CUB 44311
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
MICHEL KULIBABO
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à
l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
Mississauga (Ontario) le 30 mars 1998.
DÉCISION
Appel entendu à Toronto (Ontario) le 7 janvier 1999.
LE JUGE W.J. GRANT, C.R.
Il s'agit d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision majoritaire du conseil arbitral rendue à Mississauga, en Ontario, le 30 mars 1998, en faveur de l'appel de l'employeur à l'encontre de la décision de l'agent d'assurance relativement à la question quant à savoir si le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
Dans sa décision minoritaire, le conseil arbitral a rejeté l'appel de l'employeur et soutenu la décision de l'agent d'assurance selon laquelle le prestataire n'a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
Le présent appel, à l'encontre de la décision majoritaire rendue par le conseil arbitral, est logé en vertu de l'article 115.2a) et c) de la Loi sur l'assurance-emploi.
La question devant le conseil arbitral consistait à savoir si le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
Essentiellement, le prestataire est arrivé en retard au travail. Par contre, il a indiqué sur les fiches qu'il était à l'heure, mais a informé son superviseur ou chef d'équipe de l'heure exacte à laquelle il est arrivé.
Le conseil arbitral a conclu que le prestataire, en inscrivant la fausse information quant à l'heure de son arrivée au travail, a violé le régime de confiance et fait preuve de malhonnêteté. Il a conclu que le prestataire, en falsifiant l'heure de son arrivée au travail et en mentant à son employeur au sujet des événements de la journée lorsque celui-ci l'a interrogé, a rompu l'engagement de confiance qu'il avait avec lui.
La majorité du conseil arbitral n'a pas semblé avoir souligné le fait que le prestataire avait informé son superviseur ou chef d'équipe de l'heure véritable à laquelle il était arrivé au travail.
Une preuve considérable a été déposée devant le conseil arbitral relativement à des accusations portées contre le prestataire, mais qui n'avaient pas encore été établies. Il semblerait que ces accusations ont fait suite à des événements qui se sont produits alors que le prestataire se rendait au travail. Celui-ci a entre autres été accusé d'excès de vitesse sur la route, de possession de deux cigarettes de marijuana et de possession d'une arme interdite trouvée dans le coffre de son automobile (un couteau papillon).
Le prestataire s'est présenté au travail vers 12 h 20, mais il s'est servi de sa carte magnétique pour indiquer dans le registre qu'il avait commencé à travailler à 12 h. Toutefois, lors de l'audience devant le juge-arbitre, les accusations avaient été retirées de sorte que les raisons expliquant le retard du prestataire ne constituaient plus des facteurs importants. Il me semble que le fait que le prestataire ait été accusé de possession de marijuana et d'une arme interdite exercerait une influence négative sur le caractère et la crédibilité du prestataire. À mon avis, il serait vraiment difficile pour les membres du conseil arbitral de ne pas tenir compte des accusations portées contre le prestataire. Par exemple, dans la pièce 19, les renseignements figurent dans les moindres détails relativement à la prise des empreintes digitales du prestataire et ainsi de suite.
Il semblerait que l'avocat du prestataire a avisé son client de ne pas discuter des faits substantiels des accusations parce que la cour aurait probablement accès à cette information au moment de son procès. Cette information pourrait donc être utilisée au préjudice du prestataire. Le conseil arbitral aurait contesté le fait que le prestataire n'ait pas divulgué certains renseignements.
Dans sa décision minoritaire, le conseil arbitral aurait souligné que le prestataire a incorrectement indiqué l'heure de son arrivée au travail, mais que ce geste constituait une erreur causée par son état d'esprit. Je ne crois pas qu'il serait déraisonnable de tirer la conclusion selon laquelle le prestataire était perturbé en raison des accusations portées contre lui relativement à des infractions graves, particulièrement celle de la possession d'arme.
Dans sa décision minoritaire, le conseil arbitral cite de plus le fait que si un chef d'équipe est informé du retard d'un employé, il a la responsabilité d'en informer la direction à son tour.
