CUB 44958
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE
- et -
d'une demande de prestations présentée par
THOMAS EPPELE
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à
l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
New Westminster (Colombie-Britannique) le 5 décembre 1997.
DÉCISION
LE JUGE-ARBITRE P. ROULEAU
Le présent appel a été interjeté par le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral stipulant qu'il n'était pas admissible aux prestations, car il gérait une entreprise, et que, de ce fait, il n'était pas sans emploi.
M. Eppele a fait une demande de prestations le 22 octobre 1996. Dans cette demande, il a indiqué qu'il ne travaillait plus pour son employeur précédent, B.C. Rail Carshop, et qu'il avait perçu une indemnité de départ afin qu'un employé moins ancien puisse conserver son emploi. Le prestataire a indiqué à la Commission qu'il cherchait un emploi dans les domaines de la soudure ou de la transformation, étant donné qu'il avait 28 ans d'expérience et que le salaire était élevé.
Il a également informé la Commission qu'il exploitait à temps partiel une entreprise d'aménagement paysager qu'il avait lancée environ trois ans auparavant. L'entreprise était saisonnière et n'était exploitée que d'avril à octobre. L'équipement de l'entreprise, d'une valeur de 50 000 $, avait déjà été payé. L'intégralité des revenus de l'entreprise servait à rémunérer les employés, à entretenir l'équipement et à payer les assurances ainsi que la publicité.
M. Eppele a de nouveau fait une demande de prestations en avril 1997 après la fin de ses indemnités de départ. La Commission a transmis le dossier à son unité d'enquête pour qu'elle surveille les activités du prestataire afin de s'assurer qu'il ne se limitait pas lui-même à un travail autonome. Le 23 septembre 1997, après une entrevue avec le prestataire, la Commission a statué qu'il n'était pas admissible aux prestations, étant donné qu'il exploitait une entreprise pour son propre compte et qu'il n'était donc pas sans emploi.
Le prestataire a interjeté appel auprès du conseil arbitral, qui a rejeté son appel pour les raisons suivantes :
Le prestataire a fait une demande de prestations pour la période commençant le 29 septembre 1996 (pièce 2). À ce moment-là, le prestataire venait tout juste d'être licencié de B.C. Rail, où son poste avait été aboli (pièce 3). Le prestataire a indiqué à la Commission qu'il continuait à chercher du travail dans le domaine de la soudure ou de la transformation, des domaines où il avait 28 années d'expérience (pièce 2.2). Le prestataire a également indiqué qu'il travaillait à son compte et qu'il exploitait une entreprise à temps partiel qu'il avait montée il y a trois ans. Il essayait de faire de cette occupation un travail à temps plein qui lui permettrait d'embaucher des gens et de faire vivre sa famille (pièces 3 et 4).
Le prestataire a admis, devant le conseil arbitral, qu'il travaillait à son compte, étant donné qu'il consacrait du temps à son entreprise et qu'il espérait en faire une source de revenu à longueur d'année pour sa famille et pour lui-même. Il a également indiqué qu'il essayait de faire de cette occupation un travail à temps plein qui lui permettrait d'embaucher des gens et de faire vivre sa famille (pièce 3).
Le conseil estime que le prestataire n'est pas sans emploi, car il est propriétaire/gestionnaire d'une entreprise d'entretien toutes saisons de jardin et de pelouse (pièce 4).
Le prestataire a affirmé avoir beaucoup de clients pour ce qui est de l'aménagement paysager (pièce 5.2).
Le conseil estime également que le travail autonome du prestataire ne peut être vu comme « minime », car il s'y consacrait pleinement et tentait d'en faire une source de revenu à longueur d'année.
Le conseil s'est également appuyé sur l'affaire Schwenk (CUB 5454) pour parvenir à sa décision.
[TRADUCTION]
Le prestataire interjette maintenant appel auprès d'un juge-arbitre en raison du fait que le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Dans sa lettre d'appel, il déclare que, selon lui, la décision du conseil se fondait sur une de ses propres remarques, à savoir qu'il espérait que son commerce puisse un jour fonctionner toute l'année. Cependant, à l'heure actuelle, le prestataire indique qu'il n'a ni les qualifications ni le matériel nécessaire pour cela.
