TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
PAUL H. LAVOIE
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire
à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
Fredericton (Nouveau-Brunswick) le 26 mai 1998.
DÉCISION
LE JUGE–ARBITRE J.A. FORGET
La Commission interjette appel à l'encontre de la décision rendue à l'unanimité par le conseil arbitral qui a conclu que la somme reçue par le prestataire selon le règlement négocié avec son ancien employeur ne donnait pas lieu à une répartition en vertu des articles 57 et 58 du Règlement.
M. Lavoie a présenté une demande de prestations le 7 octobre 1994. Il a travaillé à titre d'agent du développement économique pour la ville de Fredericton du 21 juillet 1993 au 5 octobre 1994, date à laquelle il a été congédié. Il a mentionné qu'il contestait son congédiement. La Commission a établi la demande de prestations à compter du 9 octobre.
Le 26 septembre 1997, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a rendu une ordonnance sur consentement par laquelle la ville de Fredericton devait verser à M. Lavoie une somme de 50 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires en raison d'une rupture de contrat et des intérêts, frais et déboursements qu'il a assumés. L'accord faisait aussi mention que la somme n'était qu'une indemnité de perte d'emploi ou de revenu au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.
A priori, aucun renseignement n'avait été fourni quant aux frais et intérêts occasionnés par le règlement et la Commission a réparti le montant versé à l'automne en vertu des articles 57 et 58 du Règlement. Toutefois, le prestataire a par la suite informé la Commission qu'il a subi des frais de justice pour un montant total de 15 840, 15 $ et que ce montant a été déduit de la somme forfaitaire, et il ne restait donc qu'un solde de 34 159, 86 $ à répartir. On a déterminé que ce montant constituait une rémunération en vertu du paragraphe 57(2) du Règlement, et on a réparti ce montant en vertu du paragraphe 58(9) du Règlement du 9 octobre 1994 au 3 juin 1995. La décision a donné lieu à un trop-payé de 11 201 $.
Le prestataire était en désaccord avec la décision rendue quant à la répartition. Il a mentionné qu'il était disposé à accepter un règlement selon la suggestion du juge Guy Richard afin d'éviter du stress et des ennuis supplémentaires et pour s'assurer que la couverture des événements par la presse n'exerce pas une répercussion nuisible sur son présent employeur. Il a précisé que si le juge Richard et son avocat ne l'avaient pas rassuré à propos de la gratification pour dommages-intérêts exemplaires et que, par conséquent, elle ne fait pas l'objet de la clause de remboursement selon la Loi de l'impôt sur le revenu, il n'aurait pas accepté de régler à l'amiable. Il a inclus dans sa lettre d'appel une liste des difficultés rencontrées et des frais occasionnés par sa cessation d'emploi.
Devant le conseil arbitral, M. Lavoie et son avocat ont allégué que l'ordonnance sur consentement rendue par le juge Guy Richard de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick établit clairement que la somme de 50 000 $ représente des dommages-intérêts exemplaires en raison d'une rupture de contrat et des intérêts, frais et déboursements qu'il a assumés et que les parties conviennent que la somme ne constitue pas une indemnité de perte d'emploi ou de revenu au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Après avoir entendu la représentation verbale et examiné la preuve documentaire au dossier, le conseil arbitral a conclu ce qui suit :
Le conseil est prêt à accepter la décision de M. le juge Richard et par conséquent y souscrit; il semble y avoir peu d'autres choix que d'accueillir l'appel.
La Commission soutient que le conseil arbitral a rendu une décision entachée d'une erreur de droit et a tiré une conclusion de fait erronée lorsqu'il a conclu que les sommes versées au prestataire en guise de règlement ne constituaient pas une indemnité de perte d'emploi ou de revenu et ne constituaient donc pas une rémunération en vertu des articles 57 et 58 du Règlement.
La Commission allègue que la jurisprudence a confirmé que les dommages-intérêts versés à un ancien employé, indûment congédié, constituent en principe un revenu provenant d'un emploi (Diane Tétreault, A-527-85 et Harry Major, A-667-88). C'est l'affirmation de la Commission que la jurisprudence appuie l'argument qu'il incombe au prestataire de fournir des preuves à l'appui de ses allégations; bien que le prestataire ait inclus dans sa lettre d'appel une liste des difficultés rencontrées et des frais occasionnés par sa cessation d'emploi, rien n'indique que ces circonstances sont entrées en ligne de compte lors de la négociation du règlement.
La Commission prétend que la demande de nature judiciaire du prestataire n'était que pour une indemnisation en raison de son congédiement; il a présenté un recours devant le tribunal dans le but d'annuler la décision de l'employeur quant à son congédiement et d'obtenir une indemnisation pour un manquement de loyauté de l'employeur qui a omis de lui mentionner la raison de son congédiement et ne lui a pas donné l'occasion de se faire entendre avant qu'il décide de le congédier. L'opinion de la Commission est que même si le prestataire a renoncé à sa demande initiale quant à la cassation de son congédiement, il n'en est pas moins que les sommes versées constituent une indemnisation provenant d'un emploi.