Il se pourrait également que dans le cas où des efforts auraient été faits pour corriger l'information quant à l'heure d'arrivée au travail dès son entrée dans le système, cette intervention soit utilisée au préjudice du prestataire comme s'il avait tenté de modifier ou de falsifier les registres ou une autre inférence du genre.
Dans la pièce 33-3, la décision majoritaire rendue par le conseil arbitral est critique à l'endroit du prestataire pour n'avoir pas présenté de témoins ou d'affidavits quant à l'événement. Cependant, cette omission est normale puisque l'affaire pouvait faire l'objet d'une poursuite au criminel et que le prestataire avait reçu l'ordre de son avocat de ne pas divulguer les circonstances ou de ne pas en discuter, afin qu'elles ne soient pas utilisées comme preuve lors de son procès.
Je crois et je conclus que la nature des accusations et, en particulier, leur gravité sont telles qu'il ne serait pas déraisonnable pour la majorité du conseil de tirer une conclusion erronée et défavorable relativement à la crédibilité du prestataire.
Il y a également eu preuve selon laquelle l'employeur a tenu une deuxième audience à laquelle le prestataire n'était pas présent et dont il n'avait pas été informé.
Même si le conseil arbitral a été informé que les accusations ont été retirées au moment de cette deuxième audience, tous ces faits lui ont été présentés à la première audience. Cette information figure dans la pièce 23 en date du 19 janvier 1998, et elle a été citée comme un fait nouveau, c'est-à-dire un fait qui s'est produit après la première audience, tenue le 8 janvier 1998, et avant la deuxième audience, le 30 mars 1998. Toutefois, il s'agissait du même conseil arbitral, et les membres ont été mis au courant de la gravité des accusations portées contre le prestataire.
Je crois que le fait que le conseil arbitral doive ne pas tenir compte de certains renseignements qu'il connaît déjà fait en sorte qu'il doive porter un fardeau excessif. Ces renseignements font quand même référence à de graves accusations au criminel comme celle de possession d'une arme. Cette accusation porterait directement atteinte à la crédibilité du prestataire, et il serait difficile pour les membres du conseil arbitral de ne pas en tenir compte en rendant sa décision.
En fait, trois audiences ont été tenues, soit le 10 décembre 1997, le 8 janvier 1998 et le 30 mars 1998. Même s'il est dit que le conseil arbitral n'a invoqué que la question de falsification de l'heure d'arrivée au travail dans la pièce 21-2 de l'audience du 8 janvier 1998, l'employeur s'est dit très préoccupé par la présence d'une arme interdite sur les lieux mêmes du travail et par la question de savoir si le prestataire était ou non sous l'influence d'un stupéfiant au travail.
La pièce 33 est considérée comme étant la troisième audience.
J'ai examiné la question quant à savoir si l'affaire devrait être renvoyée devant un conseil arbitral constitué différemment, qui ignorerait le matériel lié aux accusations qui ont été retirées. Toutefois, la présente affaire perdure depuis 1997 et il ne fait aucun doute qu'elle a représenté une dure épreuve pour toutes les personnes concernées, y compris le prestataire.
Je crois que le renvoi de l'affaire à un nouveau conseil arbitral nuirait au bon déroulement de l'audience, et je crois que je devrais juger l'affaire moi-même. Plutôt que de renvoyer l'affaire devant un conseil arbitral constitué différemment pour une nouvelle audience, je vais donc formuler la conclusion à laquelle aurait dû en arriver le conseil arbitral.
Dans la preuve qui m'a été présentée, en tant que juge-arbitre, je disposais de la transcription de l'audience du conseil arbitral tenue le 8 janvier 1998. Malheureusement, cette audience n'est pas celle qui a donné lieu à l'appel. Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de la décision du conseil arbitral rendue le 30 mars 1998.
Même si on retire de la preuve l'accusation au criminel portée contre le prestataire pour possession de stupéfiants fait en sorte que la question en jeu ne se limite qu'au dossier du temps.