Je suis d'accord avec le prestataire et j'accueille son appel pour les raisons suivantes.
Une fois qu'il est établi qu'un prestataire se consacre à l'exploitation d'une entreprise, il reste à déterminer si son engagement y est si « minime » qu'il ne pourrait pas normalement constituer un moyen de subsistance. Dans l'affaire Schwenk (CUB 5454), le juge Dubé a indiqué six facteurs qu'il fallait prendre en ligne de compte pour déterminer si le travail autonome pouvait être considéré comme « minime » :
1. Le temps consacré.
2. Le capital et les ressources investis.
3. Le succès ou l'échec financier de l'entreprise.
4. L'exploitation continue du commerce.
5. La nature de l'emploi.
6. Le consentement du prestataire à accepter ou à chercher un autre emploi.
Dans Procureur général du Canada c. Jouan (1995), 179 N.R. 127, la Cour fédérale d'appel a fait les commentaires suivants au sujet de ces facteurs :
Il est vrai que les mots utilisés par le Parlement pour décrire la portée de l'exemption [ du règlement 43(2)] ne sont pas totalement clairs. Non seulement l'expression « so minor in extent » (si minime) est ambiguë, mais le concept du « moyen de subsistance normal » d'une personne ne peut certainement pas être mis en pratique de façon claire et simple. Il est vrai que cette clause d'exclusion constitue probablement un effort pour éviter de fermer les yeux sur l'inactivité totale et de pénaliser les personnes sans emploi qui cherchent simplement à occuper leur temps de façon utile. Une application appropriée de la clause pourrait effectivement requérir l'analyse de plusieurs facteurs.
Je pense, cependant, que le facteur le plus important, le plus approprié et le plus fondamental qui entre en ligne de compte devrait être, quoi qu'il en soit, le temps consacré. Premièrement, c'est ce que stipule, de façon claire, la version française de la phrase ambiguë « so minor in extent », qui a été traduite par « il y consacre si peu de temps » Deuxièmement, c'est ce que nous dicte le bon sens. Quelle que soit la nature des autres facteurs (qu'il s'agisse du capital investi, du succès de l'entreprise ou de l'exploitation continue de celle-ci), ils ne peuvent, en soi, nous permettre de prendre une décision. La conclusion d'une affaire précise dépend forcément et directement du temps consacré, puisque, répétons-le encore une fois, nous ne traitons ici que de la notion d'une semaine de travail à temps plein. Dans le cas d'un prestataire qui consacre, de façon régulière, 50 heures par semaine aux affaires de sa propre entreprise, celui-ci ne pourrait certainement pas se prévaloir du paragraphe 43(2). Ce prestataire est forcément assujetti à la présomption du paragraphe 43(1) et l'on doit le considérer comme une personne qui travaille à temps plein.
[TRADUCTION]
Si l'on applique ces principes à l'affaire en cours, je suis dans l'impossibilité de conclure que les preuves présentées au conseil permettaient d'affirmer que le prestataire avait un travail autonome et qu'il n'était pas admissible aux prestations. Les preuves irréfutables au sujet de M. Eppele sont les suivantes : l'entreprise en question était saisonnière et fonctionnait, à l'aide d'employés et d'équipement, depuis trois ans lors du licenciement du prestataire par B.C. Rail. En d'autres mots, la compagnie était une entreprise active au moment où l'employé occupait un autre emploi permanent à temps plein. Rien ne semble indiquer que le prestataire, lorsqu'il a perdu son emploi, a commencé à consacrer à son entreprise d'aménagement paysager une quantité de temps qui l'aurait empêché d'avoir un autre emploi à temps plein, ce qu'il faisait dans le passé.
Les éléments sur lesquels la Commission et le conseil ont fondé leurs décisions sont le fait que le prestataire était propriétaire d'une entreprise d'aménagement paysager et qu'il espérait pouvoir, dans un avenir plus ou moins proche, obtenir un certain succès commercial. Cependant, cela n'est pas suffisant en soi pour affirmer qu'il travaillait à son propre compte.
Pour toutes ces raisons, la décision du conseil arbitral est annulée et l'appel du prestataire est accueilli.
P. Rouleau
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 18 juin 1999