que son incompétence concernant ses fonctions de gestion était volontaire ou le résultat d'une absence de volonté de sa part de s'améliorer, et qu'il s'agit donc d'une inconduite.

    Toutefois, après avoir considéré les arguments des parties à l'audition devant moi et après avoir examiné toute la documentation au dossier, y compris les représentations de l'employeur de la prestataire, il est clair que la véritable raison du renvoi de Mme Warga est qu'elle avait engagé et avait l'intention de continuer une poursuite pour licenciement détourné contre son employeur. En fait, lorsque la Commission a d'abord demandé à l'employeur pourquoi la prestataire avait été renvoyée, deux représentants de l'employeur ont déclaré sans équivoque que c'était parce qu'elle engageait une poursuite judiciaire contre l'entreprise (pièces 5 et 6). Cela a par la suite été confirmé par l'avocat de l'employeur, qui a informé la Commission le 7 novembre 1997 que la prestataire avait été renvoyée à cause de la poursuite (pièce 9).

    Ce n'est qu'après que l'employeur a été avisé par la Commission que Mme Warga avait droit aux prestations qu'il a modifié sa position, alléguant qu'elle avait en réalité été renvoyée pour inconduite, soit son mauvais rendement comme gérante des ventes, son incapacité de respecter les quotas de vente et sa réticence à s'améliorer.

    Dans ces circonstances, la seule conclusion raisonnable est que l'inconduite alléguée de la prestataire n'était pas la vraie raison de son renvoi, mais « simplement une excuse » pour la renvoyer. La preuve est claire qu'elle a été renvoyée à cause de la poursuite pour licenciement détourné qu'elle avait engagée contre son employeur.

    De toute façon, les types de plaintes de l'employeur concernant la prestataire ne constituent pas une inconduite. Il se peut bien que Mme Warga n'ait pas été capable de gérer un magasin de la manière attendue par son employeur en ce qu'elle était incapable de respecter les quotas de vente. Il n'y a toutefois aucune preuve que son mauvais rendement ait été volontaire ou intentionnel. L'inaptitude à vendre ou à gérer ne constitue pas une inconduite.

    Enfin, l'allégation d'inconduite de la part de l'employeur peut difficilement être prise au sérieux à la lumière du fait qu'il n'a pas renvoyé la prestataire pour sa mauvaise gestion, mais qu'il lui a plutôt offert un poste de gérante adjointe dans l'espoir qu'elle recevrait plus de formation et apprendrait à devenir une meilleure gérante. Ce faisant, l'entreprise Pantorama Industries a démontré qu'elle voulait garder Mme Warga, employée depuis longtemps, dans son emploi malgré son incapacité de gérer un magasin avec succès. Ce n'est qu'après que la poursuite pour licenciement détourné est devenue un problème entre la prestataire et son employeur qu'elle a été renvoyée complètement.

    J'arrive donc à la conclusion que le conseil arbitral a erré en droit et en fait en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

    Pour ces raisons, sa décision est annulée et l'appel de la prestataire est accueilli.

    P. Rouleau

    Juge-arbitre

    Ottawa (Ontario)
    Le 25 janvier 1999

    2011-01-16