Ce n'est pas comme si le prestataire avait tenté de cacher le fait qu'il avait commis une erreur, mais il en a fait mention à son superviseur ou chef d'équipe et lui a donné les renseignements exacts. Il y a eu preuve selon laquelle le superviseur ou chef d'équipe aurait normalement dû faire part de la situation à la direction. La preuve n'est pas liée à l'origine à un camouflage, mais en fait à une tentative de rectifier une erreur commise et admise par la suite.
Je ne crois pas qu'il soit déraisonnable de tirer la conclusion selon laquelle il ne fait aucun doute que le prestataire, après avoir été accusé d'infractions graves, qui, semble-t-il, n'ont pas été portées contre lui de façon convenable puisqu'elles ont plus tard été retirées, était extrêmement perturbé et donc enclin à faire une erreur quelconque. Cependant, tout de suite après avoir commis l'erreur, il l'a rectifiée en en faisant mention à son superviseur immédiat comme il était tenu de le faire.
La preuve qui m'a été présentée ne permet pas de trouver une réponse claire à la question de savoir si le prestataire, en faisant des efforts pour corriger l'erreur lui-même au moyen de sa carte magnétique, aurait pu rectifier le dossier. Cette question pourrait toutefois en soulever une autre selon laquelle le prestataire aurait tenté de modifier les dossiers, ce qui aurait été encore plus grave que l'erreur commise à l'origine.
Il existe une possibilité ou même une probabilité très forte que l'esprit des membres majoritaires du conseil aurait pu être troublé ou on peut à tout le moins conclure qu'il aurait pu y avoir préjudice contre le prestataire si le conseil avait été placé dans une position où il aurait eu à effacer de sa mémoire des infractions très sérieuses. Tout cela causait de forts préjudices au prestataire.
Je conclus qu'il y a eu un déni cumulatif de justice naturelle au cours de ces événements. Je crois qu'il est raisonnable qu'un prestataire puisse s'attendre à ce qu'un conseil arbitral n'ait pas été mis au courant d'événements très graves qui lui sont préjudiciables et qui ne sont pas pertinents à son audience. Il semble y avoir une possibilité de préjudice et une perception de préjudice dans la présente affaire, et même si, techniquement, il pourrait ne pas y avoir eu de préjudice, toute personne raisonnable a droit non seulement à un procès équitable, mais aussi à la perception d'un procès équitable. Je crois qu'il y a lacune de ce côté dans la présente affaire.
Par conséquent, l'appel est accueilli. Je suis prêt à juger l'affaire par moi-même plutôt que de la renvoyer devant un conseil arbitral constitué différemment.
Je crois que le prestataire a fait tous les efforts raisonnables possibles dans les circonstances pour rectifier l'erreur qu'il a commise. Je conclus que selon toute probabilité, il était en état de choc ou angoissé et qu'il était alors enclin à commettre une telle erreur. Quant à la possibilité que le prestataire ait commis l'erreur de façon intentionnelle ou qu'il l'ait calculée dans le but de tromper son employeur, je crois qu'elle est réfutée par le fait qu'il a divulgué les faits véridiques à son superviseur ou chef d'équipe, qui a normalement la responsabilité de faire part de tout problème à l'employeur. Après tout, le superviseur ou chef d'équipe était le surveillant du prestataire et il est raisonnable de penser qu'il était responsable d'informer l'employeur du fait qu'une erreur avait été commise, pour que celle-ci soit rectifiée, ce qu'il n'a pas fait. En lui signalant son erreur, le prestataire a agi de façon raisonnable et honnête.
Je conclus que le prestataire n'a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. L'appel est accueilli à l'encontre de la décision majoritaire rendue par le conseil arbitral en faveur de l'employeur, et je rétablis la conclusion de l'agent d'assurance qui a été confirmée par la décision minoritaire du conseil arbitral.
W.J. Grant
Juge-arbitre
ÉTAIENT PRÉSENTS :
Le prestataire s'est présenté en compagnie de son avocat, Me Ian Morland
Pour l'employeur :
M. Bruce Goldie
Pour la Commission :
Helen Park
Halifax (Nouvelle-Écosse)
Le 29 janvier 1999