Quand il est question de répartition de la rémunération, il importe de savoir si les sommes proviennent d'un emploi.
L'alinéa 57(2)a) du Règlement stipule ce qui suit :
57(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu arrêt de rémunération et fixer le montant à déduire des prestations payables en vertu des paragraphes 15(1) ou (2), 17(4), 18(5) ou 20(3) de la Loi, ainsi que pour l'application des articles 37 et 38 de la Loi, est :
a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi;
Les paragraphes 28(9) [sic], (9.1) et (10) du Règlement stipulent ce qui suit :
58(9) Sous réserve des paragraphes (9.1) et (10), toute rémunération payée ou payable à un prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est, abstraction faite de la nature de la rémunération et de la période pour laquelle elle est censée être payée ou payable, répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d'emploi, de sorte que le total de la rémunération de cet emploi pour chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égal à la rémunération hebdomadaire normale que le prestataire tirait de l'emploi.
(9.1) Sous réserve du paragraphe (10), toute rémunération qui est payée ou payable à un prestataire, en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi, après qu'une répartition a été faite conformément au paragraphe (9) relativement à ce licenciement ou à cette cessation d'emploi est additionnée à la rémunération ayant fait l'objet de cette répartition, et une nouvelle répartition est faite conformément au paragraphe (9) en fonction de ce total, abstraction faite de la nature de la rémunération subséquente et de la période pour laquelle elle est censée être payée ou payable.
(10) Lorsqu'une rémunération est payée ou payable, relativement à un emploi, en vertu d'une sentence arbitrale, d'un arrêt du tribunal ou du règlement d'un différend qui aurait pu autrement être tranché par une sentence arbitrale ou un arrêt du tribunal et que cette rémunération est attribuée à des semaines précises par suite d'une action disciplinaire, elle est répartie sur un nombre de semaines consécutives commençant par la première semaine à laquelle la rémunération est ainsi attribuée, de sorte que le total de la rémunération de cet emploi pour chaque semaine, sauf la dernière, soit égal à la rémunération hebdomadaire normale que le prestataire tirait de l'emploi.
Dans le CUB 44266 (Stephen McConnell), le juge-arbitre Houston allègue ce qui suit :
Selon la jurisprudence, il est clair que la Commission n'est absolument pas tenue de respecter l'entente établie entre l'employé et son employeur. C'est-à-dire que la Commission a le droit d'examiner les diverses circonstances quant au versement d'argent à un employé à la suite d'une cessation d'emploi et détermine, selon la Loi, que le versement était bien une « rémunération » au sens de la Loi, sans égard à l'explication donnée par les parties à propos du versement. Le conseil a raison d'affirmer que la présomption, que l'argent versé est une « rémunération », est contestable, mais la jurisprudence indique que la limite est très élevée.
Le but de la globalité de la définition de « rémunération » est d'empêcher les employeurs et les employés de compléter les versements de cessation d'emploi avec des prestations d'assurance-chômage, et d'empêcher que les anciens employés reçoivent un revenu de deux sources. Le conseil a tiré la conclusion que le prestataire a réussi à combattre la présomption que le règlement était pour un salaire perdu. [TRADUCTION]
Le procureur de la Commission voudrait que je révise l'ordonnance sur consentement signée par le juge qui préside et les procureurs des deux parties et que je décide en conséquence que l'ordonnance ne signifie pas expressément ce qu'elle précise, à savoir que les sommes versées ne constituent pas des dommages-intérêts exemplaires mais une indemnité de perte d'emploi ou de revenu.
Je ne suis pas d'accord avec cet exposé des faits. Je dois avoir entière confiance à l'ordonnance signée et consentie et je la reconnais pleinement. Cette ordonnance parle d'elle-même et n'est aucunement équivoque. Étant donné que M. le juge Richard déclare que l'ordonnance est rendue à titre de dommages-intérêts exemplaires, je ne peux commencer à contester en aucun temps ce que le savant juge de première instance a ordonné.
Je me rends bien compte que la Commission croit que les sommes versées au prestataire devraient être réparties parce qu'il s'agit d'un revenu provenant d'un emploi (ou d'un congédiement) mais la preuve au dossier démontre le contraire.
Je conviens que le prestataire a réussi à combattre la présomption que le règlement constitue une « rémunération ». Comme le juge Marceau l'a précisé dans l'affaire du Procureur général du Canada contre Harnett (A-34-91) :
... Ainsi, une somme versée en règlement du préjudice causé à la santé ou à la réputation d'une personne ou, de fait, en indemnisation de ses frais de justice, ne serait pas répartie à titre de rémunération.
Les dommages-intérêts exemplaires (appelés aussi dommages-intérêts punitifs) sont généralement accordés par un tribunal dans le but de sanctionner la conduite tyrannique et abusive d'une partie en raison des effets négatifs que cette conduite a eus sur l'autre partie. Cette gratification est dictée par le comportement et non par l'emploi.
Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, je ne reconnais pas que le conseil arbitral a rendu une décision entachée d'une erreur de droit ou tiré une conclusion de fait erronée et, conséquemment, l'appel de la Commission doit être rejeté.
J.A. Forget
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 10 septembre 1999